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19 Avril 2005
 

Benoît XVI approfondit le discours sur le nouveau commandement

Le 22 janvier 2023 - (E.S.M.) -  Après les discours d'enseignement de Jésus, qui suivent la relation de son entrée à Jérusalem, les Évangiles synoptiques reprennent le fil du récit avec une datation précise qui conduit à la dernière Cène.

Le pape Benoît XVI procède au lavement des pieds - Agrandir l'image : Cliquer

Chapitre 3

Le lavement des pieds

    Après les discours d'enseignement de Jésus, qui suivent la relation de son entrée à Jérusalem, les Évangiles synoptiques reprennent le fil du récit avec une datation précise qui conduit à la dernière Cène.

    Au début du chapitre 14, Marc commence en disant : « La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours » (14,1) ; puis il parle de l'onction à Béthanie et de la trahison de Judas et il poursuit ainsi : « Le premier jour des Azymes, où l'on immolait la Pâque, les disciples lui disent: "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?" » (14,12).

    Jean, pour sa part, dit simplement : « Avant la fête de la Pâque... Au cours d'un repas... » (13,1s.). Le repas dont parle Jean a lieu « avant la Pâque », tandis que les Synoptiques présentent la dernière Cène comme Repas pascal, partant ainsi, apparemment, d'une datation différente d'un jour par rapport à Jean.

    Nous aurons à revenir sur ces questions très discutées qui concernent ces chronologies différentes et sur leur signification théologique, lorsque nous méditerons sur la dernière Cène de Jésus et sur l'institution de l'Eucharistie.

    Restons pour le moment avec Jean qui, dans son compte rendu sur la dernière soirée de Jésus avec ses disciples avant la Passion, rapporte deux faits très particuliers : tout d'abord, il nous raconte comment Jésus a rendu à ses disciples ce service d'esclave qu'est le lavement des pieds ; dans ce contexte il rapporte aussi la prédiction de la trahison de Judas et du reniement de Pierre. Le deuxième aspect se trouve dans les discours d'adieu de Jésus, qui atteignent leur sommet avec la grande Prière sacerdotale. Nous allons maintenant concentrer notre attention sur ces deux pivots.

    « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin » (13,1). Avec la dernière Cène, est arrivée l'« heure » de Jésus, vers laquelle son œuvre était orientée depuis le début (cf. 2,4). L'essentiel de cette heure est circonscrit par Jean avec deux paroles fondamentales: c'est l'heure du « passage » (metabainein - metâbasis); c'est l'heure de l'amour (agâpë) « jusqu'à la fin ».

    Les deux expressions s'éclairent mutuellement, elles sont inséparables l'une de l'autre. L'amour même est le processus du passage, de la transformation, de la sortie des limites de la condition humaine vouée à la mort, dans laquelle nous sommes tous séparés les uns des autres et, au fond, impénétrables les uns par rapport aux autres - dans une altérité que nous ne pouvons pas dépasser. C'est l'amour jusqu'à la fin qui opère la « metâbasis » apparemment impossible : la sortie par-delà les barrières de l'individualité fermée, qu'est précisément Yagâpè - l'irruption dans la sphère divine.

L' heure  de Jésus


    L'« heure » de Jésus est l'heure du grand « pas au-delà », celle de la transformation, et cette métamorphose de l'être s'opère à travers l'agâpè. C'est une agâpè « jusqu'à la fin » - expression par laquelle Jean, à ce moment-là, renvoie par avance à la dernière parole du Crucifié : « C'est achevé - tetélestai » (Jn 19,30). Cette fin (télos), cette totalité du don, de la métamorphose de l'être tout entier c'est, justement, se donner soi-même jusqu'à la mort.


    Si Jésus ici, comme aussi en d'autres passages de l'Évangile de Jean, parle de sa sortie du Père et de son retour à lui, cela pourrait susciter le souvenir du schème antique de Yexitus et du reditus, de la sortie et du retour, tel qu'il a été élaboré spécialement dans la philosophie de Plotin. Toutefois, la sortie et le retour dont parle Jean sont complètement différents de ce qui a été pensé dans le schème philosophique. Car, chez Plotin comme chez ses disciples, la « sortie », qui prend ici la place de l'acte divin de la création, est une descente qui, finalement, devient un déclin : de l'élévation de l'« unique » vers le bas jusqu'aux régions les plus inférieures de l'être. Le retour consiste alors dans la purification de la sphère matérielle, dans une remontée progressive et à travers des purifications qui enlèvent ce qui est inférieur et finalement reconduisent à l'unité du divin.

