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Benoît XVI approfondit le discours sur le nouveau
commandement
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Le 22 janvier 2023 -
(E.S.M.)
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Après les discours d'enseignement de Jésus, qui
suivent la relation de son entrée à Jérusalem, les Évangiles
synoptiques reprennent le fil du récit avec une datation précise qui
conduit à la dernière Cène.
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Le pape Benoît XVI procède au
lavement des pieds -
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Chapitre 3
Le lavement des pieds
Après les discours d'enseignement de Jésus, qui suivent
la relation de son entrée à Jérusalem, les Évangiles synoptiques reprennent
le fil du récit avec une datation précise qui conduit à la dernière Cène.
Au début du chapitre 14, Marc commence en disant : « La Pâque
et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours
» (14,1) ; puis il parle de l'onction à Béthanie et de la trahison de
Judas et il poursuit ainsi : « Le premier jour des Azymes, où l'on immolait
la Pâque, les disciples lui disent: "Où veux-tu que nous allions faire les
préparatifs pour que tu manges la Pâque?" » (14,12).
Jean, pour sa part, dit simplement : « Avant la fête de la
Pâque... Au cours d'un repas... » (13,1s.). Le repas dont parle Jean a lieu
« avant la Pâque », tandis que les Synoptiques présentent la dernière Cène
comme Repas pascal, partant ainsi, apparemment, d'une datation différente
d'un jour par rapport à Jean.
Nous aurons à revenir sur ces questions très discutées qui
concernent ces chronologies différentes et sur leur signification
théologique, lorsque nous méditerons sur la dernière Cène de Jésus et sur
l'institution de l'Eucharistie.
Restons pour le moment avec Jean qui, dans son compte
rendu sur la dernière soirée de Jésus avec ses disciples avant la Passion,
rapporte deux faits très particuliers : tout d'abord, il nous raconte
comment Jésus a rendu à ses disciples ce service d'esclave qu'est
le lavement des pieds ; dans ce contexte il rapporte aussi la
prédiction de la trahison de Judas et du reniement de Pierre. Le deuxième
aspect se trouve dans les discours d'adieu de Jésus, qui atteignent leur
sommet avec la grande Prière sacerdotale. Nous
allons maintenant concentrer notre attention sur ces deux pivots.
« Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure
était venue de passer de ce monde vers le Père, ayant aimé les siens qui
étaient dans le monde, les aima jusqu'à la fin » (13,1). Avec la dernière
Cène, est arrivée l'« heure » de Jésus, vers laquelle son œuvre était
orientée depuis le début (cf. 2,4). L'essentiel de cette heure est
circonscrit par Jean avec deux paroles fondamentales: c'est l'heure du «
passage » (metabainein - metâbasis); c'est l'heure de l'amour (agâpë)
« jusqu'à la fin ».
Les deux expressions s'éclairent mutuellement, elles sont
inséparables l'une de l'autre. L'amour même est le processus du passage, de
la transformation, de la sortie des limites de la condition humaine vouée à
la mort, dans laquelle nous sommes tous séparés les uns des autres et, au
fond, impénétrables les uns par rapport aux autres - dans une altérité que
nous ne pouvons pas dépasser. C'est l'amour jusqu'à la fin qui opère la «
metâbasis » apparemment impossible : la sortie par-delà les barrières de
l'individualité fermée, qu'est précisément Yagâpè - l'irruption dans
la sphère divine.
L' heure de Jésus
L'« heure » de Jésus est l'heure du grand « pas au-delà »,
celle de la transformation, et cette métamorphose de l'être s'opère à
travers l'agâpè. C'est une agâpè « jusqu'à la fin » -
expression par laquelle Jean, à ce moment-là, renvoie par avance à la
dernière parole du Crucifié : « C'est achevé - tetélestai » (Jn
19,30).
Cette fin (télos), cette totalité du don, de la métamorphose de
l'être tout entier c'est, justement, se donner soi-même jusqu'à la mort.
Si Jésus ici, comme aussi en d'autres passages de l'Évangile
de Jean, parle de sa sortie du Père et de son retour à lui, cela pourrait
susciter le souvenir du schème antique de Yexitus et du reditus,
de la sortie et du retour, tel qu'il a été élaboré spécialement dans la
philosophie de Plotin. Toutefois, la sortie et le retour dont parle Jean
sont complètement différents de ce qui a été pensé dans le schème
philosophique. Car, chez Plotin comme chez ses disciples, la « sortie », qui
prend ici la place de l'acte divin de la création, est une descente qui,
finalement, devient un déclin : de l'élévation de l'« unique » vers le bas
jusqu'aux régions les plus inférieures de l'être. Le retour consiste alors
dans la purification de la sphère matérielle, dans une remontée progressive
et à travers des purifications qui enlèvent ce qui est inférieur et
finalement reconduisent à l'unité du divin.
