Le pape Benoît XVI salue les
participants au Congrès Eucharistique International de Québec |
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Cité du Vatican, le 18 Juin 2008 -
(E.S.M.)
- Le pape Benoît XVI a salué à la fin de l'audience générale de
ce mercredi, les participants au Congrès Eucharistique International qui
se tient ces jours-ci dans la ville de Québec au Canada, sur le thème "
l'Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde".
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Le cardinal Barbarin -
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Le pape Benoît XVI salue les participants au Congrès Eucharistique
International de Québec
Le pape Benoît XVI a salué à la fin de l'audience générale de ce mercredi,
les participants au Congrès Eucharistique International qui se tient ces
jours-ci dans la ville de Québec au Canada, sur le thème "
l'Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde".
"Je me rends spirituellement présent à cette rencontre ecclésiale si
importante - a déclaré le pape - et souhaite qu'elle soit pour la communauté
chrétienne canadienne et pour l'Eglise universelle, un temps fort de prière,
de réflexion et de contemplation du mystère de la Sainte Eucharistie."
"Que cette rencontre soit aussi l'occasion propice - a poursuivi Benoît XVI
- pour affirmer la foi de l'Eglise dans la présence réelle du Christ dans le
très saint sacrement de l'autel".
"Prions aussi afin que ce congrès eucharistique international ravive chez
les croyants, non seulement du Canada mais aussi d'autres nations dans le
monde, la conscience de ces valeurs évangéliques et spirituelles qui ont
forgé leur identité tout le long de l'histoire" a conclu le pape Benoît XVI.
Du Père Nicolas Buttet, un autre témoignage
percutant ce matin au CEI 2008
C'est devant au moins 12,000 pèlerins congressistes réunis ce matin en cette
troisième journée du CEI 2008 que le Père Nicolas Buttet, fondateur de la
Fraternité Eucharistein, a livré
un vibrant et percutant témoignage de son expérience de rencontre avec le
Christ-Eucharistie. Sa communauté est essentiellement
basé sur le Saint Sacrifice de la messe et sur l'adoration du
Saint-Sacrement.
Il nous a relaté, avec parfois beaucoup d'humour, quelques expériences de
conversions extraordinaires avec des gens, des jeunes en particulier, qu'il
met en relation, en contact avec le Saint-Sacrement. Des jeunes qui ont vécu
l'enfer de la drogue, de la prostitution, de la dépression et du rejet.
Partout où il va, le Père Buttet est en mission en quelque sorte, et
particulièrement ici au Québec à l'occasion du CEI 2008.
Le cardinal Philippe Barbarin a également donné une catéchèse, hier mardi 17
juin, dans le cadre du Congrès Eucharistique International.
« Que l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle
offrande… » (Prière eucharistique III)
Introduction.
En commençant la célébration de l’Eucharistie, avant même de faire le signe
de la croix, le prêtre se penche pour vénérer l’autel. Ce geste, si simple
et parlant, nous plonge immédiatement dans l’abîme : personne ne peut être à
la hauteur de l’événement qui va être célébré. Car cet autel, sur lequel je
viens de déposer un baiser, est à la fois la table du jeudi saint, la croix
du vendredi saint, et le tombeau d’où le Seigneur Ressuscité est sorti
vainqueur et libre, au matin de Pâques. A chaque Messe, en effet, nous
sommes rendus contemporains de l’ensemble du Mystère pascal de Jésus. Tout
prêtre, j’imagine, quand il accomplit ce geste, se sent, comme moi, dépassé
par l’aventure dans laquelle il se lance avec la communauté rassemblée.
Eucharistie et mystère pascal.
Comment faire pour vivre, pour traduire dans toute l’action liturgique (la
prière, la prédication, les chants, l’animation, les divers gestes
symboliques) … à la fois, la joie du repas pascal, le drame du Golgotha et
le mystère du matin de la Résurrection ?
Nous sommes vraiment aux côtés de Jésus, comme ceux qui l’entouraient, le
soir du jeudi saint. C’est un merveilleux moment d’amitié et de douceur.
