Deux maîtres qui nous quittent :
Olivier Clément et Henri Cazelles |
 |
Le 18 janvier 2009 -
(E.S.M.)
-
La semaine écoulée a vu le décès de deux
hommes, de deux croyants, à qui je dois personnellement beaucoup, même
si c’est dans des domaines très différents : Olivier Clément théologien
laïc orthodoxe, et Henri Cazelles, exégète catholique et sulpicien.
|
Olivier
Clément
Deux maîtres qui nous quittent : Olivier Clément et Henri Cazelles
par le Père Michel Gitton
J’ai rencontré
Olivier Clément
(1)
en 1962 au lycée Condorcet où il était
professeur d’histoire géographie en terminale. Ce fut tout de suite un
choc, c’est la première fois que je rencontrais un homme de cette
stature. Il ne faisait pas mystère de sa foi, il nous parlait déjà du
christianisme, comme de la « religion des visages », mais loin
d’entraîner une quelconque fermeture, cette position lui conférait au
contraire une singulière aptitude pour rejoindre toute situation
d’humanité. Avec lui, le monde s’éclairait littéralement : la Chine,
l’Inde, les États-Unis étaient autre chose que des taches de couleur sur
la carte, c’étaient des peuples vivants une aventure chaque fois unique,
dont sa sympathie nous faisait sentir la grandeur et les risques. Je
pris l’habitude de le rencontrer en dehors des cours avec un ami, et,
malgré la méfiance que lui inspiraient sans doute mes convictions
maurassiennes de l’époque, il se prêtait avec bonne grâce à nos
questions de potache et nous partageait cette sagesse qui semblait
sourdre de lui. Devenu quelques années plus tard khâgneux à Louis le
Grand, j’eus la joie de le retrouver au quartier latin et ce furent
d’autres entretiens qui jalonnèrent ces moments où je me rapprochais
insensiblement de la foi de mon enfance. Je gravis quelques fois les
escaliers de son domicile parisien sur les hauteurs de Ménilmontant, où
il se sentait mieux que dans la froideur des beaux quartiers. Je le
perdis en suite de vue pendant des années, non sans lire de temps à
autre tel de ses livres toujours marquants
(Questions sur l’homme sur longtemps un de mes livres de
chevet). Il y a cinq ans ou un peu plus, j’eus
la joie de le revoir, marqué déjà par l’âge et la maladie, mais l’esprit
toujours alerte. Il avait accepté de nous recevoir, Samuel Pruvot et moi
pour une interview dans France Catholique. Je me souviens surtout de sa
façon de nous présenter ces deux hommes de paix, transcendant les
frontières, qu’étaient à ses yeux Athënagoras et Jean-Paul II. Je
retrouve dans son dernier livre l’Essor de l’Orient cette même
liberté souveraine pour aborder les questions contentieuses entre l’Orient
et l’Occident chrétiens, capable de voir les ponts possibles, de
communier en profondeur avec une tradition théologique différente, sans
rien perdre de la richesse qu’il avait découverte, il y a plus d’un demi
siècle, à l’école de Wladimir Lossky.
(Pour approfondir :
Entretien avec Olivier Clément)
Henri Cazelles
fut d’abord pour moi l’interlocuteur providentiel qui me permit de
réconcilier ma passion pour l’Égypte ancienne et la religion de la Bible
que j’étais en train de découvrir à la suite de ma conversion. Cet homme
était un savant dont tout le monde s’accordait à reconnaître la
compétence, non seulement dans les études bibliques, mais dans
l’histoire des civilisations du Proche-Orient. Lui aussi se prêta avec
bienveillance aux questions d’un débutant, avide de tout comprendre.
Certaines de ses explications m’illuminent encore. Je me souviens par
exemple de sa réponse à ma question sur la vision du Péché Originel dans
la Bible qui laisse le sentiment d’une irrémédiable décadence de
l’humanité subséquente, alors que l’histoire qu’on nous enseigne nous
habitue à l’idée de progrès depuis des origines très frustres. C’est lui
qui me fit sentir que le progrès technique, au demeurant incontestable,
ne veut pas dire automatiquement élévation de la conscience, il me
citait le cas de populations encore très archaïques, comme les Pygmées,
mais dont la finesse et la compréhension est sans commune avec le niveau
de civilisation où il sont parvenus. Par la suite, il m’accueillit comme
séminariste au Séminaire des Carmes et étudiant à l’Institut catholique.