Par contre, la sortie de Jésus suppose d'abord la création
non pas comme un déclin mais comme un acte positif de la volonté de Dieu.
Elle est aussi un processus de l'amour qui, précisément, à travers la
descente, manifeste sa vraie nature - par amour pour la créature, par amour
pour la brebis perdue -, révélant ainsi dans cette descente ce qui est
vraiment divin. Et Jésus dans sa remontée ne se débarrasse en aucune manière
de son humanité comme s'il s'agissait d'une chose impure. Le but de sa
descente était d'accepter et d'accueillir tous les
hommes, le retour avec eux - le retour de « toute chair ».
Dans ce retour, s'accomplit une nouveauté: Jésus ne revient
pas seul. Il n'abandonne pas la chair, mais il attire
tous les hommes à lui (cf. Jn 12,32). La metâbasis vaut
pour la totalité. Si dans le premier chapitre de l'Évangile de Jean,
il est dit que les « siens » (idioi) n'ont pas accueilli Jésus (cf.
1,11), nous entendons maintenant qu'il a aimé les « siens » jusqu'à la fin
(cf. 13,1). Dans la descente, il a de nouveau rassemblé les « siens » - la
grande famille de Dieu - ; d'étrangers qu'ils étaient, les faisant devenir «
siens ».
Écoutons maintenant comment l'évangéliste poursuit : Jésus «
se lève de table, dépose ses vêtements et, prenant un linge, il s'en
ceignit. Puis il met de l'eau dans un bassin et il commença à laver les
pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint » (Jn
13,4s.). Jésus rend à ses disciples le service de l'esclave, « il s'anéantit
lui-même » (Ph 2,7).
Ce que dit la Lettre aux Philippiens dans son grand
hymne christologique — que, dans un geste contraire à celui d'Adam qui avait
essayé par ses propres forces d'allonger le bras vers le divin, le Christ, à
l'inverse, est descendu de sa divinité au point de devenir homme, « prenant
la condition d'esclave » et il s'est fait obéissant jusqu'à la mort sur une
croix (cf. 2,7-8) - tout cela est ici rendu visible à travers un seul geste.
Par un acte symbolique, Jésus manifeste l'ensemble de son service
salvifique. Il se dépouille de sa splendeur divine, il s'agenouille, pour
ainsi dire, devant nous, il lave et sèche nos pieds sales pour nous rendre
capables de participer au banquet nuptial de Dieu.
Si dans l'Apocalypse, nous trouvons l'affirmation
paradoxale selon laquelle ceux qui sont sauvés « ont lavé leurs robes et les
ont blanchies dans le sang de l'Agneau » (7,14), cela veut dire que c'est
l'amour de Jésus jusqu'à la fin qui nous purifie, nous lave. Le geste du
lavement des pieds exprime précisément cela: l'amour serviable de Jésus est
ce qui nous fait sortir de notre orgueil et nous rend capables de Dieu, nous
rend « purs ».
« Vous êtes purs »
Dans le passage du lavement des pieds, le mot « pur » revient
trois fois. Par là, Jean reprend un concept fondamental de la tradition de
l'Ancien Testament, comme aussi du monde des religions en général. Pour
pouvoir comparaître devant Dieu, pour entrer en communion avec Dieu, l'homme
doit être « pur ». Mais plus il entre dans la lumière, plus il se sent sale
et plus il éprouve le besoin de purification. C'est pourquoi les religions
ont créé des systèmes de « purification » afin de donner à l'homme la
possibilité d'avoir accès à Dieu.
Dans les normes cultuelles de toutes les religions, les
préceptes de purification ont un rôle important : ils donnent à l'homme une
idée de la sainteté de Dieu ainsi que de sa propre obscurité, dont il doit
être libéré pour pouvoir s'approcher de Dieu. Dans le judaïsme observant du
temps de Jésus, le système des purifications cultuelles dominait toute
la vie. Dans le chapitre 7 de l'Évangile de Marc nous trouvons la
prise de position fondamentale de Jésus devant cette conception de la pureté
cultuelle réalisée grâce à des gestes rituels ; Paul, dans ses lettres, a dû
à maintes reprises traiter cette question de la « pureté »
devant Dieu.