Après avoir lavé les pieds de ses disciples, le Seigneur leur explique : «
C’est un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez vous aussi
comme j’ai fait pour vous » (Jean 13, 15). Oui,
l’humilité est la reine de toutes les vertus, et ceux qui participent à la
Messe comprennent, en contemplant l’exemple donné par le Serviteur, que leur
vocation est de servir, quel que soit leur état de vie. Ils sentent aussi
que l’atmosphère de l’Église est celle d’une famille.
Mais l’Eucharistie nous rend aussi contemporains du vendredi saint. C’est
l’heure du sacrifice suprême, où le Seigneur a versé son sang sur la croix,
pour la rémission de nos péchés. Les Apôtres n’ont pas eu le courage de Le
suivre, malgré leurs promesses de fidélité. Et même si nous ne valons pas
plus qu’eux, en nous souvenant des larmes d’amertume qui sont venues sur le
visage de Pierre après son reniement, nous demandons la grâce de demeurer
fidèles au Christ, jusque dans les heures de ténèbres.
Enfin, la célébration de l’Eucharistie est surtout le mystère du matin de
Pâques. De tant de haine et d’injustice, l’amour de Dieu triomphe, et le
corps de Jésus, vivant et ressuscité, se tient devant nous. Il porte encore
les marques de ses plaies ; les portes du Royaume s’ouvrent, et l’Esprit
Saint nous est donné comme une force et une source de pardon. Même s’il est
retourné auprès de son Père, Jésus nous assure que sa présence ne nous fera
plus jamais défaut : « Voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à
la fin des temps » (Mat 28, 20).
Mémoire et présence.
Des Juifs, nous avons hérité la notion de mémorial. Ce mot, dans la Bible,
n’évoque pas seulement un souvenir du passé, comme ces monuments que nous
voyons dans nos cités, comme le « je me souviens » qui est la devise du
Québec, ou comme la « journée du souvenir », instituée par une nation pour
que les nouvelles générations ne perdent pas la mémoire des événements
marquants de son histoire. Pour les Juifs, le mémorial (zikkaron)
est un acte de foi dans la présence active, agissante de Dieu qui nous sauve
aujourd’hui comme par le passé. On lit dans le Talmud : « De génération en
génération, chacun de nous a le devoir de se considérer comme s’il était
lui-même sorti d’Egypte… Ce ne sont pas seulement nos Pères que le Saint,
béni soit-Il, a délivrés, mais nous aussi, il nous a délivrés »
(Mishnah Pesahim 10, 5).
Le « mémorial » de la Bible se fraie un chemin dans le Nouveau Testament et
trouve son sommet lorsque Jésus utilise ce mot dans l’institution de
l’Eucharistie : « Faites ceci en mémoire de moi » ( 1 Cor
11, 24). L’événement du Mystère pascal s’est passé à Jérusalem, à
un moment donné de l’histoire du peuple juif et de l’empire romain, mais il
transcende aussi l’histoire. Il traverse les continents et les siècles, et
il vient, comme un acte éternel, « toucher » chaque lieu où l’Eucharistie
est célébrée, en « mémorial » de la Pâque du Seigneur.
Ainsi, même si le Mystère pascal de Jésus s’est déroulé il y a deux mille
ans, les chrétiens croient qu’à chaque Messe, ils sont comme les Apôtres
réunis autour du Seigneur pour le repas de la Cène. Ils sont comme Marie, au
pied de la croix, avec quelques femmes fidèles et le disciple que Jésus
aimait ; ils sont comme les témoins des apparitions de Jésus ressuscité. Ils
croient, mais certains aussi sont envahis de doutes, et Jésus prend le temps
de fortifier leur foi en attestant auprès d’eux la vérité de sa
Résurrection, de la même façon qu’il l’a fait avec ses disciples, en
montrant ses plaies ou en leur demandant à manger….
C’est avec raison que l’on apprend aux enfants à dire dans leur cœur, au
moment de l’élévation, les paroles mêmes de saint Thomas prononçant enfin
son acte de foi devant le Seigneur, huit jours après Pâques : « Mon Seigneur
et mon Dieu » (Jean 20, 28). Il paraît que dans
certains pays, on dit ces mots à haute voix. Peut-être qu’en faisant
attention à la division du chapitre 20 de l’Evangile selon saint Jean, en
deux parties, féminine et masculine, on pourrait apprendre aux filles à dire
dans leur cœur le « Rabbouni » (v. 16) de Marie
de Magdala, et aux garçons, les mots de saint Thomas.