J’ai encore le souvenir du cours extraordinaire où il commenta le livre
de Jérémie en situant chaque oracle dans le contexte politique et
international de l’époque. Sans doute espéra-t-il un moment faire de moi
un professeur de sciences bibliques et pourquoi pas son successeur, mais
ma manière de réagir à l’enseignement théologique dispensé en ces
années-là choqua l’homme d’institution qu’il était, il était loin
d’approuver tout ce qui se disait alors, mais il estimait qu’on avait
toujours tort de s’opposer à ceux qui sont officiellement mandatés par
l’Église. Néanmoins il me permit de travailler sur un dossier qui lui
tenait à cœur : les traces du séjour des Hébreux en Égypte. C’est ainsi
qu’il me confia l’article « Ramsès » du Supplément au
Dictionnaire de la Bible. Par la suite, je restais en lien plus espacé
avec lui, mais il ne refusait pas de temps à autre une conférence, comme
celle qu’il fit dans les années 90 pour la rédaction de la revue
Résurrection. Cet homme qui avait réussi à intégrer parfaitement la
théorie dite « documentaire » sur l’origine du Pentateuque
(quatre documents de base, combinés peu à peu pour faire
un seul récit) au point d’en faire un
auxiliaire de la compréhension théologique de l’Ancien Testament eut sur
le tard la pénible surprise de voir cette théorie battue en brèche et
pratiquement abandonnée de la plupart des spécialistes. Ses recherches
se tournèrent désormais dans d’autres directions, mais il y avait laissé
quelque chose de lui-même… Ces deux hommes laissent chacun dans leur
genre une place vide qu’il ne sera pas facile de reprendre. S’il y aura
toujours des spécialistes de sciences religieuses
(bibliques ou patristiques), il
faut appeler de nos vœux la présence d’hommes et de femmes animés de
cette foi communicative qui met le savoir au service de la connaissance
savoureuse du mystère de Dieu.
Michel GITTON
Réactions :
(1)
ASSEMBLÉE DES ÉVÊQUES ORTHODOXES DE FRANCE
-
AEOF
Instance de coordination et de représentation de l’épiscopat orthodoxe
canonique en France
Rappel au Seigneur du théologien et historien orthodoxe français Olivier
Clément
L’Église orthodoxe en France est en deuil aujourd’hui ! C’est avec une
grande peine que les évêques orthodoxes de France ont appris la naissance au
Ciel du théologien et historien orthodoxe français Olivier Clément qui s’est
éteint à Paris hier après une longue lutte difficile, mais courageuse et
sereine, contre la maladie.
Il est difficile de dire Olivier Clément tellement est abondante et
puissante son œuvre dans et pour l’Église orthodoxe.
Personnalité marquante et attachante de l’Orthodoxie en France, en Europe et
de par le monde, Olivier Clément était par excellence un être « philocalique
», un véritable amoureux de la beauté divine qu’il recherchait et décryptait
dans le monde et dans toute personne et qu’il retraduisait par une pensée
théologique puissante et abondante, s’exprimant dans une parole poétique
pleinement enracinée dans la vie et la tradition de l’Église.
Les évêques orthodoxes de France tiennent à rendre un hommage appuyé à celui
qui a tant donné, sans limite, à l’Église orthodoxe et qui, inspiré et
inspirant, a été un des piliers de l’Orthodoxie dans notre pays. Ils saluent
en lui aussi celui qui a accompagné, dans une fidélité et une loyauté
extrêmes, pendant de longues années les travaux du Comité inter épiscopal
orthodoxe en France et puis l’Assemblée des Évêques Orthodoxes de France. Le
rayonnement d’Olivier Clément ne s’est pas limité à la France. Il a été un
témoin actif et irénique du Christ ressuscité dans tout le monde orthodoxe,
dans le monde chrétien et bien au-delà. Tous les chrétiens se reconnaissent
dans sa paternité aimante. Les évêques orthodoxes de France partagent la
peine de son épouse et de toute sa famille et leur adressent, ainsi qu’à
tous les fidèles orthodoxes, les plus fraternelles condoléances. Véritable
témoin du Christ et de Son Église tout au long du XXème siècle, entièrement
tourné et tendu vers la Résurrection du Seigneur, la parole est à lui :
« Est-il vrai que le Christ est ressuscité ? Ou sommes nous des menteurs
qui se contentent de bien chanter ? Si le Christ est vraiment ressuscité, un
peu en nous aussi, si peu que ce soit, alors soyons assurés que quelles que
soient les difficultés, l’amour et l’intelligence vaincront. ».
