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Benoît XVI développe l'image trinitaire de Dieu
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Le 22 mars 2023 -
E.S.M.
- La doctrine sur l'Église doit trouver son point de départ
dans la doctrine sur le Saint-Esprit et ses dons. Et le but de cette
ecclésiologie, assure Benoît XVI, c'est une doctrine de l'histoire de Dieu avec les
hommes, une doctrine de la fonction de l'histoire du Christ pour
l'humanité en son entier.
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Icône de la Trinité d'Andreï Roublev, -
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Benoît XVI développe l'image trinitaire de Dieu.
THEOLOGIE
L'affirmation centrale de la troisième partie du Symbole, suivant le texte
original grec, dit simplement : « Je crois à un esprit
saint. » II manque l'article défini auquel nous sommes habitués dans
notre traduction. Ce fait est très important lorsqu'il
s'agit de retrouver la signification originelle. Il en ressort, en
effet, que cet article n'a pas été compris tout d'abord au plan
intra-trinitaire, mais au plan de l'histoire du salut. Autrement dit, la
troisième partie du Symbole ne renvoie pas en premier lieu au
Saint-Esprit en tant que troisième personne dans la
divinité, mais à l'Esprit-Saint en tant que Don
de Dieu à l'histoire du monde, dans la communauté de ceux qui croient au
Christ.
Le sens trinitaire, visant le Dieu un et trine, n'est
certes pas exclu pour autant. Nous avons vu dans nos réflexions
préliminaires que tout le Credo était issu de
la triple question posée au baptême, concernant la foi au Père, au Fils et
au Saint-Esprit, question qui elle-même repose sur la formule
baptismale attestée chez Matthieu (Mt 28, 19). En ce sens, la forme
la plus ancienne de la confession de foi, avec sa division en trois parties,
représente même une des racines déterminantes de
l'image trinitaire de Dieu. C'est seulement le développement
progressif du questionnaire baptismal en symbole élaboré, qui a fini par
voiler quelque peu la structure trinitaire. On y introduisit en effet, nous
l'avons vu, comme partie centrale, toute l'histoire de Jésus depuis sa
conception jusqu'à son retour. Cela devait conduire à donner également à la
première partie un sens plus historique, en la rapportant essentiellement à
l'histoire de la création et au temps avant le Christ. Il devenait dès lors
inévitable que tout le texte reçoive une interprétation historique : la
troisième partie devait ainsi être comprise comme le prolongement de
l'histoire du Christ dans le don de l'Esprit, et donc comme une indication
sur les « temps derniers » entre la venue du Christ et son retour. Ce
développement ne supprimait pas la perspective trinitaire, de même que,
inversement, les questions posées au baptême ne voulaient pas parler d'un
Dieu en dehors et au-delà de l'histoire, mais du Dieu tourné vers les
hommes. Dans cette même ligne, les premiers stades de la pensée chrétienne
ont comme caractéristique l'interférence entre une vision de l'histoire du
salut et une méditation trinitaire ; c'est plus tard seulement que cette
interférence fut de plus en plus oubliée, au détriment de la réalité du
mystère, si bien que l'on aboutit à une division en métaphysique théologique
d'une part, et théologie de l'histoire d'autre part : dès lors les deux
seront juxtaposées comme deux choses totalement différentes. On fait ou bien
de la spéculation ontologique, ou bien une théologie antiphilosophique de
l'histoire du salut, et l'on en vient à perdre de façon vraiment tragique
l'unité originelle de la pensée chrétienne. Au point de départ, cette pensée
n'est ni purement « histoire du salut » ni purement « métaphysique », elle
est marquée par l'unité de l'histoire et de l'être. Sur ce point
précisément, une grande tâche incombe aujourd'hui au travail théologique,
qui est à nouveau déchiré par ce dilemme
1.
Mais laissons ces considérations générales, pour nous
demander concrètement ce que signifie notre texte, tel qu'il se présente
actuellement. Il ne parle pas, nous l'avons vu, de la vie intime de Dieu,
mais de Dieu tourné « ad extra », de l'Esprit-Saint
en tant que puissance, grâce à laquelle le
Seigneur exalté demeure présent au milieu de l'histoire du monde,
comme principe d'une histoire nouvelle et d'un monde nouveau.
