"Cultiver la création": la révolution
verte de Benoît XVI |
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Rome, le 18 décembre 2009 -
(E.S.M.)
- L'écologie de l'homme vient avant l'écologie de la nature, dit
le pape. Les experts du Vatican critiquent la conférence de Copenhague
sur le climat: c'est un "faux départ". Pire, elle ne reconnaît pas de
valeur à la vie humaine
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Le pape Benoît XVI
"Cultiver la création": la révolution verte de Benoît XVI
Le 18 décembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
"Foreign Policy", la prestigieuse revue
américaine de géopolitique, a classé Benoît XVI à la 17e place des "100 plus
grands penseurs mondiaux" de l'année : ceux qui, par leurs "grandes idées,
ont modelé notre monde en 2009".
"Foreign Policy" reconnaît que le pape, entre autres mérites, "a mis
l’Eglise, de façon imprévue, au premier rang de la défense de
l'environnement et de la dénonciation des dangers du changement climatique".
Mais quelle "révolution verte" propose Benoît XVI ?
La réponse est donnée dans le
Message qui accompagnera la prochaine Journée
Mondiale de la Paix, que l’Eglise de Rome célèbre chaque année le 1er
janvier.
Ce message pour le 1er janvier 2010 a été signé par le pape le 8 décembre.
Il a été rendu public il y a trois jours, tandis qu’à Copenhague les
représentants de tous les pays étaient réunis pour une litigieuse et
infructueuse conférence mondiale sur le climat.
On peut en lire, ci-dessous, trois passages importants, tirés des
paragraphes 6, 12 et 13 du document.
Au centre du message il y a une image biblique : celle du jardin de la
création, confié par Dieu à l’homme et à la femme pour qu’ils le gardent et
le cultivent.
La nature n’a donc aucune primauté sur l'homme et celui-ci n’est pas un
élément de la nature. En revanche l’homme ne peut pas s’arroger le droit de
piller la nature au lieu d’en prendre soin.
Le juste rapport entre l'être humain et la terre a été admirablement
représenté dans le chef d’œuvre peint en 1472 par Piero della Francesca dont
on peut voir un détail ci-dessus. Le paysage qui forme le décor est cultivé,
ordonné et lumineux, comme est noblement "éclairée" par des perles la femme
qui est au premier plan, l’épouse de Frédéric de Montefeltro, seigneur de
ces terres.
Un concept essentiel du message du pape est qu’il y a une identité de destin
entre l'écologie de la nature et celle de l'homme. Le soin de la création ne
doit faire qu’un avec le soin de l’"inviolabilité de la vie humaine à toutes
ses phases et dans tous ses états".
Tout se tient : soin de la nature, respect de la dignité de l’homme, paix
entre les peuples. Là où éclatent la haine et la violence, la nature gémit
aussi. Un paysage dévasté, une ville inhabitable, c’est ce que donne une
humanité qui a fait le désert dans son âme.
Voici donc les trois paragraphes clés du message pour la Journée de la Paix
2010 : "Si tu veux construire la paix, protège la création".
LE COMMANDEMENT DE CULTIVER ET GARDER LA TERRE
[6] À l’origine de ce que nous appelons la «nature» dans son sens
cosmique, il y a «un dessein d’amour et de vérité». Le monde «n’est pas
le fruit d’une nécessité quelconque, d’un destin aveugle ou du hasard. Le
monde tire son origine de la libre volonté de Dieu, qui a voulu faire
participer les créatures à son être, à sa sagesse et à sa bonté»
(Catéchisme de l'Eglise catholique, 295).