Qui célèbre ces mystères ?
Rappelons-nous l’enseignement du Seigneur, dans son discours d’adieux : « Ce
n’est pas vous qui m’avez choisi ; c’est moi qui vous ai choisis »
(Jean 15, 16). De fait, cette phrase a une portée
considérable. Elle touche l’ensemble de notre vocation de disciples du
Christ, et elle peut être entendue de manière précise, à propos de chaque
sacrement :
Le mariage. Car, même s’il s’agit d’une décision essentielle dans la vie
d’un homme et d’une femme, ce n’est pas eux qui vont s’unir, comme par un
contrat ; c’est Dieu qui va les unir, en scellant leur union dans son
Alliance nouvelle et éternelle.
Le sacrement du pardon. Même si les chrétiens ont l’habitude de dire : « Je
vais me confesser », ce n’est pas nous qui gagnons la victoire contre nos
péchés en les confessant ; c’est le Seigneur qui les pardonne, et nous rend
la sainteté de notre baptême. Tandis que l’homme fait trois ou quatre pas -
qui lui coûtent, certes - pour aller à la rencontre de Dieu, le Seigneur en
fait dix mille pour descendre dans nos ténèbres, afin de nous guérir et de
nous sauver.
La confirmation. Souvent, l’on entend les jeunes dire : « Je veux confirmer
les engagements que mes parents ont pris lors de mon baptême. » Qu’ils
soient bénis pour le beau témoignage qu’ils donnent, en s’engageant de la
sorte ! Mais là n’est pas l’essentiel. Jésus explique aux Apôtres, avant la
Pentecôte, que c’est Dieu qui va les confirmer : « Vous allez recevoir une
force, celle du Saint Esprit, qui viendra sur vous. Alors, vous serez mes
témoins… » (cf. Ac 1, 8).
On voit comment cela s’applique au sacrement de l’Eucharistie. Celui qui dit
: « Je vais à la Messe », exprime une décision libre et réfléchie. Il donne
le témoignage de son appartenance à l’Eglise et de sa fidélité. Mais la
vérité de ce sacrement, c’est que Dieu nous invite dans sa maison pour nous
enseigner par sa Parole, et à sa table, pour nous nourrir. L’Eucharistie est
à la fois le pain pour la route, et une invitation au festin du Royaume.
Ainsi, quand les prêtres et les fidèles se sentent dépassés par la
célébration de l’Eucharistie, qu’ils ne perdent pas confiance ! Le vrai
célébrant, c’est Jésus lui-même. En paraphrasant saint Paul qui écrit : « Ce
n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »
(Gal 2, 20), les prêtres pourraient dire : « Ce n’est pas moi,
c’est le Christ qui célèbre cette Eucharistie. » Certes, nous célébrons la
Messe chaque jour, nous connaissons le Missel et les rites, que nous
essayons de respecter le mieux possible. Mais, en même temps, nous ne nous y
ferons jamais ! La célébration de l’Eucharistie est une aventure qui nous
dépassera toujours, une vérité que nous ne comprendrons jamais. Elle est
aussi un lieu où je suis sûr de ne pas me tromper, car c’est le Christ
lui-même qui nous invite à vivre avec Lui et en Lui le sacrifice qu’Il offre
à son Père.
Qu’est-ce qu’un sacrifice ?
Nombreuses sont les expressions qui sont utilisées pour parler de
l’Eucharistie. Certaines rappellent le repas du Jeudi Saint
(la sainte Cène, la synaxe), d’autres évoquent le
jour de Pâques (le banquet du Royaume, le sacrement de la
présence réelle…), d’autres encore nous mettent au pied de la
Croix (le Saint Sacrifice...). Au cours des
différentes époques, les Pères de l’Église et les théologiens, les diverses
familles spirituelles ont mis en valeur l’un ou l’autre de ces trois moments
essentiels, mais l’important est qu’un certain équilibre soit gardé entre
eux, et que la Résurrection soit toujours manifestée comme primordiale,
puisqu’elle est le cœur de notre foi.
