Message de Benoît XVI pour la
célébration de la Journée pour la Paix 2011 |
|
Le 16 décembre 2010
-
(E.S.M.)
- Nous publions le texte du Message du Saint-Père Benoît XVI pour la 44è Journée Mondiale de la Paix qui sera célébrée le 1° janvier 2011 sur le sujet: "Liberté religieuse, chemin vers la paix"
|
Message de Benoît XVI pour la
célébration de la Journée pour la Paix 2011
Le 16 décembre 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Nous publions le texte du Message du Saint-Père Benoît XVI pour la 44è
Journée Mondiale de la Paix qui sera célébrée le 1° janvier 2011 sur le
sujet: "Liberté religieuse, chemin vers la paix"
MESSAGE DE SA SAINTETÉ
BENOÎT XVI
POUR LA CÉLÉBRATION DE LA
JOURNÉE MONDIALE DE LA PAIX
1er JANVIER 2011
LIBERTÉ RELIGIEUSE, CHEMIN VERS LA PAIX
1. AU DÉBUT D’UNE ANNÉE NOUVELLE, mes vœux voudraient rejoindre tous et
chacun ; vœux de sérénité et de prospérité, mais surtout vœux de paix.
L’année qui vient de se clôturer a été marquée, elle aussi, malheureusement
par la persécution, la discrimination, par de terribles actes de violence et
d’intolérance religieuse.
Je pense en particulier à la chère terre d’Irak qui, dans sa marche vers une
stabilité et une réconciliation tant souhaitées, continue à être une scène
de violences et d’attentats. Viennent à la mémoire les récentes souffrances
de la communauté chrétienne, et tout particulièrement le lâche attentat
contre la cathédrale siro-catholique Notre-Dame du Perpétuel Secours, à
Bagdad, où, le 31 octobre dernier, deux prêtres et plus de cinquante fidèles
ont été tués, alors qu’ils étaient réunis pour la célébration de la sainte
Messe. Et il y eut d’autres attaques les jours suivants, aussi contre des
habitations privées, suscitant la peur au sein de la communauté chrétienne
et le désir, chez beaucoup de ses membres, d’émigrer pour aller chercher de
meilleures conditions de vie. Je les assure de ma proximité et de celle de
toute l’Eglise. Ce sentiment a été concrètement exprimé lors de la récente
Assemblée spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Evêques. Cette
Assemblée a adressé un encouragement aux communautés catholiques en Irak et
dans tout le Moyen-Orient à vivre la communion et à continuer à offrir un
témoignage courageux de foi en ces régions.
Je remercie vivement les Gouvernements qui s’efforcent de soulager les
souffrances de ces frères en humanité et j’invite les catholiques à prier
pour leurs frères dans la foi qui souffrent violences et intolérances, et à
leur manifester leur solidarité. Dans ce contexte, j’ai ressenti de manière
particulièrement vive l’opportunité de partager avec vous tous quelques
réflexions sur la liberté religieuse, chemin vers la paix. Il est douloureux
en effet de constater que, dans certaines régions du monde, il n’est pas
possible de professer et de manifester librement sa religion, sans mettre en
danger sa vie et sa liberté personnelle. En d’autres points du monde, il
existe des formes plus silencieuses et plus sophistiquées de préjugés et
d’opposition à l’encontre des croyants et des symboles religieux. Les
chrétiens sont à l’heure actuelle le groupe religieux en butte au plus grand
nombre de persécutions à cause de leur foi. Beaucoup subissent des offenses
quotidiennes et vivent souvent dans la peur à cause de leur recherche de la
vérité, de leur foi en Jésus Christ et de leur appel sincère afin que soit
reconnue la liberté religieuse. Tout cela ne peut être accepté, parce que
cela constitue une offense à Dieu et à la dignité humaine ; de plus, c’est
une menace à la sécurité et à la paix, et cela empêche la réalisation d’un
réel développement humain intégral[1].