    Par contre, la sortie de Jésus suppose d'abord la création non pas comme un déclin mais comme un acte positif de la volonté de Dieu. Elle est aussi un processus de l'amour qui, précisément, à travers la descente, manifeste sa vraie nature - par amour pour la créature, par amour pour la brebis perdue -, révélant ainsi dans cette descente ce qui est vraiment divin. Et Jésus dans sa remontée ne se débarrasse en aucune manière de son humanité comme s'il s'agissait d'une chose impure. Le but de sa descente était d'accepter et d'accueillir tous les hommes, le retour avec eux - le retour de « toute chair ».

    Dans ce retour, s'accomplit une nouveauté: Jésus ne revient pas seul. Il n'abandonne pas la chair, mais il attire tous les hommes à lui (cf. Jn 12,32). La metâbasis vaut pour la totalité. Si dans le premier chapitre de l'Évangile de Jean, il est dit que les « siens » (idioi) n'ont pas accueilli Jésus (cf. 1,11), nous entendons maintenant qu'il a aimé les « siens » jusqu'à la fin (cf. 13,1). Dans la descente, il a de nouveau rassemblé les « siens » - la grande famille de Dieu - ; d'étrangers qu'ils étaient, les faisant devenir « siens ».


    Écoutons maintenant comment l'évangéliste poursuit : Jésus « se lève de table, dépose ses vêtements et, prenant un linge, il s'en ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint » (Jn 13,4s.). Jésus rend à ses disciples le service de l'esclave, « il s'anéantit lui-même » (Ph 2,7).

    Ce que dit la Lettre aux Philippiens dans son grand hymne christologique — que, dans un geste contraire à celui d'Adam qui avait essayé par ses propres forces d'allonger le bras vers le divin, le Christ, à l'inverse, est descendu de sa divinité au point de devenir homme, « prenant la condition d'esclave » et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort sur une croix (cf. 2,7-8) - tout cela est ici rendu visible à travers un seul geste. Par un acte symbolique, Jésus manifeste l'ensemble de son service salvifique. Il se dépouille de sa splendeur divine, il s'agenouille, pour ainsi dire, devant nous, il lave et sèche nos pieds sales pour nous rendre capables de participer au banquet nuptial de Dieu.

    Si dans l'Apocalypse, nous trouvons l'affirmation paradoxale selon laquelle ceux qui sont sauvés « ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau » (7,14), cela veut dire que c'est l'amour de Jésus jusqu'à la fin qui nous purifie, nous lave. Le geste du lavement des pieds exprime précisément cela: l'amour serviable de Jésus est ce qui nous fait sortir de notre orgueil et nous rend capables de Dieu, nous rend « purs ».


« Vous êtes purs »


    Dans le passage du lavement des pieds, le mot « pur » revient trois fois. Par là, Jean reprend un concept fondamental de la tradition de l'Ancien Testament, comme aussi du monde des religions en général. Pour pouvoir comparaître devant Dieu, pour entrer en communion avec Dieu, l'homme doit être « pur ». Mais plus il entre dans la lumière, plus il se sent sale et plus il éprouve le besoin de purification. C'est pourquoi les religions ont créé des systèmes de « purification » afin de donner à l'homme la possibilité d'avoir accès à Dieu.

    Dans les normes cultuelles de toutes les religions, les préceptes de purification ont un rôle important : ils donnent à l'homme une idée de la sainteté de Dieu ainsi que de sa propre obscurité, dont il doit être libéré pour pouvoir s'approcher de Dieu. Dans le judaïsme observant du temps  de Jésus, le système des purifications cultuelles dominait toute la vie. Dans le chapitre 7 de l'Évangile de Marc nous trouvons la prise de position fondamentale de Jésus devant cette conception de la pureté cultuelle réalisée grâce à des gestes rituels ; Paul, dans ses lettres, a dû à maintes reprises traiter cette question de la « pureté » devant Dieu.

     En Marc, nous voyons le retournement radical que Jésus a imprimé au concept de pureté devant Dieu : ce ne sont pas les gestes rituels qui purifient. Pureté et impureté naissent dans le cœur de l'homme et dépendent de la condition de son cœur (cf. Mc 7,14-23).