On doit aussi approfondir chaque volet de ce triptyque, et, dans cette
catéchèse, se poser la question : « Mais qu’est-ce qu’un sacrifice ? » On a
souvent présenté et parfois enfermé ce mot du côté de la souffrance et de la
privation. Pourtant le sacrifice n’exclut pas la joie ; il évoque une
attitude intérieure d’offrande qui se vit aussi bien dans les moments de
lumière qu’aux heures de ténèbres. Dans la Bible et dans la liturgie, on
rencontre tout à la fois des expressions comme « le sacrifice du cœur brisé
et broyé » ou « le sacrifice de louange », « l’offrande de nos lèvres », qui
indiquent que louange et sacrifice n’appartiennent pas nécessairement à deux
univers étrangers.
La caractéristique du sacrifice, en réalité, c’est l’amour. Il s’agit d’une
offrande que l’on fait à quelqu’un, parce qu’on l’aime. A Dieu d’abord, on
offrait dans le Temple des sacrifices et des holocaustes en signe
d’adoration. Certes, parfois, les prophètes se sont mis en colère contre ces
pratiques devenues formalistes et démonstratives, vidées de leur pureté
d’origine : « Je hais, je méprise vos fêtes… Quand vous m’offrez des
holocaustes… vos oblations, je ne les agrée pas… Mais que le droit coule
comme de l’eau, et la justice comme un torrent qui ne tarit pas »
( Amos 5, 21-24). Cet avertissement des prophètes
s’adresse aussi à nous. Nous ne sommes pas assurés d’éviter l’hypocrisie ou
l’esprit démonstratif dans notre manière d’offrir le sacrifice
eucharistique. Notre garantie, c’est que le grand prêtre, le seul célébrant,
c’est Jésus lui-même qui présente à Dieu le sacrifice parfait.
En suivant le Christ, regardons la logique de cet amour pour mieux la
comprendre : elle ressemble à une obligation interne et libre qui nous
pousse à chercher comment manifester notre confiance et notre reconnaissance
à Celui à qui nous devons tout. Ici, l’obligation, bien sûr, n’a rien à voir
avec une contrainte. En français, comme dans plusieurs autres langues, les
mots de devoir et d’obligation (« Je suis votre obligé »)
ont gardé cet élan intérieur de gratitude. Nous n’hésitons pas à
sacrifier du temps ou de l’argent pour apporter de la joie, à « faire le
sacrifice » d’une activité qui nous plaît pour rendre un service à quelqu’un
dont nous disons, selon la belle expression du langage courant : « Je lui
dois bien cela. » C’est comme une dette d’amour et de reconnaissance, une
action de grâce. Tout cela, même si cela nous coûte beaucoup, nous paraît
peu par rapport à ce que nous avons reçu, et contribue à augmenter notre
joie. Une caractéristique de cette offrande, c’est la liberté. Jésus s’est
offert parce qu’il l’a voulu : « Dans les oblations, commente St Irénée, se
manifeste la marque distinctive de la liberté. »
Cette offrande d’amour est parfois vécue dans la joie, mais elle n’est pas
arrêtée par la souffrance. Permettez-moi de prendre un exemple émouvant,
dont j’ai été le témoin dans ma vie sacerdotale. Une maman avait organisé un
bel anniversaire pour les cinq ans de son fils. Elle y avait consacré, on
peut dire sacrifié, beaucoup de temps, d’attention et d’argent. De nombreux
enfants avaient été invités. On a joué, chanté et dansé ; le goûter était
merveilleux, et tout le monde comprenait sans peine l’amour maternel à
l’origine d’une telle fête. Une vie donnée, une vie offerte pour le bonheur
d’un enfant conduit évidemment à toutes ces attentions et délicatesses. Mais
voilà que six mois plus tard, l’enfant a été atteint d’une leucémie. Et l’on
a vu la même maman se mettre en congé de son travail, renoncer à toutes ses
activités habituelles, ses amitiés et ses distractions, s’épuiser en courant
de médecins en consultations pour se battre comme un lionne auprès de son
petit. Elle supprimait et sacrifiait tout, notamment une bonne partie de son
sommeil, pour accompagner l’enfant dans son combat, être sans cesse à ses
côtés et tenter de gagner la victoire contre la maladie. Était-ce un
sacrifice ? Elle n’y pensait même pas, et c’était encore l’évidence de son
amour maternel qui l’amenait à être là, présente jusqu’à l’épuisement.