Dans ses premières pages, le livre de la Genèse nous reconduit au sage
projet du cosmos, fruit de la pensée de Dieu, au sommet duquel sont placés
l’homme et la femme, créés à l’image et à la ressemblance du Créateur pour
«remplir la terre» et pour «la soumettre» comme des «intendants» de Dieu
lui-même (cf. Gn 1, 28). L’harmonie entre le
Créateur, l’humanité et la création, que l’Écriture Sainte décrit, a été
rompue par le péché d’Adam et d’Ève, de l’homme et de la femme, qui ont
désiré prendre la place de Dieu, refusant de se reconnaître comme ses
créatures. En conséquence, la tâche de «soumettre» la terre, de la «cultiver
et de la garder» a été altérée, et entre eux et le reste de la création
est né un conflit (cf. Gn 3, 17-19). L’être
humain s’est laissé dominer par l’égoïsme, en perdant le sens du mandat
divin, et dans sa relation avec la création, il s’est comporté comme un
exploiteur, voulant exercer sur elle une domination absolue.
Toutefois, la véritable signification du commandement premier de Dieu, bien
mis en évidence dans le Livre de la Genèse, ne consistait pas en une simple
attribution d’autorité, mais plutôt en un appel à la responsabilité. Du
reste, la sagesse des anciens reconnaissait que la nature est à notre
disposition, non pas comme «un tas de choses répandues au hasard»
(Héraclite, 535-475 av. J.C.), alors que la Révélation biblique
nous a fait comprendre que la nature est un don du Créateur, qui en a
indiqué les lois intrinsèques, afin que l’homme puisse en tirer les
orientations nécessaires pour «la garder et la cultiver »
(cf. Gn 2, 15).
Tout ce qui existe appartient à Dieu, qui l’a confié aux hommes, mais non
pour qu’ils en disposent arbitrairement. Quand, au lieu d’accomplir son rôle
de collaborateur de Dieu, l’homme se substitue à Lui, il finit par provoquer
la rébellion de la nature «plus tyrannisée que gouvernée par lui»
(Centesimus
Annus, 48). L’homme a donc le devoir d’exercer un
gouvernement responsable de la création, en la protégeant et en la cultivant
(Caritas in veritate, 50).
ÉCOLOGIE DE LA NATURE, MAIS D’ABORD ÉCOLOGIE DE
L'HOMME
[12] L’Église a une responsabilité vis-à-vis de la création et elle pense
qu’elle doit l’exercer également dans le domaine public, pour défendre la
terre, l’eau et l’air, dons du Dieu Créateur à tous, et, avant tout, pour
protéger l’homme du danger de sa propre destruction.
La dégradation de la nature est, en effet, étroitement liée à la culture qui
façonne la communauté humaine, c’est pourquoi «quand l’“écologie humaine”
est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi
avantage» (Caritas
in Veritate, 51).
On ne peut exiger des jeunes qu’ils respectent l’environnement si on ne les
aide pas, en famille et dans la société, à se respecter eux-mêmes : le livre
de la nature est unique, aussi bien à propos de l’environnement que de
l’éthique personnelle, familiale et sociale (Caritas in
veritate, 15.51). Les devoirs vis-à-vis de l’environnement
découlent des devoirs vis-à-vis de la personne considérée en elle-même, et
en relation avec les autres.
J’encourage donc volontiers l’éducation à une responsabilité écologique,
qui, comme je l’ai indiqué dans l’encyclique "Caritas in veritate", préserve
une authentique «écologie humaine», et affirme ensuite avec une conviction
renouvelée l’inviolabilité de la vie humaine à toutes ses étapes et quelle
que soit sa condition, la dignité de la personne et la mission irremplaçable
de la famille, au sein de laquelle on est éduqué à l’amour envers le
prochain et au respect de la nature (Caritas in veritate,
28.51.61).
Il faut sauvegarder le patrimoine humain de la société. Ce patrimoine de
valeurs a son origine et est inscrit dans la loi morale naturelle, qui est à
la base du respect de la personne humaine et de la création
CE QUI DIFFÉRENCIE L'HOMME DES AUTRES ÊTRES VIVANTS
[13] Enfin, un fait hautement significatif à ne pas oublier est que beaucoup
trouvent la tranquillité et la paix, se sentent renouvelés et fortifiés
lorsqu’ils sont en contact étroit avec la beauté et l’harmonie de la nature.
Il existe donc une sorte de réciprocité : si nous prenons soin de la
création, nous constatons que Dieu, par l’intermédiaire de la création,
prend soin de nous.
