Lineamenta du Synode des Évêques pour
le Moyen-Orient convoqué par Benoît XVI |
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Le 19 janvier 2010 -
(E.S.M.)
- Le 19 Septembre 2009, le pape Benoît XVI, suite à son
pèlerinage en
Terre Sainte
(8-15.05.09), a
annoncé, lors
d’une réunion
avec les
Patriarches
d’Orient et des
Archevêques
Majeurs, la
convocation
d’une Assemblée
Spéciale pour le
Moyen-Orient du
Synode des
Évêques, qui se
tiendra du 10 au
24 octobre 2010.
Voici les
Lineamenta
publiées
aujourd'hui.
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Lineamenta du Synode des Évêques pour
le Moyen-Orient convoqué par Benoît XVI
Le 19 janvier 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Le 19 Septembre 2009, le pape Benoît XVI, suite à son pèlerinage en Terre
Sainte (8-15.05.09), a annoncé, lors d’une réunion avec les Patriarches
d’Orient et des Archevêques Majeurs, la convocation d’une Assemblée Spéciale
pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques, qui se tiendra du 10 au 24
octobre 2010. Voici les Lineamenta publiées aujourd'hui.
SYNODE DES ÉVÊQUES
ASSEMBLÉE SPÉCIALE POUR LE MOYEN ORIENT
L’Église catholique au Moyen-Orient:
communion et témoignage
« La multitude de ceux qui étaient devenus croyants
avait un seul cœur et une seule âme » (Ac 4, 32)
Lineamenta
Cité du Vatican
2009
TABLES DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
A. But du Synode
B. Réflexion guidée par l’Écriture Sainte
Questions
I. L’ÉGLISE CATHOLIQUE AU MOYEN-ORIENT
A. Situation des chrétiens au Moyen-Orient
1. Bref regard historique : unité dans la variété
2. Apostolicité et vocation missionnaire
3. Rôle des chrétiens dans la société, malgré leur petit nombre
B. Les défis auxquels sont confrontés les chrétiens
1. Les conflits politiques dans la région
2. Liberté de religion et de conscience
3. Les chrétiens et l’évolution de l’Islam contemporain
4. L’émigration
5. L’immigration chrétienne internationale au Moyen-Orient
C. Réponses des chrétiens dans leur vie quotidienne
Questions
II. LA COMMUNION ECCLÉSIALE
A. Introduction
B. Communion dans l’Église catholique et entre les diverses Églises
C. Communion entre évêques, clergé et fidèles
Questions
III. LE TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
A. Témoigner de l’Évangile dans l’Église même: catéchèse et œuvres
B. Témoigner ensemble avec les autres Églises et Communautés
C. Rapports particuliers avec le judaïsme
D. Rapports avec les musulmans E. Contribution des chrétiens à la société
1. Deux défis posés à nos pays
2. Les chrétiens au service de la société dans leurs pays
3. Rapports État-Église
F. Conclusion : Contribution spécifique et irremplaçable du chrétien
Questions
CONCLUSION GÉNÉRALE :
QUEL AVENIR POUR LES CHRÉTIENS DU MOYEN-ORIENT ? « NE CRAINS PAS, PETIT
TROUPEAU ! »
A. Quel avenir pour les chrétiens du Moyen-Orient?
B. L’espérance
Questions
AVANT-PROPOS
En mettant en relief la communion et le témoignage des chrétiens, disciples
de Jésus-Christ, les Actes des Apôtres soulignent brièvement en deux
endroits leur communion des biens. Dans le premier on fait le constat
suivant : «Ils se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à
la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières» (Ac 2, 42).
De cette profonde unité provenait leur façon de vivre : «Tous les croyants
ensemble mettaient tout en commun» (Ac 2, 44). Du second passage provient le
thème de l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques qui
aura lieu du 10 au 24 octobre 2010 : La multitude des croyants n'avait qu'un
seul cœur et qu'une seule âme (Ac 4, 32). Pour l’application d’une pareille
affirmation, Saint Luc présente deux exemples. Le premier, édifiant, de
Joseph, surnommé Barnabé, qui vendit le champ qu’il possédait et «apporta
l'argent et le déposa aux pieds des apôtres» (Ac 4, 37). L’autre exemple,
négatif, raconte l’histoire des conjoints Ananie et Saphire, son épouse, qui
s’étaient mis d’accord pour ne remettre qu’une partie du prix de la vente
d’un terrain et en conserver l’autre pour eux. Leur subterfuge fut découvert
et la dramatique punition suscita «une grande crainte» dans la communauté
ecclésiale (cf. Ac 5, 1-11). De tels exemples enseignent que les chrétiens
sont appelés à vivre concrètement l’idéal de la communion et du témoignage,
en s’efforçant de le réaliser non de manière partielle mais intégrale, en
atteignant un seul cœur et une seule âme (Ac 4, 32).
L’extraordinaire trame d’évangélisation narrée par les Actes des Apôtres, a
son origine dans la communauté chrétienne de la Terre Sainte. Vers cette
Terre, bénie par la présence du Seigneur Jésus, tous les chrétiens et les
hommes de bonne volonté tournent leur regard, tout particulièrement à
l’occasion de la préparation de l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient du
Synode des Évêques que le Saint-Père Benoît XVI a lancée le 19 septembre
2009, au cours de la réunion avec les Patriarches et les Archevêques Majeurs
des Églises orientales catholiques. Le Souverain Pontife a également annoncé
le thème de l’Assise synodale : « L’Église catholique au Moyen-Orient :
communion et témoignage. ‘La multitude de ceux qui étaient devenus croyants
avait un seul cœur et une seule âme’ (Ac 4, 32) ».
Le Saint-Père, qui a visité la Terre Sainte du 8 au 15 mai 2009, a
rapidement accueilli la requête de nombreux confrères dans l’épiscopat de
convoquer une Assemblée Synodale pour le Moyen-Orient. Celle-ci devrait
approfondir l’enseignement des Actes des Apôtres, pour revivre l’expérience
de la communauté primitive à un niveau encore plus mûr et pour donner un
témoignage en paroles et surtout en actes d’une authentique vie chrétienne
pour la gloire de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, dans l’actuelle
situation complexe des pays du Moyen-Orient. À cette foi doit s’alimenter
l’espérance chrétienne, forte «contre toute espérance» (Rm 4, 18), parce que
fondée non sur des projets humains mais plutôt sur la puissance de Dieu. La
foi et l’espérance doivent déboucher sur la charité envers le prochain. Dans
l’Église catholique au Moyen-Orient cette dernière a une expression
particulière dans la présence ininterrompue depuis les temps du Christ des
chrétiens sur cette terre, qui est leur patrie. Bien évidemment, elle se
manifeste aussi par des œuvres nombreuses et précieuses par lesquelles les
membres de l’Église catholique témoignent de leur foi et dans le même temps
offrent une contribution notable au développement intégral de toute la
société.
Pour accomplir pleinement une telle vocation, le Saint-Père Benoît XVI a
voulu que soit suivi le processus ordinaire de préparation à une Assemblée
synodale. Donc, par disposition du Souverain Pontife, un Conseil Pré-synodal
pour le Moyen-Orient a été institué. Composé de sept Patriarches, en
représentation des six Églises Patriarcales et du Patriarcat latin de
Jérusalem, de deux Présidents de Conférences épiscopales ainsi que de 4
Chefs de Dicastères de la Curie Romaine, il a rédigé le texte des Lineamenta
qui est maintenant publié en quatre langues : arabe, français, anglais et
italien. Chaque chapitre du Document est accompagné de quelques questions
qui ont pour but de susciter la discussion dans toutes les Églises du
Moyen-Orient. Leurs réponses devraient parvenir à la Secrétairerie Générale
du Synode des Évêques après la Solennité de Pâques, que tous les chrétiens
célèbrent cette année à la même date, le 4 avril 2010. Comme il est notoire,
l’Instrumentum laboris sera rédigé en reprenant le contenu des ces réponses.
Ce Document de travail de l’Assise synodale sera remis par le Saint-Père
Benoît XVI aux représentants qualifiés de l’Épiscopat catholique du
Moyen-Orient au cours de sa Visite Apostolique à Chypre en juin 2010.
Confions la préparation de l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient à
l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l’Église, fleur
immaculée de la Terre Sainte. Elle a donné Jésus au monde à Bethléem, elle
l’a éduqué à Nazareth, l’accompagnant sur les routes de la Galilée et de la
Judée jusqu’à Jérusalem, Ville Sainte pour les Chrétiens, les Juifs et les
Musulmans. Qu’en vertu du témoignage des chrétiens, la célébration de
l’Assise synodale devienne aussi une occasion propice pour développer le
dialogue avec les mondes juif et musulman et élargir les frontières de la
communion à tous les hommes de bonne volonté au Moyen-Orient.
