Qui a peur de Vatican II ?
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Rome, le 19 février 2009 -
(E.S.M.)
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De cette question, Giuseppe Ruggieri, théologien, et Alberto Melloni,
historien du christianisme, ont fait le titre d’un petit livre écrit à
plusieurs mains sous leur direction et publié ces jours-ci en Italie.
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Qui a peur de Vatican II ?
Revenir au Concile! Celui de Chalcédoine en 451
Le 19 février 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Un livre accuse l'Église d'avoir peur de Vatican II. Mais,
selon certains, il y a un danger encore plus grave: celui d'obscurcir la
doctrine des Conciles des premiers siècles sur le Christ. Dialogue
imaginaire entre un théologien et un de ses élèves
Qui a peur de Vatican II ? De cette question, Giuseppe Ruggieri,
théologien, et Alberto Melloni, historien du christianisme, ont fait le
titre d’un petit livre écrit à plusieurs mains sous leur direction et
publié ces jours-ci en Italie.
Ce n’est pas une nouveauté mais une réimpression du numéro 2 de 2007 de
"Cristianesimo nella Storia", la revue de l'Institut des Sciences
Religieuses de Bologne, c’est-à-dire du groupe de savants qui – avec des
collaborateurs de divers pays – a publié l’"Histoire du Concile Vatican
II" la plus lue dans le monde, cinq volumes achevés en 2001 et parus en
sept langues. Une "Histoire" très orientée, qui interprète le Concile
plus comme un "événement qui fait date" qu’en se basant sur ses
documents, plus dans son "esprit" qu’à la lettre, plus comme "nouveau
début" qu’en continuité avec l’Eglise précédente.
A côté de Ruggieri et Melloni – le seul à ajouter un nouveau chapitre
aux textes déjà connus – les auteurs du livre sont le français Christoph
Theobald, l'américain Joseph A. Komonchak et l’allemand Peter Hünermann.
Dans la préface, Ruggieri et Melloni nient que le livre soit une
apologie de l’"Histoire" bolonaise du Concile Vatican II. Mais, en le
lisant, on a l’impression qu’ils sont les sentinelles héroïques de
l’interprétation correcte du Concile lui-même; qu’ils n’en ont pas
"peur" et en préservent la vraie "nouveauté"; qu’ils font ce que même
Benoît XVI ne fait plus parce qu’il a trop changé par rapport au jeune
Ratzinger qui écrivait les discours explosifs lus au Concile par le
cardinal Frings.
Pour une analyse détaillée des essais contenus dans le volume, il suffit
de se reporter à l’article que leur a consacré www.chiesa après leur
publication dans la revue "Cristianesimo nella Storia":
> Ils persistent et signent: le Concile Vatican II a été "un tournant
historique". L'école de Bologne annexe le pape (11.12.2007)
Tandis que l'interprétation du Concile Vatican II par Benoît XVI est
celle qu’il a donnée dans son mémorable discours à la curie du 22
décembre 2005:
►
"Réveille-toi, homme..."
* * *
Le texte qui suit n’est pas un compte-rendu du livre "Qui a peur de
Vatican II?". Mais il prend appui sur sa publication pour exposer – sous
forme de dialogue – les questions que l’Eglise affronte aujourd’hui.
Comme on le verra, ce sont des questions d’une importance capitale, qui
en viennent à concerner les bases du Credo chrétien. Des questions
auxquelles ont répondu Vatican II mais aussi, avant lui, les Conciles
christologiques des premiers siècles, ceux de Nicée, Ephèse, et
Chalcédoine.
L'auteur, Francesco Arzillo, 49 ans, est romain, magistrat administratif
et d’une compétence rare en philosophie et en théologie.
Court dialogue sur le Concile, entre un maître et son élève
par Francesco Arzillo
Le maître (M.) est professeur de théologie, il a 60 ans, il est
modérément progressiste, prêt à dialoguer avec tout le monde; seuls
l’énervent ceux qui paraissent peu enclins à donner toute sa valeur au
Concile de sa jeunesse, qui lui rappelle, entre autres, ses tumultueuses
années de séminaire.
