Mgr Betori envoyé à Florence
par Benoît XVI: un défenseur de la ville |
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Rome, le 21 avril 2009 -
(E.S.M.)
- Nommé récemment par Benoît XVI, Giuseppe Betori a inauguré un
nouveau style pastoral, très engagé dans la sphère publique, avec la
défense de la vie humaine comme priorité.
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La cathédrale de
Florence
Mgr Betori envoyé à Florence
par Benoît XVI: un défenseur de la ville
La ville de Florence a un défenseur spécial: son évêque
Le 21 avril 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Nommé récemment, Giuseppe Betori a inauguré un nouveau style pastoral, très
engagé dans la sphère publique, avec la défense de la vie humaine comme
priorité. En fait il a actualisé un modèle épiscopal classique dans
l'histoire de l’Eglise. Pietro De Marco l'analyse et l'interprète
Florence est pour le monde entier une ville phare. Comme capitale
artistique, mais aussi comme laboratoire de fortes expériences chrétiennes,
individuelles ou collectives. Elle l’a sûrement été pendant une grande
partie du XXe siècle.
Le nouvel exemple qu’offre aujourd’hui Florence au monde catholique – et pas
qu’en Italie – est lié au rôle joué par son archevêque.
Originaire d'Ombrie et bibliste de formation, Giuseppe Betori, 62 ans, est
archevêque de Florence depuis le 8 septembre 2008. Antérieurement, il a été,
en tant que secrétaire général de la conférence des évêques d’Italie, CEI,
le bras droit du cardinal Camillo Ruini qui en était président, puis de son
successeur, le cardinal Angelo Bagnasco.
L'été dernier, alors que sa nomination était dans l’air mais pas encore
officiellement décidée, bon nombre de prêtres et de laïcs florentins ont
signé une lettre ouverte demandant que le nouvel évêque soit un homme de "patience"
et de "pardon", qu’il renonce à "parler avec aigreur et pour
condamner" et qu’il instaure "un climat de liberté et de respect
réciproque" entre l’Eglise et la société civile.
On devine facilement que ce profil d’évêque ne correspondait pas à celui que
les signataires de la lettre attribuaient de manière polémique à Betori.
En tout cas, c’est lui que Benoît XVI a envoyé à Florence. Dans sa première
interview au journal du diocèse, Betori a annoncé qu’il agirait pour "une
foi capable d’être un élément de culture". Et d’ajouter: "Rien de ce
qui est humain n’est étranger à l’Eglise. Il y aura donc une parole de
l’Eglise à propos de toute la vie de la ville. Ce qui est humain peut et
doit être éclairé par l’Evangile".
Début octobre, peu de temps avant son entrée en fonctions, il a eu un débat
public avec la philosophe Roberta de Monticelli. Elle avait annoncé qu’elle
quittait l’Eglise catholique précisément à cause de Betori qui, "au nom
de l’Eglise d’Italie", avait condamné l'autodétermination à propos de
l'interruption anticipée de la vie. Elle l’a accusé de nier "diaboliquement"
"la possibilité même de toute morale: la conscience et sa liberté".
Betori lui a répondu, dans le quotidien de la CEI, "Avvenire", par un
éditorial calme intitulé: "Moi aussi, je demande la liberté de
conscience, qui est autre chose que l'autodétermination".
Le 26 octobre, peu après son entrée en fonctions, il a été voir des petits
malades à l'hôpital pédiatrique "Enrico Meyer" de Florence où un
congrès avait lieu sur le thème: "Le nouveau-né est-il une personne?"
avec comme orateur le néonatologiste néerlandais Eduard Verhagen, promoteur
de "traitements de fin de vie" pour les bébés. L'archevêque a critiqué
l'orientation du congrès qu’il a jugée "inquiétante".
Le soir du 20 novembre, il a participé à une veillée de prière pour Eluana
Englaro, la jeune femme réduite à l’état végétatif que la justice italienne
avait permis de faire mourir par interruption de l'alimentation et de
l'hydratation, comme l’avait demandé son père: un cas très semblable à celui
de Terri Schiavo aux Etats-Unis. A cette occasion, Betori a prononcé une
allocution défendant avec force le maintien en vie d’Eluana: son premier
acte public solennel de nouvel archevêque de la ville, sur une question
également politique.
