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19 Avril 2005
 

Synode sur la famille - la véritable histoire

Le 17 octobre 2014 - (E.S.M.) - De nouveaux paradigmes en matière de divorce et d’homosexualité ont désormais cours dans les instances dirigeantes de l’Église. Rien n’a été décidé, mais le pape François est patient. Un historien américain réfute les thèses de "La Civiltà Cattolica".

Synode sur la famille - la véritable histoire

... Le metteur en scène, les exécutants, les assistants par Sandro Magister

Le 17 octobre 2014 - E. S. M. - "L’esprit du concile souffle de nouveau", a déclaré le cardinal philippin Luis Antonio G. Tagle, étoile montante de la hiérarchie mondiale mais également historien de Vatican II. Et c’est vrai. Le synode qui est sur le point de s’achever comporte de nombreux points communs avec ce qui s’est passé lors de ce grand événement.

La ressemblance la plus perceptible est le décalage qui existe entre d’une part le synode réel et d’autre part le synode virtuel qui est véhiculé par les médias.

Mais il existe une ressemblance encore plus substantielle. Aussi bien lors du concile Vatican II qu’au cours du présent synode, les changements de paradigme sont les fruits d’une mise en scène très soignée. Un protagoniste de Vatican II tel que le père Giuseppe Dossetti – très habile stratège des quatre cardinaux modérateurs qui étaient aux commandes de la machine conciliaire – revendiquait ce fait avec fierté. Il disait qu’il "avait bouleversé le destin du concile" grâce à son aptitude à piloter l'assemblée, aptitude qu’il avait acquise antérieurement grâce à son expérience politique de leader du plus grand parti d’Italie.

Les choses se sont également passées ainsi au cours du présent synode. Ni les ouvertures en direction d’une autorisation de communier qui serait accordée aux divorcés remariés civilement – et donc l'acceptation de ces remariages par l’Église – ni l'impressionnant changement de paradigme en ce qui concerne l’homosexualité qui a été introduit dans la "Relatio post disceptationem" n’auraient été possibles sans une série de démarches habilement calculées par ceux qui avaient et qui ont le contrôle des procédures.

Pour le comprendre, il suffit de parcourir de nouveau les étapes qui ont abouti à ce résultat, même si la conclusion provisoire du synode – comme on le verra – n’a pas été conforme aux attentes de ses metteurs en scène.

Le premier acte a comme acteur principal le pape François en personne. Le 28 juillet 2013, au cours de la conférence de presse qu’il donne à bord de l’avion qui le ramène à Rome après son voyage au Brésil, il lance deux signaux qui ont sur l'opinion publique un impact très fort et très durable.

Le premier de ces signaux concerne la manière de se comporter vis-à-vis des homosexuels :

"Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?".

Le second concerne l'acceptation des remariages [de divorcés]:

"Une parenthèse : les orthodoxes suivent la théologie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde possibilité [de mariage], ils le permettent. Mais je crois que ce problème – je ferme la parenthèse – on doit l’étudier dans le cadre de la pastorale du mariage".

Il y a ensuite, au mois d’octobre 2013, la convocation d’un synode consacré à la famille. Ce sera le premier d’une série de deux synodes répartis sur une année qui travailleront sur cette même question, les décisions ne devant être prises qu’à l’issue du second. Au poste de secrétaire général de cette espèce de synode permanent et prolongé, le pape nomme un tout nouveau cardinal, Lorenzo Baldisseri, qui est dépourvu de toute expérience en la matière, mais qui est très proche de lui. Pour l'occasion, il place aux côtés de Baldisseri, en tant que secrétaire spécial, l’évêque et théologien Bruno Forte. Celui-ci est déjà connu comme l’un des principaux représentants de la ligne théologique et pastorale qui a eu comme figure de proue le cardinal jésuite Carlo Maria Martini et comme grands adversaires Jean-Paul II d’abord et Benoît XVI ensuite : une ligne dont les tenants se déclarent ouverts à un changement de l'enseignement de l’Église dans le domaine sexuel.

La proclamation du synode est complétée par l’envoi d’un questionnaire partout dans le monde, qui comporte des questions spécifiques à propos des thèmes les plus sujets à controverse, parmi lesquels la distribution de la communion aux [divorcés] remariés et les unions homosexuelles.

C’est notamment à cause de ce questionnaire – dont les réponses seront ultérieurement publiées de manière intentionnelle par certains épiscopats de langue allemande – qu’est née dans l'opinion publique l'idée qu’il s’agit de questions que l’on peut considérer comme déjà "ouvertes" non seulement en théorie mais également en pratique.