    Mais alors surgit cette question: comment le cœur devient-il pur ? Qui sont les hommes au cœur pur, qui peuvent voir Dieu (cf. Mt 5,8) ? L'exégèse libérale a dit que Jésus aurait substitué à la conception rituelle de la pureté celle de la pureté morale : au lieu du culte et de son monde, se serait introduite la morale. Alors, le christianisme serait essentiellement une morale, une espèce de « réarmement » éthique. Mais ainsi on ne rend pas justice à la nouveauté du Nouveau Testament.

    La nouveauté véritable se laisse entrevoir lorsque, dans les Actes des Apôtres, Pierre prend position devant l'objection des pharisiens convertis à la foi au Christ, qui demandent de circoncire les chrétiens provenant du paganisme et leur « enjoindre d'observer la Loi de Moïse ». À cela, Pierre réplique: Dieu lui-même a pris la décision que « les païens entendent la parole de la Bonne Nouvelle et embrassent la foi... il n'a pas fait de distinction entre eux et nous, puisqu'il a purifié leur cœur par la foi » (15,5-11). La foi purifie le cœur. Elle vient de Dieu qui se tourne vers l'homme. Ce n'est pas une simple décision autonome des hommes. La foi naît parce que les personnes sont touchées intérieurement par l'Esprit de Dieu, qui ouvre leur cœur et le purifie.

    Jean a repris et approfondi ce grand thème de la purification, évoqué seulement brièvement dans le discours de Pierre, durant le récit du lavement des pieds et, sous le mot-clé de « sanctification » dans la Prière sacerdotale de Jésus. « Déjà, vous êtes purs grâce à la parole que je vous ai fait entendre », dit Jésus à ses disciples, dans le discours sur la vigne (15,3). C'est sa parole qui pénètre en eux, qui transforme leurs pensées et leur volonté, leur « cœur » et qui l'ouvre afin qu'il devienne un cœur qui voit.

    Dans la réflexion sur la Prière sacerdotale, nous retrouverons, même si c'est dans une perspective légèrement différente, la même vision, quand nous entendrons la requête de Jésus: « Sanctifie-les dans la vérité » (17,17). « Sanctifier » dans la terminologie sacerdotale veut dire : habiliter au culte. Ce mot désigne les actes rituels que le prêtre doit accomplir avant de se présenter devant Dieu. « Sanctifie-les dans la vérité » - la vérité est ici le « bain » qui rend les hommes capables de Dieu: c'est cela que Jésus nous fait comprendre. L'homme doit être immergé en elle, afin d'être libéré de la souillure qui le sépare de Dieu. À ce propos, nous ne devons pas oublier que Jean ne prend pas en considération un concept abstrait de la vérité ; il sait que Jésus est la vérité en personne.

    Dans le chapitre 13 de l'Évangile, le lavement des pieds accompli par Jésus apparaît comme un chemin de purification. Une autre fois la même chose est exprimée, mais de nouveau à partir d'une autre perspective. Le bain qui nous purifie est l'amour de Jésus - l'amour qui va jusqu'à la mort. La parole de Jésus n'est pas seulement une parole, elle est lui-même. Et sa parole est la vérité et elle est l'amour.

    Au fond, c'est absolument la même chose que Paul exprime d'une manière qui est pour nous plus difficile à comprendre, quand il dit que nous sommes « justifiés dans son sang » (Rm 5,9 ; cf. Rm 3,25 ',Ep l, et ailleurs). Et c'est encore la même réalité que la Lettre aux Hébreux a montrée dans sa grande vision du sacerdoce suprême de Jésus. La pureté rituelle n'a pas été simplement remplacée par la morale, mais par le don de la rencontre avec Dieu en Jésus Christ.


    Nous sommes de nouveau confrontés aux philosophies platoniciennes de l'Antiquité tardive, qui - comme par exemple chez Plotin encore - tournent autour du thème de la purification. Cette purification nous rejoint, d'une part, grâce aux rites, d'autre part et surtout, à travers une montée progressive de l'homme vers les hauteurs de Dieu. De cette manière l'homme se purifie de la composante matérielle, il devient esprit et donc pur.

