|
Cette question sur l’homme qu’un conclave ne peut pas esquiver.
Parole de cardinal
|
Le 20 avril 2022 -
(E.S.M.)
-
C’est donc à la question sur l’homme que le cardinal Ruini va
répondre dans cette seconde partie de sa réflexion. À partir des
découvertes de la science sur l’origine et l’évolution de l’espèce
humaine. Mais surtout en identifiant ce moment décisif où l’homme,
enfin arrivé à se tenir en position debout, a pu pour la première
fois voir le ciel de manière naturelle et continue, et de là
percevoir « l’au-delà », s’ouvrir en prière au mystère et se
distinguer ainsi radicalement de toutes les autres espèces animales.
Exactement comme le soutient Joseph Ratzinger, pour lequel « ce qui
distingue l’homme de l’animal, c’est sa capacité à penser Dieu et à
prier ».
|
|
Cette question sur l’homme qu’un conclave ne peut pas esquiver. Parole de
cardinal
Le 20 avril 2022 - E.
S. M. - Ce n’est pas seulement Dieu qui disparait dans la
société actuelle mais aussi l’idée d’un homme créé « à son image et
à sa ressemblance ». Ces deux questions ne font qu’une, pour une
Église appelée à rendre raison de l’espérance qui est en elle
(1 P
3, 8-17). C’est bien sur cette question que l’Église tiendra ou
chutera. Elles constituent sa priorité absolue, inévitable pour tout
conclave qui voudra être à la hauteur de sa mission, dans le choix
du futur successeur de Pierre.
Le cardinal Ruini avait déjà répondu à la question de Dieu dans un
précédent article de Settimo Cielo, dans son commentaire d’un récent
essai d’un spécialiste en sciences statistiques, Roberto Volpi,
intitulé « Dio
nell’incerto ».
►
Répétitions de conclave. Ces demandes trop oubliées sur Dieu et sur
l’homme
C’est donc à la question sur l’homme que le cardinal Ruini va
répondre dans cette seconde partie de sa réflexion. À partir des
découvertes de la science sur l’origine et l’évolution de l’espèce
humaine. Mais surtout en identifiant ce moment décisif où l’homme,
enfin arrivé à se tenir en position debout, a pu pour la première
fois voir le ciel de manière naturelle et continue, et de là
percevoir « l’au-delà », s’ouvrir en prière au mystère et se
distinguer ainsi radicalement de toutes les autres espèces animales.
Exactement comme le soutient Joseph Ratzinger, pour lequel « ce qui
distingue l’homme de l’animal, c’est sa capacité à penser Dieu et à
prier ».
Malgré cela, nous savons que la supériorité spirituelle
transcendante de l’Homo sapiens est aujourd’hui largement niée. En
renversant de la sorte l’idée de la naissance de la mort, de la
génération et du libre arbitre. En anéantissant le mystère de Dieu
qui se fait homme.
La réflexion du cardinal Ruini se concentre justement sur la
revendication de cette différence essentielle entre l’homme et
toutes les autres créatures, une différence qui est non pas
quantitative mais qualitative, affirmée dès les premières pages de
la Genèse et qui n’est pas contredite par la science.
*
Mais avant de donner la
parole au cardinal, il est important de signaler la « fraternelle
lettre ouverte » adressée le 11 avril aux évêques d’Allemagne par plus
de 70 cardinaux et évêques de plusieurs pays.
Les signataires voient dans le « chemin synodal » en cours en Allemagne la
désastreuse substitution à l’unique raison d’être de l’Église – le
témoignage de la foi salvifique en Jésus « vrai Dieu et vrai homme » – d’un
agenda entièrement dicté par l’esprit du monde : le clergé marié, les femmes
prêtres, l’homosexualité érigée en vertu, la démocratie à la place de la
hiérarchie.
Selon les signataires de la lettre, un tel « chemin synodal »
conduira inexorablement à une impasse. Avec le danger d’un schisme qui se
profile.