On peut trouver une manifestation de cette fuite en avant, par exemple, dans le diocèse de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, dont l’archevêque, Robert Zollitsch, est également le président de la conférence des évêques d’Allemagne. Dans un document qui émane de l’un de ses services pastoraux, celui-ci encourage l'accès des divorcés remariés à la communion, sur la simple base d’"une décision de conscience".

Depuis Rome, le préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard L. Müller, réagit en publiant de nouveau dans "L'Osservatore Romano", le 23 octobre 2013, une note qu’il a rédigée antérieurement et qui a été publiée quatre mois plus tôt en Allemagne, dans laquelle il confirme et explique cette interdiction de communier.

Mais cet appel qu’il adresse au diocèse de Fribourg pour que celui-ci retire son document ne donne aucun résultat. Bien au contraire, le cardinal allemand Reinhard Marx ou, en recourant à des termes plus grossiers, le cardinal hondurien Óscar Rodríguez Maradiaga, critiquent Müller, à qui ils reprochent sa "prétention" de tronquer la discussion à ce sujet. Marx et Maradiaga font l’un comme l’autre partie du conseil des huit cardinaux à qui le pape François a demandé de l’aider dans le gouvernement de l’Église universelle. Le pape n’intervient pas pour apporter son soutien à Müller.

Les 20 et 21 février 2013, les cardinaux se réunissent à Rome en consistoire. Le pape François leur demande de débattre de la famille et il charge du discours d’ouverture le cardinal Walter Kasper. Celui-ci a déjà été, au début des années 90, le partisan belliqueux d’un dépassement de l’interdiction de communier qui frappe les [divorcés] remariés, mais il a été battu, à cette époque-là, par Jean-Paul II et par Joseph Ratzinger.

Pendant le consistoire, qui se déroule à huis clos, Kasper reprend complètement ses prises de position. De nombreux cardinaux s’opposent à lui, mais François le gratifie de très grands éloges. Par la suite, Kasper affirmera que c’est "en accord" avec le pape qu’il avait élaboré ses propositions.

Par ailleurs, Kasper a reçu du pape le privilège de rompre le silence à propos de ce qu’il a dit pendant le consistoire, contrairement à tous les autres cardinaux. Lorsque, le 1er mars, son discours est publié par surprise dans le quotidien italien "Il Foglio", ce même discours est, en fait, déjà en cours d’impression aux éditions Queriniana. L'écho de la publication est immense.

Au début du printemps, dans le but de contrebalancer l'impact des propositions de Kasper, la congrégation pour la doctrine de la foi programme la publication, dans "L'Osservatore Romano", d’une intervention d’orientation contraire qui a été rédigée par un cardinal de premier plan. Mais la publication de ce texte se heurte au veto du pape.

Cependant les propositions de Kasper font l’objet de critiques sévères et argumentées provenant d’un bon nombre de cardinaux qui interviennent à de multiples reprises dans différents organes de presse. À la veille du synode, cinq de ces cardinaux publient de nouveau, dans un livre, leurs interventions précédentes, et ils mentionnent, comme complément d’information, des essais qui ont été rédigés par d’autres chercheurs et par un haut dirigeant de la curie, jésuite, archevêque, fin connaisseur de la pratique des Églises orientales en matière de mariage. Kasper déplore, avec une large approbation des médias, la publication de cet ouvrage qu’il présente comme un affront qui vise à frapper le pape.

Le 5 octobre, c’est l’ouverture du synode. Contrairement à ce qui se faisait dans le passé, les interventions en salle des séances ne sont pas rendues publiques. Le cardinal Müller proteste contre cette forme de censure. Mais il n’obtient pas gain de cause. Ce qui constitue une démonstration supplémentaire, dira-t-il, du fait que "je ne fais pas partie de l’équipe de mise en scène".

La direction opérationnelle du synode est composée du secrétaire général, Baldisseri, et du secrétaire spécial, Forte, à qui le pape adjoint ceux, qu’il a choisis personnellement, qui s’occuperont de rédiger le message et la "Relatio" de fin de synode. Ils appartiennent tous au "parti" du changement et à leur tête se trouve le ghostwriter de confiance du pape, Víctor Manuel Fernández, archevêque et recteur de l'Université Catholique de Buenos Aires.

Le fait que ce soit effectivement cette équipe qui assure la mise en scène du synode est devenu évident d’une manière spectaculaire le lundi 13 octobre. Ce jour-là, devant plus de deux cents journalistes en provenance du monde entier, le cardinal délégué qui était présenté formellement comme étant l'auteur de la "Relatio post disceptationem", c’est-à-dire le Hongrois Péter Erdö, a été interrogé à propos des paragraphes concernant l’homosexualité. Il a refusé de répondre et il a cédé la parole à Forte en déclarant : "Celui qui a rédigé ce passage doit savoir quoi dire, lui".