En Marc, nous voyons le retournement radical que Jésus
a imprimé au concept de pureté devant Dieu : ce ne sont pas les gestes
rituels qui purifient. Pureté et impureté naissent dans le cœur de l'homme
et dépendent de la condition de son cœur (cf. Mc 7,14-23).
Mais alors surgit cette question: comment le cœur devient-il
pur ? Qui sont les hommes au cœur pur, qui peuvent voir Dieu (cf. Mt 5,8) ?
L'exégèse libérale a dit que Jésus aurait substitué à la conception rituelle
de la pureté celle de la pureté morale : au lieu du culte et de son monde,
se serait introduite la morale. Alors, le christianisme serait
essentiellement une morale, une espèce de « réarmement » éthique. Mais ainsi
on ne rend pas justice à la nouveauté du Nouveau Testament.
La nouveauté véritable se laisse entrevoir lorsque, dans les
Actes des Apôtres, Pierre prend position devant l'objection des pharisiens
convertis à la foi au Christ, qui demandent de circoncire les chrétiens
provenant du paganisme et leur « enjoindre d'observer la Loi de Moïse ». À
cela, Pierre réplique: Dieu lui-même a pris la décision que « les païens
entendent la parole de la Bonne Nouvelle et embrassent la foi... il n'a pas
fait de distinction entre eux et nous, puisqu'il a purifié leur cœur par la
foi » (15,5-11). La foi purifie le cœur. Elle vient de Dieu qui se tourne
vers l'homme. Ce n'est pas une simple décision autonome des hommes. La foi
naît parce que les personnes sont touchées intérieurement par l'Esprit de
Dieu, qui ouvre leur cœur et le purifie.
Jean a repris et approfondi ce grand thème de la
purification, évoqué seulement brièvement dans le discours de Pierre, durant
le récit du lavement des pieds et, sous le mot-clé de « sanctification »
dans la Prière sacerdotale de Jésus. « Déjà, vous êtes purs grâce à la
parole que je vous ai fait entendre », dit Jésus à ses disciples, dans le
discours sur la vigne (15,3). C'est sa parole qui pénètre en eux, qui
transforme leurs pensées et leur volonté, leur « cœur » et qui l'ouvre afin
qu'il devienne un cœur qui voit.
Dans la réflexion sur la Prière sacerdotale, nous
retrouverons, même si c'est dans une perspective légèrement différente, la
même vision, quand nous entendrons la requête de Jésus: «
Sanctifie-les dans
la vérité » (17,17). « Sanctifier » dans la terminologie sacerdotale veut
dire : habiliter au culte. Ce mot désigne les actes rituels que le prêtre
doit accomplir avant de se présenter devant Dieu. « Sanctifie-les dans la
vérité » - la vérité est ici le « bain » qui rend les hommes capables de
Dieu: c'est cela que Jésus nous fait comprendre. L'homme doit être immergé
en elle, afin d'être libéré de la souillure qui le sépare de Dieu. À ce
propos, nous ne devons pas oublier que Jean ne prend pas en considération un
concept abstrait de la vérité ; il sait que Jésus est la vérité en personne.
Dans le chapitre 13 de l'Évangile, le lavement des pieds
accompli par Jésus apparaît comme un chemin de purification. Une autre fois
la même chose est exprimée, mais de nouveau à partir d'une autre
perspective. Le bain qui nous purifie est l'amour de Jésus - l'amour qui va
jusqu'à la mort. La parole de Jésus n'est pas seulement une parole, elle est
lui-même. Et sa parole est la vérité et elle est l'amour.
Au fond, c'est absolument la même chose que Paul exprime
d'une manière qui est pour nous plus difficile à comprendre, quand il dit
que nous sommes « justifiés dans son sang » (Rm 5,9 ; cf. Rm 3,25 ',Ep
l, et
ailleurs). Et c'est encore la même réalité que la Lettre aux Hébreux a
montrée dans sa grande vision du sacerdoce suprême de Jésus. La pureté
rituelle n'a pas été simplement remplacée par la morale, mais par le don de
la rencontre avec Dieu en Jésus Christ.
Nous sommes de nouveau confrontés aux philosophies
platoniciennes de l'Antiquité tardive, qui - comme par exemple chez Plotin
encore - tournent autour du thème de la purification. Cette purification
nous rejoint, d'une part, grâce aux rites, d'autre part et surtout, à
travers une montée progressive de l'homme vers les hauteurs de Dieu. De
cette manière l'homme se purifie de la composante matérielle, il devient
esprit et donc pur.