Une
telle orientation entraîna tout naturellement une autre conséquence. Comme
il ne s'agit pas ici de l'Esprit en tant que personne intra-divine, mais en
tant que puissance de Dieu dans l'histoire inaugurée par la résurrection de
Jésus, il en résulta que, dans la conscience du croyant, la foi en «
Esprit » et la foi en l'Église interférèrent. Il ne s'agit d'ailleurs
là que d'une application pratique de l'interférence entre
Trinité et histoire du salut, dont il a été
question plus haut. Et il faut considérer là encore comme un malheur pour le
développement ultérieur que cette interférence ait été disloquée : la
doctrine sur l'Église aussi bien que la doctrine sur le Saint-Esprit en ont
pareillement souffert. L'Église ne fut plus comprise dans sa réalité
pneumatique et charismatique, elle fut considérée exclusivement sous
l'aspect de l'incarnation, d'une façon trop terrestre, et elle finit par
être entièrement expliquée à partir des catégories de puissance de la pensée
profane. Mais de cette manière il n'y avait plus de place pour la doctrine
du Saint-Esprit ; dans la mesure où celle-ci ne continuait pas à subsister
chichement dans une pure dévotion, elle était absorbée dans la spéculation
trinitaire abstraite et perdait de ce fait pratiquement toute fonction pour
la conscience chrétienne. Le texte de notre Credo nous impose ici une
tâche très concrète : la doctrine sur l'Église doit
trouver son point de départ dans la doctrine sur le Saint-Esprit et ses dons.
Et le but de cette ecclésiologie, c'est une doctrine
de l'histoire de Dieu avec les hommes, une doctrine de la fonction de
l'histoire du Christ pour l'humanité en son entier. Par là se dégage
en même temps la direction dans laquelle la christologie doit se développer
: il ne s'agit pas d'en faire une doctrine de l'enracinement de Dieu dans le
monde, en interprétant l'Église de façon trop terrestre à partir de
l'humanité de Jésus. Le Christ demeure présent par l'Esprit-Saint avec son «
ouverture », son immensité, sa liberté qui, sans exclure aucunement la forme
institutionnelle, en limitent la prétention et ne lui permettent pas de
s'assimiler aux institutions terrestres.
Les autres
affirmations de la troisième partie du Symbole ne veulent être que
des explicitations de la confession de foi fondamentale : « Je crois à
l'Esprit-Saint. » Ce développement se fait dans deux directions : il y a
d'abord la mention de la « communion des saints
», qui ne se trouve pas dans le texte ancien du Symbole de la ville de Rome,
mais qui traduit bien une donnée de l'Église ancienne ; vient ensuite la
mention de la « rémission des péchés
». Les
deux affirmations sont à comprendre comme des traductions concrètes de
l'article sur le Saint-Esprit, comme des présentations de la manière dont
cet Esprit agit dans l'histoire. Toutes deux ont aussi une
signification directement sacramentelle, dont nous n'avons plus guère
conscience aujourd'hui. En effet, le mot de «
communion des saints » renvoie en premier lieu à la communauté
eucharistique, qui unit les églises répandues à travers le monde en une
seule Église, en vertu du corps du Seigneur. Le mot « sanctorum »
(« des saints ») ne se rapporte donc pas primitivement à des personnes, mais
signifie les dons sacrés, la réalité sainte qui est donnée à l'Église par
Dieu dans la célébration eucharistique, pour être le véritable lien de
l'unité. L'Église n'est donc pas définie par ses
fonctions et son organisation, mais par son culte : comme communauté de
table autour du Ressuscité qui en tous lieux la rassemble et l'unit.
Très vite, il est vrai, l'expression « communion des saints » vint à évoquer
aussi les personnes qui par le don un et saint de Dieu sont elles-mêmes
unies entre elles et sanctifiées. On commença à
comprendre l'Église, non plus seulement comme unité autour de la table
eucharistique, mais comme communauté de tous ceux qui, grâce à cette table,
sont unis également entre eux. Et à partir de là, le concept d'Église prit
bientôt une ampleur cosmique : la communion des saints dont il est
question ici déborde les frontières de la mort ; elle relie tous ceux
qui ont reçu l'unique Esprit, son unique force vivifiante.