C’est en effet dans la liberté religieuse que se trouve l’expression de la
spécificité de la personne humaine, qui peut ainsi ordonner sa vie
personnelle et sociale selon Dieu : à Sa lumière se comprennent pleinement
l’identité, le sens et le but de la personne. Nier ou limiter de manière
arbitraire cette liberté signifie cultiver une vision réductrice de la
personne humaine ; mettre dans l’ombre le rôle public de la religion
signifie engendrer une société injuste, puisque celle-ci n’est pas en
harmonie avec la vraie nature de la personne humaine ; cela signifie rendre
impossible l’affirmation d’une paix authentique et durable de toute la
famille humaine.
J’exhorte donc les hommes et les femmes de bonne volonté à renouveler leur
engagement pour la construction d’un monde où tous soient libres de
professer leur religion ou leur foi, et de vivre leur amour pour Dieu de
tout leur cœur, de toute leur âme et de tout leur esprit (cf. Mt 22,37).
Voilà le sentiment qui inspire et guide le Message pour la XLIVème Journée
Mondiale de la Paix, consacré au thème : Liberté religieuse, chemin vers la
paix.
Le droit sacré à la vie et à une vie spirituelle
2. Le droit à la liberté religieuse s’enracine dans la dignité même de la
personne humaine[2], dont la nature transcendante ne doit être ni ignorée ni
négligée. Dieu a créé l’homme et la femme à son image et à sa ressemblance
(cf. Gn 1,27). C’est pour cela que chaque personne a le droit sacré à une
vie intègre aussi du point de vue spirituel. Sans la reconnaissance de son
être spirituel, sans l’ouverture au transcendant, la personne humaine se
replie sur elle-même, et elle n’arrive pas à trouver des réponses aux
interrogations de son cœur sur le sens de la vie et à conquérir des valeurs
et des principes éthiques durables. Elle ne peut donc même pas réussir à
expérimenter une authentique liberté et à développer une société juste[3].
La Sainte Ecriture, en harmonie avec notre propre expérience, révèle la
valeur profonde de la dignité humaine : « A voir ton ciel, ouvrage de tes
doigts, la lune et les étoiles que tu fixas, qu’est donc le mortel, que tu
t’en souviennes, le fils d’Adam, que tu le veuilles visiter ? A peine le
fis-tu moindre qu’un dieu ; tu le couronnes de gloire et de beauté, pour
qu’il domine sur l’œuvre de tes mains ; tout fut mis par toi sous ses pieds
» (Ps 8, 4-7).
Devant la sublime réalité de la nature humaine, nous pouvons faire
l’expérience du même émerveillement que le psalmiste. Elle se manifeste
comme ouverture au Mystère, comme capacité de s’interroger en profondeur sur
soi-même et sur l’origine de l’univers, comme intime résonnance à l’Amour
suprême de Dieu, principe et fin de toutes choses, de toute personneet de
tous les peuples[4]. La dignité transcendante de la personne est une valeur
essentielle de la sagesse judéo-chrétienne, mais grâce à la raison, elle
peut être reconnue par tous. Cette dignité, comprise comme une capacité de
transcender sa propre matérialité et de rechercher la vérité, doit être
reconnue comme un bien universel, indispensable pour la construction d’une
société orientée vers la réalisation et la plénitude de l’homme. Le respect
des éléments essentiels de la dignité de l’homme, tels que le droit à la vie
et le droit à la liberté religieuse, est une condition de la légitimité
morale de toute norme sociale et juridique.
Liberté religieuse et respect mutuel
3. La liberté religieuse est à l’origine de la liberté morale. En effet,
l’ouverture à la vérité et au bien, l’ouverture à Dieu, qui est enracinée
dans la nature humaine, confère une pleine dignité à chaque personne et elle
est garante d’un respect mutuel et plénier entre les personnes. C’est
pourquoi la liberté religieuse doit être comprise non seulement comme une
absence de la coercition, mais d’abord comme une capacité d’ordonner ses
choix selon la vérité.