Humainement, c’était une folie, ou du moins une attitude excessive, mais il
n’était pas question de l’en empêcher, ni même de la raisonner.
Il est clair que c’est dans la même attitude intérieure d’amour qu’elle a
vécu la douceur et la joie de cette fête d’anniversaire, et ce combat ultime
qu’elle n’a pas gagné, malheureusement. En la voyant dans ces heures
dramatiques qu’un prêtre ne sait jamais trop comment accompagner, mais où il
doit rester présent, je pensais au verset qui commence solennellement le
récit du Mystère pascal : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure
était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les
siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout », jusqu’à
l’extrême, jusqu’à la folie (Jean 13, 1). Ce
que le Seigneur a vécu au milieu de nous n’est rien d’autre que la
traduction dans un cœur humain de l’offrande que Lui, le Fils éternel, vit
au sein de la Trinité en rendant à son Père tout ce qu’Il reçoit de Lui. Le
sacrifice eucharistique a sa source dans la Trinité. C’est ce même mouvement
que nous vivons à notre tour en faisant notre offrande dans l’action de
grâce : « A toi, Seigneur, appartient cette vie que nous avons reçue de Toi.
»
Présence, sacrifice, communion.
En suivant l’ordre chronologique des événements dans les récits
évangéliques, nous trouvons trois maîtres mots, qui résument le mystère de
l’Eucharistie et toute notre foi chrétienne. Le jeudi saint nous montre que
l’Église est une famille où nous recevons et apprenons la communion. Le
vendredi saint tourne notre regard vers Jésus crucifié ; son sacrifice est
le salut du monde. Et le dimanche de Pâques nous manifeste la présence de
Jésus. La mort n’a pas eu raison de lui ; elle ne l’a pas gardé captif. Dieu
l’a ressuscité d’entre les morts. Dans la liturgie, cependant, nous vivons
ces moments autrement. On peut dire que l’ordre théologique et liturgique
est inverse à celui de la chronologie.
Expliquons-nous. Le centre et le pilier de notre foi, c’est la Résurrection.
Sans elle, dit saint Paul, vide est notre message, vide est notre foi
(cf. 1 Cor. 15, 14). Tout le chemin de notre vie
chrétienne se fonde en elle, car la présence de Jésus ressuscité, la
certitude de son assistance indéfectible à son Église est pour nous un
réconfort capital, le fondement de cette « assurance » (parrèsia)
qui frappe chez les Apôtres, tout au long du livre des Actes.
Si j’ai la grâce de la foi, c’est-à-dire la conviction intérieure que la
miséricorde de Dieu triomphera toujours dans la vie de ses enfants comme
dans celle de Jésus, le Fils Bien-aimé, je suis prêt à tout sacrifier pour
me lancer dans l’aventure de l’évangélisation. Être un semeur de joie dans
ce monde, annoncer aux hommes qu’ils sont sauvés, qu’il leur suffit
maintenant d’ouvrir toutes grandes les portes de leur vie au Christ, comme
le demandait le Pape Jean-Paul II, c’est une vocation magnifique, quoi qu’il
doive nous en coûter. Chacun de nous est prêt à tout perdre pour marcher sur
cette route.
La victoire du Christ nous donne le courage de le suivre dans son sacrifice.
« Seigneur, dit le disciple, puisque je sais que ton Père ne t’a pas
abandonné au pouvoir de la mort, alors moi aussi, je suis prêt à aller
jusqu’à l’extrême de l’amour. » Un jeune qui réfléchit à l’engagement de
toute sa vie devine, confusément, ce qu’il va lui en coûter, car l’amour est
un feu dévorant, une exigence sans fin. Et la vie se charge ensuite de nous
en faire découvrir l’expérience.
La communion, c’est le fruit, le résultat. Quand Jésus est mort sur la
Croix, ceux qui l’avaient condamné croyaient avoir triomphé ; ils pensaient
que cette « affaire » arrivait à son terme. Or c’est l’inverse qui s’est
passé. Juste avant de mourir, Jésus a vu les portes du Royaume s’ouvrir.