Par les premiers signataires de la lettre, on retrouve quatre cardinaux de
trois continents : le Nigérian Francis Arinze, l’Américain Raymond Burke, le
Sud-Africain Wilfred Napier et l’Australien George Pell.
Parmi les évêques, 48 sont issus des États Unis (dont Salvatore Cordileone
de San Francisco, Samuel Aquila de Denver et Charles Chaput, évêque émérite
de Philadelphie), 14 de Tanzanie, 4 du Canada, 2 du Ghana, 1 du Cameroun, 1
des Îles Vierges et 1 d’Italie, l’évêque émérite de Reggio-Calabria-Guastalla
Massimo Camisasca.
Mais il ne fait aucun doute que de nombreux autres cardinaux et évêques
viendront ajouter leur signature à la lettre
(l'adresse « ad hoc » est
episcopimundi2022@gmail.com).
Il suffit de penser qu’une
lettre ouverte semblable a été envoyée le 9 mars dernier par neuf
évêques de la Conférence épiscopale d’Europe du Nord (Danemark, Suève,
Norvège, Finlande, Islande) et
une autre encore le 22 février par le président de la Conférence
épiscopale polonaise Stanislaw Gadecki.
Bref, au sein de la hiérarchie de l’Église, on assiste à une prise de
conscience du caractère crucial des priorités, dans le chemin à parcourir
aujourd’hui et demain, avec le pape actuel comme avec le prochain pape.
*
Voici donc le texte du
cardinal Ruini. Pour ceux qui voudraient approfondir la réflexion, on
trouvera dans ce qui est sans doute le plus beau document produit par le
Saint-Siège ces dernières années, signé par la Commission biblique
pontificale et intitulé : « Qu’est-ce que l’homme », un guide
fascinant pour explorer l’idée de l’homme dans la Bible. Ce texte est
disponible qu’en italien, en coréen et en polonais sur le site web du
Vatican, et une
traduction française a été publiée aux éditions du Cerf.
*
II – La question de l’homme
de Camillo Ruini
Après s’être penché sur la
question sur Dieu, voyons à présent comment Roberto Volpi répond à l’autre
grande question, celle sur l’homme : c’est à ce thème qu’il consacre la
deuxième, troisième et quatrième partie de son livre « Dio nell’incerto.
L’altra scommessa di Sapiens ». Son analyse est beaucoup plus longue et
articulée que pour la question sur Dieu, je serai donc contraint de procéder
de manière plus sélective.
On trouve au début une précision importante : tandis que la science ne peut
rien affirmer de certain avant le Big Bang, elle a en revanche beaucoup de
choses à dire sur la vie et sur l’homme. La question est de savoir si les
thèses de l’évolutionnisme néo-darwinien sont acceptables ou pas.
Volpi choisit de nouveau Joseph Ratzinger comme interlocuteur privilégié.
Ratzinger n’est pas convaincu par l’idée que la vie, et en particulier
l’homme, ne seraient rien d’autre que le produit d’erreurs aléatoires dans
les processus de reproduction, soumis au filtre de la sélection naturelle.
Volpi observe que l’évolution trouve certainement son moteur dans de telles
erreurs, mais le néo-darwinisme n’a pas suffisamment approfondi le modus
operandi du hasard. Autrement dit, il n’existe pas un hasard indifférencié
qui serait à l’œuvre en dépit de tout le reste. Le hasard est conditionné
par « l’état de la vie en être », c’est-à-dire de la quantité et de
la qualité des vivants sur notre planète. Une même mutation aléatoire peut
être complètement improductive ou en revanche grandement utile en fonction
de l’instant et du terrain dans lequel elle a lieu. Les mutations aléatoires
et la sélection naturelle expliquent l’évolution interne des espèces
individuelles mais pas les grands sauts d’espèce, qui se sont surtout
déroulés au Cambrien, il y a plus de cinq cent millions d’années.