Mgr Nikola Eterović
Archevêque titulaire de Sisak
Secrétaire Général
Du Vatican, le 8 décembre 2009
INTRODUCTION
1. Le 19 Septembre 2009, le Saint-Père, suite à son pèlerinage en Terre
Sainte (8-15.05.09), a annoncé, lors d’une réunion avec les Patriarches
d’Orient et des Archevêques Majeurs, la convocation d’une Assemblée Spéciale
pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques, qui se tiendra du 10 au 24
octobre 2010. Cette initiative relève du «souci» du successeur de Saint
Pierre «de toutes les Églises» (2 Co 11, 28) et constitue un événement
important, qui dénote l’intérêt de l’Église Universelle aux Églises de Dieu
en Orient. Quant aux Églises d’Orient elles-mêmes, elles sont invitées à
vivre intensément cet événement, pour qu’il soit un événement de grâce dans
la vie des chrétiens d’Orient.
Les pèlerinages de Benoît XVI en Terre Sainte (Jordanie, Israël et
Palestine), comme celui en Turquie (28.11-1.12.06), avec leurs discours
riches et circonstanciés, nous apportent une lumière spéciale pour pouvoir
comprendre la Parole de Dieu, lire les signes des temps et y définir le
comportement chrétien et la vocation de nos Églises.
A. But du synode
2. Le but de l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques
est double : confirmer et renforcer les chrétiens dans leur identité par la
Parole de Dieu et des sacrements et raviver la communion ecclésiale entre
les Églises particulières, afin qu’elles puissent offrir un témoignage de
vie chrétienne authentique, joyeux et attirant. Nos Églises catholiques ne
sont pas seules au Moyen-Orient. Il y a aussi les Églises orthodoxes et les
communautés protestantes. La dimension œcuménique est fondamentale pour que
le témoignage chrétien soit authentique et crédible. « Qu’ils soient un afin
que le monde croie » (Jn 17, 21).
3. Il faut donc renforcer la communion à tous les niveaux : à l’intérieur de
chaque Église catholique d’Orient, entre toutes les Églises catholiques et
avec les autres Églises chrétiennes. Il faut en même temps renforcer le
témoignage que nous donnons aux juifs, aux musulmans et aux autres croyants
ou non-croyants.
4. Le Synode nous offre aussi l’occasion de faire le point sur la situation
tant religieuse que sociale, afin de donner aux chrétiens une vision claire
du sens de leur présence dans leurs sociétés musulmanes (arabes,
israélienne, turque ou iranienne), de leur rôle et de leur mission dans
chaque pays, les préparant ainsi à y être des témoins authentiques du
Christ. C’est donc une réflexion sur la situation présente, qui est
difficile: situation de conflit, d’instabilité et de maturation politique et
sociale dans la plupart de nos pays.
B. Réflexion guidée par l'écriture sainte
5. Notre réflexion sera guidée par l’Écriture Sainte, écrite sur nos terres,
dans nos langues (hébreu, araméen ou grec), dans des cadres et des
expressions culturels et littéraires que nous ressentons comme nôtres. La
Parole de Dieu est lue en Église. Ces Écritures nous sont parvenues à
travers les communautés ecclésiales, transmises et méditées dans nos saintes
Liturgies. Elles sont une référence incontournable pour découvrir le sens de
notre présence, de notre communion et de notre témoignage dans le contexte
actuel de nos pays.
6. Que nous dit la Parole de Dieu aujourd’hui et ici, à chaque Église dans
chacun de nos pays? Comment se manifeste à nous la Providence aimante de
Dieu à travers tous les événements faciles ou difficiles de notre vie
quotidienne? Que nous demande Dieu en ces jours : Rester, pour nous engager
dans le cours des événements qui est le cours de la Providence et de la
grâce divine? ou émigrer?
7. Il s’agit donc – et c’est l’un des buts de cette Assemblée Spéciale – de
redécouvrir la Parole de Dieu dans l’Écriture qui s’adresse aujourd’hui à
nous, qui nous parle aujourd’hui et non seulement dans le passé, et nous
explique comme aux deux disciples d’Emmaüs ce qui se passe autour de nous.
Cette découverte se fait d’abord dans la lecture méditée de l’Écriture,
personnellement, en famille et en communauté vivante. Mais l’essentiel est
qu’elle guide nos choix quotidiens dans la vie personnelle, familiale,
sociale et politique.
Questions
1. Lisez-vous l’Écriture personnellement, en famille ou en communauté
vivante ?
2. Inspire-t-elle vos choix dans votre vie familiale, professionnelle ou
politique ?
I. L'ÉGLISE CATHOLIQUE AU MOYEN-ORIENT
A. Situation des chrétiens au Moyen-Orient
1. Bref regard historique: unité dans la variété
8. Les Églises catholiques au Moyen-Orient remontent toutes, comme toute
communauté chrétienne dans le monde, à la première Église chrétienne de
Jérusalem, unie par l’Esprit-Saint au jour de la Pentecôte. Elles se
divisèrent au Ve siècle, après les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine,
principalement pour des questions christologiques. Cette première division
donna naissance aux Églises connues aujourd’hui sous le nom d’ « Église
Apostolique Assyrienne de l'Orient » (qu’on appelait nestorienne) et des «
Églises Orthodoxes Orientales », c.à.d. les Églises coptes, syriennes et
arméniennes, qu’on appelait monophysites. Ces divisions eurent lieu aussi
pour des motifs souvent politico-culturels, comme cela est souligné par les
théologiens médiévaux d’Orient appartenant aux trois grandes traditions
appelées « melkites », « jacobites » et « nestoriennes ». Ils ont tous
souligné qu’il n’y avait aucun motif dogmatique à cette division. Il y eut
ensuite le grand schisme du XIe siècle, qui sépara Constantinople de Rome et
par la suite l’Orient Orthodoxe de l’Occident catholique. Toutes ces
divisions existent aujourd’hui encore dans les diverses Églises du
Moyen-Orient.
9. Après les divisions et les séparations, périodiquement, des efforts
furent entrepris pour reconstituer l’unité du Corps du Christ. C’est dans
cet effort d’œcuménisme que se formèrent les Églises catholiques orientales
: arménienne, chaldéenne, melkite, syriaque et copte. Ces Églises ont été
tentées au début par la polémique avec leurs Églises orthodoxes sœurs, mais
ont aussi souvent été d’ardents défenseurs de l’Orient chrétien.
10. L’Église maronite garda son unité au sein de l’Église universelle et n’a
pas connu dans son histoire une division ecclésiale interne. Le Patriarcat
Latin de Jérusalem, établi avec les Croisés, fut rétabli au XIXe siècle,
grâce à la présence continue des Pères Franciscains notamment en Terre
Sainte, depuis le début du XIIIe siècle.
11. Aujourd’hui, les Églises catholiques d’Orient sont sept. Elles sont en
majorité arabes ou arabisées. Quelques-unes d’entre elles sont présentes
aussi en Turquie et en Iran. Elles proviennent de traditions culturelles, et
donc aussi liturgiques différentes : grecque, syriaque, copte, arménienne ou
latine. C’est ce qui en fait leur admirable richesse et leur
complémentarité. Elles sont unies dans la même communion avec l’Église
universelle autour de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, coryphée
des apôtres (hâmat ar-rusul). Leur richesse vient de leur diversité même,
mais l’attachement excessif au rite et à la culture peut les appauvrir
toutes. La collaboration entre les fidèles est habituelle et naturelle, à
tous les niveaux.
2. Apostolicité et vocation missionnaire
12. Par ailleurs, nos Églises sont d’origine apostolique et nos pays ont été
le berceau du christianisme. Comme l’a dit le Saint-Père le Pape Benoît XVI
le 9 juin 2007, elles sont les gardiens vivants des origines chrétiennes
[1]. Ce sont des terres bénies par la présence du Christ lui-même et des
premières générations chrétiennes. Ce serait une perte pour l’Église
universelle si le christianisme devait disparaître ou s’affaiblir
précisément là où il est né. Nous portons là une lourde responsabilité : non
seulement, maintenir la foi chrétienne en ces terres saintes, mais plus
encore maintenir l’esprit de l’Évangile dans ces populations chrétiennes et
dans leurs rapports avec les non chrétiennes, et maintenir la mémoire des
origines.
13. Parce qu’apostoliques, nos Églises ont une mission particulière pour
porter l’Évangile dans le monde entier. Au cours de l’histoire, cet élan a
stimulé plusieurs de nos Églises : en Nubie et Éthiopie, dans la Péninsule
Arabique, en Perse, en Inde et jusqu’en Chine. Aujourd’hui, il nous faut
constater que cet élan évangélique est souvent ralenti et la flamme de
l’Esprit semble affaiblie.
14. Or, de par notre histoire et notre culture, nous sommes proches de
centaines de millions de personnes, tant culturellement que spirituellement.
À nous de partager avec eux le message d’amour de l’Évangile que nous avons
reçu. En ce moment où des peuples entiers sont déroutés et cherchent une
lueur d’espoir, nous pouvons leur donner l’espérance qui est en nous de par
l’Esprit qui a été diffusé en nos cœurs (cf. Rm 5, 5).