Lorsqu’on lui a demandé de préciser si les paragraphes concernant l'homosexualité pouvaient être interprétés comme un changement radical dans l'enseignement de l’Église à ce sujet, le cardinal Erdö a répondu : "Certainement !", marquant son désaccord sur ce point aussi.

En effet ces paragraphes reflètent non pas une orientation exprimée en salle des séances par un nombre important de pères synodaux – comme on s’attend à ce que soit le cas lorsqu’on lit une "Relatio" – mais ce qui a été dit par deux pères, tout au plus, sur près de deux cents, et en particulier par le jésuite Antonio Spadaro, directeur de "La Civiltà Cattolica", nommé membre du synode personnellement par le pape François.

Mardi 14 octobre, en conférence de presse, le cardinal sud-africain Wilfrid Napier a dénoncé en termes très sévères l'effet de l’abus de pouvoir qu’a commis Forte en insérant dans la "Relatio" ces paragraphes explosifs. Ceux-ci, a-t-il déclaré, ont placé l’Église dans une position "irredeemable", sans issue. Parce que, désormais, "le message est parti : voici ce que dit le synode, voici ce que dit l’Église. À ce point, il n’y a pas de correction qui tienne, tout ce que nous pouvons faire, c’est d’essayer de limiter les dégâts".

En réalité, au sein des dix cercles linguistiques dans lesquels les pères synodaux poursuivent la discussion, la "Relatio" fait l’objet d’un véritable massacre. À commencer par son langage "touffu, filandreux, excessivement verbeux et donc ennuyeux", comme le souligne impitoyablement le rapporteur officiel du groupe "Gallicus B" de langue française, dans lequel figurent pourtant deux champions de ce langage – et de ses contenus tout aussi vagues et ambigus – qui sont les cardinaux Christoph Schönborn et Godfried Danneels.

À la reprise des travaux en salle, le jeudi 16 octobre, le secrétaire général Baldisseri, à côté de qui se tient le pape, annonce que les rapports rédigés par les dix groupes ne seront pas rendus publics. Explosion de protestations. C’est le cardinal australien George Pell, physique et tempérament de rugbyman, qui exige avec le plus d’intransigeance que les textes soient publiés. Baldisseri cède. Le même jour, le pape François se voit contraint de compléter le pool chargé de la rédaction du rapport final, en y faisant entrer l'archevêque de Melbourne Denis J. Hart et surtout le combatif cardinal sud-africain Napier.

Cependant ce dernier avait vu juste. Parce que, quel que soit le résultat de ce synode dont le programme ne prévoit pas qu’il comporte une conclusion, l'effet recherché par ses metteurs en scène est en grande partie atteint.

En ce qui concerne l'homosexualité comme à propos du divorce et des remariages, en effet, le nouveau verbe réformateur qui est en tout état de cause mis en circulation dans le réseau mondial des médias a plus de valeur que le succès qui a été effectivement obtenu auprès des pères synodaux par les propositions de Kasper ou de Spadaro.

La partie pourra durer longtemps. Mais le pape François est patient. Dans "Evangelii gaudium" il a écrit que "le temps est supérieur à l’espace".

*

Pour ce qui est d’orienter le synode vers l'acceptation de la distribution de la communion aux divorcés remariés, la revue "La Civiltà Cattolica" s’est montrée particulièrement entreprenante, avec la publication d’un article selon lequel le concile de Trente aurait déjà frayé un passage dans cette direction   Remariages à Venise pour "La Civiltà Cattolica"

"La Civiltà Cattolica" est dirigée par le jésuite Antonio Spadaro et chaque numéro n’est imprimé qu’après avoir été examiné et approuvé par les plus hautes autorités du Vatican. Dans le cas présent, on peut facilement imaginer que c’est le pape, avec qui le père Spadaro entretient des rapports étroits et confidentiels, qui a donné son "placet" personnel.

Mais jusqu’à quel point la thèse qui fait du concile de Trente un signe avant-coureur des "ouvertures" du pontificat de Jorge Mario Bergoglio en matière de divorce est-elle fondée, historiquement ?

On peut lire ci-dessous une réfutation de l'article de "La Civiltà Cattolica". L'auteur est professeur de théologie morale au St. John Vianney Theological Seminar de Denver, aux États-Unis, et il a étudié en profondeur les actes du concile de Trente relatifs au mariage.

