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Homélie de Benoît XVI à Altötting: « Viens, Seigneur Jésus ! »
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ROME, MARDI 19 septembre 2006. (E.S.M.)Nous
publions le texte intégral de l'homélie du pape Benoît XVI qu'il a
prononcée lors de la messe à Altötting, le 11 septembre.
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Le pape Benoît XVI
Homélie de
Benoît XVI à Altötting: « Viens, Seigneur Jésus ! »
Texte intégral de l’homélie du pape Benoît XVI
prononcée au cours de la messe à Altötting
Chers confrères
dans le ministère épiscopal et sacerdotal ! Chers frères et sœurs !
Dans la première lecture, dans le Psaume responsorial et dans le
passage de l'Evangile de ce jour nous rencontrons trois fois, de manière
toujours différente, Marie, la Mère du Seigneur, comme une personne qui
prie. Dans le Livre des Actes, nous la rencontrons au milieu de la
communauté des Apôtres, qui se sont réunis au Cénacle et qui invoquent le
Seigneur qui est monté au Père, afin qu'il accomplisse sa promesse : « Mais
vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours »
(Ac 1, 5). Marie guide l'Eglise naissante dans la prière ; elle est presque
l'Eglise priante en personne. Et ainsi, avec la grande communauté des saints
et comme leur coeur, elle se trouve encore aujourd'hui devant Dieu et
intercède pour nous, demandant à son fils d'envoyer à nouveau son Esprit
dans l'Eglise et dans le monde et de renouveler la face de la terre.
Nous avons répondu à cette lecture en chantant avec Marie la grande
louange qu'elle avait entonnée, quand Elisabeth l'appela bienheureuse en
raison de sa foi. C'est une prière d'action de grâce, de joie en Dieu, de
bénédiction pour ses grandes œuvres. La teneur de ce chant apparaît
immédiatement dans la première parole : « Mon âme magnifie — c'est-à-dire
rend grand — le Seigneur ». Rendre Dieu grand signifie lui faire de la place
dans le monde, dans sa propre vie, le laisser entrer dans notre temps et
dans notre action : telle est l'essence la plus profonde de la véritable
prière. Là où Dieu devient grand, l'homme ne devient pas petit : là, l'homme
aussi devient grand et le monde lumineux.
Enfin, dans le passage
de l’Evangile Marie adresse à son Fils une demande en faveur de ses amis qui
se trouvent en difficulté. A première vue, cela peut sembler une
conversation tout à fait humaine entre une Mère et son Fils ; et, en effet,
c'est également un dialogue rempli d’une profonde humanité. Toutefois, Marie
ne s'adresse pas simplement à Jésus comme à un homme, en comptant sur son
initiative et sa disponibilité à porter secours. Elle confie une nécessité
humaine à son pouvoir — à un pouvoir qui va au-delà de l'habileté et de la
capacité humaine. Et ainsi, dans le dialogue avec Jésus, nous la voyons
réellement comme une Mère qui demande, qui intercède. Cela vaut la peine
d'approfondir un peu plus la compréhension de ce passage de l’Evangile :
pour mieux comprendre Jésus et Marie, mais précisément aussi pour apprendre
de Marie à prier de manière juste. Marie n'adresse pas une véritable demande
à Jésus. Elle dit simplement : « Ils n'ont pas de vin » (Jn 2, 3). En Terre
Sainte, les noces étaient fêtées pendant une semaine entière ; tout le
village y participait, et l'on consommait donc de grandes quantités de vin.
Or, les époux se trouvent en difficulté, et Marie le dit simplement à Jésus.