Le 8 décembre, fête de l'Immaculée Conception, prêchant sur la place du
Dôme, il a dit: "Nous sommes troublés de voir différentes personnes
mettre en question, de différentes façons, la dignité intangible de l’être
humain, surtout là ou il vit dans la fragilité, lors de l’apparition et de
l’achèvement naturel de la vie".
Le 23 janvier, au conseil pastoral diocésain, il a cité, parmi les objectifs
de l’Eglise de Florence, le retour à "la visibilité de la vie croyante au
quotidien" et la réduction de la fracture survenue entre foi et culture
au cours des décennies précédentes.
Dans l’intervalle, on avait mis fin à la vie d’Eluana Englaro. Elle n’était
pas de Florence. Mais quelques jours après, le 9 mars, le conseil municipal
de cette ville, sur proposition d’un conseiller socialiste, a décidé de
faire Giuseppe Englaro, le père d’Eluana qui avait voulu sa mort, citoyen
d’honneur "en tant que symbole d’excellent enseignement, de grande
intégrité morale, de courage humain et civil, pour la défense de la légalité
de la laïcité de l’Etat, de l’humanité, de la civilisation". Une
décision prise de justesse, avec beaucoup de voix contre.
Moins d’une heure plus tard, la réponse de l’archevêché arrivait: une note
officielle, résolument critique:
"Cette décision est offensante pour la partie non négligeable de la ville
qui, au cours du drame d’Eluana, a exprimé des orientations bien différentes
de celles dont M. Giuseppe Englaro et le groupe qui l’a soutenu étaient
porteurs. Mais l’offense la plus grave a été commise envers les parents,
frères, amis et volontaires qui, en Italie, se rassemblent autour de plus de
2 500 êtres chers vivant des situations proches de celle à laquelle Eluana a
été arrachée de force, des gens qui ont au contraire besoin qu’on les
soutienne dans leur dévouement, leurs efforts et leur espérance".
Il en est résulté une discussion publique très vive. Le président du conseil
municipal, Eros Cruccolini, a écrit à l’archevêché une lettre pour défendre
la justesse de la décision. Betori a répondu en confirmant "que c’est
justement l’amour pour cette ville qui exige qu’un évêque, en conscience,
exprime son désaccord si nécessaire, comme dans le cas présent".
Un autre échange par écrit a eu lieu juste avant la cérémonie où Giuseppe
Englaro a été fait citoyen d’honneur. L'archevêque, invité à assister à la
cérémonie, a refusé.
La dispute est encore vive. Au niveau national, elle se mêle à la discussion
qui accompagne l'élaboration par le parlement italien d’une loi sur la fin
de vie, accélérée précisément par la décision de justice concernant Eluana
Englaro.
Mais ce qui est nouveau à Florence, c’est justement le rôle, sans précédent
au cours des dernières décennies, que joue l’évêque.
La nouveauté est double. Tout d’abord par l'engagement direct de l’évêque
dans la ville, y compris sur le terrain politique. Ensuite par le sujet de
son engagement public, qui est la défense de la vie humaine en tant que
telle: un sujet sur lequel une partie des évêques, du clergé et des laïcs
catholiques est très peu désireuse de s’opposer à "l’esprit du temps".
Cette double nouveauté doit être analysée et interprétée, notamment en
raison de sa valeur d’exemple. C’est ce que fait ci-dessous le professeur
Pietro De Marco, florentin et expert reconnu du catholicisme de sa ville:
Sur l’évêque comme défenseur de la ville, lors des
invasions modernes de barbares
par Pietro De Marco
1. La situation actuelle de l’Eglise de Florence que dirige l'archevêque
Giuseppe Betori me paraît présenter un caractère exemplaire pouvant avoir
des répercussions internationales. Ce que l’on voit à Florence, c’est la
renaissance d’un ancien rôle: celui de l’évêque comme "defensor civitatis",
défenseur de la ville, et "consul Dei", consul de Dieu, cette
dernière appellation ayant été donnée au pape Grégoire le Grand.
Bien sûr, quelque chose de ce rôle de l’évêque apparaît périodiquement, en
temps de guerre ou de révolution. Le cardinal Clemens August von Galen fut
lui aussi appelé, pour son témoignage dans l’Allemagne hitlérienne, "defensor
civitatis" et "consul Dei", comme jadis les Pères de l’Eglise "parmi les
hordes de barbares". Ou bien cela apparaît dans des situations de grave
conflit social, comme pour l’évêque Oscar Romero en Amérique Latine. Mais le
cas de Florence est intéressant aussi parce qu’il n’a ni le côté
exceptionnel d’un acte héroïque ni ce style "engagé" aussi cher aux cultures
de libération que rarement original, avec souvent des effets doctrinaux et
pastoraux négatifs.