3. Rôle des chrétiens dans la société, malgré leur
petit nombre
15. Nos sociétés arabes, turques et iraniennes, malgré leurs différences,
ont cependant des caractéristiques communes. La tradition et le mode de vie
traditionnel prévalent, notamment en ce qui concerne la famille et
l’éducation. Le confessionnalisme marque les rapports entre chrétiens comme
avec les non chrétiens et affecte profondément les mentalités et les
comportements. La religion est un élément d’identification qui peut séparer
de l’autre.
16. La modernité pénètre toujours plus la société: l’accès aux chaînes
mondiales de la TV et à l’internet a introduit, dans la société civile et
parmi les chrétiens, de nouvelles valeurs comme aussi une perte de valeurs.
En réponse à cela, les groupes fondamentalistes islamiques se diffusent de
plus en plus. Le pouvoir réagit par l’autoritarisme, le contrôle de la
presse et des médias. Toutefois la majorité aspire à une véritable
démocratie.
17. Bien que les chrétiens soient presque partout une faible minorité au
Moyen-Orient (sauf au Liban), allant de moins de 1% (Iran, Turquie) à 10%
(Égypte), ils sont pourtant actifs, dynamiques et rayonnants. Le danger est
dans le repliement sur soi et la peur de l’autre. Il faut à la fois
renforcer la foi et la spiritualité de nos fidèles et resserrer le lien
social et la solidarité entre eux, sans tomber dans l’attitude de ghetto.
Par ailleurs, l’éducation est l’investissement majeur. Nos Églises et nos
écoles pourraient aider davantage les moins favorisés.
B. Les défis auxquels sont confrontés les chrétiens
1. Les conflits politiques dans la région
18. Les conflits politiques en cours dans la région ont une influence
directe sur la vie des chrétiens, en tant que citoyens comme en tant que
chrétiens. L’Occupation israélienne des Territoires Palestiniens rend
difficile la vie quotidienne pour la liberté de mouvement et l’économie et
la vie religieuse (accès aux Lieux Saints, conditionné par des permis
militaires accordés aux uns et refusés aux autres, pour raisons de
sécurité). De plus, certaines théologies chrétiennes fondamentalistes
justifient par l’Écriture Sainte l’occupation de la Palestine par Israël, ce
qui rend la position des chrétiens arabes encore plus délicate.
19. En Iraq, la guerre a déchaîné les forces du mal dans le pays, dans les
confessions religieuses et les courants politiques. Elle a fait des victimes
parmi tous les Irakiens, mais les chrétiens en ont été une des principales
victimes parce qu’ils représentent la plus petite et la plus faible des
communautés irakiennes. La politique mondiale n’en tient aucun compte.
20. Au Liban, les chrétiens sont profondément divisés au plan politique et
confessionnel et personne n’a un projet acceptable par tous. En Égypte, la
montée de l’Islam politique d’une part et le désengagement des chrétiens par
rapport à la société civile, rendent leur vie sujette à l’intolérance, à
l’inégalité et à l’injustice. En outre, cette islamisation pénètre aussi par
les médias et l’école dans les familles, modifiant les mentalités qui
s’islamisent inconsciemment. Dans beaucoup de pays, l’autoritarisme, voire
la dictature, poussent la population, y compris les chrétiens, à supporter
tout en silence pour sauver l’essentiel. En Turquie, le concept actuel de
laïcité pose encore des problèmes à la pleine liberté religieuse du pays.
21. Cette situation des chrétiens dans les divers pays arabes a été décrite
au §13 de la 10e Lettre Pastorale des Patriarches catholiques (en 2009). La
conclusion stigmatise l’attitude défaitiste : « Face à ces réalités
différentes, les uns restent fermes dans leur foi et dans leur engagement
dans la société, partageant tous les sacrifices et contribuant au projet
social commun. D’autres, par contre, se découragent et n’ont plus confiance
dans leur société et dans sa capacité à leur procurer l’égalité avec tous
les citoyens. C’est pourquoi ils abandonnent tout engagement et se retirent
dans leur Église et dans ses institutions, vivant dans des îlots isolés,
sans interaction avec le corps social »[2].
2. Liberté de religion et de conscience
22. En Orient, la liberté de religion veut dire habituellement liberté de
culte. Il ne s’agit donc pas de liberté de conscience, c’est-à-dire de la
liberté de renoncer à sa religion ou de croire en une autre. La religion en
Orient est en général un choix social et même national, non un choix
individuel. Changer de religion est perçu comme une trahison à la société, à
la culture et à la nation bâtie principalement sur une tradition religieuse.
23. La conversion est vue comme étant le fruit d’un prosélytisme intéressé,
non d’une conviction religieuse authentique. Pour le juif et le musulman,
elle est souvent interdite par les lois de l’État. Pour le chrétien, il
expérimente lui aussi une pression et une opposition, quoique beaucoup plus
légère, de la part de la famille ou de la tribu ; mais il reste libre de le
faire. Souvent, la conversion n’est pas par conviction religieuse, mais pour
des intérêts personnels, ou sous la pression du prosélytisme musulman,
notamment pour pouvoir se libérer de ses obligations face à des difficultés
d’ordre familial.
3. Les chrétiens et l’évolution de l’Islam
contemporain
24. Dans leur dernière lettre pastorale, les Patriarches catholiques
d’Orient disaient : « La montée de l’Islam politique, à partir des années
1970, est un phénomène saillant qui affecte la région et la situation des
chrétiens dans le monde arabe. Cet Islam politique comprend différents
courants religieux qui voudraient imposer un mode de vie islamique aux
sociétés arabes, turques ou iraniennes et à tous ceux qui y vivent,
musulmans et non musulmans. Pour eux, la cause de tous les maux est
l’éloignement de l’Islam. La solution est donc le retour à l’Islam des
origines. D’où le slogan : l’Islam est la solution…Dans ce but, certains
n’hésitent pas à recourir à la violence » [3].
Cette attitude vise d’abord la société musulmane. Mais elle a des
conséquences sur la présence chrétienne en Orient. Ces courants extrémistes
sont donc une menace pour tous, chrétiens et musulmans, et nous devons les
affronter ensemble.
4. L’émigration
25. L’émigration des chrétiens et des non chrétiens du Moyen-Orient a
commencé vers la fin du XIXe siècle. Les deux causes principales étaient
politique et économique. Les rapports religieux n’étaient pas des meilleurs,
mais le système des “millet” (communautés ethnico-religieuses) avait assuré
une certaine protection aux chrétiens dans le sein de leurs communautés, ce
qui n’empêchait pas toujours les conflits de caractère religieux et tribal à
la fois. Cette émigration s’est accentuée aujourd’hui avec le conflit
israélo-palestinien et l’instabilité qu’il a causée dans toute la région,
pour finir avec la guerre de l’Iraq et l’instabilité politique du Liban.
26. Par ailleurs, dans le jeu des politiques internationales, on ignore
souvent l’existence des chrétiens ; et c’est aussi l’une des causes majeures
de l’émigration. Or, dans la situation politique actuelle du Moyen-Orient,
il est difficile de créer une économie qui puisse procurer un niveau de vie
digne pour toute la société. On peut prendre certaines mesures pour réduire
l’émigration, mais les racines sont les réalités politiques existantes.
C’est là qu’il faudrait agir, et l’Église est invitée à s’y engager.
27. Un autre aspect pourrait aider à limiter l’émigration: rendre les
chrétiens plus conscients du sens de leur présence. Chacun dans son pays est
porteur du message du Christ à sa société. Ce message est à porter dans les
difficultés et dans la persécution. C’est ce que le Christ nous annonce dans
l’Évangile : “Vous serez persécutés... heureux êtes-vous... Heureux
serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute. Réjouissez-vous et
soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux"
(Mt 5, 11-12). C’est à ce niveau qu’il faut s’élever avec l’aide du Christ.
5. L’immigration chrétienne internationale au
Moyen-Orient
28. Les pays du Moyen-Orient reçoivent des centaines de milliers d’Africains
d’Éthiopie et surtout du Soudan et d’Asiatiques, surtout des Philippines, du
Sri Lanka, du Bangladesh, du Népal, du Pakistan et de l’Inde, comme
travailleurs immigrés. Il s’agit le plus souvent de femmes travaillant comme
domestiques pour permettre à leurs enfants une éducation et une vie plus
digne. Ces femmes (et hommes) sont souvent objet d’injustices sociales,
d’exploitation et d’abus sexuels, soit de la part des États qui les
accueillent, soit des agences qui les font venir, soit des employeurs.
29. Il y a là une responsabilité pastorale pour accompagner ces personnes,
tant au plan religieux qu’au plan social. Ces immigrés se trouvent souvent
affrontés à des drames, et l’Église ne peut pas grand-chose. Parallèlement,
une éducation de nos chrétiens à la doctrine sociale de l’Église et à la
justice sociale est urgente et indispensable, pour éviter toute attitude de
supériorité voire de mépris. De plus, les lois et les conventions
internationales ne sont pas respectées.
C. Réponses des chrétiens dans leur vie quotidienne
30. Le comportement des chrétiens dans nos Églises et nos sociétés, face à
tous les défis mentionnés plus haut, sont variés et différents:
• Il y a le chrétien croyant et engagé, qui accepte et vit sa foi avec
fidélité dans sa vie privée et publique.