Elle ne demande pas une chose précise, et encore moins que Jésus exerce son
pouvoir, accomplisse un miracle, produise du vin. Elle confie simplement le
fait à Jésus et Lui laisse la décision sur la façon de réagir. Nous
constatons ainsi deux choses dans les simples paroles de la Mère de Jésus :
d'une part, sa sollicitude affectueuse pour les hommes, l'attention
maternelle avec laquelle elle ressent la situation difficile d'autrui ; nous
voyons sa bonté cordiale et sa disponibilité à aider. Telle est la Mère vers
laquelle les fidèles se mettent en pèlerinage depuis des générations, ici à
Altötting. C'est à Elle que nous confions nos préoccupations, les nécessités
et les situations douloureuses. Cette bonté prête à aider de la Mère, à
laquelle nous nous confions, c'est ici, dans l'Ecriture Sainte, que nous la
voyons pour la première fois. Mais à ce premier aspect très familier à tous
s'en ajoute un autre, qui nous échappe facilement : Marie remet tout au
jugement du Seigneur. A Nazareth, elle a remis sa volonté, la plongeant dans
celle de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon
ta parole ! » (Lc 1, 38). Telle est son attitude permanente de fond. Ainsi,
elle nous enseigne à prier : ne pas vouloir affirmer face à Dieu notre
volonté et nos désirs, puissent-ils nous paraître importants, raisonnables ;
mais les apporter devant Lui et le laisser décider ce qu'il veut faire. De
Marie nous apprenons la bonté prête à aider, mais également l'humilité et la
générosité d'accepter la volonté de Dieu, en ayant confiance en Lui,
certains que sa réponse, quelle qu'elle soit, sera notre bien, mon bien
véritable.
Je crois que nous pouvons très bien comprendre
l'attitude et les paroles de Marie ; il nous est cependant d'autant plus
difficile de comprendre la réponse de Jésus. Déjà, l'appellation ne nous
plaît pas : « Femme » — pourquoi ne dit-il pas : mère ? En réalité, ce titre
exprime la position de Marie dans l'histoire du salut. Il renvoie à
l'avenir, à l'heure de la crucifixion, où Jésus lui dira : « Femme, voici
ton fils — Fils, voici ta mère » (cf. Jn 19, 26-27). Il indique donc à
l'avance l'heure où Il rendra la femme, sa mère, mère de tous ses disciples.
D'autre part, ce titre évoque le récit de la création d'Eve : Adam, au
milieu de la création et de toute sa richesse, se sent seul comme être
humain. Eve est alors créée, et en elle il trouve la compagne qu'il
attendait et qu'il appelle du nom de « femme ». Ainsi, dans l'Evangile de
Jean, Marie représente la femme nouvelle, définitive, la compagne du
Rédempteur, notre Mère : l'appellation apparemment peu affectueuse exprime
en revanche la grandeur de sa mission éternelle.
Mais ce que
Jésus dit ensuite à Marie, à Cana, nous plaît encore moins : « Que me
veux-tu, femme ? Mon heure n'est pas encore arrivée » (Jn 2, 4). Nous
serions tentés de dire : Tu as beaucoup à voir avec elle ! C'est elle qui
t'a fait chair et sang, qui t’a donné ton corps. Et pas seulement ton corps
: avec son « oui », provenant du plus profond de son cœur, elle t'a porté
dans son sein et avec amour maternel elle t'a donné le jour et introduit
dans la communauté du peuple d'Israël. Mais si nous parlons ainsi avec
Jésus, nous sommes déjà sur la bonne voie pour comprendre sa réponse. Car
tout cela doit rappeler à notre esprit que lors de l'incarnation de Jésus,
il existe deux dialogues qui vont de pair et se fondent l'un avec l'autre,
et deviennent une seule chose. Il y a tout d'abord le dialogue que Marie
entretient avec l'Archange Gabriel, et dans lequel elle dit : « Qu'il
m'advienne selon ta parole ! » (Lc 1, 38). Mais il existe un texte parallèle
à celui-ci, un dialogue, pour ainsi dire, à l'intérieur de Dieu, qui nous
est rapporté par la Lettre aux Hébreux, quand il est dit que les paroles du
Psaume 40 sont devenues comme un dialogue entre le Père et le Fils — un
dialogue dans lequel commence l'incarnation. Le Fils éternel dit au Père : «
Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m'as façonné un corps...