Enfin, la communion devenait possible entre Dieu et les hommes, même pour le
dernier des criminels. Lui, Jésus, « le cœur pur », voyait que le bon larron
allait devenir aussi un fils bien aimé : « Aujourd’hui, tu seras avec moi
dans le paradis » (Luc 23, 43). La communion, c’est à la fois le résultat de
l’œuvre rédemptrice du Christ (enfin, les enfants
retrouvent l’amour de leur Père) et tout le travail qui nous
reste à faire au fond de nous-mêmes, pour obtenir la paix intérieure, et
autour de nous, pour la réaliser dans le monde, comme des « artisans de paix
».
La logique de la célébration eucharistique.
Avez-vous remarqué qu’après la liturgie de la Parole, le déroulement de la
prière eucharistique est organisé selon cette logique ? Quand nous entendons
avec foi le récit de l’institution, nous savons que Jésus ressuscité est là,
au milieu de nous, et, après la consécration, nous acclamons sa présence
dans l’anamnèse. L’Eucharistie est d’abord le sacrement de la présence
réelle, de la victoire eschatologique.
Ensuite, vient le temps du sacrifice. Auparavant, on appelait offertoire la
présentation des oblats. Maintenant, depuis la réforme liturgique,
l’offertoire, c’est le moment qui suit la consécration. La présence du
Christ n’a rien de figé ; il est là offert à son Père et livré pour nous. Il
présente à Dieu sa vie, et toutes les nôtres dans la sienne. Et dans la
prière eucharistique, nous supplions Dieu de « regarder le sacrifice » de
l’Eglise en y reconnaissant celui de son Fils. Nous nous offrons aussi pour
être intégrés, emportés dans le mouvement eucharistique du Christ : « Que
l’Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire. » Nul ne
devrait participer à la Messe sans entrer intérieurement dans l’élan de «
cette offrande vivante et sainte », pour vivre « le sacrifice pur et saint,
le sacrifice parfait ».
Conduits par Jésus à la rencontre du Père, nous prions avec confiance, en
reprenant les mots du Notre Père. Et nous voici invités à prendre place à la
table de communion, pour manger le Pain vivant descendu du ciel. Nous
formons un seul corps, nous qui mangeons un même pain.
Résumons donc l’ensemble de ce mouvement dans une formule claire : Présence,
Sacrifice, Communion. Puisque le Christ ressuscité demeure présent au milieu
de nous, nous avançons avec assurance. Nous nous unissons à son sacrifice,
pour que le monde soit sauvé. Et la communion, c’est le résultat de ce
sacrifice qui ne nous laissera jamais en repos. Tous les enfants de Dieu
doivent pouvoir retrouver l’unité intérieure, être en paix avec eux-mêmes,
et dans leur famille jouir d’une vie sociale harmonieuse et d’une situation
politique paisible. Telle est la logique de la communion et de notre
interminable mission d’ « artisans de paix » en ce monde.
Une lumière pour la vie de tous les disciples du Christ.
Au moment où j’explique cela, chacun de vous sait que telle est bien
l’orientation générale de sa vie, la vérité ultime de son existence.
Revenons sur les mots par lesquels Jésus présente son sacrifice : « Ceci est
mon corps livré pour vous… Ceci est la coupe de mon sang, le sang de
l’alliance nouvelle et éternelle. »
Participer activement à la Messe, c’est dire en retour au Seigneur les
paroles que nous venons d’entendre : « Oui, Seigneur, puisque ta vie est
entièrement offerte pour nous, sache que nous aussi, nous sommes livrés pour
toi et pour les autres, dans le sacrifice de l’alliance nouvelle et
éternelle. » Entrer dans le mouvement de la Messe, c’est vivre, chacun pour
nous et tous ensemble, l’attitude intérieure du sacrifice de Jésus.
Or ces paroles, qui résument la vie de Jésus, correspondent à l’essentiel de
ce que vit chacun des membres de l’assemblée. Commençons par le prêtre.
Quand il prononce le récit de l’Institution, il parle au nom du Christ, mais
il dit bien l’essentiel de sa vie à lui, aussi. Ce prêtre est là, devant
vous, et sa vie est entièrement donnée pour vous servir. L’engagement au
célibat demandé dans l’Église latine donne plus de force et de vérité à la
parole : « Ceci est mon corps livré pour vous. » Comme Toi, Seigneur, ce
prêtre est une vie donnée, une parole vivante pour ses frères.
