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L’écologie selon le chant grégorien
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Le 17 décembre 2022 -
(E.S.M.)
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Plus encore en ce temps de l’Avent, la grande liturgie de
l’Église catholique est littéralement aux antipodes de la nouvelle
religion de la nature à la mode, avec la terre comme déesse
mère.
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L’écologie selon le chant grégorien
Ni mère ni déesse. Même le chant grégorien est contre la nouvelle idolâtrie
de la terre
Le 17 décembre 2022 - E.
S. M. - Que les cieux « pleuvent le Juste » et la terre
« s’ouvre et germe le Sauveur ». Voilà ce que l’Église chante et
espère, comme elle le fera dans quelques jours dans l’admirable
introït grégorien « Rorate caeli » du quatrième dimanche de l’Avent.
La nature et l’homme ne trouvent d’autre raison ultime qu’en Dieu
leur créateur et Sauveur.
Le chant grégorien est l’expression parfaite de cette vision
biblique et chrétienne de la terre. Et c’est ce qu’explique dans ce
dossier de Settimo Cielo le maître Fulvio Rampi, grand expert
passionné de ce chant séculaire qui ne fait qu’un avec la liturgie
catholique, une liturgie dont l’actuel obscurcissement est en grande
partie dû précisément à l’impardonnable abandon du grégorien.
Maître Rampi enseigne la pré-polyphonie au Conservatoire de Turin et
dirige les « Cantori Gregoriani » et le « Coro Sicardo »
de Crémone où il a également été maître de chapelle de la
cathédrale. C’est l’un des plus grands grégorianistes au monde, il
est l’auteur d’ouvrages importants et a dirigé et enregistré une
quantité considérable de chants, on peut suivre ses cours sur son
site web personnel, en
italien et en anglais.
Bonne lecture et bonne écoute des huit pièces musicales insérées
dans le texte !
L’écologie selon le chant grégorien
de Fulvio Rampi
Ce qui identifie chaque chant grégorien – ce « son de la Parole »
que l’Église latine a défini comme étant son chant propre – c’est
avant tout sa position à un moment précis de la célébration, qui est
à son tour nécessairement et intimement connoté sur le plan
esthétique par des textes propres et par un caractère stylistico-formel
bien spécifique.
À cela s’ajoute la dimension diachronique, tout aussi essentielle,
c’est-à-dire l’appartenance à un temps célébratif qui situe chaque
pièce dans la vie d’un parcours christologique rythmé par l’année
liturgique.
Mais il est également possible de distinguer, dans cet immense
trésor musical, des fils rouges qui le parcourent et ponctuent le
ruissellement du temps liturgique, qui relient des morceaux
différents à un même thème récurrent.
L’un des fils qu’il est possible de parcourir a pour thème la terre,
c’est-à-dire le regard que le chant grégorien porte, pour ainsi
dire, sur la « question écologique ».
Le thème de la terre est cher à l’Écriture sainte, qui enseigne dès
le livre de la Genèse que l’homme et la terre sont placés par Dieu
en relation étroite avec Lui et entre eux. L’homme est façonné de la
terre, fait de « poussière du sol », mais Dieu insuffle en lui son
esprit. En conflit ouvert contre les mythes anciens et nouveaux qui
sacralisent la déesse terre comme mère ancestrale, la sagesse
biblique rappelle que si l’homme est une créature terrestre, un
fruit périssable issu de la terre, il n’en est pas l’enfant, parce
qu’il est créé par Dieu.
Bien loin de toute idolâtrie, Israël ne célèbre donc pas la terre en
elle-même. Tout est un passage et un rappel qui renvoie à l’Un d’où
tout provient. Toutes les institutions et les événements du salut
sont des dons du souffle puissant de Dieu, qui à partir de la
création de l’homme continue à féconder cette terre et son histoire,
la faisant vivre et revivre, au-delà de tout possible. Le chant
grégorien, qui irrigue les temps liturgiques, confirme cette clé de
lecture.
Déjà le « communio » du dimanche I de l’Avent, « Dominus
dabit benignitatem » s’inscrit dans cette même perspective.
L’analyse de cette pièce révèle le primat du sujet, « Dominus »,
tout particulièrement mis en évidence par le mélisme sur la syllabe
finale de ce premier mot décisif. Le Seigneur est le sujet et le
protagoniste, dont toute la suite de l’antienne tire son origine :
si la terre « dabit fructum suum », donnera son fruit, c’est
parce que « Dominus dabit benignitatem ».
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Écouter « Dominus dabit benignitatem: et terra nostra dabit fructum
suum »
Le Psaume 84, d’où est tiré le texte de cette « communio »,
revient aussi dans l’offertoire du IIIe dimanche d’Avent avec le
second verset : « Benedixisti Domine terram tuam », où l’on
remarquera combien l’emphase musicale sur « terram » est
subordonnée à la bénédiction divine, qui est justement citée au
début de la pièce.
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Écouter « Benedixisti Domine terram tuam: avertisti captivitatem
Jacob: remisisti iniquitatem plebis tuae »
Le binôme homme-terre, largement développé dans l’Ancien Testament,
trouve sa solution en Jésus Christ. L’incarnation, en effet,
manifeste leur lien irréversible au projet salvifique de Dieu. Le
Fils de Dieu, le Verbe par qui tout a été fait – comme le dit le
prologue de l’Évangile de Jean – se fait homme, raison pour laquelle
la terre accueille non plus une idée mais une Personne : non plus la
justice, mais le Juste qui la réalise ; non plus le salut mais le
Sauveur.