Par ailleurs, une conception correcte de la relation de l’homme avec
l’environnement ne conduit pas à absolutiser la nature ni à la considérer
comme plus importante que la personne elle-même. Si le Magistère de l’Église
exprime sa perplexité face à une conception de l’environnement qui s’inspire
de l’éco-centrisme et du bio-centrisme, il le fait parce que cette
conception élimine la différence ontologique et axiologique qui existe entre
la personne humaine et les autres êtres vivants.
De cette manière, on en arrive à éliminer l’identité et la vocation
supérieure de l’homme, en favorisant une vision égalitariste de la «dignité»
de tous les êtres vivants. On se prête ainsi à un nouveau panthéisme aux
accents néo-païens qui font découler le salut de l’homme de la seule nature,
en son sens purement naturaliste.
L’Église invite au contraire à aborder la question de façon équilibrée, dans
le respect de la «grammaire» que le Créateur a inscrite dans son œuvre, en
confiant à l’homme le rôle de gardien et d’administrateur responsable de la
création, rôle dont il ne doit certes pas abuser, mais auquel il ne peut se
dérober. En effet, la position contraire, qui absolutise la technique et le
pouvoir humain, finit par être aussi une grave atteinte non seulement à la
nature, mais encore à la dignité humaine elle-même (Caritas in veritate,
70).
PREMIÈRE REMARQUE. DE MOSCOU AVEC AMOUR
Le message "Si tu veux construire la paix, protège la création" cite
plusieurs fois l'encyclique "Caritas in veritate", document le plus récent
du magistère de l’Eglise de Rome en matière de doctrine sociale.
Il est intéressant de mettre en parallèle le document à contenu analogue que
le patriarcat de Moscou a publié en 2000, sous le titre "Les bases de la
doctrine sociale de l’Eglise orthodoxe russe", dont www.chiesa a présenté
des développements dans un article récent.
L’harmonie entre ce document et le message de Benoît XVI pour la Journée
Mondiale de la Paix 2010 est très forte. Par exemple dans le passage suivant
:
"Les problèmes écologiques ont un caractère essentiellement anthropologique,
car ils sont générés par l'homme et non par la nature. La base
anthropogénique des problèmes écologiques démontre que nous tendons à
modifier le monde qui nous entoure pour le conformer à notre monde
intérieur. C’est bien pour cela que la transformation de la nature doit
partir d’une transformation de l'âme. Selon la pensée de Maxime le
Confesseur, l'homme ne pourra transformer la terre entière en paradis que
lorsqu’il aura mis le paradis en lui-même".
DEUXIÈME REMARQUE. LE "FAUX DÉPART" DE COPENHAGUE
Dans son paragraphe 4, le message "Si tu veux construire la paix, protège la
création" cite parmi les signes de danger "les changements climatiques, la
désertification, la dégradation et la perte de productivité de vastes
surfaces agricoles, la pollution des fleuves et des nappes phréatiques,
l’appauvrissement de la biodiversité, l’augmentation des phénomènes naturels
extrêmes, le déboisement des zones équatoriales et tropicales".
Mais le document ne rentre pas dans les détails. Il ne formule pas de
diagnostics scientifiques et ne propose pas de solutions.
Cela a été fait, en revanche, dans un commentaire publié en première page de
"L'Osservatore Romano" du 7-8 décembre 2009, signé par le professeur Franco
Prodi, membre de l'Institut des sciences de l'atmosphère et du climat du
Conseil national des recherches, frère de Romano Prodi, ancien chef du
gouvernement italien et président de la Commission européenne.
Le professeur Prodi montre qu’il ne partage pas du tout le mantra écologiste
selon lequel l’émission croissante de CO2 et autres gaz dans l'atmosphère
par l’homme est la cause du réchauffement de la planète et de l'élévation du
niveau des mers.
D’après Prodi, ce n’est pas une certitude, seulement une probabilité. Et en
tout cas elle concernerait une augmentation de la température moyenne de
l'air sur toute la planète "qui depuis le début du XIXe siècle est de 7
dixièmes de degré par siècle".
