La poésie de Jean Paul II |
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Rome, le 22 octobre 2007 -
(E.S.M.) - Le pape Jean Paul II, à
l'époque Karol Wojtyla, à la différence des autres, a vécu sa poésie
presque en silence, toujours plus absorbé par son choix sacerdotal et
par les responsabilités pastorales croissantes.
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Benoît XVI -
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La poésie de Jean Paul II
"Caillou rouge incandescent" La poésie de
Karol Wojtyla avant de devenir le pape Jean Paul II
Lire la poésie de Karol Wojtyla signifie entreprendre un parcours qui
implique l'existence dans son ensemble au niveau esthétique et émotif,
allant jusqu'à toucher les cordes les plus profondes de la signification de
l'expérience humaine. C'est ce que j'ai cherché à démontrer dans mon essai:
Dans la mélodie de la Terre - La poésie de Karol Wojtyla
(Jaca Book 2006). Le pape
Jean Paul II, à l'époque Karol Wojtyla, à la différence
des autres, a vécu sa poésie presque en silence, toujours plus absorbé par
son choix sacerdotal et par les responsabilités pastorales croissantes. Il
publia ses œuvres avec réluctance et sous pseudonyme, ce dernier demeurant
secret jusqu'à son élection pontificale, en 1978. Mais poésie et vocation
pour lui vivent toujours dans un lien caché, peut-être, mais vivant: « le
sacerdoce est un sacrement et une vocation alors que la poésie est une
fonction du talent mais c'est aussi le talent à déterminer la vocation »,
écrivait-il en 1971. L'intérêt de Wojtyla pour la poésie remonte à sa prime
jeunesse. Sa maturation est due à M. Kotlarczyk, professeur de langue
polonaise au Lycée de Wadowice, avec lequel il aurait par la suite créé le
Théâtre rapsodique. Dans ses poésies de jeunesse, les thèmes de la Patrie,
de la résistance, de l'histoire de la Pologne se mêlent à des inspirations
plus intimes, certaines marquées par un sentiment profond et romantique
vis-à-vis de la nature, qui suggère harmonie et paix, s'opposant aux nuages
sombres de la guerre s'accumulant à l'horizon. Le jeune Wojtyla vit dans un
monde de forces qui le marquent au plan émotif. Leur rencontre se fait sur
le plan de la foi, où elles trouvent une composition et un sens. La poésie
arrive à être un offertoire incandescent: l'âme de l'artiste —
Charbon des
braises ardentes,
Caillou chauffé au rouge.
II faut d'abord serrer les
Paroles avec une ceinture
pour les pousser ensuite au rythme de l'Amour
absolu
Et créer un poème enflammé/par les cœurs. Lancer à la poursuite les
trouveurs,
Qui annoncent à tous les peuples
La Vérité et la Liberté des
paroles et des visions.
Les vers, mêmes s'ils sont intenses, sont souvent âpres. Wojtyla lui-même
l'admet dans une lettre à son maître, Kotlarczyk. Toutefois, il reconnaît également une «flamme qui est allumée au-dedans de moi»
qu'il reconnaît comme possible fruit de l'«action de la Grâce» à laquelle «il
faut savoir répondre avec humilité». Il poursuit donc: «dans cette
dimension, la lutte pour la Poésie sera la lutte pour l'Humilité».
En 1942, Wojtyla avise son maître et ami Kotlarczyk qu'il aurait demandé, l'année
suivante, au Cardinal Sapieha, de commencer le parcours en vue de
l'ordination sacerdotale. En 1946, année de son ordination, il publie sa
première œuvre de maturité, le Chant du Dieu caché, écrit au cours des
années passées au séminaire clandestin. En lisant sa production, de 1946 au
Triptyque romain, il semble possible de relever certaines attitudes
fondamentales et constantes. La première concerne le regard du poète. Il
écrit dans le Chant:
Tu dois t'arrêter à regarder toujours plus en
profondeur
jusqu'à ce que tu ne réussisses plus à détourner ton âme du
fonds.
Là aucun vert ne rassasiera ta vue.
Il ne sert à rien aux
yeux du poète de se forcer à être plus pénétrants: plus je tends le regard,
moins je réussis à voir.
La tension est toujours vers un seuil qui est
atteint seulement par le regard ouvert, émerveillé, intense, capable de
toucher le fonds et de mouvoir l'âme de manière inépuisable: rien ne peut la
rassasier pleinement.
C'est le regard de l'étonnement qui sera tout le contenu de l'éternité. Le
sens de la contemplation se trouve dans le fait de se laisser immerger dans
le mystère qui est contemplé. Wojtyla, futur Jean Paul II, considère que l'homme souffre surtout
par manque de «vision» (ainsi que nous le lisons dans Pensées — Etrange
espace de 1952), parce qu'il est incapable de voir ce qui compte le plus et
doit donc lutter pour s'ouvrir le chemin entre les signes, au besoin en
tâtonnant dans le noir. Il ne comprend ainsi pas le sens du tout, de
soi-même, du monde, de la vie. Un deuxième thème concerne l'œuvre de l'homme
dans l'histoire et dans la vie entendue dans tout son caractère concret.