• Il y a aussi le chrétien “laïc”, que nous avons vu, au long de l’histoire
contemporaine surtout, dans nos divers pays, s’engager à fond dans la vie
publique, fonder les partis politiques, surtout de gauche, ou en devenir
membre, mais souvent en sacrifiant sa foi.
• Il y a aussi le chrétien qui a une foi traditionnelle, faite de dévotions
et de pratiques extérieures sans influence sur sa vie pratique ou sur
l’échelle des valeurs. Il partage par contre les critères et les valeurs
pragmatistes de sa société, parfois même en contradiction avec l’Évangile.
Il adopte les attitudes de lutte de sa société et ne se différencie des
autres que par ses pratiques religieuses extérieures, par ses fêtes ou par
son nom de chrétien.
• Il y a aussi le chrétien qui se considère lui-même comme une personne
faible. Il est complexé par le petit nombre de sa communauté dans une
société à majorité musulmane. Il a peur. Il est plein d’anxiété et soucieux
de voir ses droits violés.
31. La manière de vivre sa foi se réfléchit directement sur l’appartenance
du chrétien à l’Église. Une foi profonde mène à une appartenance solide et
engagée. Une foi superficielle signifie aussi une appartenance
superficielle. Dans le premier cas, l’appartenance est authentique et vraie
et le croyant participe à la vie de l’Église et y engage toute sa foi. Dans
le deuxième cas, l’appartenance est seulement confessionnelle.[4] Dans ce
cas, le fidèle exige que son Église prenne soin de tous les aspects de sa
vie matérielle et sociale, ce qui mène à l’ «assistentialisme» et à
l’incapacité[5].
32. Ceci exige une conversion personnelle des chrétiens, à commencer par les
Pasteurs, par un retour à l’esprit de l’Evangile, afin que notre vie
devienne un témoignage d’amour de Dieu, s’exprimant dans l’amour concret
envers tous et chacun. Être témoin du Christ ressuscité : («Les apôtres
rendaient avec beaucoup de force témoignage de la résurrection du Seigneur
Jésus…» [Ac 4, 33]), pour dépasser notre égoïsme, nos rivalités et nos
faiblesses personnelles.
33. La vie consacrée est présente dans nos pays à des degrés divers. Là où
elle manque dans sa dimension contemplative, il serait souhaitable de
l’instaurer. La première mission des moines et moniales est la prière et
l’intercession pour la société : pour plus de justice dans la politique et
l’économie, plus de solidarité et de respect dans les rapports familiaux,
plus de courage pour dénoncer les injustices, plus d’honnêteté pour ne pas
se laisser entraîner dans les querelles de la cité ou dans la recherche des
intérêts personnels. Telle est l’éthique que pasteurs, moines, moniales,
religieux, éducateurs, doivent proposer dans nos institutions (écoles,
universités, centres sociaux, hôpitaux, etc.), afin que nos fidèles soient
eux aussi de véritables témoins de la Résurrection dans la société.
34. La formation de notre clergé et des fidèles, les homélies et la
catéchèse, doivent donner au croyant un sens authentique de sa foi, et lui
donner conscience de son rôle dans la société au nom de cette foi. Il faut
lui apprendre à chercher et voir Dieu en toute chose et en toute personne,
s’efforçant de le rendre présent à notre société, à notre monde, par la
pratique des vertus personnelles et sociales : justice, honnêteté, droiture,
accueil, solidarité, ouverture de cœur, pureté de mœurs, fidélité, etc.
35. Dans ce but, un effort spécial doit être fait pour découvrir et former
les « cadres » nécessaires, prêtres, religieux, religieuses, laïcs, hommes
et femmes, afin qu’ils soient de vrais témoins de Dieu le Père et de Jésus
Ressuscité dans notre société et de l’Esprit-Saint qu’Il a envoyé à son
Église, pour conforter leurs frères et sœurs dans ces temps difficiles et
pour contribuer à l’édification de la cité.
Questions
3. Que font nos Églises pour susciter et encourager les vocations à la vie
religieuse et contemplative ?
4. Comment contribuer à l’amélioration du milieu social dans les divers
pays?
5. Quel rôle joue votre Église pour aider à intégrer la modernité, avec le
regard critique nécessaire, dans vos sociétés?
6. Comment faire croître le respect de la liberté religieuse et la liberté
de conscience?
7. Que peut-on faire pour arrêter ou ralentir l’émigration des chrétiens du
Moyen-Orient?
8. Comment suivre et rester en rapport avec les chrétiens émigrés?
9. Que devrait faire nos Églises pour enseigner aux fidèles le respect des
immigrés et leur droit à être traités avec justice et charité ?
10. Que fait votre Église pour assurer aux immigrés catholiques les soins
pastoraux et pour les protéger contre les abus et l’exploitation par l’État
(police et personnel des prisons), les agences et les employeurs?
11. Nos Églises travaillent-elles à former des cadres chrétiens pour
contribuer à la vie sociale et politique de nos pays ? Que pourraient-elles
faire ?
II. LA COMMUNION ECCLÉSIALE
A. Introduction
36. La communion chrétienne a pour fondement le modèle de la vie divine dans
le mystère de la Sainte Trinité. Dieu est amour (cf. 1 Jn 4, 8), et les
rapports entre les personnes divines sont des rapports d’amour. Ainsi la
communion dans l’Église entre tous les membres du corps du Christ est fondée
sur des rapports d’amour : « Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi,
qu'eux aussi soient en nous » (Jn 17, 21). Il s’agit de vivre entre nous, au
sein de chaque Église, la communion même de la Sainte Trinité. La vie de
l’Église et des Églises d’Orient doit être communion de vie dans l’amour,
sur le modèle de l’union du Fils avec le Père et l’Esprit.
37. Jésus nous a recommandé cette unité de vie dans l’exemple de la vigne et
des sarments (cf. Jn 15, 1-7). Saint Paul développa cette réalité de vie
chrétienne par l’exemple de l’unité de vie dans le corps avec la pluralité
des membres (cf. 1 Co 12, 12-21). Toute Église fonde donc sa communion de
vie sur le fait réel que chaque membre de l’Église est, par le baptême,
membre du Corps du Christ qui est la tête. La communion entre les Églises ou
au sein de la même Église consiste donc à prendre conscience que chacun et
chacune est membre dans un Corps dont la tête est le Christ. Le Christ est
la tête, chaque membre doit être digne de la tête à laquelle il est
intimement lié.
B. Communion dans l'église catholique et entre les
diverses églises
38. Cette communion au sein de l’Église universelle se manifeste par deux
signes principaux : la première, la communion à l’Eucharistie et la
deuxième, la communion avec l’évêque de Rome, successeur de Pierre et chef
de toute l’Église. Le Code des Canons des Églises Orientales a codifié sur
le plan des lois cette communion de vie dans l’unique Église du Christ. La
Congrégation pour les Églises Orientales et les divers Dicastères romains
sont également au service de cette communion.
39. Au niveau des fidèles, nos écoles et instituts d’enseignement supérieur
mais aussi les institutions caritatives telles que les hôpitaux, les
orphelinats, les maisons pour personnes âgées, accueillent tous les
chrétiens indistinctement. Dans les villes, les fidèles catholiques de
diverses Églises pratiquent souvent dans l’église la plus proche, tout en
restant fidèles à leur propre communauté confessionnelle, dans laquelle ils
reçoivent les sacrements (baptême, confirmation, mariage,...).
C. Communion entre évêques, clergé et fidèles
40. La communion dans la même Église ou Patriarcat entre les divers
membres se fait sur le modèle de la communion avec l’Église universelle et
le successeur de Pierre, l’évêque de Rome. Au niveau de l’Église
Patriarcale, la communion s’exprime par le synode qui réunit les évêques de
toute une communauté autour du Patriarche, Père et chef de son Église. Au
niveau de l’éparchie, c’est autour de l’évêque que se fait la communion du
clergé, des religieux et religieuses, comme des laïcs. La prière, la
présence eucharistique et l’écoute de la Parole de Dieu, sont les moments
qui unifient l’Église et la ramène à l’essentiel, à l’Évangile. À l’évêque
de veiller à harmoniser le tout, malgré les moments de faiblesse.
41. Cette grâce est communiquée par l’évêque à tout pasteur d’une paroisse
ou assemblée de croyants, dans laquelle il y aura des membres forts et
d’autres moins forts. Malgré toutes leurs limites, ils restent des
instruments entre les mains de Dieu. Dieu leur a confié un trésor contenu
dans des vases d’argile (cf. 2 Co 4, 7). Il fait d’eux l’instrument de sa
grâce « car, lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort » (2 Co
12, 10).