L'élève (E.), plus jeune, n’est pas un clerc; il est un peu
irrespectueux, mais jamais envers le magistère de l’Eglise. Beaucoup de
gens le jugent ultraconservateur mais les traditionalistes le critiquent
parce qu’il consulte – même si c’est avec prudence – les ouvrages
théologiques d’Henri de Lubac et qu’il défend toujours Jean XXIII et
Paul VI.
M. – Bonjour! Toujours un livre en main. Voyons un peu ton dernier
achat.
E. – C’est "Qui a peur du Concile Vatican II?", sous la direction
d’Alberto Melloni et Giuseppe Ruggieri.
M. – Tu lis Melloni et les théologiens catholico-progressistes que tu as
toujours critiqués? Etonnant. Mais j’ai compris: le titre du livre a agi
sur ton sentiment de culpabilité et tu veux expier.
E. – Je vois que vous n’avez pas perdu l'habitude d’ajouter la
psychanalyse à la théologie. Je n’ai pas de sentiment de culpabilité, au
moins à ce sujet. Vous savez que j’ai toujours accepté Vatican II de
tout cœur. Aujourd’hui, comment peut-on parler de l’Eglise sans "Lumen
gentium"? De la Révélation divine sans "Dei Verbum"? Ou de la liturgie
sans "Sacrosanctum Concilium"?
M. – Alors où est le problème?
E. – Le problème, c’est cette interminable querelle sur le Concile, ce
conflit d’interprétations si compliqué. C’est vrai que les essais
contenus dans ce livre sont très raffinés, qu’ils contiennent des idées
intéressantes, qu’ils se confrontent avec les indications de Benoît XVI.
Mais…
M. – Mais?
E. – Ils me rappellent – au moins en partie – des ambiances, climats et
lieux communs de ce milieu catholico-progressiste qui tend à faire du
Concile un mythe. Mais attention, je ne veux pas coller une étiquette
aux auteurs, j’utilise une indication standard à titre d’orientation.
M. – En réalité, tu prétends accepter le Concile, mais c’est avec une
restriction mentale, parce que tu critiques ceux qui se battent pour le
Concile.
E. – Vous voyez que vous parlez d’une bataille? C’est cela, le problème,
cette surexcitation de certains pendant et après le Concile, ce climat
de lutte continue, cette "agitation croissante aux alentours du
Concile": la formule n’est pas de moi mais du cardinal Henri de Lubac.
Et puis cette façon d’en raconter l’histoire! La fameuse "semaine
noire"... Qu’est-ce que cela veut dire? Quelle valeur heuristique a
cette expression? Aucune! Si je lis les souvenirs de Waterloo d’un aide
de camp de Napoléon, je peux comprendre qu’il parle de "journée noire";
mais d’un historien contemporain j’attends un ton plus calme, qui me
fasse comprendre. C’est encore de Lubac, dans son livre "Entretien
autour de Vatican II" publié en 1985, qui parle d’un "langage
historico-manichéen qui, sous un mode mineur, s'est assez largement
répandu". Ou alors est-ce que même de Lubac ne vous convient plus, lui
dont vous m’avez toujours parlé avec une admiration sans bornes?
M. – Une histoire neutre, ça n’existe pas.
E. – Oui, mais il faut au moins être serein. Et en tout cas je parle
d’une surexcitation qui n’est pas qu’autobiographique et historique,
mais aussi philosophique, si j’ose dire.
M. – C’est-à-dire?
E. – Prenons par exemple le problème de l’"esprit" et de la "lettre".
M. – Ne me ressors pas l’histoire selon laquelle les documents
conciliaires ne doivent être interprétés qu’à la lettre!