Et c’est bien ce qui est proclamé le dimanche IV de l’Avent dans
l’introït « Rorate coeli », dont le texte original tiré du
prophète Isaïe a été modelé en clé christologique par saint Jérôme,
dans sa traduction latine. De la sorte, le don de Dieu, que l’Ancien
Testament avait identifié comme étant le don de la terre, se voit
transféré à la personne du Christ.
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Écouter « Rorate caeli desuper, et nubes pluant iustum: aperiatur
terra, et germinet Salvatorem »
C’est ainsi que l’on arrive aux trois messes de Noël, où l’on
retrouve, dans chaque offertoire respectif, le thème de la terre qui
est bien mis en évidence : « Laetentur coeli et exsultet terra »
dans la messe de la nuit ; « Deus enim firmavit orbem terrae »,
Dieu a affermi la terre, dans l’offertoire de la messe de l’aurore ;
pour finalement proclamer dans l’offertoire de la messe du jour : « Tui
sunt coeli et tua est terra ».
Et c’est la messe du jour de Noël qui offre le contexte dans lequel
ce thème va pouvoir pleinement se déployer : dans l’alléluia « Dies
sanctificatus », par exemple, où l’on chante à un certain point : « Hodie
descendit lux magna super terram », mais surtout dans le graduel
et dans le « communio », qui reprennent ce même verset du
psaume 97 : « Viderunt omnes fines terrae salutare Dei nostri »,
tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu. Avec une
insistance particulière sur « terrae » dans la première
partie du « communio ».
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Écouter « Viderunt omnes fines terrae salutare Dei nostri »
Avec l’Épiphanie, le thème de l’adoration vient s’ajouter au thème
de la terre. Il faut noter le fait que ce ne sont pas seulement les
Mages qui sont appelés à adorer, les rois du monde et les nations
(comme nous le disent l’alléluia, l’offertoire et le « communio »)
mais la terre elle-même, la terre tout entière, appelée elle aussi à
adorer le Seigneur.
Le second dimanche après l’Épiphanie, en effet, l’introït reprend le
texte du psaume 64 : « Omnis terra adoret te, Deus », que
toute la terre t’adore, Seigneur. La mélodie met l’accent, aussi
bien mélodique et rythmique, précisément sur le verbe « adoret » :
la terre, toute la terre est appelée à adorer Dieu, en résonnance à
la manifestation et à la royauté célébrées quelques jours auparavant
lors de la solennité de l’Épiphanie.
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Écouter « Omnis terra adoret te, Deus, et psallat tibi: psalmum
dicat nomini tuo, Altissime »
Il est intéressant de remarquer qu’à Pâques aussi, le thème de la
terre est mis en évidence. L’offertoire de la messe du jour commence
justement par ce mot, assorti à deux verbes de sens opposé : « Terra
tremuit et quievit », la terre a tremblé et s’est apaisée.
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Écouter Terra tremuit et quievit, dum resurgeret in iudicio Deus,
alleluia
Le jour qui suit, « feria secunda » de l’octave de Pâques,
l’introït reprend ce thème avec une allusion à l’exode d’Égypte et à
l’entrée dans la terre promise en clé christologique : « Introduxit
vos Dominus in terram fluentem lac et mel », le Seigneur vous a
fait entrer dans la terre où coule le lait et le miel.
Le temps pascal est le temps de l’alléluia, c’est-à-dire de la
jubilation et de l’annonce. La terre elle-même y participe, et tous
les dimanches de Pâques, après le dimanche « in albis »,
contiennent cette invitation dans ses chants propres, en particulier
dans les introïts.
Il en va ainsi pour l’introït joyeux du huitième mode du dimanche
III, avec le texte du psaume 65 : « Iubilate Deo omnis terra ».
La jubilation de la terre trouve ses racines et sa raison d’être
dans la miséricorde, dont le Seigneur en rempli la terre elle-même.
C’est ce que nous dit l’introït du dimanche IV de Pâques : « Misericordia
Domini plea est terra ». La trame mélodique et rythmique de
cette antienne est bien plus contenue dans l’exubérant « Iubilate
Deo » du dimanche précédent : nous sommes ici dans le IVe
mode, le « deuterus plagale », la même modalité tonique que
le surprenant introït « Resurrexi » du jour de Pâques.
Le Ve dimanche de Pâques, le thème de la jubilation
revient, dans l’offertoire du proclame « Iubilate Deo unviersa
terra ». Et après la préparation, l’adoration, la miséricorde, la
jubilation, l’introït du VIe dimanche de Pâques « Vocem
iucunditatis annuntiate » fait place à la jubilation : une
joyeuse annonce destinée à rejoindre les extrémités de la terre, « usque
ad extremum terrae », mélodiquement exprimées par les limites
aigues de la mélodie de toute la pièce.
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Écouter « Vocem
iucunditatis annuntiate, et audiatur, alleluia: nuntiate usque ad
extremum terrae: liberavit Dominus populum suum, alleluia, alleluia »
Le fil rouge qui, depuis l’Avent, a traversé jusqu’au temps pascal,
atteint enfin la Pentecôte, le terme définitif d’un parcours marqué
par l’initiative divine sur la création toute entière,
solennellement résumée dans l’incipit de l’admirable introït : «
Spiritus Domini replevit orbem terrarum ».
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Écouter. « Spiritus
Domini replevit orbem terrarum, alleluia: et hoc quod continet omnia,
scientiam habet vocis, alleluia, alleluia, alleluia »
En somme, le chant grégorien constamment suspendu entre ciel et
terre, se fait la voix noble et humble (de « humus », la
terre) de cette surabondance de grâce. Toujours en entonnant la
réponse appropriée que l’Église a faite sienne.
Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso.
Sources : Diakonos-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 17.12.2022
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