    Par contre, dans la foi chrétienne, c'est précisément le Dieu incarné qui nous purifie véritablement et qui attire le créé dans l'unité avec Dieu. La dévotion du XIXe siècle a de nouveau rendu unilatéral le concept de la pureté, la réduisant toujours plus à la question de l'ordre dans le domaine de la sexualité, la contaminant ainsi de nouveau par le soupçon à l'égard de la sphère matérielle du corps. Dans l'aspiration diffuse de l'humanité à la pureté, l'Évangile de Jean - Jésus lui-même - nous montre la voie : lui qui est Dieu et en même temps homme, nous rend capables de Dieu. Demeurer dans son Corps, être pénétrés de sa présence, voilà ce qui est essentiel.

    Il est sans doute utile de souligner à ce point de notre réflexion que la transformation du concept de pureté dans le message de Jésus manifeste encore une fois ce que, dans le deuxième chapitre, nous avons vu à propos de la fin des sacrifices d'animaux, à propos du culte et du nouveau Temple. Tout comme les sacrifices anciens représentaient une tension dans une attitude d'attente vers l'avenir, tout comme ils recevaient leur éclairage et leur dignité de cet avenir vers lequel ils étaient orientés, ainsi les usages rituels de purification, qui faisaient partie de ce culte, étaient-ils également avec lui - comme auraient dit les Pères — « sacramentum futuri » : une étape dans l'histoire de Dieu avec les hommes ou des hommes avec Dieu - étape qui voulait créer une ouverture vers l'avenir, mais qui devait céder le pas, à l'heure où la nouveauté serait arrivée.


Sacramentum et exemplum - don et devoir :
  le « nouveau commandement »


    Revenons au chapitre 13 de l'Évangile de Jean. « Vous êtes purs », dit Jésus à ses disciples. Le don de la pureté est un acte de Dieu. L'homme de lui-même ne peut pas se rendre capable de Dieu, quel que soit le système de purification auquel il a recours. « Vous êtes purs » - en cette parole merveilleusement simple de Jésus, est exprimée et en quelque sorte presque résumée, la sublimité du mystère du Christ. Le Dieu qui descend vers nous nous rend purs. La pureté est un don.

    Mais surgit alors une objection. Quelques versets plus loin, Jésus dit : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c'est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j'ai fait pour vous » (Jn 13,14s.). Ne nous trouvons-nous pas ainsi, de fait, arrivés à une conception seulement morale du christianisme ?

    En réalité, Rudolf Schnackenburg, par exemple, parle de deux interprétations du lavement des pieds, qui s'opposent l'une l'autre dans ce chapitre 13 : une première « théologiquement plus profonde... comprend le lavement des pieds comme un événement symbolique qui indique la mort de Jésus ; la seconde est de caractère purement paradigmatique et s'arrête au service d'humilité de Jésus que constitue le lavement des pieds » (Johannesevangelium III, p. 7). Schnackenburg soutient que la seconde interprétation serait une « création rédactionnelle », d'autant plus que, selon lui, « la seconde interprétation semble ignorer la première » (p. 12; cf. p. 28). Mais il s'agit là d'une réflexion trop limitée, trop liée aux schémas de notre logique occidentale. Pour Jean, le don de Jésus et son efficacité durable chez les disciples vont de pair.

    Les Pères ont résumé la différence entre les deux aspects, de même que leurs relations réciproques dans les catégories de sacramentum et d'exemplum : par sacramentum, ils n'entendent pas ici un sacrement particulier, mais le mystère tout entier du Christ - de sa vie et de sa mort - dans lequel il vient à notre rencontre à nous, êtres humains ; par son Esprit il vient en nous et il nous transforme. Mais justement parce que ce sacramentum « purifie » véritablement l'homme, le renouvelle de l'intérieur, il devient alors la dynamique d'une nouvelle existence. La requête de faire ce que Jésus a fait n'est pas un appendice moral au mystère ou, encore, quelque chose qui s'y opposerait. Cette requête découle de la dynamique intrinsèque du don par lequel le Seigneur fait de nous des hommes nouveaux et nous accueille en ce qui lui est propre.

    Cette dynamique essentielle du don, par laquelle lui-même, maintenant, agit en nous et par laquelle notre agir devient une seule chose avec le sien, apparaît de manière particulièrement claire dans cette parole de Jésus : « Celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père » (Jn 14,12). Ici est exprimé précisément ce que les mots: « C'est un exemple que je vous ai donné » dans le lavement des pieds veulent signifier: l'agir de Jésus devient nôtre, parce que c'est lui-même qui agit en nous.