E. – Pourquoi voulez-vous banaliser le discours? C’est vrai que la
lettre doit toujours être prise en compte, mais en tout cas elle ne
suffit pas à une herméneutique complète. Le juriste romain Celse et
saint Paul sont d’accord à ce sujet. Cela me suffit.
M. – Et alors?
E. – Cela dépend de ce que l’on entend par "esprit". C’est là que la
surexcitation entre en jeu. Prenez Hegel à Iéna, par exemple, il était
indiscutablement surexcité: il voyait en Napoléon l’Histoire passant à
cheval… Vous vous souvenez de ce passage des "Leçons d’Iéna", cité - pas
par hasard - par le "négativiste" Kojève en exergue de son "Introduction
à la lecture de Hegel"? Vous vous en rappelez le ton? "Messieurs! Nous
vivons une époque importante, une effervescence où l’Esprit a fait un
pas en avant. Il a dépassé sa précédente forme concrète et en a pris une
nouvelle…". Et bien, quand je lis certains théologiens, certains
historiens actuels, je ne peux pas m’empêcher de penser à ce ton-là.
M. – Tu procèdes par insinuations, par allusions, sans conclure. Ce
n’est pas une question de ton!
E. – Ce n’est pas à moi de dire jusqu’à quel point ce n’est qu’une
affaire de ton, ou de légitime acceptation d’idées théoriques, ou de
soumission aux logiques immanentes. Chaque auteur est différent des
autres.
M. – Revenons au Concile. Tu cites le juriste romain Celse, tu insistes
sur le texte, et tu négliges l'événement.
E. – Encore un mot-clé: l'événement. Hegel? Heidegger? Pareyson?
M. – Laisse tomber les philosophes!
E. – Je ne laisse rien tomber! Vous, les théologiens actuels, connaissez
peu la philosophie. Vous voulez faire de la théo-logie sans "logos",
a-philosophique ou trans-philosophique, mais ce n’est souvent que de la
rhétorique. Le pire, c’est d’être influencé par Hegel sans même en avoir
conscience. Si Hegel était parmi nous, il s’étonnerait de sa vaste
descendance intellectuelle, fils et beaux-fils… D’ailleurs vous ne savez
même pas écrire des manuels. On a du mal à en trouver un qui ne saute
pas de Saint Thomas à Rahner, en omettant tout ce qui est entre les
deux! Aujourd’hui on peut être diplômé en théologie en ne sachant
presque rien de Duns Scot, Suarez, Melchior Cano, Cajetan. Demandez à
dix nouveaux diplômés s’ils ont déjà entendu parler de Scheeben et on
verra si vous en trouvez plus de deux pour répondre oui.
M. – Maintenant tu exagères.
E. – Vous avez raison. Je me calme.
M. – L'événement! Pense à la théologie, à "Dei Verbum": Dieu se révèle à
travers des événements et des mots intimement liés entre eux...
E. – Bien sûr que je pense à la théologie! Je pense que la Révélation
divine culmine dans le Christ, en qui Dieu nous a tout dit. Elle est
accomplie, même si elle n’est pas encore complètement expliquée, comme
le rappelle le Catéchisme au paragraphe 66. Et puis au paragraphe 83: la
tradition "vient des Apôtres et transmet ce qu’ils ont reçu par
l'enseignement et par l'exemple et ce qu’ils ont appris du
Saint-Esprit". Penser à un évolutionnisme de l’historisme serait une
erreur. Ce n’est pas la réalité révélée par Dieu qui change ou évolue;
c’est l'intelligence croyante qui grandit en s’approfondissant. Si c’est
vrai, le seul Evénement est le Christ, il n’existe pas un âge de
l’Esprit qui dépasse celui du Christ.
M. – Epargne-moi l’histoire de Joachim de Flore, s’il te plaît…
E. – Pourquoi pas? Si nous voulons vraiment chercher un événement qui
fasse date, pensons à saint François! Qui a plus fait date que lui,
pendant tout le deuxième millénaire? Là-dessus on pourrait tous être
d’accord, conservateurs, progressistes et même beaucoup d’incroyants.