Au centre du cas de Florence, il y a des questions anthropologiques,
bioéthiques et biopolitiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec les
sujets habituels de discussion politique et économique. Sur les questions de
la vie, l’Eglise est tout à fait originale et seule; elle est irremplaçable.
En ce sens, le cas de Florence a une portée exemplaire, qui pourrait
provoquer ou encourager des agitations du même genre dans d’autres diocèses.
2. Les media laïcs ont utilisé la métaphore footballistique de
l'intervention "croche-pied" pour définir la forme et le fond du
communiqué que l’archevêché de Florence a publié le 9 mars et qui critique
l’attribution, par la municipalité, de la citoyenneté d’honneur à Giuseppe
Englaro, père d’Eluana, la jeune femme réduite à l’état végétatif et qu’une
décision de justice avait fait mourir de faim et de soif quelques semaines
plus tôt.
Ce geste public de critique est cohérent avec le style de gouvernement de
l’Eglise qui se dessine de semaine en semaine à Florence. Le communiqué de
l’archevêché affirmait: "La prétention d’un groupe de conseillers
municipaux de faire un choix au nom de toute une ville est un acte de mépris
envers les représentants du peuple minoritaires et envers une minorité
présumée de citoyens, ce qui provoque une profonde déchirure de la
cohabitation". Et encore: on a voulu "montrer par un dernier acte
d’arrogance [d’un conseil municipal en fin de mandat – ndlr] qu’il était
possible d’exercer le pouvoir de façon abusive, en méprisant ceux qui ont
d’autres idées et pensent que la vie est un bien dont on ne peut disposer
parce qu’il est sacré”.
Certains ont même comparé le communiqué de la curie épiscopale à une
proclamation intimidatrice, à un "diktat" auquel le conseil municipal
de la ville aurait dû se soumettre. Des mots comme "proclamation" et
"diktat" ne sont pas nouveaux. Des commentateurs faisant autorité les
ont également utilisés contre le cardinal Angelo Bagnasco, président de la
conférence des évêques d’Italie, qui est intervenu au même moment dans
l’affaire d’Eluana. Désormais, en Italie, le mécanisme et le vocabulaire
d’opposition à l’Eglise catholique sont standardisés et automatiques.
On en vient donc à se demander aussi pourquoi ceux qui, plus modérés, ont
utilisé la métaphore sportive du "croche-pied" ont en tout cas évoqué
un comportement qui oblige l'arbitre à siffler une faute. La réponse
implique l’histoire civile et religieuse de l’Italie au cours du dernier
demi-siècle.
Pour plusieurs raisons, toute intervention publique de la hiérarchie
catholique est perçue et censurée comme un comportement fautif ou "uncorrect".
Depuis des décennies, les catholiques italiens se sont habitués au silence
de leur clergé et de leurs évêques dans le domaine public. En fait, ils se
sont habitués à quelque chose de plus: à ce que les évêques ne parlent en
public, éventuellement, que pour approuver les valeurs et rhétoriques
civiles dominantes, comme pour affirmer leur accord, leur conformité à
celles-ci. En effet, les voix d’évêques n’ont pas manqué pour dénoncer les "maux"
du pays, mais elles évoquaient principalement des sujets civils à propos
desquels l’Eglise s’alignait, souvent avec un certain retard, sur les forces
politiques et morales dominantes.
Mais sur les sujets directement liés à l'anthropologie chrétienne, c’est le
silence qui prévaut. Les évêques ont longtemps confié le "discernement
critique" sur ces sujets, ainsi que son expression publique, au
magistère ordinaire des derniers papes et aux déclarations de la conférence
des évêques d’Italie. Ainsi, sans s’en rendre compte, les évêques laissent à
la société civile – et notamment aux cultures politiques d’opposition et de
protestation – la mission de donner la légitimité "politique" à
l'autorité épiscopale.
Même si les exceptions n’ont pas manqué, ce "politiquement correct"
existe depuis longtemps, à la satisfaction visible des administrations et
des forces politiques. Une telle façon d’agir a fait naître des règles du
jeu tacites. L'opinion publique les a assimilées de manière variable, tel ou
tel arbitre estimant qu’il peut donner un coup de sifflet dès qu’un évêque
semble "incorrect".