Pour en venir à ce qui nous concerne plus directement, le genre humain a
certainement bénéficié de mutations aléatoires qui ont amélioré son appareil
phonatoire, et c’est pour cela que nous, Sapiens, avons un appareil
phonatoire parfait, mais le hasard n’a pu contribuer à ces résultats que
grâce à la station debout, qui est propre et exclusive des diverses espèces
du genre Homo, et en particulier grâce à la station parfaitement verticale
de Sapiens. C’est pour cela que notre langage est bien plus avancé que celle
des autres espèces du genre Homo, tandis que les chimpanzés et les primates
qui sont proches de nous et avec qui nous partageons plus de 98% de notre
ADN, n’ont pas la station debout, n’ont et ne pourront jamais avoir un
véritable langage, un langage de mots. De l’avis de Volpi, « c’est la
station debout qui fait l’homme », dans le sens précis qu’il le crée et
le structure pour ce qu’il est.
C’est toujours grâce à sa station parfaitement verticale depuis plusieurs
milliers d’années déjà que les Sapiens ont devant leur regard « un cône
des événements » qui répond tout à fait à leurs besoins de lecture et
d’interprétation de leur environnement. Ils ont donc beaucoup plus
d’informations à traiter, à emmagasiner et à catégoriser, ainsi qu’à mettre
en commun à travers cet intermédiaire extrêmement efficace qu’est le
langage. C’est ainsi que leur cerveau est devenu extrêmement plus articulé,
complexe et plastique.
En raison de sa station parfaitement verticale, nous pouvons en outre voir
le ciel de manière naturelle et continue. Nous ressentons ainsi
« l’au-delà », ce qui nous dépasse et nous questionne. Le ciel nous suggère
une manière de nous adresser au mystère, à l’incompréhensible :
l’invocation, la prière. Ratzinger porte tout cela à l’extrême : pour lui,
ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est sa capacité à penser Dieu et à
prier. De fait, sans une vision naturelle et continue du ciel, il n’est pas
possible de concevoir Dieu, de le penser et de le prier. L’ « homme
religieux » fait ainsi son apparition. La « construction de l’âme »
part de la naissance et de la maturation du sentiment religieux qui implique
l’idée, la découverte que dans l’homme il n’y a pas que la matérialité mais
également une autre dimension, spirituelle et transcendante.
Mais nonobstant tout cela, la supériorité de Sapiens continue à être
largement niée : il n’y aurait aucune différence fondamentale, qualitative,
mais seulement une différence quantitative entre notre pensée et celle des
animaux. À la base de cette négation, il y a, selon Volpi, une lourde
sous-évaluation autant de la station verticale que de la capacité à toujours
embrasser le cône des événements dans son ensemble. On oublie en outre que,
passé un certain stade, la quantité devient qualité. La quantité
d’informations traitée par Sapiens est en mesure de penser de manière
abstraite et symbolique, elle a une pleine conscience de soi dans le monde.
La pensée humaine n’est donc pas une variante de la pensée animale, c’est
une « tout autre pensée ».
Nous nous sommes tellement projetés en avant dans l’évolution culturelle que
nous avons pratiquement nié l’évolution biologique. Le succès du Sapiens
moderne est retentissant : il suffit de penser que nous sommes 7,8 milliards
d’individus répandus partout sur notre planète.
Sapiens est la dernière, la plus complexe et la plus intelligente espèce du
genre Homo. On ne peut donc pas nier son caractère unique, même dans le sens
de sa solitude : nous sommes l’espèce avec laquelle le genre Homo terminera
presque certainement son aventure. Personne ne doute de cela mais
étrangement, personne n’en parle, à cause du fait que l’on sous-estime aussi
bien Sapiens qu’Homo. Qu’en sera-t-il, se demande Volpi, de l’intelligence
et de la conscience bâties par notre espèce ? L’une des réponses fait
référence à des civilisations extra-terrestres.