42. Mais cela signifie que les ministres du Christ et ceux qui cherchent à
le suivre de plus près portent une lourde responsabilité dans la communauté,
non seulement pour gérer l’Église de Dieu localement [6], mais plus encore
au plan spirituel et moral : ils sont modèle et exemple pour les autres. La
communauté attend d’eux qu’ils vivent concrètement les valeurs de l’Évangile
de manière exemplaire. On ne s’étonnera pas que les fidèles attendent d’eux
(évêques, prêtres, moines et religieuses) une plus grande simplicité de vie,
un réel détachement par rapport à l’argent et aux commodités du monde, une
pratique rayonnante de la chasteté et une pureté de mœurs transparente. Ce
n’est pas toujours le cas et cela scandalise profondément les fidèles.
43. De plus, l’esprit des deux apôtres Jacques et Jean, demandant à Jésus de
leur accorder la première place à sa droite et à sa gauche [7], dure encore
et provoque des troubles entre les frères. Au lieu de nous retrouver
ensemble pour faire face aux difficultés, nous nous disputons parfois entre
nous et comptons nos fidèles, comme pour savoir qui est le plus grand.
L’esprit de rivalité nous détruit; par contre l’émulation spirituelle et
pastorale peut stimuler notre créativité au service de tous. C’est cette
émulation, pour servir, qu’il faut encourager ; et comme toutes les Églises
du monde, nos Églises ont aussi une purification à faire continuellement. Ce
Synode voudrait aider à cet examen de conscience sincère pour découvrir les
points forts, afin de les promouvoir et de les développer, et les points
faibles, afin d’avoir le courage de les corriger.
44. Il nous faut retrouver le modèle de la communauté primitive: « La
multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme. Nul ne disait sien
ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun. Avec beaucoup de
puissance, les apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur
Jésus, et ils jouissaient tous d'une grande faveur. Aussi parmi eux nul
n'était dans le besoin » (Ac 4, 32-34).
45. Les Associations et mouvements apostoliques, d’origine locale ou
internationale, venues de tout pays, doivent s’adapter à la mentalité et au
milieu de vie que leur offre la tradition de l’Église comme du pays qui les
accueille. Un esprit d’humilité pour obéir à l’évêque et pour s’informer des
traditions, de la culture et surtout de la langue du pays est indispensable.
Certains mouvements internationaux, qui font un travail louable, doivent
davantage s’incarner dans nos sociétés, sans perdre leur charisme
spécifique.
Questions
12. Que veut dire vivre la communion dans l’Église?
13. Comment se manifeste la communion entre les diverses Églises d’Orient
avec le Saint-Père?
14. Comment peuvent s’améliorer les rapports entre les diverses Églises dans
les domaines de l’action religieuse, caritative et culturelle?
15. L’attitude des «gens d’Église» face à l’argent vous pose-t-elle un
problème ?
16. La participation de vos fidèles à des célébrations d’autres Églises
catholiques vous pose-t-elle un problème ?
17. Comment améliorer les rapports de communion entre les diverses personnes
dans l’Église: entre évêques et prêtres, personnes de la vie consacrée,
laïcs?
III. LE TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
46. La foi vécue porte des fruits abondants: une foi sans les œuvres est une
foi morte (cf. Jc 2, 17). Nos Églises sont actives: beaucoup de projets,
beaucoup de mouvements de jeunes, beaucoup d’institutions éducatives et
caritatives, etc. Parfois, ces activités sont professionnellement efficaces,
mais ne sont pas toujours un témoignage d’amour désintéressé qui invite à en
connaître la source évangélique.
A. Témoigner de l'évangile dans l'église même:
catéchèse et œuvres
47. L’évangélisation ordinaire se fait dans les homélies à l’occasion
de la célébration eucharistique, ou de l’administration des sacrements. Elle
se fait dans la catéchèse donnée dans les écoles, dans les paroisses ou dans
les “écoles du dimanche” pour les élèves qui étudient dans les écoles de
l’État et n’y ont pas de cours d’éducation religieuse chrétienne. Il faut
veiller à ce que les catéchistes soient bien formés et soient des modèles
vivants pour les jeunes (les curés eux-mêmes font de moins en moins la
catéchèse). Elle se fait aussi un peu par les revues, les livres et
l’internet. Des centres de formation biblique et théologique existent
également partout, sans parler des universités et des centres internationaux
présents à Jérusalem ou ailleurs.
48. Dans nos pays, plus encore qu’ailleurs dans le monde, l’Écriture Sainte
doit occuper la place principale, et il est important d’en connaître par
cœur beaucoup de passages. Il est aussi essentiel de bien connaître sa
propre tradition ecclésiale. Il est important de connaître ceux avec qui
nous vivons, musulmans ou juifs, loin de tout préjugé négatif, comme aussi
les objections faites au christianisme, afin d’être capables de mieux
présenter la foi chrétienne.
49. Il est essentiel que sur tous les sujets qui préoccupent la société
civile, le point de vue chrétien soit clairement, solidement et
intelligemment exposé. Former les jeunes et les fidèles au travail en
équipe, à la solidarité avec les plus pauvres et à l’amour sincère envers
tous, chrétiens et autres. Les former à œuvrer pour le bien commun de la
société entière.
50. Les nouveaux médias sont très efficaces pour témoigner de l’Évangile :
internet (notamment pour les jeunes), radio et télévision. Ils sont encore
trop peu utilisés chez nous. Signalons deux médias catholiques libanais :
«La Voix de la Charité» (Sawt al-Mahabba) et TéléLumière/Noursat, dont le
rayonnement arrive dans tout le Moyen-Orient et même dans le monde entier.
Elle mériterait d’être plus soutenue, de même que les autres centres
d’information catholiques dans nos divers pays.
51. Vivant dans des sociétés où les conflits de toutes sortes sont nombreux,
la catéchèse doit pouvoir préparer les jeunes à s’y engager, forts de leur
foi et de la lumière du commandement de l’amour. Que veut dire l’amour de
l’ennemi? Comment le vivre? Comment vaincre le mal par le bien? Il faut
insister sur l’engagement dans la vie publique comme chrétien, avec la
lumière, la force et la douceur de sa foi. Vu les divisions nombreuses
fondées sur la religion, les clans familiaux ou politiques, les jeunes
doivent être formés à dépasser ces barrières et ces hostilités internes, à
voir le visage de Dieu dans chaque personne humaine, pour collaborer
ensemble et construire une cité commune accueillante. Notre catéchèse doit
souligner cela, surtout dans nos écoles catholiques, qui préparent les
jeunes à construire un avenir fait non pas de conflits et d’instabilité,
mais de collaboration et de paix.
52. D’autre part, l’action de l’Église se manifeste par le grand nombre
d’œuvres sociales: cliniques, hôpitaux, maisons pour orphelins, pour
personnes âgées, pour handicapés, etc. Là encore, les laïcs y jouent un rôle
essentiel et non subalterne. Le danger qui existe ici ou là est que ces
œuvres sociales se transforment parfois en rivalité confessionnelle. Il faut
absolument une coordination entre les Églises pour éviter des répétitions
non nécessaires dans certains secteurs et laisser des vides dans d’autres.
B. Témoigner ensemble avec les autres églises et
communautés
53. Les liens de communion, réelle bien qu’imparfaite, entre l’Église
catholique et les autres Églises et Communautés chrétiennes se fondent sur
la foi au Christ crucifié et glorifié et sur le sacrement du baptême[8]. Les
rapports sont généralement bons et amicaux. Ils sont de deux types :
• Au plan individuel ou entre Églises, ou entre évêques, curés ou fidèles
laïcs, en signe d’amitié ou de collaboration ;
• Au plan communautaire, lorsque les évêques d’une même ville se rencontrent
régulièrement, pour traiter de questions pastorales, sociales ou politiques.
54. Au niveau des paroisses, entre curés, les rapports sont généralement
amicaux ; parfois ils comportent des rivalités ou des critiques. Au niveau
des Églises, deux difficultés sont à relever.
L’une d’ordre pastoral : quelques Églises et Communautés ecclésiales non
catholiques exigent, en cas de mariage mixte, le rebaptême du conjoint
catholique. Une autre difficulté d’ordre pastoral provient de sectes «
évangéliques» qui font du prosélytisme et augmentent la division entre les
chrétiens.
L’autre difficulté, d’ordre historique, se trouve en Terre Sainte où le
statut des Lieux Saints est soumis au régime du statu quo. Les rapports sont
parfois difficiles [9] dans les deux grands sanctuaires de la chrétienté, à
savoir au Saint-Sépulcre et à la Basilique de la Nativité.
55. Le dialogue œcuménique se fait dans le cadre du Conseil des Églises du
Moyen-Orient, (commission “foi et unité”), qui regroupe toutes les Églises
en quatre familles: la famille grecque orthodoxe, la famille orthodoxe
orientale (les Églises copte, syriaque et arménienne), la famille catholique
avec les six Églises patriarcales et l’Église latine et la famille
protestante (anglicans, luthériens, presbytériens et autres dénominations).
Ce Conseil représente pratiquement tous les chrétiens du monde arabe. Le
Conseil, avec ses multiples commissions (foi, instituts théologiques et
séminaires, justice et paix, jeunesse, etc.) fait un travail œcuménique qui
apporte aux Églises un souffle nouveau et une capacité de fréquenter et de
respecter les autres.