Mais il y a plus. Une opinion publique qualifiée, y compris catholique, a
confondu cette "correctness" ecclésiastique dans la sphère publique
avec un équilibre idéal entre autorités politiques et spirituelles.
Réalisant ainsi dans les faits et les coutumes une "privatisation"
abusive de la nature publique spécifique de l’Eglise, à laquelle celle-ci ne
peut pas renoncer.
La doctrine moderne de la "laïcité" fait dépendre la neutralité de
l’Etat du caractère privé de l’Eglise et de sa non-ingérence, de son
innocuité politique, dont l’Etat serait juge. Mais l’Eglise catholique n’est
pas ainsi par essence, elle n’est pas réductible à cela. Elle ne l’était pas
quand elle a innervé l'Europe et l'Occident, elle ne l’est pas devenue après
Luther ou Locke, ni avec la Révolution française ou sous la menace des
religions politiques et des révolutions totales du XXe siècle.
Cette présence magistérielle et civilisatrice de l’Eglise catholique, la
nécessité qu’elle apparaisse comme telle dans la sphère publique, n’ont
jamais tout à fait disparu ; en fait, depuis plusieurs années, elles sont à
nouveau présentes et visibles sur la scène mondiale. Selon les sociologues,
c’est l’un des phénomènes les plus symptomatiques de l'âge "post-séculier".
Le pontificat de Jean-Paul II et, en Italie, le gouvernement innovant de la
conférence des évêques exercé par le cardinal Camillo Ruini ont mis sous nos
yeux cette présence publique renouvelée de l’Eglise. Mais l'accoutumance de
certaines parties de la société civile et la neutralisation de la visibilité
et de l’autorité de l’Eglise tentée par les cultures laïcistes aboutissent
encore à faire ressentir la présence magistérielle et civilisatrice de la
hiérarchie catholique comme une exception, une transgression et même une
contrainte.
3. Passons à Florence et à son évêque. Dès les premiers siècles du
christianisme, l’évêque est à la fois le centre de la vie liturgique, par
elle-même publique, et une autorité civile particulière, en cohérence avec
son ministère qui est de "superviser". Bernard Flusin, historien de
l’antiquité tardive, a écrit: "La liste des domaines où l’évêque est
appelé à intervenir est impressionnante". Même s’il n’est pas un
seigneur territorial, l’évêque est un "defensor civitatis", avec un
rôle d’équilibrage par rapport aux fonctionnaires impériaux. A travers les
évêques, l’Eglise donne aux fonctions d’assistance et de gouvernement une
nouvelle visibilité institutionnelle par rapport aux systèmes préchrétiens:
les évêques organisent le culte, instruisent, secourent les pauvres,
influencent l’espace urbain. L’évêque, dans le cadre de sa ville, détient
des pouvoirs définis juridiquement qui le mettent à la tête de la communauté
urbaine face au pouvoir civil. D’autres historiens, dont Luce Pietri, le
confirment: "Ses titres le proclament garant de la justice et protecteur
des faibles, souvent en opposition avec la juridiction" civile. C’est le
ministre de l'aide.
Par la suite, ces caractéristiques de longue période ont été actualisées et
adaptées aux organisations de l’état moderne et des démocraties pluralistes,
mais elles n’ont pas disparu et restent des éléments constitutifs. C’est si
vrai, si évident pour la conscience publique et les calculs des gouvernants
que, quand les devoirs de l’évêque envers la "polis" s’expriment sous forme
d’activités sociales de "suppléance", ils sont appréciés, recherchés,
loués. Quand au contraire la sollicitude de l’évêque – qui en elle-même ne
vise pas au bien-être mais répond au commandement évangélique absolu et tend
en définitive au salut des âmes même quand elle secourt les corps –
s’adresse à d’autres protecteurs, décisifs, du bien-être spirituel et moral
des citoyens, et qu’elle le fait avec autorité, à voix haute, elle est
sifflée comme "incorrecte".
Ce ne sont pourtant que des moments distincts du même mandat et de la même
fonction. Le communiqué de l’archevêché est, quant au fond, la première
lettre de l’archevêque Giuseppe Betori à la ville et à propos de la ville.
C’est un acte de sollicitude du pasteur, qui se fait "garant de la justice
et protecteur des faibles" sur le terrain anthropologique, y compris en
opposition avec les pouvoirs. Il analyse la réalité et met en garde contre
les dangers. Le rappel au "respect des rôles et des autonomies
réciproques" que comporte la lettre envoyée à l’archevêque par le
président du conseil municipal de Florence, montre une médiocre connaissance
de ce devoir épiscopal.