D’autres phénomènes influent bien plus sur le climat, selon Prodi, mais ils
sont encore largement à étudier. On peut citer le flux de chaleur à
l’intérieur de la terre, l'apport des volcans en CO2 et surtout le rôle des
aérosols, c’est-à-dire des particules en suspension dans l’air mises en
circulation par l’homme, qui aujourd’hui représentent déjà "20 % de celles
que produit la nature" et modifient les nuages et les pluies.
Mais Prodi avertit qu’il faudra au moins "30 à 40 ans" d’études avant
d’avoir des "modèles complets de climat qui donnent l’explication du système
et la prévision sûre de son évolution".
Et entre temps ? Entre temps, on a présenté à Copenhague un "faux départ",
entièrement fondé sur le "calcul des émissions dans le cadre d’une économie
strictement de marché". Selon le professeur Prodi, il vaudrait beaucoup
mieux que les Etats s’occupent plus simplement de la dégradation de la
nature qui est sous les yeux de tous : air pollué, rivières et eaux
souterraines maltraitées, espèces animales et végétales menacées.
Le texte complet de l'article de Franco Prodi, dans "L'Osservatore Romano"
du 7-8 décembre 2009 :
> La Conferenza dell'ONU sull'ambiente. Aggiustamento mercantile o accordo
mondiale-
TROISIÈME REMARQUE. LES ATTAQUES DU BANQUIER DU PAPE
Le 17 décembre, "L'Osservatore Romano" est revenu sur la Conférence de
Copenhague avec un second commentaire en première page, confié cette fois à
Ettore Gotti Tedeschi, économiste et banquier, qui est aussi, depuis
quelques mois, président de l'Institut pour les Œuvres de Religion (IOR), la
banque du Vatican.
Gotti Tedeschi est encore plus radicalement critique que le professeur Prodi
envers les orientations de la Conférence. Et de plus il s’appuie sur le
message de Benoît XVI "Si tu veux construire la paix, protège la création",
rendu public deux jours plus tôt.
Voici ce qu’il écrit :
"La pensée nihiliste, avec son refus de toute valeur et de toute vérité
objectives, cause de très graves dégâts si elle est appliquée à l’économie.
[...] Mais en matière d’environnement la pensée nihiliste produit des dégâts
peut-être encore plus graves. [...] Elle prétend résoudre les problèmes
climatiques – où règne une grande confusion – à travers la dénatalité et la
désindustrialisation, plutôt qu’à travers la promotion de valeurs qui
rendent sa dignité originelle à l'individu. La conférence de Copenhague sur
le climat confirme ce parcours, provoquant plus d’oppositions que de
solutions. [...]
"En réalité, ce qui manque, c’est une vision stratégique du problème,
justement à cause du nihilisme répandu qui arrive à théoriser l'absence de
valeur de la vie humaine par rapport à une présumée centralité de la nature
– l'éco-centrisme dénoncé par Benoît XVI – que l’homme ne fait que
détériorer. [...]
"En matière d'environnement, on cherche donc des accords vagues sur les
émissions nocives, en renonçant à des prémisses éthiques et à des
considérations scientifiques partagées. La pensée nihiliste risque ainsi de
transformer le processus de mondialisation – en réalité, il est positif pour
les pays pauvres – en un désordre dû à l'homme économique, qui est aussi la
cause des maux environnementaux et qui est donc un candidat à
l'auto-élimination. [...] Les environnementalistes ont raison de demander
plus d’attention envers la nature. Mais ils feraient mieux de lire aussi
'Caritas in veritate'. Ils comprendraient pourquoi – mais surtout pour qui –
il faut respecter l'environnement".
Le texte intégral de l'article d’Ettore Gotti Tedeschi dans "L'Osservatore
Romano" du 17 décembre 2009 :
> Incertezze del vertice di Copenaghen. Per chi salvare l'ambiente
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 18.12.2009 -
T/International |