56. En outre, le Saint-Siège poursuit le dialogue théologique fécond et
fructueux avec les Églises Orthodoxes dans leur ensemble et un dialogue
séparé avec toute la famille des Églises Orthodoxes Orientales, auquel
prennent activement part aussi les Églises Orientales Catholiques. La
Fondation pro Oriente de Vienne réunit de temps en temps les Églises
catholiques et orthodoxes de la région pour des rencontres de réflexion
théologique et œcuménique.
57. Les écoles catholiques accueillent tous les chrétiens. Si les parents
sont d’accord, les élèves orthodoxes peuvent s’approcher des sacrements de
pénitence et d’Eucharistie. Tout prosélytisme doit être banni. Les élèves
orthodoxes sont invités à connaître leur Église et à y rester fidèles. De
nombreux projets sociaux communs existent, initiés et gérés par les fidèles
eux-mêmes.
58. Il existe des projets pastoraux communs, étudiés dans le Conseil des
Patriarches Catholiques réunis avec les Patriarches Orthodoxes du Liban et
de Syrie. Ils concernent quatre points : les mariages mixtes entre
différentes confessions chrétiennes, la première communion, un catéchisme
commun et une date commune pour Noël et Pâques. Des accords ont été atteints
concernant les trois premiers sujets. Le catéchisme commun est arrivé au 6e
livre pour la 6e élémentaire. La question de l’unification de la date de
Noël et Pâques, traitée par le Conseil des Églises du Moyen-Orient,
rencontre des difficultés insurmontables (de discipline, de tradition,
etc.). C’est cependant le grand désir des fidèles, dans tous les pays du
Moyen-Orient, de pouvoir un jour célébrer ces deux fêtes ensemble.
59. Au plan académique, la collaboration existe entre les universités, les
facultés ou les instituts de théologie. L’étude du patrimoine religieux,
syriaque et arabe, suscite un intérêt réel auprès des institutions
académiques comme des hiérarchies. Ce secteur est très prometteur et
pourrait être une source d’enrichissement spirituel : le retour à la
Tradition commune peut être un excellent moyen de rapprochement théologique.
De plus, le patrimoine chrétien de langue arabe, académiquement mis en
valeur, favorise un véritable dialogue culturel et religieux entre chrétiens
et avec les musulmans.
60. Un domaine mériterait une collaboration régulière entre catholiques et
orthodoxes : la liturgie. Il serait souhaitable qu’il y ait un effort de
renouvellement, enraciné dans la tradition et tenant compte de la
sensibilité moderne et des besoins spirituels et pastoraux actuels. Ce
travail devrait se faire autant que possible conjointement.
C. Rapports particuliers avec le judaïsme
61. Vu la situation politique conflictuelle entre Palestiniens et
monde arabe d’un côté et l’État d’Israël de l’autre, le dialogue est peu
développé dans les Églises de la région. Les rapports avec le judaïsme sont
le propre des Églises de Jérusalem [10]. En Palestine et Israël, de
multiples associations de dialogue judéo-chrétien existent. De même, il
existe des initiatives de dialogues entre juifs, chrétiens et musulmans. La
plus importante est celle du "Conseil interreligieux des Institutions
religieuses", dont les origines remontent à l’an 2001 (qui comprend le Grand
Rabbinat, le Grand Qādi et le ministre des Waqf, et les treize Patriarches
ou Chefs d’Église de Jérusalem). Le dialogue le plus important se fait au
niveau du Saint-Siège (qui inclut aussi des participants des Églises
locales) avec le Grand Rabbinat d’Israël.
62. Le Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient a mentionné expressément
les rapports avec l’hébraïsme dès sa 2e Lettre Pastorale (1992). Dans sa 10e
et dernière Lettre (2009), il dit : « Ces relations sont une question qui
concerne les chrétiens arabes, comme tout le monde arabe. C’est pourquoi,
elles sont à considérer à trois niveaux: humain, religieux et politique.
Sur le plan humain, toute personne humaine est créature de Dieu. À ce niveau
de rencontre, chacun de nous voit la face de Dieu dans l’autre, en reconnaît
la dignité et la respecte quelle que soit sa religion ou sa nationalité.
Sur le plan religieux, les religions sont invitées à la rencontre et au
dialogue et à être des agents de rapprochement entre les gens, surtout en
temps de crises et de guerres [...] Le rôle du chef religieux, en toute
religion, est difficile, surtout lorsque l’hostilité continue entre deux
parties [...] Nos sociétés ont besoin de chefs religieux sincères,
serviteurs de leur peuple et de l’humanité, qui voient que l’essentiel de la
religion, en toute circonstance, consiste à adorer Dieu et à respecter toute
créature de Dieu.
63. Sur le plan politique, cette relation est encore marquée par une
situation d’hostilité entre les Palestiniens et le monde arabe d’un côté, et
l’État d’Israël de l’autre [aggravée par des conceptions religieuses].
L’hostilité a pour cause l’occupation par Israël des Territoires
palestiniens et de quelques territoires libanais et syriens » [11]. À ce
niveau, il revient aux chefs politiques concernés, avec l’aide de la
communauté internationale de prendre les décisions nécessaires en harmonie
avec les résolutions des Nations-Unies.
64. Comme l’a si bien affirmé le Saint-Père le Pape Benoît XVI lors de sa
Visite Apostolique en Terre Sainte, dans ses deux Cérémonies de Bienvenue. À
Bethléem, le 13 mai 2009 : « Monsieur le Président, le Saint-Siège soutient
le droit de votre peuple à une patrie palestinienne souveraine sur la terre
de ses ancêtres, sûre et en paix avec ses voisins, à l’intérieur de
frontières reconnues au niveau international»[12]. Et dans son discours à
l’aéroport Ben-Gourion, de Tel Aviv, le 11 mai 2009, il a souhaité que les «
deux peuples puissent vivre en paix chacun dans sa patrie, avec des
frontières sûres et internationalement reconnues »[13].
65. Il nous appartient, comme chrétiens, de prôner tout moyen pacifique qui
peut conduire à une paix dans la justice. Il est aussi de notre mission de
toujours rappeler la distinction entre le plan religieux et le plan
politique. Et comme le rappelait le Pape Jean-Paul II, « il n’y a pas de
paix sans justice, et il n’y a pas de justice sans pardon »[14]. Il nous
faut apprendre à pardonner, sans jamais accepter l’injustice.
66. Travailler à créer des groupes d’amitié et de réflexion en vue de la
paix entre juifs, musulmans et chrétiens, est une tâche essentielle et
éminemment chrétienne. Comme le Christ a détruit le mur qui séparait Juifs
et Grecs, en prenant sur lui le mal, dans sa propre chair (cf. Ep 2, 13-14),
ainsi il nous faudra faire tomber le mur de peur, de méfiance et de haine,
par notre amitié avec juifs et musulmans, israéliens et palestiniens.
67. Au plan théologique, selon l’enseignement de Nostra aetate, n° 4, il
convient d’expliquer à nos fidèles le lien religieux entre Judaïsme et
christianisme fondé sur le lien entre Ancien et Nouveau Testament, pour
éviter que les idéologies politiques ne viennent entacher ce rapport. Il est
essentiel de bien distinguer les plans politique et théologique : de ne pas
utiliser la Bible à des fins politiques, ni la politique à des fins
théologiques.
D. Rapports avec les musulmans
68. Le rapport entre chrétiens et musulmans est à comprendre à partir
de deux principes: d’une part, comme citoyens d’un même pays et d’une même
patrie qui partageons la même langue et la même culture, comme aussi les
heurs et malheurs de nos pays. D’autre part, nous sommes chrétiens dans et
pour nos sociétés, témoins du Christ et de l’Évangile. Les relations sont
parfois, voire souvent, difficiles, surtout du fait que les musulmans mêlent
souvent religion et politique, ce qui met les chrétiens en situation
délicate de non-citoyens.
69. Au Concile Vatican II, le 28 octobre 1965, l’Église a proclamé à la face
du monde sa position par rapport à l’Islam : « L’Église regarde aussi avec
estime les musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant,
miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a
parlé aux hommes »[15].
70. À nous donc de travailler, avec un esprit d’amour et de loyauté, à
établir une égalité entière entre les citoyens à tous les niveaux :
politique, économique, social, culturel et religieux, et ce conformément à
la plupart des Constitutions de nos pays. Avec cette loyauté à la patrie, et
dans cet esprit chrétien, nous faisons face à la réalité vécue, qui pourrait
être chargée de difficultés quotidiennes, voire de déclarations et de
menaces de la part de certains mouvements. Nous constatons la montée du
fondamentalisme dans beaucoup de pays, mais aussi la disponibilité d’un
grand nombre de musulmans à lutter contre cet extrémisme religieux
croissant.
71. Du fait de cette situation générale, les relations entre chrétiens et
musulmans ne sont pas toujours aisées. Il est certain que tout ce qui peut
contribuer à assainir et apaiser la situation est à faire, quelles que
soient les difficultés. L’initiative vient le plus souvent des chrétiens :
elle doit être persévérante. Ces relations (qui peuvent évoluer vers un
dialogue) vont du bon voisinage à la collaboration la plus franche, au
niveau des individus et des groupes des deux religions. Les centres de
dialogue entre musulmans et chrétiens, là où ils existent, sont très utiles,
surtout en périodes de crise. Le Conseil Pontifical pour le Dialogue
Interreligieux a un rôle important en raison de son rang d’organisme
officiel du Saint-Siège.