(Olivier Clément, Ière Journée de l’Orthodoxie en France, le 24 mai 2001)
Que sa mémoire soit éternelle !
(2)
Le cardinal André Vingt-Trois confie à votre prière :
Le Père Henri Cazelles, décédé le samedi 10 janvier à l’âge de 96 ans en la
78ème année de son sacerdoce
Ses obsèques ont eu lieu cette semaine dans l’intimité familiale. Une messe
d’hommage présidée par Mgr Doré, sera célébrée vendredi 23 janvier à 12h15
Chapelle des Carmes
(Institut Catholique).
A Dieu Père CAZELLES
Le Père CAZELLES
(2)
est né le 8 juin 1912 dans le 8ème arrondissement. C’est à
Paris qu’il a fait toutes ses études y compris sa maîtrise de Droit avant
d’entrer au séminaire. Il est ordonné prêtre le 28 mars 1940. Il commencera
son ministère comme prêtre auxiliaire à St Honoré d’Eylau de 1940 à 1942. En
dehors d’un temps d’études à l’Institut biblique de Rome pour y préparer une
licence biblique, il ne s’éloignera de Paris que pour aller jusqu’à Issy les
Moulineaux faire sa Solitude en vue d’entrer dans la Compagnie de St Sulpice
puis enseigner au Séminaire St Sulpice jusqu’en 1954. C’est à Paris qu’il
reviendra à nouveau pour occuper la chaire d’Ancien Testament à l’Institut
Catholique et, à partir de 1973, à l’École Pratique des Hautes Études dont
il dirigera la section des Etudes religieuse tout en étant directeur au
Séminaire des Carmes de 1954 à 1969. C’est toujours à Paris qu’il prendra sa
retraite, d’abord à la maison provinciale de St Sulpice rue du Regard de
1991 à 1996 puis à la maison Marie Thérèse où il vient de décéder. Mais
Paris ne sera pas sa dernière demeure puisqu’il a été inhumé en Normandie à
Amfreville-sur-Itton où se trouve le caveau familial.
Durant tout sa vie, il n’aura d’autre passion que la. Bible. C’est pour
mieux la comprendre qu’il ajoutera à l’hébreu qu’il enseignera pendant des
années l’étude d’une multitude de langues orientales : l’akkadien, le
hittite, le sumérien, l’égyptien, l’arabe classique et la liste n’est peut
être pas exhaustive ! C’est pour mieux la faire connaître qu’il achèvera en
1957 la publication de l’Introduction à la Bible qu’avait entreprise les
Pères André Robert et André Feuillet. Si cet ouvrage lui vaudra à ce moment
là quelques difficultés avec Rome, on ne lui en tiendra pas rigueur
puisqu’il sera de 1985 à 1991 secrétaire de la Commission biblique
pontificale. Les titres ne lui manquaient pas pour être appelé cette tâche
puisqu’il avait pris en charge la poursuite du Supplément au Dictionnaire de
la Bible toujours inachevé, fondé l’association catholique française pour
l’étude de la Bible
(Acfeb), créé, à l’Institut catholique, la
bibliothèque œcuménique et scientifique d’études bibliques
(Boseb)
à laquelle il lèguera sa propre bibliothèque sans compter l’écriture de
quelques ouvrages remarqués :
Naissance de l’Église, secte rejetée aux éditions du Cerf ou L’Histoire
politique d’Israël jusqu’à Alexandre chez Desclée.
Mais il ne fut pas seulement un grand savant. Son savoir était au service de
sa foi. Jamais cette foi n’a brimé sa liberté dans la recherche mais elle en
a toujours été le but. La science n’étouffera jamais chez lui la piété : la
Bible nourrira sa prière et la dévotion à Marie tiendra chez lui une grande
place. C’est un grand savant et un grand croyant qui nous a quittés.
Père Charles Bonnet
Nouveau : S'inscrire à la newsletter ! Voir
menu à gauche. |
Sources : francecatholique.info
-
(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M. sur Google actualité)
18.01.2009 -
T/Brèves
|