Par contre, dans la foi chrétienne, c'est précisément le Dieu
incarné qui nous purifie véritablement et qui attire le créé dans l'unité
avec Dieu. La dévotion du XIXe siècle a de nouveau rendu unilatéral le
concept de la pureté, la réduisant toujours plus à la question de l'ordre
dans le domaine de la sexualité, la contaminant ainsi de nouveau par le
soupçon à l'égard de la sphère matérielle du corps. Dans l'aspiration
diffuse de l'humanité à la pureté, l'Évangile de Jean - Jésus lui-même -
nous montre la voie : lui qui est Dieu et en même temps homme, nous rend
capables de Dieu. Demeurer dans son Corps, être pénétrés de sa présence,
voilà ce qui est essentiel.
Il est sans doute utile de souligner à ce point de notre
réflexion que la transformation du concept de pureté dans le message de
Jésus manifeste encore une fois ce que, dans le deuxième chapitre, nous
avons vu à propos de la fin des sacrifices d'animaux, à propos du culte et
du nouveau Temple. Tout comme les sacrifices anciens représentaient une
tension dans une attitude d'attente vers l'avenir, tout comme ils recevaient
leur éclairage et leur dignité de cet avenir vers lequel ils étaient
orientés, ainsi les usages rituels de purification, qui faisaient partie de
ce culte, étaient-ils également avec lui - comme auraient dit les Pères — «
sacramentum futuri » : une étape dans l'histoire de Dieu avec les hommes ou
des hommes avec Dieu - étape qui voulait créer une ouverture vers l'avenir,
mais qui devait céder le pas, à l'heure où la nouveauté serait arrivée.
Sacramentum et exemplum - don et devoir :
le « nouveau commandement »
Revenons au chapitre 13 de l'Évangile de Jean. « Vous êtes purs », dit Jésus
à ses disciples. Le don de la pureté est un acte de Dieu. L'homme de
lui-même ne peut pas se rendre capable de Dieu, quel que soit le système de
purification auquel il a recours. « Vous êtes purs » - en cette parole
merveilleusement simple de Jésus, est exprimée et en quelque sorte presque
résumée, la sublimité du mystère du Christ. Le Dieu qui descend vers nous
nous rend purs. La pureté est un don.
Mais surgit alors une objection. Quelques versets plus loin,
Jésus dit : « Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le
Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car
c'est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi,
comme moi j'ai fait pour vous » (Jn 13,14s.). Ne nous trouvons-nous pas
ainsi, de fait, arrivés à une conception seulement morale du christianisme ?
En réalité, Rudolf Schnackenburg, par exemple, parle de deux interprétations
du lavement des pieds, qui s'opposent l'une l'autre dans ce chapitre 13 :
une première « théologiquement plus profonde... comprend le lavement des
pieds comme un événement symbolique qui indique la mort de Jésus ; la
seconde est de caractère purement paradigmatique et s'arrête au service
d'humilité de Jésus que constitue le lavement des pieds » (Johannesevangelium
III, p. 7). Schnackenburg soutient que la seconde interprétation serait une
« création rédactionnelle », d'autant plus que, selon lui, « la seconde
interprétation semble ignorer la première » (p. 12; cf. p. 28). Mais il
s'agit là d'une réflexion trop limitée, trop liée aux schémas de notre
logique occidentale. Pour Jean, le don de Jésus et son efficacité durable
chez les disciples vont de pair.
Les Pères ont résumé la différence entre les deux aspects, de
même que leurs relations réciproques dans les catégories de sacramentum et
d'exemplum : par sacramentum, ils n'entendent pas ici un sacrement
particulier, mais le mystère tout entier du Christ - de sa vie et de sa mort
- dans lequel il vient à notre rencontre à nous, êtres humains ; par son
Esprit il vient en nous et il nous transforme. Mais justement parce que ce sacramentum « purifie » véritablement l'homme, le renouvelle de l'intérieur,
il devient alors la dynamique d'une nouvelle existence. La requête de faire
ce que Jésus a fait n'est pas un appendice moral au mystère ou, encore,
quelque chose qui s'y opposerait. Cette requête découle de la dynamique
intrinsèque du don par lequel le Seigneur fait de nous des hommes nouveaux
et nous accueille en ce qui lui est propre.
Cette dynamique essentielle du don, par laquelle lui-même,
maintenant, agit en nous et par laquelle notre agir devient une seule chose
avec le sien, apparaît de manière particulièrement claire dans cette parole
de Jésus : « Celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais
; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père » (Jn
14,12). Ici est exprimé précisément ce que les mots: « C'est un exemple que
je vous ai donné » dans le lavement des pieds veulent signifier: l'agir de
Jésus devient nôtre, parce que c'est lui-même qui agit en nous.