72. Nos écoles et nos institutions jouent un rôle important en profondeur
dans ces relations. Elles sont ouvertes à tous, musulmans et chrétiens, et
sont une occasion pour mieux se connaître mutuellement, écarter certains
préjugés et avoir des idées plus exactes sur ce qu’est un chrétien et ce
qu’est le christianisme. L’éducation aux droits de l’homme comme à la
liberté de conscience fait partie de la formation religieuse et humaine
générale : elle est vitale pour nos sociétés et doit être développée.
73. Se connaître mutuellement est la base de tout dialogue. C’est pourquoi,
une présentation simple de l’Évangile et du Christ, en langue locale, basée
essentiellement sur le Nouveau Testament et accessible à la mentalité des
hommes de nos sociétés, doit être faite de manière urgente, ensemble avec
les autres chrétiens de la région ; elle profiterait tant aux chrétiens
qu’aux musulmans, dans notre dialogue comme dans notre vie quotidienne.
74. Il existe aujourd’hui plusieurs chaînes de TV chrétiennes ou musulmanes,
en langue arabe ou en d’autres langues, qui permettent à qui le veut de
connaître l’autre. Une collaboration avec toutes les Églises serait
souhaitable. Il est essentiel de rester objectif dans l’information donnée,
et respectueux de l’autre dans le dialogue, afin que la grâce de l’Évangile
puisse être vraiment partagée.
E. Contribution des chrétiens à la société
1. Deux défis posés à nos pays
75. Les défis posés aujourd’hui à nos pays sont posés à tous : chrétiens,
juifs et musulmans à la fois. Face aux conflits et aux ingérences
militaires, les défis de la paix et de la violence occupent une grande
place. Parler de paix et œuvrer pour la paix, alors que la guerre et la
violence nous sont pratiquement imposées, est une gageure. La solution des
conflits est dans la main du pays fort qui occupe un pays ou lui impose la
guerre. La violence est dans la main aussi bien du fort que du faible, qui
peut recourir lui aussi à la violence à portée de sa main pour se libérer.
Plusieurs de nos pays (Palestine, Iraq) vivent la guerre et toute la région
en souffre directement, et ce depuis des générations. Cette situation est
exploitée par le terrorisme mondial le plus radical.
76. Trop souvent, nos pays identifient l’Occident avec le christianisme.
S’il est vrai que l’Occident (Europe et Amérique) est de tradition
chrétienne et que ses racines sont chrétiennes, il est certain que ces pays
ont aujourd’hui un régime et des gouvernements laïques et sont loin de
s’inspirer dans leurs politiques de la foi chrétienne. Cette confusion, qui
tient au fait que le monde musulman ne distingue pas facilement entre le
politique et le religieux, nuit grandement aux Églises de la région. En
effet, les options politiques des États occidentaux sont mises sur le compte
de la foi chrétienne. Il est important d’expliquer le sens de la laïcité, et
de rappeler à nos pays qu’il n’existe pas une « Ligue des États chrétiens »
semblable à l’ «Organisation de la Conférence islamique (OCI)».
77. La contribution du chrétien en ces circonstances consiste à présenter et
à vivre selon les valeurs évangéliques. Mais aussi à dire la parole de
vérité en face des forts qui oppriment ou suivent des politiques qui vont à
l’encontre des intérêts du pays, et face à ceux qui répondent à l’oppression
par la violence. La pédagogie de la paix est la plus réaliste, même si elle
est rejetée par la plupart ; elle a même plus de chances d’être accueillie,
vu que la violence des forts comme des faibles n’a conduit qu’à des échecs
et à une impasse générale dans la région du Moyen-Orient. Notre
contribution, qui exige beaucoup de courage, est indispensable.
78. La Modernité se présente comme une réalité ambiguë. D’un côté, elle a un
visage attrayant, promettant confort et bien-être dans la vie matérielle, et
même une libération des traditions culturelles ou spirituelles opprimantes.
Par ailleurs, la modernité c’est aussi la lutte pour la justice et l’équité,
la défense des droits des plus faibles, l’égalité entre tous les humains,
hommes et femmes, croyants et incroyants, etc. Bref, c’est aussi tout
l’apport des droits de l’Homme, immense progrès pour l’humanité. D’un autre
côté, pour le musulman croyant, elle se présente avec un visage athée et
immoral. Il la vit comme une invasion culturelle qui le menace, ruinant son
système de valeurs. Il ne sait comment y faire face : certains luttent
contre elle de toutes leurs forces. La Modernité attire et repousse en même
temps. Notre rôle, dans nos écoles comme par les médias, est de former des
personnes capables de discerner le positif du négatif, pour ne retenir que
le meilleur.
79. La Modernité est aussi un risque pour les chrétiens. Nos sociétés sont
également menacées par l’absence de Dieu, par l’athéisme et le matérialisme,
et plus encore par le relativisme et l’indifférentisme. Il nous faut
rappeler la place de Dieu dans la vie civile comme personnelle, devenir de
plus en plus des hommes de prière, des témoins de l’Esprit, qui édifie et
qui unit. De tels risques, tout comme l’extrémisme, peuvent facilement
détruire nos familles, nos sociétés, nos Églises. De ce point de vue, c’est
un parcours commun qu’il nous faut faire, musulmans et chrétiens.
2. Les chrétiens au service de la société dans leurs
pays
80. Nous appartenons au Moyen-Orient et nous en sommes solidaires. Nous en
sommes une composante essentielle. Comme citoyens, nous partageons toutes
les responsabilités pour construire et redresser. De plus, comme chrétiens,
cela est pour nous un engagement. D’où l’obligation à un double titre de
partager la lutte contre les maux de nos sociétés, qu’ils soient d’ordre
politique, juridique, économique, social ou moral; et de contribuer à
édifier une société plus juste, plus solidaire et plus humaine.
81. Ce faisant, nous suivons les traces des générations de chrétiens qui
nous ont précédés : leur apport à la société à été immense : au niveau de
l’éducation, de la culture et des œuvres sociales, et cela depuis de
nombreuses générations. Ils ont joué un rôle essentiel dans la vie
culturelle, économique et politique de leurs pays. Ils ont été les pionniers
de la Renaissance de la nation arabe.
82. Aujourd’hui leur présence dans la politique, mis à part le Liban, est
plus limitée, surtout du fait de leur nombre réduit. Leur rôle est cependant
reconnu dans la société. Grâce aux nombreuses institutions tenues par les
Églises et les congrégations religieuses, l’Église est présente dans la
société et sa présence est généralement appréciée. Il serait souhaitable que
les laïcs chrétiens s’engagent davantage dans la société.
3. Rapports État-Église
83. Dans l’Islam, il n’y a pas de laïcité à l’exception de la Turquie :
l’Islam est en général religion d’État. La principale source de la
législation est l’Islam, inspirée de la charia. Pour le statut personnel
(famille et héritage dans quelques pays), il existe des statuts particuliers
aux communautés chrétiennes dont les tribunaux ecclésiastiques sont reconnus
et leurs décisions appliquées. Toutes les Constitutions affirment l’égalité
des citoyens devant l’État. L’éducation religieuse est obligatoire dans les
écoles privées et publiques, mais elle n’est pas toujours garantie aux
chrétiens.
84. Certains pays sont des États islamiques, où la charia est appliquée non
seulement dans la vie privée, mais aussi dans la vie sociale, y compris pour
les non-musulmans. Cela est toujours discriminatoire et, par là, contraire
aux droits de l’Homme.
Quant à la liberté religieuse et à la liberté de conscience, elles sont
inconnues dans la mentalité musulmane, laquelle reconnaît la liberté de
culte, mais non pas celle de proclamer une autre religion que l’Islam et
moins encore d’abandonner l’Islam. Avec la montée de l’intégrisme islamique,
les incidents contre les chrétiens augmentent un peu partout.
F. Conclusion: Contribution spécifique et irremplaçable du chrétien
85. Le chrétien a une contribution spécifique et irremplaçable dans la
société où il vit, pour l’enrichir des valeurs de l’Évangile. Il est le
témoin du Christ et des valeurs nouvelles qu’Il a apportées à l’humanité.
C’est pourquoi, notre catéchèse doit former, à la fois, des croyants et des
citoyens œuvrant dans les différents secteurs de la société. Un engagement
politique vidé des valeurs de l’Évangile est un contre-témoignage et fait
plus de mal que de bien. Sur plus d’un point, ces valeurs, tout
particulièrement les droits de l’Homme, rejoignent celles du musulman ; et
il y a donc intérêt à les promouvoir ensemble.