DAMNATIO MEMORIÆ ?

par E. Christian Brugger


Le père jésuite Giancarlo Pani, professeur d’histoire du christianisme à l’Université “La Sapienza” de Rome, a publié récemment, dans la revue "La Civiltà Cattolica", un essai intitulé "Mariage et 'remariages' au concile de Trente". Il défend dans ce texte la pratique de l’“oikonomia” par les Grecs en matière de mariage, pratique grâce à laquelle des mariages qui ont échoué peuvent être dissous et les époux concernés peuvent obtenir l’autorisation de se remarier, ou, ce qui est plus souvent le cas, obtenir que leurs “nouveaux mariages [soient] déclarés valides” par l’Église “après une pénitence”. Pani souhaite clairement que cette “tradition tolérante” parvienne à trouver également sa place au sein de l’Église catholique.

Pour soutenir cette aspiration, il fait appel à une autorité qui n’est rien de moins que celle du concile de Trente. Il pense que celui-ci aurait implicitement donné son accord à la pratique des Grecs en matière de divorce dans ses "canones de sacramento matrimonii".

Son argumentation présente deux défauts. Je me bornerai à faire allusion ici au premier, qui est le plus sérieux. Dans son essai, non seulement il présume, mais il déclare à plusieurs reprises que cette forme de divorce et de remariage n’est pas en conflit avec la doctrine de l’indissolubilité, sans fournir un argument pour justifier son affirmation. Celle-ci a été réfutée par Germain Grisez, John Finnis et William E. May, il y a vingt ans de cela, dans leur réponse critique aux évêques allemands Walter Kasper, Karl Lehman et Oskar Saier, qui avaient proposé un compromis pour permettre aux catholiques allemands divorcés et remariés de recevoir à nouveau l’eucharistie.

Le second problème réside dans l’interprétation que donne Pani du canon 7 du concile de Trente, relatif à l’indissolubilité. Il suit, sur ce point, l’interprétation très répandue du jésuite flamand Piet Fransen (1913-1983), dont la reconstitution, bien qu’elle soit reprise par beaucoup de gens, présente de graves défauts (1). Étant donné que l’article de Pani résume de manière satisfaisante les événements du mois d’août 1563, il n’est pas nécessaire de revenir sur ce point. Mais l’histoire plus large qu’il raconte mérite d’être examinée.

Bien que l’Église orthodoxe orientale – écrit Pani - “ait affirmé de manière rigoureuse et reconnu l’indissolubilité du mariage”, elle a cependant autorisé le divorce et le remariage dans certains cas. Les Pères et les théologiens du concile de Trente connaissaient l’ancien “ritus” (“coutume”) oriental et ils l’ont respecté. Beaucoup de pères conciliaires avaient des doutes à propos de la “clause d’exception” que l’on trouve dans l’évangile de Matthieu (“sauf le cas de fornication”). Ils n’étaient pas certains que la révélation divine excluait le remariage d’une manière absolue en cas d’adultère. En raison de ce doute, ils décidèrent de “s’exprimer clairement à propos de l’indissolubilité du mariage, mais également de dire que cette doctrine ne peut pas être considérée comme une partie constitutive de la révélation”. Leurs doutes atteignirent un point culminant au mois d’août 1563, lors de l’intervention célèbre de la délégation vénitienne, qui pria instamment les pères conciliaires de ne pas condamner directement le divorce et le remariage dans les cas d’adultère, en raison des pratiques des Grecs en matière de divorce dans les régions catholiques. Cette demande fut exaucée et, en fin de compte, le concile publia une formulation indirecte du canon 7. Cette attitude est évidemment due au fait qu’une large majorité de pères conciliaires préféra laisser en suspens la question de la légitimité des pratiques des Grecs en matière de divorce.

Pani regrette que cette “page” de l’enseignement du concile de Trente concernant le mariage “semble avoir été oubliée par l’histoire”. Mais comment pourrait-elle avoir été oubliée alors que Walter Kasper (2), Charles Curran (3), Michael Lawler (4), Kenneth Himes (5), James Coriden (6), Theodore Mackin S.J. (7), Victor J. Pospishil (8), Francis A. Sullivan S.J. (9), Karl Lehmann (10), and Piet Fransen S.J. (pour n’en citer que quelques-uns) l’ont répétée continuellement au cours des cinquante dernières années ? En réalité, cette histoire remonte au XVIIe siècle. Le théologien anti-romain Paolo Sarpi et le janséniste Jean de Launoy (12) soutinrent que le concile avait voulu laisser en suspens la question de savoir si le remariage consécutif à un divorce était quelquefois légitime (13).