Il existe un lien infrangible entre liberté et respect ; car, « la loi
morale oblige tout homme et tout groupe social à tenir compte, dans
l’exercice de leurs droits, des droits d’autrui, de leurs devoirs envers les
autres et du bien commun de tous »[5].
Une liberté ennemie ou indifférente à l’égard de Dieu finit par se nier
elle-même et ne garantit pas le plein respect de l’autre. Une volonté qui se
croit radicalement incapable de rechercher la vérité et le bien n’a plus de
raisons objectives ni de motifs pour agir, sinon ceux que lui imposent ses
intérêts momentanés et contingents, elle n’a pas « une identité » à
conserver et à construire en opérant des choix vraiment libres et
conscients. Elle ne peut donc revendiquer le respect de la part d’autres «
volontés », elles aussi détachées de leur être plus profond et qui, de ce
fait, peuvent faire valoir d’autres « raisons » ou même aucune « raison ».
L’illusion que l’on puisse trouver dans le relativisme moral la clé d’une
coexistence pacifique, est en réalité l’origine des divisions et de la
négation de la dignité des êtres humains. On comprend alors qu’il soit
nécessaire de reconnaître une double dimension dans l’unité de la personne
humaine : la dimension religieuse et la dimension sociale. A cet égard, il
est inconcevable que des croyants « doivent se priver d’une partie
d’eux-mêmes – de leur foi – afin d’être des citoyens actifs ; il ne devrait
jamais être nécessaire de nier Dieu pour jouir de ses droits »[6].
La famille, école de liberté et de paix
4. Si la liberté religieuse est chemin vers la paix, l’éducation religieuse
est une route privilégiée pour donner aux nouvelles générations la
possibilité de reconnaître en l’autre un frère et une sœur, avec qui marcher
ensemble et collaborer pour que tous se sentent comme les membres vivants
d’une même famille humaine, au sein de laquelle personne ne doit être exclu.
La famille fondée sur le mariage, expression d’une union intime et d’une
complémentarité entre un homme et une femme, s’insère dans ce contexte comme
première école de formation et de croissance sociale, culturelle, morale et
spirituelle des enfants, qui devraient toujours trouver dans leur père et
leur mère les premiers témoins d’une vie orientée vers la recherche de la
vérité et de l’amour de Dieu. Les parents eux-mêmes devraient être toujours
libres de transmettre, sans entraves et de manière responsable, leur
patrimoine de foi, de valeurs et de culture à leurs enfants. La famille,
première cellule de la société humaine, reste le milieu primordial de
formation pour des relations harmonieuses à tous les niveaux de la
convivialité humaine, nationale et internationale. Nous trouvons ici la
route à suivre avec sagesse pour construire un tissu social solide et
solidaire, pour préparer les jeunes à prendre leurs propres responsabilités
dans la vie, au sein d’une société libre, dans un esprit de compréhension et
de paix.
Un patrimoine commun
5. On pourrait dire que, parmi les droits et les libertés fondamentaux
enracinés dans la dignité humaine, la liberté religieuse jouit d’un statut
spécial. Quand la liberté religieuse est reconnue, la dignité de la personne
humaine est respectée à sa racine même, et l’ethos et les institutions des
peuples se consolident. A l’inverse, quand la liberté religieuse est niée,
quand on essaie d’empêcher de professer sa religion ou sa foi et de vivre en
conformité avec elles, la dignité humaine est lésée, et de cette manière se
trouvent menacées la justice et la paix, lesquelles se fondent sur l’ordre
social juste qui s’édifie à la lumière de la Vérité Suprême et du Souverain
Bien.