À partir de là nous pouvons alors comprendre aussi le
discours sur le « nouveau commandement » par lequel, après l'intermède sur
la trahison de Judas, Jésus reprend encore l'invitation au lavement
réciproque des pieds, la transformant en principe (Jn 13,34s.). En quoi
consiste la nouveauté du nouveau commandement ? Parce que, ici, en fin de
compte, c'est la nouveauté du Nouveau Testament qui est enjeu, il est donc
important que la question à propos de l'« essence du christianisme » soit
abordée avec une attention particulière.
On a dit que la nouveauté - au-delà du commandement de
l'amour du prochain qui existait déjà - se révèle dans l'expression « vous
aimer les uns les autres comme je vous ai aimés », c'est-à-dire dans le fait
d'aimer au point d'être prêt à sacrifier sa propre vie pour l'autre. Si
c'est en cela que consiste l'essence et la totalité du « commandement
nouveau », alors, le christianisme, de fait, serait à définir comme une
sorte d'effort moral extrême. C'est ainsi que beaucoup interprètent aussi le
discours sur la montagne : par rapport à la voie ancienne des Dix
Commandements - celle qui indiquerait pour ainsi dire le chemin de l'homme
commun -, le christianisme inaugurerait avec le discours sur la montagne la
voie élevée d'une exigence radicale, dans laquelle se serait révélé un
nouveau niveau d'humanisme dans l'humanité.
Mais qui, en réalité, peut dire de lui-même s'être élevé
au-dessus de la « médiocrité » de la voie des Dix Commandements, les avoir,
pour ainsi dire, laissés derrière soi comme quelque chose d'acquis et
marcher désormais sur les hauteurs, dans la « Loi nouvelle »? Non, la
nouveauté authentique du commandement nouveau ne peut pas se trouver dans
l'élévation de l'agir moral. L'essentiel justement, même dans ces paroles,
n'est pas l'appel à un agir plus grand, mais le nouveau fondement de l'être,
qui nous est donné. La nouveauté ne peut provenir que du don de l'être avec
le Christ, du vivre avec Lui.
Augustin, de fait, avait commencé son exposé du discours sur
la montagne - son premier cycle d'homélies après son ordination sacerdotale
- par l'idée de l'éthos supérieur, des normes les plus élevées et les plus
pures. Mais au long de ses homélies le centre de gravité se déplace toujours
davantage. Il doit reconnaître à maintes reprises que déjà l'ancienne
exigence impliquait une perfection véritable. À la prétention supérieure se
substitue toujours plus clairement la préparation du cœur (cf. De serm. Dom.
in monte I 19,59); d'une manière croissante, le « cœur pur » (cf. Mt 5,8)
devient le centre de l'interprétation. Plus de la moitié de tout le cycle
d'homélies est développée avec cette pensée de fond du cœur purifié. Ainsi,
d'une manière étonnante, est rendue visible la relation avec le lavement des
pieds : dans la mesure seulement où, souvent, nous nous laissons laver, «
rendre purs » par le Seigneur lui-même, nous pouvons apprendre à faire avec
lui ce qu'il a fait.
Ce qui compte c'est l'insertion de notre moi dans le sien («
ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » Ga 2,20). C'est
pourquoi le deuxième mot-clé qui apparaît souvent dans l'interprétation
d'Augustin du discours sur la montagne est le mot « miséricorde ». Nous
devons nous laisser immerger dans la miséricorde du Seigneur, alors notre «
cœur » aussi trouvera le juste chemin. Le « commandement nouveau » n'est pas
simplement une exigence nouvelle et supérieure : il est lié à la nouveauté
de Jésus Christ - au fait de s'immerger toujours plus en lui.
Poursuivant dans cette ligne, Thomas d'Aquin pouvait dire: «
La Loi nouvelle
est la grâce de l'Esprit Saint » (S. theol I-II q 106 a 1) -
ce n'est pas
une nouvelle norme, mais l'intériorité nouvelle donnée par l'Esprit de Dieu
lui-même. Cette expérience spirituelle de la véritable nouveauté dans le
christianisme, Augustin pouvait finalement la résumer par la formule célèbre
: « Da quod iubes et iube quod vis — accorde ce que tu commandes, puis
ordonne ce que tu veux » (Confessions X 29,40).
Le don - le sacramentum - devient exemplum, exemple, tout en
restant toujours don. Être chrétien est avant tout un don, qui toutefois se
développe ensuite dans la dynamique du vivre et de l'agir avec ce don.
Le TOME I ►
Benoît XVI
Le TOME II ►
Benoît XVI
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 22.01.2023
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