Il est beau de parcourir ensuite toute l’assemblée et de voir que ces
paroles expriment aussi le cœur de ce que vit chacun des groupes qui la
composent. Pour les uns, tout est joie, pour les autres, ces mots indiquent
un combat ou réveillent une souffrance. Mais pour tous, l’Eucharistie
correspond à la grande aventure de l’amour, de l’offrande, du don de leur
vie.
Regardons cette femme enceinte qui redit à son enfant les mots du Seigneur :
« Ceci est mon corps livré pour toi. » Et pensons à l’enfant qui,
effectivement, dans le sein de sa mère, prend tout ce dont il a besoin pour
former son corps, fortifier sa vie et progresser vers le jour de sa
naissance.
Tournons ensuite notre regard vers les époux qui vivent la Messe côte à
côte. Avec quelle intensité, sans doute, ils entendent cette phrase qui
rappelle leur mariage, ce sacrement par lequel Dieu les a livrés l’un à
l’autre. Dans l’offrande du Christ, ils comprennent davantage, au fil des
années, à quel point « aimer, c’est tout donner ». L’Eucharistie les aide à
remettre leur vie sur ses fondements.
Je veux maintenant penser aux jeunes qui n’ont pas encore fait leur choix de
vie. Ils savent, grâce à ces paroles du Christ, que le jour du don de leur
corps doit correspondre à celui du don de toute leur vie, à un époux ou une
épouse s’ils se destinent au mariage ou au Seigneur s’ils sont appelés au
sacerdoce ou à la vie consacrée. Nous savons que c’est pour eux une
merveille et un combat. Nous mesurons la force qu’il leur faut, dans le
contexte actuel, pour être fidèles à cet appel du Christ, à la chasteté, et
nous les assurons de notre prière pour qu’ils préparent avec amour, depuis
l’adolescence, l’offrande de toute leur vie. Les jeunes de la nouvelle
génération attendent un témoignage clair et stimulant des chrétiens de leur
âge.
Il ne faut pas oublier ceux pour qui ces paroles d’offrande et d’amour sont
une souffrance : les personnes qui voudraient se marier et n’en ont pas
encore eu la grâce, ceux qui doutent de leur corps et ne savent pas à qui il
pourrait être donné, parce qu’il est abîmé par un handicap ou pour une autre
raison. Les veufs et les veuves, ainsi que tous ceux qui ont été délaissés,
souffrent beaucoup aussi. Pendant des années, ils ont vécu la Messe avec un
conjoint …qui n’est plus là ! Et ils ne savent plus trop maintenant à qui
leur corps est donné.
Pour tous, dans la joie ou la peine, le mémorial de la Passion du Seigneur
est un sacrifice d’amour, une offrande de nos vies.
Jusqu’à l’extrême.
A l’heure du sacrifice suprême, le « Christ Jésus a témoigné devant Ponce
Pilate par une si belle affirmation », dit saint Paul
(1Tim 6, 13), que nous ne pouvons pas oublier tous ceux de nos
frères chrétiens, dans de nombreux pays, qui vivent encore aujourd’hui cet
extrême de l’amour.
Je voudrais, pour terminer, parler de nos frères les chrétiens d’Algérie, et
particulièrement des moines du Monastère cistercien de Tibhirine, assassinés
au printemps 1996. Leur présence était une offrande, simple, discrète et
comprise de tous. Et leur sacrifice a touché le monde entier. Présenter le
christianisme sans la croix ou parler du sacrifice eucharistique sans dire
jusqu’où il peut nous conduire, serait un mensonge.
L’an dernier, Mgr Henri Teissier, archevêque d’Alger, est venu prêcher la
retraite des prêtres du diocèse de Lyon. Il nous a donné une causerie sur «
l’Eucharistie et le martyre », en parlant des dix-neuf victimes que l’Église
d’Algérie a connues durant les années sombres de la grande violence
islamiste. Certes, il parlait des autres, les religieuses, frères prêtres ou
moines assassinés. Mais nous comprenions bien en l’écoutant que lui aussi
sait, depuis plus de quinze ans, que sa vie est quotidiennement en danger.