    À partir de là nous pouvons alors comprendre aussi le discours sur le « nouveau commandement » par lequel, après l'intermède sur la trahison de Judas, Jésus reprend encore l'invitation au lavement réciproque des pieds, la transformant en principe (Jn 13,34s.). En quoi consiste la nouveauté du nouveau commandement ? Parce que, ici, en fin de compte, c'est la nouveauté du Nouveau Testament qui est enjeu, il est donc important que la question à propos de l'« essence du christianisme » soit abordée avec une attention particulière.

    On a dit que la nouveauté - au-delà du commandement de l'amour du prochain qui existait déjà - se révèle dans l'expression « vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés », c'est-à-dire dans le fait d'aimer au point d'être prêt à sacrifier sa propre vie pour l'autre. Si c'est en cela que consiste l'essence et la totalité du « commandement nouveau », alors, le christianisme, de fait, serait à définir comme une sorte d'effort moral extrême. C'est ainsi que beaucoup interprètent aussi le discours sur la montagne : par rapport à la voie ancienne des Dix Commandements - celle qui indiquerait pour ainsi dire le chemin de l'homme commun -, le christianisme inaugurerait avec le discours sur la montagne la voie élevée d'une exigence radicale, dans laquelle se serait révélé un nouveau niveau d'humanisme dans l'humanité.

    Mais qui, en réalité, peut dire de lui-même s'être élevé au-dessus de la « médiocrité » de la voie des Dix Commandements, les avoir, pour ainsi dire, laissés derrière soi comme quelque chose d'acquis et marcher désormais sur les hauteurs, dans la « Loi nouvelle »? Non, la nouveauté authentique du commandement nouveau ne peut pas se trouver dans l'élévation de l'agir moral. L'essentiel justement, même dans ces paroles, n'est pas l'appel à un agir plus grand, mais le nouveau fondement de l'être, qui nous est donné. La nouveauté ne peut provenir que du don de l'être avec le Christ, du vivre avec Lui.

    Augustin, de fait, avait commencé son exposé du discours sur la montagne - son premier cycle d'homélies après son ordination sacerdotale - par l'idée de l'éthos supérieur, des normes les plus élevées et les plus pures. Mais au long de ses homélies le centre de gravité se déplace toujours davantage. Il doit reconnaître à maintes reprises que déjà l'ancienne exigence impliquait une perfection véritable. À la prétention supérieure se substitue toujours plus clairement la préparation du cœur (cf. De serm. Dom. in monte I 19,59); d'une manière croissante, le « cœur pur » (cf. Mt 5,8) devient le centre de l'interprétation. Plus de la moitié de tout le cycle d'homélies est développée avec cette pensée de fond du cœur purifié. Ainsi, d'une manière étonnante, est rendue visible la relation avec le lavement des pieds : dans la mesure seulement où, souvent, nous nous laissons laver, « rendre purs » par le Seigneur lui-même, nous pouvons apprendre à faire avec lui ce qu'il a fait.

    Ce qui compte c'est l'insertion de notre moi dans le sien (« ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » Ga 2,20). C'est pourquoi le deuxième mot-clé qui apparaît souvent dans l'interprétation d'Augustin du discours sur la montagne est le mot « miséricorde ». Nous devons nous laisser immerger dans la miséricorde du Seigneur, alors notre « cœur » aussi trouvera le juste chemin. Le « commandement nouveau » n'est pas simplement une exigence nouvelle et supérieure : il est lié à la nouveauté de Jésus Christ - au fait de s'immerger toujours plus en lui.
Poursuivant dans cette ligne, Thomas d'Aquin pouvait dire: « La Loi nouvelle est la grâce de l'Esprit Saint » (S. theol I-II q 106 a 1) - ce n'est pas une nouvelle norme, mais l'intériorité nouvelle donnée par l'Esprit de Dieu lui-même. Cette expérience spirituelle de la véritable nouveauté dans le christianisme, Augustin pouvait finalement la résumer par la formule célèbre : « Da quod iubes et iube quod vis — accorde ce que tu commandes, puis ordonne ce que tu veux » (Confessions X 29,40).

    Le don - le sacramentum - devient exemplum, exemple, tout en restant toujours don. Être chrétien est avant tout un don, qui toutefois se développe ensuite dans la dynamique du vivre et de l'agir avec ce don.
                                                                                                                    
Le TOME I Benoît XVI

Le TOME II Benoît XVI

 

Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -  E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 22.01.2023

 
 

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