En ce sens, la liberté religieuse est aussi un acquis de civilisation
politique et juridique. C’est un bien essentiel : toute personne doit
pouvoir exercer librement le droit de professer et de manifester
individuellement ou de manière communautaire, sa religion ou sa foi, aussi
bien en public qu’en privé, dans l’enseignement et dans la pratique, dans
les publications, dans le culte et dans l’observance des rites. Elle ne
devrait pas rencontrer d’obstacles si elle désire, éventuellement, adhérer à
une autre religion ou n’en professer aucune. En ce domaine, la
règlementation internationale se révèle emblématique et est un exemple
essentiel pour les Etats, en ce qu’elle ne permet aucune dérogation à la
liberté religieuse, sauf l’exigence légitime de l’ordre public pénétré par
la justice[7]. La règlementation internationale reconnaît ainsi aux droits
de nature religieuse le même status que le droit à la vie et à la liberté
personnelle, car ils appartiennent au noyau essentiel des droits de l’homme,
à ces droits universels et naturels que la loi humaine ne peut jamais nier.
La liberté religieuse n’est pas le patrimoine exclusif des croyants, mais de
la famille tout entière des peuples de la terre. C’est l’élément
incontournable d’un Etat de droit ; on ne peut pas la nier sans porter
atteinte en même temps à tous les droits et aux libertés fondamentales,
puisqu’elle en est la synthèse et le sommet. Elle est « le ‘papier
tournesol’ qui permet de vérifier le respect de tous les autres droits
humains »[8]. Celle-ci favorise l’exercice des facultés plus spécifiquement
humaines tout en créant les prémisses nécessaires pour la réalisation d’un
développement intégral, lequel concerne de manière unitaire la totalité de
la personne en chacune de ses dimensions[9].
La dimension publique de la religion
6. La liberté religieuse, comme toute liberté, tout en provenant de la
sphère personnelle, se réalise dans la relation avec les autres. Une liberté
sans relations n’est pas une liberté achevée. La liberté religieuse ne
s’épuise pas non plus dans la seule dimension individuelle, mais elle se met
en œuvre dans la communauté dont elle fait partie et dans la société, ceci
en cohérence avec l’être relationnel de la personne et avec la nature
publique de la religion.
La mise en relation est une composante décisive de la liberté religieuse qui
pousse les communautés des croyants à pratiquer la solidarité en vue du bien
commun. Dans cette dimension communautaire, chaque personne reste unique et
absolument originale, tout en se complétant et en se réalisant pleinement.
On ne peut pas nier la contribution que les communautés religieuses
apportent à la société. Nombreuses sont les institutions caritatives et
culturelles qui attestent le rôle constructif des croyants pour la vie
sociale. D’une importance plus grande encore est la contribution éthique de
la religion dans le domaine politique. Elle ne devrait pas être marginalisée
ou interdite, mais comprise comme un apport valable à la promotion du bien
commun. Dans cette perspective il convient de mentionner la dimension
religieuse de la culture, tissée au long des siècles grâce aux contributions
sociales et surtout éthiques de la religion. Une telle dimension ne
constitue en aucune manière une discrimination vis-à-vis de ceux qui n’en
partagent pas la croyance, mais elle renforce plutôt la cohésion sociale,
l’intégration et la solidarité.
Liberté religieuse, force de liberté et de
civilisation :
les dangers de son instrumentalisation
7. L’instrumentalisation de la liberté religieuse pour masquer des intérêts
occultes, comme par exemple la subversion de l’ordre établi, l’accaparement
de ressources ou le maintien du pouvoir de la part d’un groupe, peut
provoquer des dommages énormes aux sociétés. Le fanatisme, le
fondamentalisme, les pratiques contraires à la dignité humaine, ne peuvent
jamais trouver une justification, encore moins si cela est accompli au nom
de la religion. La profession d’une religion ne peut pas être
instrumentalisée, ni imposée par la force. Il faut donc que les Etats et les
diverses communautés humaines n’oublient jamais que la liberté religieuse
est une condition de la recherche de la vérité et que la vérité ne s’impose
pas par la violence mais par « la force de la vérité elle-même »[10]. En ce
sens, la religion est une force positive et propulsive pour la construction
de la société civile et politique.