C’est dans ce climat spirituel qu’il célèbre l’Eucharistie chaque jour. Les
martyrs chrétiens d’Algérie ont donné leur vie à cause d’une fidélité
évangélique à un peuple que Dieu les a envoyés servir et aimer.
Le Prieur de Tibhirine, le P. Christian de Chergé, avait écrit : « S’il
m’arrivait un jour d’être victime du terrorisme, j’aimerais que ma
communauté, mon église, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à
Dieu et à ce pays (l’Algérie). » On imagine qu’il devait souvent penser aux
Algériens, lorsqu’il prononçait les paroles de la consécration : « Ceci est
mon corps livré pour vous ». La mort des moines de Tibhirine me fait penser
à ce mot de St Irénée à propos des martyrs de l’Église primitive : « Sans
cesse mutilée, l’Église sur le champ accroît ses membres et retrouve son
intégrité. »
Ils avaient tous appris l’arabe ; le Frère Luc, moine et médecin, le plus
âgé de la communauté de Tibhirine, soignait gratuitement les malades de la
région. Quand l’atmosphère est devenue dangereuse, ils ont choisi de rester.
C’est ce qu’avait expliqué Mgr Pierre Claverie, l’évêque d’Oran, peu avant
d’être assassiné à l’automne de cette même année 1996 : « Pour que l’amour
l’emporte sur la haine, il faudra aimer jusqu’à donner sa propre vie dans un
combat quotidien dont Jésus lui-même n’est pas sorti indemne. » Après son
assassinat, aucune religieuse, aucun prêtre, aucun laïc n’a quitté son poste
dans le diocèse d’Oran. Et cela était bien conforme à ce qu’il avait un jour
écrit : « Nous avons noué ici des liens avec les Algériens que rien ne
pourra détruire, pas même la mort. Nous sommes en cela les disciples de
Jésus, et c’est tout. »
Quand on aime un peuple, on continue de le servir même s’il va mal ; voilà
la vérité de l’amour : il comporte toujours cette dimension d’offrande et de
sacrifice. Cette attitude des disciples, vingt siècles plus tard, nous aide
à comprendre l’Eucharistie du Seigneur. Jésus attirait les foules, quand il
guérissait les malades et multipliait les pains ; le peuple était suspendu à
ses lèvres, lorsqu’il enseignait chaque jour dans le Temple
(cf. Luc 19, 48). Mais rien n’a arrêté le mouvement de son amour,
ni l’adversité, ni le refus, ni les complots et la jalousie qui ont fini par
le conduire à la mort ignoble de la Croix. Le bon berger reste quand les
loups ou les brigands entrent dans la bergerie. Il donne sa vie pour ses
brebis. La force de son amour a culbuté tous les obstacles. Dans sa
contemplation, saint Paul résume l’ensemble de la vie du Christ par ces mots
: « Le Christ Jésus n’a jamais été oui et non. Il n’y a eu que oui en lui »
(2 Cor 1, 20).
Accablés par la mort si injuste de cet Innocent sur la Croix, les disciples
ont été encore plus bouleversés par la Résurrection. Voilà la réponse que
Dieu donne au péché des hommes ; Il ouvre les portes du Royaume à son Fils
Bien Aimé, et nous promet que nous sommes aussi attendus dans cette demeure
où Jésus est parti nous « préparer une place » (Jean 14,
2). Et, dans chaque Eucharistie, habités par cette espérance, «
nous annonçons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ».
Conclusion
« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », dit le Seigneur dans
le discours après la Cène (Jean15, 9) que nous
lisons comme son testament spirituel. Cette phrase, nous pouvons la mettre
en parallèle avec celle que Jésus prononce devant les Apôtres, dans
l’apparition du soir de Pâques : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je
vous envoie » (Jean 20, 21). Les verbes aimer
et envoyer sont interchangeables dans ces deux phrases et dans toute la
pensée chrétienne. La vérité, c’est que lorsque Dieu nous aime, Il nous
associe à la grande aventure du salut du monde. Notre mission, c’est
d’aimer. Voilà ce que nous apprenons de la vie du Seigneur, et tout
spécialement du sacrifice de son Eucharistie.
Texte intégral de la
catéchèse du cardinal Philippe Barbarin au Congrès Eucharistique
International à Québec :
(ici)
►
Congrès Eucharistique Mondial à Québec
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 18.06.08 - T/Québec |