Voici je viens... pour faire [...] ta volonté » (He 10, 5-7 ; cf. Ps 40,
6-8). Le « oui » du Fils : « Je viens pour faire ta volonté », et le « oui »
de Marie : « Qu'il m'advienne selon ta parole » — ce double « oui » devient
un unique « oui », et ainsi le Verbe devient chair en Marie. Dans ce double
« oui », l'obéissance du Fils prend corps ; Marie, avec son « oui » lui
donne un corps. « Que me veux-tu, femme ? ». Ce qu'au plus profond ils ont à
voir l'un avec l'autre, est ce double « oui », dans la concomitance duquel a
eu lieu l'incarnation. C'est ce point de leur très profonde unité que le
Seigneur vise avec sa réponse. C'est précisément là que renvoie la Mère. Là,
dans ce « oui » commun à la volonté du Père, se trouve la solution. Nous
devons nous aussi apprendre toujours à nouveau à nous acheminer vers ce
point ; là apparaît la réponse à nos interrogations.
A partir de
là, nous comprenons à présent également la deuxième phrase de la réponse de
Jésus : « Mon heure n'est pas encore venue ». Jésus n'agit jamais seulement
de lui-même ; jamais pour plaire aux autres. Il agit toujours en partant du
Père, et c'est précisément cela qui l'unit à Marie, car là, dans cette unité
de volonté avec le Père, elle a voulu elle aussi déposer sa demande. C'est
pourquoi, après la réponse de Jésus, qui semble repousser la demande, elle
peut dire de manière surprenante aux serviteurs avec simplicité : « Tout ce
qu'il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5). Jésus n'accomplit pas un prodige, il
ne joue pas de son pouvoir dans un événement qui est au fond entièrement
privé. Non, Il accomplit un signe, avec lequel il annonce son heure, l'heure
des noces, l'heure de l'union entre Dieu et l'homme. Il ne « produit » pas
simplement du vin, mais il transforme les noces humaines en une image des
noces divines, auxquelles le Père invite à travers le Fils et dans
lesquelles Il donne la plénitude du bien, représentée dans l'abondance du
vin. Les noces deviennent l'image de ce moment, où Jésus pousse l'amour
jusqu'à l'extrême, laisse déchirer son corps et se donne ainsi à nous pour
toujours, devient une seule chose avec nous — noces entre Dieu et l'homme.
L'heure de la Croix, l'heure à laquelle naît le Sacrement dans lequel il se
donne réellement à nous avec sa chair et son sang, où il place son Corps
entre nos mains et dans notre cœur, telle est l'heure des noces. Ainsi, de
manière véritablement divine, est également résolue la nécessité du moment
et la demande initiale largement dépassée. L'heure de Jésus n'est pas encore
arrivée, mais dans le signe de la transformation de l'eau en vin, dans le
signe du don de fête, il anticipe déjà son heure à ce moment.
Son
« heure » est la Croix ; son heure définitive sera son retour à la fin des
temps. Il anticipe également sans cesse précisément cette heure définitive
dans l'Eucharistie, dans laquelle il vient toujours déjà maintenant. Et il
le fait toujours à nouveau par l'intercession de sa Mère, par l'intercession
de l'Eglise, qui l'invoque dans les prières eucharistiques : « Viens,
Seigneur Jésus ! ». Dans le Canon, l'Eglise implore toujours à nouveau cette
anticipation de l'« heure », elle demande qu'il vienne déjà à présent et
qu'il se donne à nous. Ainsi, nous voulons nous laisser guider par Marie,
par la Mère des grâces d'Altötting, par la Mère de tous les fidèles, vers
l'« heure » de Jésus. Nous Lui demandons le don de le reconnaître et de le
comprendre toujours davantage. Et faisons en sorte que le moment où l'on
reçoit ne soit pas seulement limité à celui de la Communion. Il reste
présent dans l'Hostie sainte et nous attend sans cesse. L'adoration du
Seigneur dans l'Eucharistie a trouvé à Altötting, dans l'antique salle du
trésor, un lieu nouveau. Marie et Jésus vont de pair. A travers Elle nous
voulons continuer à dialoguer avec le Seigneur, en apprenant ainsi à mieux
le recevoir. Sainte Mère de Dieu, prie pour nous, comme à Cana tu as prié
pour les époux ! Guide-nous vers Jésus — toujours à nouveau ! Amen !
Sources: Sources: Vatican - S.L. - © 2006 Texte original : Libreria Editrice
Vaticana - ZF06091811
Eucharistie sacrement de la miséricorde 19.09.2006 - BENOÎT XVI |