4. Le débat public qui en est résulté – inédit à Florence comme est inédite
dans cette ville, depuis un demi-siècle, la prise publique de
responsabilités par un évêque en opposition avec les autorités civiles –
constitue un modèle de nouveau style ecclésial, au moins en Europe. Ce
changement n’a pas manqué de susciter des objections.
On a remarqué que le style "orthodoxe" de Betori n’est pas en
harmonie avec Florence, parce que "Florence est atypique, ce n’est pas la
ville de l'orthodoxie". Cette conviction relève d’une sorte de mythe
romantique et Renaissance d’une Florence "hérétique", qui a eu un
certain succès même au XXe siècle. Mais justement l’histoire récente du
catholicisme florentin, que beaucoup de gens connaissent y compris hors
d’Italie, n’a rien à voir avec ce mythe. Giorgio La Pira, maire de Florence,
dont le procès de béatification est en cours, était un "pleureur"
(mot qui désignait au XVe siècle les disciples du moine
rigoriste Savonarole) très orthodoxe, très soumis à l’Eglise et
au pape. Après l’ère La Pira, ce puissant courant catholique s’est dissous
dans le silence public, entre marginalité, clandestinité à la Nicodème et
conformisme progressiste. Mais aujourd’hui, Betori étant évêque, le temps
des silences et des chuchotements est passé pour l’Eglise.
Le président du conseil municipal de la ville a affirmé que les décisions
prises à la majorité d’un organisme électif, "expression concrète de la
volonté de la ville", ne peuvent jamais être considérées comme
"négatives". Mais il a ainsi confondu légalité et légitimité politique. La
lutte entre groupes et courants de la majorité progressiste qui administre
Florence a produit une décision à portée idéologique, militante, prise pour
influencer par des rites civils (l’attribution de la
citoyenneté d’honneur au père d’Eluana Englaro) l'opinion
publique et la conduire à un choix irréfléchi en faveur de l'euthanasie,
donc sur des frontières éthiques d’une extrême gravité. De plus une petite
majorité de conseillers a utilisé des pouvoirs et outils légaux pour
s’opposer au gouvernement national et à l’Eglise alors même qu’à Rome le
parlement était en train d’élaborer une loi sur le "testament biologique".
Un geste politique dans lequel il est difficile de ne pas voir – comme l’a
fait l’évêque – "un prétexte, une offense, une destruction" pour le
gouvernement de la ville, autant que pour l'éthique publique. Demain,
quelles autres décisions pourront être prises en prenant appui,
symboliquement, sur le "citoyen Englaro", et avec l'apport de ce
qu’il reste de désapprobation catholique?
L’évêque de Florence, désireux de voir se réaliser la "iustitia" au
sens profond de la politique chrétienne, a rendu ses concitoyens conscients
de cette anomalie éthico-politique. Il a agi malgré la pression contraire
exercée par une opinion publique comprenant même des membres de l’Eglise:
celle qui s’oppose à l’Eglise "des condamnations" au nom de la "médecine de
la miséricorde".
Cette dernière pression est une alliée objective des polémiques laïques
contre "l’Eglise du non", ridiculement montrée du doigt comme une Eglise de
la peur et du conservatisme. De même ce que l’on appelle "l’opinion publique
ecclésiale" fait preuve d’une surdité totale (souvent traduite en pratique
pastorale) en ce qui concerne le combat bioéthique de l’Eglise et des
derniers papes. Toujours encline à parler d’ouverture à l’espérance, cette
opposition intra-ecclésiale ignore que l’espérance de l'homme repose sur la
cohérence anthropologique et la responsabilité universaliste, pas sur un
minimalisme de modèles destiné à pourvoir misérablement aux cas
particuliers. Elle ignore que, du point de vue ecclésiologique, la
responsabilité d’un curé, conditionnée par l'immédiateté des "mondes vitaux"
de ses fidèles est une chose et celle du pape et des évêques en est une
autre. L'immédiateté des mondes vitaux ne peut pas devenir un article de
foi.
5. Il y a une autre objection: pourquoi le récent réveil des hiérarchies
catholiques se produit-il seulement ou prioritairement dans le domaine de la
bioéthique et de la biopolitique? Je réponds qu’il n’est pas important de
dire ici que ce n’est pas le cas, comme on pourrait pourtant le faire. Je
crois en effet que cette priorité doit exister.