Pani reproche aux secrétaires et aux chroniqueurs du concile leur “éloquent silence” à propos de cette histoire. Une autre interprétation de leur silence me paraît plus évidemment correcte : l’histoire racontée par Pani est une création postconciliaire. Cela ne veut pas dire que les événements qu’il cite, en particulier l’intervention des Vénitiens, ne se soient pas produits. Il est indiscutable qu’ils ont eu lieu. Mais il n’existe aucun fondement historique qui soutienne son affirmation selon laquelle le concile – j’entends par là la grande majorité des évêques votants – considérait le canon 7 comme excluant les pratiques des Grecs en matière de divorce. Avant le milieu du XXe siècle, beaucoup de chercheurs ont soutenu que le concile de Trente voulait définir l’indissolubilité absolue [du mariage] comme une vérité "de fide". C’est le cas, par exemple, de Dominic Palmieri (14) et de Giovanni Perrone (15), d’Alfred Vacant, l’éminent auteur et éditeur du "Dictionnaire de Théologie Catholique" français (16), et du théologien dogmatique George Hayward Joyce, S.J. (17). Plus récemment la même opinion a été défendue par le futur pape Joseph Ratzinger (18) et par les théologiens moralistes Germain Grisez et Peter Ryan, S.J. (19).

Pour démontrer de manière incontestable que l’interprétation de Pani-Fransen est erronée, il faudrait rédiger un texte long comme un livre. Mais on peut dire plusieurs choses pour montrer qu’elle est discutable. Pour comprendre quelles étaient les véritables intentions des pères à Trente, il ne faut pas commencer par s’intéresser, comme le fait Pani, à l’intervention de la délégation vénitienne. Il faut prendre tout d’abord en considération le très solide consensus des pères et des théologiens à chaque fois qu’ils ont discuté du mariage entre 1547 et le mois d’août 1563.

Lorsque le canon 6 (devenu par la suite le canon 7) fut présenté aux pères conciliaires le 20 juillet 1563, après avoir connu plusieurs versions, il était rédigé de la manière suivante :

"Si quelqu’un affirme que le mariage peut être dissous par l’adultère commis par l’un des époux et qu’il est permis aux deux époux, ou tout au moins à celui qui est innocent et qui n’a pas causé d’adultère, de se remarier, et que l’homme qui se remarie après avoir répudié son épouse adultère ne commet pas d’adultère, ni l’épouse qui, ayant répudié son mari adultère, se marie avec un autre homme : qu’il soit anathème" (20).

Il n’y a rien d’extraordinaire dans cette formulation, dans la mesure où son contenu est plus ou moins identique à celui des propositions précédemment condamnées (numéros 3-5) qui avaient été proposées au concile par Angelo Massarelli, le secrétaire général, au mois d’avril 1547 (21). Elle condamne de manière directe les propositions qui affirment que le mariage peut être dissous pour cause d’adultère ; qu’il est toujours licite pour des époux ayant commis l’adultère de se remarier, et qu’un époux qui divorce d’un conjoint ayant commis l’adultère et qui se remarie ne se rend pas coupable d’un adultère.

Dès les premières discussions au concile de Trente, tel a été le consensus des pères conciliaires. Quant aux "autorités" prises comme références, les prélats citèrent Notre Seigneur et saint Paul, les canons des Apôtres, Jérôme, Ambroise, Augustin, Jean Chrysostome, Origène, Hilaire, les papes Innocent Ier, Léon Ier, Alexandre III, et les conciles de Milève, d’Elvire, de Constance, de Florence, et Latran IV, entre autres. Lorsque des penseurs catholiques du XVIe siècle, tells qu’Érasme et Catharinus, suggérèrent que la doctrine de l’indissolubilité absolue soit édulcorée, leurs propositions furent condamnées par les facultés de théologie des universités de Cologne, de Louvain et de Paris. La conclusion d’Augustin - qui disait que la clause d’exception contenue dans Matthieu devait être interprétée en concordance avec les enseignements plus restrictifs que l’on trouve dans Luc 16, Marc 10, et Romains 7,1-3 - était acceptée par presque tout le monde ; “séparation des lits, pas de rupture du lien” était la maxime du jour.