Quant à la « rémission des péchés », elle vise l'autre
sacrement qui fonde l'Église, le baptême ; ensuite, à partir de là, le
regard se porta très vite aussi sur le sacrement de pénitence. Mais d'abord,
c'est le baptême qui apparaît comme le grand sacrement du pardon, comme le
moment de la conversion. C'est seulement peu à peu que l'on fut amené, par
une douloureuse expérience, à constater que le chrétien, même baptisé, avait
encore besoin de pardon ; et ainsi la rémission renouvelée du péché, dans le
sacrement de pénitence, passa de plus en plus au premier plan, surtout après
que le baptême eut été avancé au début de la vie, cessant ainsi d'être
l'expression d'une conversion active. Il restait cependant toujours vrai que
l'on ne peut devenir chrétien par naissance, mais uniquement par re-naissance : pour être chrétien, il faut nécessairement que l'homme «
retourne » son existence,
se détourne de l'attitude
satisfaite consistant à se laisser simplement vivre, et se «
convertisse ». En ce sens le baptême, point de
départ d'une conversion de toute la vie, reste le signe fondamental de
l'existence chrétienne, que veut nous rappeler la mention de la « rémission
des péchés ». Or, en nous présentant ainsi la vie chrétienne, non pas comme
appartenance à un groupe formé au hasard, mais comme retournement,
engagement dans l'existence humaine authentique, cet article du symbole
signifie, par-delà le cercle des baptisés, que l'homme ne saurait arriver à
la réalisation de lui-même s'il s'abandonne simplement à la pesanteur
naturelle. Pour devenir réellement homme, il doit
s'opposer à cette pesanteur, il doit se retourner
: les eaux de sa
nature, elles non plus, ne coulent pas d'elles-mêmes vers en haut.
En résumé,
nous pouvons constater que notre Credo conçoit l'Église à partir du
Saint-Esprit, comme le champ d'action du Saint-Esprit dans le monde.
Concrètement, il la considère à partir des deux pôles du baptême (pénitence)
et de l'eucharistie. Ce point de vue sacramentel entraîne une conception
pleinement théocentrique de l'Église : ce qui est au premier plan,
ce n'est
pas le groupement d'hommes que constitue l'Église,
mais le don de Dieu qui
retourne l'homme pour le faire accéder à un nouvel être qu'il ne peut se
donner à lui-même, à une communauté qu'il ne peut que recevoir comme un don
gratuit. Et cependant cette image théocentrique de l'Église est pleinement
humaine, pleinement réelle : du fait qu'elle gravite autour de la conversion
et du rassemblement dans la communion et que, d'après elle, ce double
processus ne peut trouver son achèvement à l'intérieur du mouvement de
l'histoire, elle révèle le sens humain du lien entre sacrement et Église. Le
mode d'approche « objectif » (à partir du don de Dieu) introduit ainsi de
lui-même l'élément personnel : l'être nouveau du pardon reçu conduit à la
communion avec ceux qui vivent du pardon ; le pardon crée la communion, et
la communion avec le Seigneur dans l'eucharistie conduit nécessairement à la
communion des convertis qui mangent l'unique et même pain, pour devenir « un
seul corps » (1 Co 10, 17), « un seul homme nouveau
» (cf. Ep 2,
15).
Les dernières paroles du Symbole, qui expriment la foi à
la « résurrection de la chair » et à la « vie éternelle », doivent elles
aussi être comprises comme un développement de la foi au Saint-Esprit et à
sa puissance transformante dont elles décrivent l'effet final. Car la
perspective de la résurrection, sur laquelle débouche ici tout l'ensemble,
découle nécessairement de la foi à la transformation de l'histoire,
inaugurée avec la résurrection de Jésus. Avec cet événement, nous l'avons
vu, la frontière du bios, c'est-à-dire la mort, est franchie et une
nouvelle situation est créée : le biologique est placé sous la domination de
l'esprit, de l'amour qui est plus fort que la mort.
Dès lors la barrière de la mort est fondamentalement brisée et un avenir
définitif s'ouvre pour l'homme et le monde. Cette conviction, dans
laquelle se rejoignent la foi au Christ et la foi à la puissance de
l'Esprit, est appliquée explicitement dans les derniers articles du Symbole,
à notre avenir à nous tous. Le regard vers l'Oméga de l'histoire du monde,
dans lequel tout sera accompli, découle nécessairement de la foi au Dieu qui
voulut devenir lui-même sur la croix l'Oméga du monde, sa dernière lettre.
Dieu a fait ainsi de l'Oméga son point, de sorte qu'un jour l'amour sera
définitivement plus fort que la mort et que, de la « complexification » du
bios grâce à l'amour, naîtra la complexité définitive, la réalisation
définitive de la personne et de l'unité, fruit de l'amour. Parce que Dieu
lui-même est devenu ver de terre, parce qu'il est devenu la dernière lettre
dans l'alphabet de la création, cette dernière lettre est devenue sa lettre,
et ainsi l'histoire est ordonnée à la victoire définitive de l'amour :
la croix est vraiment la rédemption du monde.
Note :
1. Cf. J. Ratzinger, « Heilsgeschichte und Eschatologie », dans Théologie
im Wande (Tübinger Festschriƒt), München, 1967, pp. 68-89.
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.03.2023
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