86. Plusieurs conflits existent au Moyen-Orient nés à partir du principal
foyer qu’est le conflit israélo-palestinien. Le chrétien a une contribution
spéciale à apporter dans le domaine de la justice et de la paix. C’est notre
devoir de dénoncer avec courage la violence d’où qu’elle vienne, et d’en
suggérer une solution, qui ne peut être que par le dialogue. De plus, tout
en exigeant la justice pour l’opprimé, il faut introduire le message de la
réconciliation basée sur le pardon mutuel. La force de l’Esprit Saint nous
rend capables de pardonner et de demander pardon. Seule cette attitude peut
créer une humanité nouvelle. Les pouvoirs politiques ont besoin de cette
ouverture spirituelle qu’un apport chrétien humble et désintéressé peut leur
apporter. Permettre à l’Esprit de pénétrer dans les cœurs des hommes et des
femmes qui souffrent dans notre région de situations conflictuelles, voilà
une contribution spécifique du chrétien et le meilleur service qu’il peut
rendre à sa société.
Questions
18. La catéchèse prépare-t-elle nos jeunes à comprendre et à vivre la
foi ?
19. Les homélies répondent-elles à l’attente des fidèles ? Les aident-elles
à comprendre et vivre la foi ?
20. Les programmes de Radio et TV chrétiennes sont-elles satisfaisantes ?
Souhaiteriez-vous autre chose dans votre pays ? Quels programmes vous
semblent manquer ?
21. Comment promouvoir concrètement les rapports œcuméniques ?
22. La redécouverte du patrimoine commun (syriaque, arabe et autre),
a-t-elle quelque importance ?
23. Pensez-vous que la Liturgie aurait besoin d’être quelque peu repensée ?
24. Comment témoigner de la foi chrétienne dans nos pays du Moyen-Orient?
25. Comment améliorer les rapports avec les autres chrétiens?
26. Comment penser les rapports avec le judaïsme comme religion, et comment
promouvoir la paix et la fin du conflit politique?
27. Dans quels domaines peut se faire la collaboration avec les musulmans?
CONCLUSION GÉNÉRALE:
QUEL AVENIR POUR LES CHRÉTIENS DU MOYEN-ORIENT ?
« NE CRAINS PAS, PETIT TROUPEAU ! »
A. Quel avenir pour les chrétiens du Moyen-Orient?
87. Notre situation actuelle, de présence assez réduite, est
conséquence de l’histoire. Mais nous pouvons aussi, par notre comportement,
améliorer notre présent et aussi le futur. D’une part, les politiques
mondiales sont un facteur qui influera sur notre décision de rester dans nos
pays ou d’en émigrer. D’autre part, l’acceptation de notre vocation de
chrétiens dans et pour nos sociétés sera un facteur principal de notre
présence et de notre témoignage dans nos pays. C’est en même temps une
question de politique et une question de foi.
88. Pour le moment, cette foi est vacillante et perplexe. Nos attitudes vont
de la peur au découragement, y compris chez certains pasteurs eux-mêmes.
Cette foi doit devenir plus adulte et plus confiante. Notre avenir doit être
pris en mains par nous-mêmes. Il dépend de la manière dont nous saurons
traiter et faire des alliances avec les hommes de bonne volonté de notre
société. Nous avons besoin d’une foi engagée dans la vie de la société, qui
rappelle aux chrétiens du Moyen-Orient cette parole toujours actuelle : « Ne
crains pas petit troupeau » (Lc 12, 32). Tu as une mission, tu la porteras
et tu aideras ton Église et ton pays à croître et à se développer dans la
paix, la justice et l’égalité de tous ses citoyens.
B. L'espérance
89. L’espérance, née dans la Terre Sainte, a animé les peuples et les
personnes en détresse à travers le monde pendant 2000 ans. Au milieu des
difficultés et des défis, elle reste une source intarissable de foi, de
charité, et de joie pour former les témoins du Seigneur ressuscité, toujours
présent au milieu de la communauté de ses disciples. Dans tous nos pays,
cette espérance nous soutient, avec la parole de Jésus: “Ne crains pas,
petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume” (Lc
12, 32).
90. Mais l’espérance signifie d’un côté, mettre sa confiance en Dieu et en
la Providence divine qui veille sur le cours de l’histoire de tous les
peuples ; d’un autre côté, elle signifie agir avec Dieu, être « coopérateur
de Dieu » (1 Co 3, 9), faire son possible pour contribuer à cette évolution
en marche. Notre catéchèse a besoin d’une plus grande ouverture, à la mesure
de l’amour de Dieu pour tous et une catéchèse qui fasse de nos fidèles de
véritables collaborateurs, avec la grâce de Dieu, dans tous les aspects de
la vie publique dans nos sociétés.
91. Notre abandon à la Providence de Dieu signifie aussi de notre part plus
de communion. Cela veut dire plus de détachement des points de vue
terrestre, plus de libération des épines qui étouffent la parole de Dieu
[16] et de Sa grâce en nous. Comme le recommande saint Paul : « Que l’amour
fraternel vous lie d’une affection mutuelle; rivalisez d’estime réciproque.
D’un zèle sans nonchalance, d’un esprit fervent, servez le Seigneur. Soyez
joyeux dans l’espérance, patients dans la détresse, persévérants dans la
prière » (Rm 12, 10-12). Et le Christ nous dit: “Si vous avez de la foi gros
comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: Déplace-toi d'ici, et
elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible” (Mt 17, 20; cf. Mt 21,
21).
92. C’est de tels croyants dont nous avons besoin, au niveau de nos chefs et
pères, comme au niveau de nos fidèles. Puisse la Vierge Marie, présente avec
les apôtres, à la Pentecôte, nous aider à être des hommes et des femmes
prêts à recevoir l’Esprit et à agir avec Sa force.
Questions
28. Pourquoi avons-nous peur de l’avenir?
29. Comment nous incarnons notre foi dans le travail?
30. Comment nous incarnons notre foi dans la politique, dans la société ?
31. Croyons-nous avoir une vocation spécifique au Moyen-Orient ?
32. Autres suggestions éventuelles.
[1] Cf. BENOIT XVI, Discours à l’occasion de la visite à
Congrégation pour les Églises Orientales: L’Osservatore Romano (10.06.2007),
p. 6.
[2] Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient, 10e Lettre Pastorale sur
le chrétien arabe face aux défis contemporains « ‘L’amour de Dieu a été
répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous’ (Rm 5, 5)», Édition du
Secrétariat Général, Bkerké 2009, § 13 f.
[3] Ibid., § 7.
[4] Cf. Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient, 4e Lettre Pastorale
sur le mystère de l’Église «Je suis la vigne, vous, les sarments (Jn 15,5) »
Édition du Secrétariat Général, Bkerké 1996, § 5-16.
[5] Cf. Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient, 10e Lettre Pastorale
sur le chrétien arabe face aux défis contemporains « ‘L’amour de Dieu a été
répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous’ (Rm 5,5)», Édition du
Secrétariat Général, Bkerké 2009, § 11.
[6] Saint Paul parle deux fois de « l’Église de Dieu établie à Corinthe »
(cf. 1 Co 1, 1 et 2 Co 1, 2).
[7] Cf. Mc 10, 35-37. En Mt 20, 20-21 c’est leur mère qui adresse la demande
à Jésus.
[8] Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Unitatis redintegratio, 3; 22.
[9] Dans les deux Lieux Saints, un statu quo règle les rapports entre les
trois confessions qui possèdent les lieux : Latins (représentés par la
Custodie de Terre Sainte, soit les Pères Franciscains), Arméniens et Grecs.
Il arrive parfois des différends ou des scandales, immédiatement montés en
épingle par les médias, au grand dommage de l’Église.
[10] 5 Églises orthodoxes, 6 catholiques et 2 protestantes.
[11] Conseil des Patriarches Catholiques d’Orient, 10e Lettre Pastorale sur
le chrétien arabe face aux défis contemporains « ‘L’amour de Dieu a été
répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous’ (Rm 5,5)», Édition du
Secrétariat Général, Bkerké 2009, § 27.
[12] Benoît XVI, Visite Apostolique en Terre Sainte, Cérémonie de bienvenue
à Bethléem (13.05.09) : L’Osservatore Romano, EHLF 3083 (29.05.09) 13.
[13] Benoît XVI, Visite Apostolique en Terre Sainte, Discours à l’aéroport
Ben-Gourion de Tel Aviv (11.05.09) : L’Osservatore Romano, EHLF 3083
(29.05.09) 4.
[14] Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix (08.12.2001)
: AAS 94 (2002) 132-140.
[15] Concile Œcuménique Vatican II, Nostra aetate, 3.
[16] Cf. la parabole des terrains, par exemple dans Mt 13, 7 et parallèles.
* * *
Ce texte peut être reproduit par les Conférences épiscopales, ou avec leur
autorisation, à condition que son contenu ne soit pas modifié et que deux
exemplaires de la publication soient envoyés à la Secrétairerie Générale du
Synode des Évêques, 00120 Cité du Vatican.
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Arabe,Français,
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Sources : www.vatican.va
-
E.S.M.
© Copyright 2009
Secrétairerie Générale du Synode des Évêques et Libreria Editrice Vaticana.
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 19.01.2010 -
T/Benoît XVI
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