Pani mentionne le doute significatif que l’indissolubilité absolue [du mariage] soulève chez l’évêque de Ségovie le 14 août 1563, comme le font tous les auteurs qui sont partisans de cette interprétation (22). Mais il ne signale pas que, dès les toutes premières discussions relatives au mariage, une majorité constante et substantielle affirmait, en opposition avec l’opinion de l’évêque de Ségovie, la maxime augustinienne "lit, pas lien," sans exceptions. Il devrait suffire de citer quelques noms pour faire la démonstration de ce point : le cardinal Cervini, président du concile et légat pontifical ; les archevêques Materanus, Naxiensis, Aquensis, et Armacanus ; les évêques Aciensis, Sibinicensis, Chironensis, Sebastensis, Motulanus, Motonensis, Mylonensis, Feltrensis, Bononiensis, Sibinicensis, Chironensis, Aquensis, Bituntinus, Aquinas, Mylensis, Lavellinus, Mylensis, Caprulanus, Grossetanus, Upsalensis, Salutiarum, Caprulanus, Veronensis, Maioricensis, Camerinensis, Thermularum, Mirapicensis et Vigorniensis.

Dans une déclaration sommaire insérée dans les Acta le 6 septembre 1547, on peut lire : “Les réponses des pères ont varié ; mais, dans leur grande majorité, ils ont été d’accord pour dire que l’adultère ne peut pas dissoudre un mariage ; que si une personne se remarie avec quelqu’un d’autre alors que son conjoint est toujours vivant, elle commet un adultère ; et que pour aucune raison les époux ne peuvent être séparés, excepté en ce qui concerne le lit” (23). Face aux "autorités" opposées à cette façon de voir, la majorité a été d’accord pour dire que “la séparation devrait être comprise uniquement dans le sens d’une séparation des lits et pas d’une rupture du lien conformément à l’interprétation donnée par les docteurs (et la déclaration de saint Paul en 1 Cor. 7, 10ss et en Romains 7, 2ss, de Marc 10, 11 et de Luc 16,18 ainsi que de Matthieu 5, 32 lui-même)”. En fin de compte, la majorité a été d’accord pour affirmer que “l’interprétation de la Sainte Écriture devrait concorder avec ce qu’enseigne l’Église” (24).

Lorsque la version du 20 juillet 1563 du canon 6 leur fut présentée, il y eut plus de 200 pères conciliaires (cardinaux, archevêques, évêques, abbés, généraux de congrégations) qui intervinrent pour la commenter. Ils savaient tous que la fin des débats à propos du mariage était proche. Si les pères avaient été très nombreux à ressentir des doutes ou une insatisfaction en raison du style très direct de la formulation, de l’inclusion de l’anathème, ou des implications du texte en ce qui concernait les pratiques des Grecs en matière de divorce (25), on pourrait s’attendre à ce qu’un nombre significatif de pères ait exprimé une objection – “non placet” – à l’égard de ce canon. Or ils ne furent que 17 à manifester leur désapprobation, essentiellement en raison des “opinions des Grecs”. Plus de 85 % des prélats ayant voté étaient satisfaits de la formulation directe d’un anathème qui condamnait le remariage après un adultère, et une large majorité d’entre eux approuvait explicitement son contenu ("placet").

Trois semaines plus tard, le 11 août, les Vénitiens proposèrent le recours à une formulation indirecte. Environ 136 prélats parlèrent en faveur de cette proposition. Qu’est-ce qui peut expliquer ce changement d’opinion ? Est-ce parce que les pères conciliaires préférèrent laisser ouverte la question de la légitimité des pratiques des Grecs en matière de divorce, comme le suggèrent Pani et d’autres ? Cette conclusion doit être rejetée. Est-il vraisemblable que, en l’espace de trois semaines, la grande majorité des prélats qui votaient ait renoncé à l’indissolubilité absolue dans le but de permettre, dans certains cas, le divorce et le remariage ? Dans la version finale du canon 7, le concile adopta quatre autres changements importants qui contredisent cette conclusion.

Tout d’abord, il ajouta la phrase “juxta evangelicam et apostolicam doctrinam” afin de s’assurer qu’il soit bien clair que les propositions qui suivaient et qui condamnaient le refus de l’indissolubilité en cas d’adultère trouvaient leur origine dans la révélation divine.

Deuxièmement, il remplaça l’expression normative “ne doit pas… contracter” (“non debere… contrahere”) par l’expression substantive “ne peut pas… contracter” (“non posse… contrahere”), de manière à faire bien comprendre que non seulement le remariage après un divorce constitue toujours un mal, mais qu’il est même impossible.

Troisièmement, pour être sûr que le canon traite de manière transparente de l’indissolubilité du lien du mariage, il adopta le terme “vinculum matrimonii” à la place de “matrimonium”.