Il reste donc à voir si de telles civilisations existent. Jusqu’à présent,
toutes les recherches, menées avec des instruments toujours plus puissants,
n’ont donné aucun résultat et pourtant la grande majorité des scientifiques
pense qu’il y a dans l’univers, peut-être infini, de nombreuses
civilisations extra-terrestres. Si nous limitons cette analyse à notre
galaxie, cette majorité diminue. Volpi est quant à lui bien plus prudent :
pour lui, étant donné que nous ne savons même pas comment la vie est
apparue, il est bien étrange de prétendre que celle-ci puisse parvenir à des
intelligences telles que la nôtre, ou même supérieures. Il est donc
probablement, ou à tout le moins possible, que dans tout l’univers il n’y
ait, à part nous, aucun autre individu doté de pensée abstraite et
symbolique.
Mais comme nous avons été critiques aujourd’hui envers le genre humain, nous
pensons être la ruine de la nature, qui serait bonne en elle-même. Mais,
comme le rappelle Ratzinger, cette conception n’est pas chrétienne : Dieu a
créé la nature pour nous et sans nous elle n’a pas d’espérance. Certes,
notre comportement est souvent erroné, myope et dangereux pour la création
mais l’homme, au fond de lui, sait que la terre est sa maison et tend à la
protéger. Serons-nous à la hauteur de cette tâche ? Nous pourrions faire un
pari sur nous-mêmes : d’un côté les pessimistes, qui vont jusqu’à attribuer
à l’homme les dégâts produits par les tremblements de terre et par les
virus, qui misent sur le non, et de l’autre les modérément optimistes comme
Volpi, qui misent sur le oui.
Quant à moi, l’appréciation que j’ai manifestée concernant la manière dont
Volpi répond à la question sur Dieu reste intacte, si pas plus grande, face
à la réponse à la question sur l’homme. Dans la limite de mes compétences
limitées, sa thèse selon laquelle le hasard est conditionné de plusieurs
manières, avec toutes les conséquences qui en découlent, me semble
convaincante. Le réalisme avec lequel Volpi traite la question des
intelligences extra-terrestres m’a également frappé. Mais j’ai surtout
admiré et partagé la défense sans faille et passionné de la différence
irréductible entre l’homme et les autres espèces animales. Ici, ce sont
aussi bien l’humanisme que le christianisme qui sont en jeu.
J’ai cependant toujours une grande question : Volpi fait remonter la cause
ou l’origine de cette différence irréductible à la station debout. La
question se pose alors quant à l’origine de cette même station debout. La
réponse est connue : le climat a changé et, avec lui, la végétation dans les
régions d’Afrique où vivaient nos ancêtres primates. C’est pourquoi, en
l’espace de plusieurs milliers d’années, ces primates ont progressivement
adopté la station debout. Il n’y a rien en tout cela d’extraordinaire ni de
différent des facteurs habituels de l’évolution biologique. Par conséquence,
la différence irréductible entre l’homme et les autres animaux peut
parfaitement s’expliquer au sein d’une correcte conception de l’évolution,
certes différente de la conception darwinienne ou néo-darwinienne, mais
cependant susceptible de ne rien impliquer d’ontologiquement différent de
notre réalité corporelle, comme une âme vraiment spirituelle ou encore moins
immortelle.
Volpi parle, comme nous l’avons vu, d’une « construction de l’âme »,
qui trouverait son origine dans le sentiment religieux, et dans la
découverte de l’existence chez l’homme d’une dimension différente de la
matérialité, une dimension spirituelle, transcendante et religieuse. Mon
impression est cependant que même ces expressions sont à comprendre non pas
dans le sens d’une diversité et d’une transcendance dans l’être mais plutôt
dans le sens de la capacité, que nous avons sans aucun doute, de penser et
de poser des choix de vie qui vont bien au-delà du monde matériel.
Quelle que soit la réponse que Roberto Volpi pourrait donner à cette
question, son livre « Dio nell’incerto » est, à mon sens, quelque
chose de nouveau dans notre paysage culturel, une nouveauté précieuse sous
certains aspects.
Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso.
Sources : E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 20.04.2022
|