Un exemple est constitué par le court poème La carrière de pierre composé en
1957. Wojtyla connaissait bien ce pesant travail. De 1939 à 1944, pour
éviter la déportation, il travailla comme ouvrier d'abord dans les carrières
puis dans les industries chimiques Solvay, près de Cracovie. L'expérience
marqua le jeune Wojtyla qui, maintenant, revit dans ces vers, ce travail
comme réalité dure, mais également comme riche métaphore dans un contrepoint
serré entre la grandeur du travail et la dignité humaine:
Ecoute, une
décharge électrique taille le fleuve de pierre,
et en moi croît une
pensée, de jour en jour:
que la grandeur du travail est au-dedans de
l'homme.
Le rapport entre l'homme et la matière est sublime et périlleux:
l'homme a porté avec lui la structure secrète du monde. La matière
elle-même, les pierres, le savent parce qu'elles connaissent la violence qui
fend leur perfection compacte. Toutes les forces, même les plus
indomptables, peuvent être des énergies à brûler pour la plus profonde
réalisation de l'homme. Un troisième thème fondamental concerne le rapport
avec le Christ. Quatre mois avant de devenir Evêque de Cracovie, en mars
1978, était publié le poème Profils de Cyrénéen. L'œuvre se concentre sur
la figure de Simon de Cyrène entendu
comme image puissante de l'homme contemporain. En effet, il décrit 14
profils de «cyrénéens» contemporains: le mélancolique, le schizophrénique,
les aveugles, l'acteur, la jeune femme déçue en amour, les enfants, deux
ouvriers, un intellectuel, un émotif, un volitif... Wojtyla compose une
phénoménologie poétique de l'homme contemporain en cadres, petits mais très
denses. Chaque profil est celui d'un cyrénéen qui a son propre joug à porter
sur les épaules et écrit tous rôdent aux frontières de Dieu.
Plus tard, en 1978, dans La rédemption cherche ta forme pour entrer dans
l'inquiétude de tout homme, publiée sous pseudonyme alors que le poète avait
déjà été élu Souverain Pontife, la figure de Véronique prend la place de
celle de Simon de Cyrène:
J'attends ici tes mains
chargées par les travaux
de chaque jour,
j'attends ici tes mains
qui tiennent un simple linge.
Voilà que le visage du Christ devient le visage de tout homme, duquel
Véronique est sœur: son linge attire à lui toute l'inquiétude du monde.
L'homme est une forme inquiète qu'aucun regard n'est en mesure de rejoindre
pleinement, mais le visage du Christ imprimé sur le voile de Véronique
traverse celui qui le contemple, donnant la paix à son inquiétude.
Un quatrième thème est lié à la dimension cosmique du rapport entre Dieu,
l'homme et le monde entier. Le monde est rempli d'énergies occultes,
hardiment, je les appelle par leur nom. En tant qu'Evêque, quand il
administre le Sacrement de la Confirmation, il sent qu'il en est un
dispensateur: Je touche des forces dont l'homme devra regorger. Le visage
des fidèles qui reçoivent le sacrement, la foule de gens absorbés, semblent
également des potentiels d'énergie. Dans les visages, marqués par les rides,
et surtout dans les yeux un champ électrique vibre... Ici l'électricité est
réelle — et il s'agit aussi d'un symbole. C'est en effet un symbole de la
pensée, de l'esprit, des forces qui sont dans l'homme et sur lesquelles
s'exerce la pression de l'invisible emprisonnée dans des faisceaux
d'atmosphère. Dans le Triptyque romain, la dernière composition poétique de Wojtyla, les thèmes précédents sont portés aux extrêmes du Commencement et
de la Fin. Le poète se trouve à l'entrée de la Chapelle Sixtine et la vision
est celle du Jugement: le Commencement rejoint la Fin. Dans la vision de
Michel-Ange, de laquelle provient la méditation poétique, est considéré le
défilement des générations (Nus ils viennent au monde et nus ils retournent
à la terre dont ils ont été pétris)
jusqu'à la Fin, l'apogée de la transparence, [...]/ Transparence des
événements - / Transparence des consciences.
Tout homme est appelé à réacquérir cette vision une nouvelle fois. Celui qui
était alors le Cardinal Ratzinger écrivait, de manière perspicace, dans son
commentaire au Triptyque: «Le chemin qui conduit à la source est un chemin
pour devenir voyants, pour apprendre de Dieu à voir.
Alors apparaissent le Commencement et la Fin». Se laissant envelopper par
cette polychromie sixtine, Jean Paul II rappelle ses deux conclaves et imagine le
moment de sa mort. Les architectures métaphoriques de la poésie de Wojtyla
ne sont absolument pas «légères». Elles s'entrelacent à des questions
inquiètes et à des réponses de grande intensité spirituelle. Par leur
sensibilité, elles s'insèrent dans le cadre de la
«poésie métaphysique» (de Dante à John Donne et à T.S. Eliot), caractérisée
par une imagination métaphorique selon laquelle les vérités abstraites se
représentent sous forme d'images sensibles. Ceci est l'une des
caractéristiques de la poésie de Wojtyla: partir d'un objet, d'un fait,
d'une personne et recueillir la trame infinie de liens avec le mystère de
l'existence humaine, avec la structure secrète du monde.
Antonio Spadaro, SJ
Sources: Totus Tuus
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.10.2007 - Jean Paul II |