Enfin, il adopta pour la première fois une préface doctrinale qui précédait ses canons relatifs au mariage. L’objectif était bien évidemment d’établir un cadre doctrinal au sein duquel les canons devaient être lus et interprétés. Cette introduction enracine la vérité de l’indissolubilité dans le droit naturel (l’ordre créé), l’inspiration du Saint-Esprit dans l’Ancien Testament ainsi que dans la volonté et l’enseignement de Jésus tels qu’ils sont exprimés dans le Nouveau Testament. Elle affirme aussi que ce ne sont pas seulement les “schismatiques” qui sont condamnés, mais également “leurs erreurs” (“eorumque errores”), c’est-à-dire leurs propositions erronées concernant la nature du mariage, y compris leur incontestable refus de l’indissolubilité absolue du mariage.

L’explication la plus plausible de ce soudain changement d’orientation est que les pères conciliaires sont restés convaincus que le mariage ne peut pas être dissous en raison d’un adultère, ou pour n’importe quelle autre raison, et qu’ils devaient enseigner ce point comme une vérité de foi. Ils avaient été prêts à l’enseigner sous la forme d’un anathème formulé de manière directe condamnant le fait de le rejeter. Mais l’intervention des Vénitiens les avait alertés à propos d’une possible conséquence d’un tel choix, c’est-à-dire la perturbation du délicat équilibre des relations entre les chrétiens grecs et la hiérarchie romaine dans les îles de la Méditerranée.

Ils étaient convaincus que la proposition affirmant l’indissolubilité absolue du mariage était vraie et qu’elle se rapportait à la révélation divine et ils avaient l’intention d’enseigner l’une et l’autre, mais en procédant de manière à ce que les conséquences indésirables soient minimisées. S’ils choisirent une formulation indirecte, ce n’est pas parce qu’ils avaient des doutes à propos de l’interprétation de la “clause d’exception”, ni parce qu’ils avaient peur du scandale que l’on créerait en “anathématisant Ambroise,” ou parce qu’ils souhaitaient laisser les Grecs libres de suivre leurs anciennes coutumes en matière de divorce. L’appel lancé par les Vénitiens remporta la victoire parce que, au point de vue pastoral, une formulation indirecte risquait moins de perturber les relations entre les Grecs et Rome dans les territoires qui appartenaient à Venise.

D’après Pani, les pères conciliaires, lorsqu’ils ont publié le canon 7, voulaient seulement condamner Luther et les réformateurs, sans pour autant critiquer les pratiques des Grecs en matière de divorce. Cette idée de Pani est en contradiction avec l’opinion motivée que la grande majorité des pères conciliaires et des théologiens a exprimée entre le printemps 1547 et la fin de l’été 1563 à propos de l’indissolubilité absolue du mariage. Comme le disent Ryan et Grisez : “Bien que le concile de Trente n’anathématise pas [de manière explicite] la pratique de l’'oikonomia', le canon 7 a comme conséquence que l’application de celle-ci au ‘remariage’ après un divorce est contraire à la foi” (26).

L’expression “damnatio memoriæ” que Pani emploie ironiquement convient tout à fait. Toutefois ce ne sont pas les Actes du concile, ni les secrétaires, les chroniqueurs ou les commentateurs qui imposent le silence à propos du véritable enseignement du concile de Trente. Ce sont plutôt ceux qui, au nom de la “miséricorde évangélique”, voudraient remplacer une vérité "de fide" par une fantaisie “tolérante”.

NOTES

(1) La thèse de doctorat que Fransen a consacrée au canon 7 ("De indissolubilitate Matrimonii christiani in casu fornicationis. De canone septimo Sessionis XXIV Concilii Tridentini, Jul.-Nov. 1563") a été soutenue à l’université grégorienne en 1947. Au cours des années 1950, Fransen a encore publié dans la revue "Scholastik" six autres essais relatifs à l’enseignement du concile de Trente concernant le mariage qui ont fait école. Ils ont été réimprimés dans un recueil d’essais de Fransen intitulé "Hermeneutics of the Councils and Other Studies", édité par H.E. Mertens et F. de Graeve, Louvain, Belgique, Leuven University Press, 1985. Fransen a résumé les conclusions de ces essais dans un essai rédigé en anglais qui a eu beaucoup de lecteurs, paru sous le titre “Divorce on the Ground of Adultery – The Council of Trent (1563)”, qui a donné lieu à un tiré à part de la revue "Concilium", intitulé "The Future of Marriage as Institution", ed. Franz Böckle, New York : Herder and Herder, 1970, 89-100.

(2) Kasper, "Theology of Christian Marriage", New York: Crossroad, 1977, note 87, p. 98, voir aussi p. 62.