Mais l'interprétation qui voyait en François l'inauguration de l'âge de
l’Esprit a été repoussée à juste titre. François lui-même en aurait été
stupéfait, lui qui en tout ne voyait que le Christ et la Trinité.
M. – Mais l’histoire franciscaine est complexe. Il faut tenir compte de
la politique de saint Bonaventure dans le récit de l’histoire du
fondateur…
E. – Ne me parlez pas de politique! Déjà cet emploi du mot, dans un
contexte qu’un homme du Moyen Age n’aurait jamais appelé "politique",
m’agace parce qu’il est le fruit d’une mauvaise herméneutique. On lit
les événements théologiques, philosophiques, juridiques de ce temps à
travers les lunettes du "tout est politique" moderne, on considère tout
domaine du réel comme "politique". Belle façon de se projeter dans une
autre époque, pour quelqu’un qui parle sans cesse d’histoire et
d’historicité!
M. – Mais enfin, où veux-tu en venir?
E. – Je veux seulement dire que nous devons en finir avec cette histoire
d’événement qui fait date. Il n’y a pas d’événements qui font date, en
stricte rigueur logique et théologique. Cette rhétorique de l’événement
qui fait date risque de n’être bonne que pour la "mobilisation", d’être
une forme de crypto-idéologie.
M. – Mais qu’est-ce que tu souhaites, l'éternel retour de l'identique?
E. – Non. Augustin a démontré que la cyclicité païenne était dépassée
pour toujours. Il s’agit plutôt de savoir voir l'Eternel dans le temps,
qui croise un point du temps, "ce" point du temps, en s’incarnant.
M. – Tu reviens en arrière...
E. – C’est un retour aux sources. Et à la Source.
M. – Mais l'Evénement unique revit-il aujourd’hui ou non?
E. – Il est accompli. Le temps est accompli, voir Marc 1, 15. Même si
nous en attendons la pleine manifestation.
M. – Et le Concile Vatican II? Il t’aide en chemin, ou non?
E. – Il m’aide, bien sûr! Mais il présuppose l'Evénement unique et sa
définition dogmatique irréversiblement réalisée par les sept premiers
Conciles œcuméniques. Vous comprenez que je ne peux pas penser à un
événement qui "déchalcédoinise" le Christ – c’est-à-dire lui enlève ce
qui a été dit de lui à Chalcédoine – pour l’inculturer dans la
modernité.
M. – Mais personne ne veut cela!
E. – En apparence, presque personne. Sûrement pas Vatican II, qui n’a
pas voulu innover dans la foi comme les extrémistes du traditionalisme
et du progressisme le disent parallèlement, avec des buts opposés. Mais
je me demande s’il y a beaucoup d’arianisme tendanciel et virtuel dans
le monde actuel, à quel point on nous pousse trop à humaniser Jésus. Je
pense par exemple aux gens qui critiquent "Dominus
Jesus" qui a dû
rappeler l'abc de la christologie en 2000. Je me demande qui a peur des
Conciles de Nicée, d’Ephèse, de Chalcédoine.
M. – Tu utilises une astuce rhétorique suggestive. Tu hiérarchises les
Conciles pour tuer sournoisement Vatican II.
E. – Non. Mais je crois qu’aujourd’hui les bases de la foi sont en jeu.
J’aimerais donc qu’on donne l’importance appropriée aux colloques sur
Nicée et sur Chalcédoine, au lieu de les abandonner à quelques
spécialistes érudits.
M. – J’arrête, je suis fatigué. Je rentre chez moi et je vais lire un
peu mon livre préféré, le "Journal de l’âme" d’Angelo Giuseppe Roncalli.
E. – Curieuse coïncidence, je suis aussi en train de le lire…
Le livre:
"Chi ha paura del Vaticano II?", a cura di Giuseppe Ruggieri e Alberto
Melloni, Carocci, Roma, 2009, pp. 152, euro 16,50.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 18.02.2009 -
T/B |