Le domaine bioéthique et biopolitique est si crucial que c’est plutôt
l'absence de ces questions dans la prédication chrétienne ordinaire qui
paraîtrait coupable. Il y a des milieux, y compris catholiques, à qui les
questions de bioéthique semblent brûler les lèvres et qui préfèrent qu’on en
parle ailleurs, c’est-à-dire que ce soit la hiérarchie qui en parle, suivie
par des groupes "fondamentalistes". Mais le silence sur ces questions
est coupable, parce qu’aucun catholique n’est dispensé de comprendre que le
défi des biotechnologies ne résulte pas seulement de besoins thérapeutiques
et n’aboutit pas seulement à réduire une pathologie ou une souffrance. C’est
un défi anthropologique au plein sens du terme, c’est-à-dire un défi à
l'existence et au sens de l'homme comme créature.
Ce que nous appelons depuis quelque temps anthropologie théologique a été
pendant des siècles une partie du traité "de Deo creante et elevante".
Il ne peut en être autrement. Si elles ne sont pas fondées sur le Dieu
créateur, les sciences et les philosophies de l'homme et du "bios"
deviennent les connaissances et les techniques d’un jeu vidéo joué sur
l'homme réel.
Les implications du défi, le fréquent cynisme nihiliste à la Peter Singer,
la rêverie sur le post-humain sont si récurrents et explicites aujourd’hui
que seule une "différence chrétienne" émerveillée par l'innocence du
monde peut ne pas en prendre acte. Au contraire cette frontière est d’une
priorité absolue pour la responsabilité chrétienne. Si l'homme n’est pas
pensé comme créature, on ne peut raisonner de manière sensée sur ses actes.
La théorie qui calcule, avant ou après la naissance, le "meilleur intérêt"
de l'être humain porteur d’un handicap ou gravement malade, est encore plus
exemplaire par sa vacuité théorique que par son inhumanité. Quel serait le
meilleur intérêt pour un être imparfait ou en mauvaise santé? De ne plus
exister. Quelle merveilleuse perfection, quel bonheur nous rendrions au
fœtus, au bébé, au malade, au vieillard, en les supprimant! La conviction
irraisonnée que le meilleur intérêt d’un être exigerait et justifierait son
élimination est, à elle seule, l’indice extraordinaire d’une dérive
suicidaire. Benoît XVI l'a montré.
6. A tout cela l’évêque catholique a pour premier devoir de dire avec
autorité "non", "je m’oppose" (comme dans le "Court récit sur l'Antéchrist"
de Soloviev), sans être surpris s’il se trouve seul dans sa sollicitude
ultime pour l'homme: parce que l’Eglise est unique et universelle dans la
communauté des hommes, comme son mandat et sa certitude, depuis l'origine.
Un "non" dit sans pathos apocalyptique. Avec des arguments et des analyses,
en distinguant celles qui sont techniques et celles qui sont méthodiques.
Avec la sagesse de ceux qui ont construit et assuré la raison de l'Occident.
Il n’y a donc aucune "sacralisation du biologique" dans la réponse
catholique à la crise bioéthique, contrairement à ce que disent certains
critiques. Toute vie dont s’occupent la raison et l'amour catholique est
toujours l’homme entier, ce qui est beaucoup plus que le vivant qui apparaît
au biologiste ou au clinicien en tant que tels. Et il n’y a rien à
sacraliser, puisque cet entier est déjà "sacré".
Ce sont des évidences difficilement contestables. Mais il reste,
préoccupante, l’incapacité répandue – pour ne pas dire la réticence
catholique – à comprendre et à expliquer la primauté radicale, aujourd’hui,
de l'annonce anthropologique. Le lien avec la grande tradition apologétique
semble coupé. La docilité confuse d’une grande partie de la culture
catholique envers les campagnes médiatiques contre "l’Eglise du non"
n’est pas la preuve d’un fructueux "dialogue avec le monde", mais
plutôt celle d’une situation de dépendance intellectuelle et politique. Mais
des évêques combattants pourront nous faire sortir d’Egypte.
***
Les deux précédents articles de www.chiesa sur la spécificité du
catholicisme florentin, comportant tous les deux des commentaires du
professeur Pietro De Marco:
►
Florence contre Rome: un catholicisme mal à l'aise (25.6.2007)
►
A
Florence, les catholiques réécrivent leur histoire (26.6.2008)
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 21.04.2009 -
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