(3) Charles Curran, "Faithful Dissent", Sheed & Ward, 1986, 269, 272.

(4) Michael Lawler, “Divorce and Remarriage in the Catholic Church : Ten Theses”, New Theology Review, vol. 12, n° 2 (1999), 56.

(5) Kenneth Himes et James Coriden, “The Indissolubility of Marriage : Reasons to Reconsider”, Theological Studies, vol. 65, n° 3 (2004), 463.

(6) Ibid.

(7) Theodore Mackin, "Divorce and Remarriage", New York, Paulist Press, 1984, 388.

(8) Victor J. Pospishil, "Divorce and Remarriage", New York, Herder and Herder, 1967, 66-68.

(9) Francis Sullivan, "Creative Fidelity : Weighing and Interpreting Documents of the Magisterium", New York, Paulist Press, 1996, 131-134.

(10) Karl Lehmann, "Gegenwart des Glaubens", Mayence, Matthias-Grünwald-Verlag, 1974, 285-286.

(11) Paolo Sarpi (1552-1623), “Istoria del Concilio Tridentino”, Londres, 1619 ; traduction en anglais, "History of the Council of Trent" (1676). Son "Istoria", très lue par les Protestants, a été critiquée comme ayant une orientation hostile à la curie romaine ; cf. L.F. Bungener, "History of the Council of Trent", New York, Harper & Brothers, 1855, XIX-XX.

(12) Jean de Launoy (1603–1678) ; cf. "De regia in matrimonium potestate" (1674), par. III, art. I, cap. 5, n° 78 ; in "Opera", Cologne/Genève, 1731, tom. 1, cap. I, p. 855.

(13) Bossuet a écrit à propos de Sarpi : “C’était un protestant sous un habit religieux, qui disait la messe sans y croire et qui resta dans une Église qu’il considérait comme idolâtre”. Cf. Bertrand L. Conway, C.S.P., “Original Diaries of the Council of Trent”, The Catholic World, vol. 98 (Oct. 1913-March 1914), 467.

(14) Domenico Palmieri, "Tractatus de Matrimonio Christiano", Typographia Polyglotta S. C. de Propaganda Fide (Rome 1880), p. 142.

(15) G. Perrone, S.J., "De Matrimonio Christiano", 3 vol., Rome, 1861, vol. 3, ch. 4, a. 2, p. 379-380.

(16) A. Vacant, s.v., “Divorce”, in "Dictionnaire de théologie catholique", 1908, vol. XII, col. 498-505.

(17) George Hayward Joyce, S.J., "Christian Marriage : An Historical and Doctrinal Study", London : Sheed and Ward, 1933, 395.

(18) Dans un essai publié en 1972, “Zur Frage nach der Unauflöslichkeit der Ehe : Bemerkungen zum dogmengeschichtlichen Befund und zu seiner gegenwärtigen Bedeutung” (in Ehe und Ehescheidung : Diskussion Unter Christen, éd. Franz Henrich et Volker Eid (Munich : Kösel, 1972, 47, 49), Ratzinger dit qu’il suit Fransen à propos du canon 7. Mais en 1986 il montre qu’il a changé d’opinion : “La position de l’Église à propos de l’indissolubilité du mariage sacramentel et consommé… a en fait été définie au concile de Trente et par conséquent elle appartient au patrimoine de la Foi” (cf. citation dans Charles Curran, "Faithful Dissent", Sheed & Ward, 1986, p 269).

(19) Peter F. Ryan, S.J. et Germain Grisez, “Indissoluble Marriage : A Reply to Kenneth Himes and James Coriden", Theological Studies 72 (2011), 369-415.

(20) CT, IX, 640.

(21) Cf. CT, VI, 98-99.

(22) CT, XI, 709.

(23) CT, VI, 434

(24) CT, VI, 434-435.

(25) “Non placet, quia ferit Græcos et Ambroise” (Archbishop Cretensis), CT, IX, 644.

(26) Op. cit., note 180.


Le texte intégral de l'important article, écrit en 1994 et publié dans la revue des dominicains britanniques "New Blackfriars" par Germain Grisez, John Finnis et William E. May, qui s’opposait aux prises de position des évêques allemands Walter Kasper, Karl Lehmann et Oskar Saier, en faveur de l’admission des divorcés remariés à la communion   Indissolubility, Divorce and Holy Communion

Le texte lu pendant le synode comme conclusion de la première semaine de discussions en séances, qui contient les trois paragraphes explosifs (50-52) concernant l'homosexualité   Relatio post disceptationem

 Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.


 

Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 17.10.2014- T/International

 

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