Comment nier la contribution des grandes religions du monde au développement
de la civilisation ? La recherche sincère de Dieu a conduit à un plus grand
respect de la dignité de l’homme. Les communautés chrétiennes, avec leur
patrimoine de valeurs et de principes, ont fortement contribué à la prise de
conscience de la part des personnes et des peuples, de leur identité et de
leur dignité, de même qu’à la conquête d’institutions démocratiques et à
l’affirmation des droits de l’homme ainsi que des devoirs correspondants.
Aujourd’hui encore, dans une société toujours plus mondialisée, les
chrétiens sont appelés, non seulement à un engagement civil, économique et
politique responsable, mais aussi au témoignage de leur charité et de leur
foi, à offrir une contribution précieuse à l’engagement rude et exaltant
pour la justice, le développement humain intégral et le juste ordonnancement
des réalités humaines. Exclure la religion de la vie publique, c’est enlever
à cette dernière un espace vital qui ouvre à la transcendance. Sans cette
expérience originelle, orienter les sociétés vers des principes éthiques
universels s’avère pénible et il devient difficile de mettre en place des
règlements nationaux et internationaux où les droits et les libertés
fondamentaux peuvent être pleinement reconnus et mis en œuvre comme se le
proposent les objectifs – malheureusement encore négligés ou contredits – de
la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948.
Un problème de justice et de civilisation :
le fondamentalisme et l’hostilité à l’égard des croyants
nuisent à la laïcité positive des Etats
8. La même détermination avec laquelle sont condamnées toutes les formes de
fanatisme et de fondamentalisme religieux, doit animer aussi l’opposition à
toutes les formes d’hostilité à l’égard de la religion, qui limitent le rôle
public des croyants dans la vie civile et politique.
On ne peut oublier que le fondamentalisme religieux et le laïcisme sont des
formes spéculaires et extrêmes du refus du légitime pluralisme et du
principe de laïcité. Tous deux, en effet, absolutisent une vision réductrice
et partiale de la personne humaine, favorisant dans le premier cas, des
formes d’intégralisme religieux, et dans le second, de rationalisme. La
société qui veut imposer, ou qui, au contraire, nie la religion par la
violence, est injuste à l’égard de la personne et de Dieu, mais aussi envers
elle-même. Dieu appelle à lui l’humanité dans un dessein d’amour qui, alors
qu’il concerne la personne tout entière dans sa dimension naturelle et
spirituelle, exige d’y répondre en termes de liberté et de responsabilité,
de tout son cœur et de tout son être, individuel et communautaire. La
société elle-même, en tant qu’expression de la personne et de l’ensemble de
ses dimensions constitutives, doit donc vivre et s’organiser en sorte de
favoriser l’ouverture à la transcendance. C’est précisément pour cela que
les lois et les institutions d’une société ne peuvent pas être configurées
en ignorant la dimension religieuse des citoyens ou au point d’en faire
totalement abstraction. Elles doivent se mesurer – grâce à la participation
démocratique de citoyens conscients de leur haute vocation – à l’être de la
personne afin de pouvoir la seconder dans sa dimension religieuse. N’étant
pas une création de l’Etat, elle ne peut être manipulée par lui ; elle
devrait plutôt en recevoir reconnaissance et respect.
Lorsque l’ordonnancement juridique, à tous les niveaux, national et
international, permet ou tolère le fanatisme religieux ou antireligieux, il
manque à sa mission même qui est de protéger et de promouvoir la justice et
le droit de chacun. Ces réalités ne peuvent être abandonnées à l’arbitraire
du législateur ou de la majorité, car, comme l’enseignait déjà Cicéron, la
justice consiste en quelque chose de plus qu’un simple acte productif de la
loi et de son application. Elle implique de reconnaître à chacun sa
dignité[11], laquelle, sans liberté religieuse, garantie et vécue dans son
essence, résulte mutilée et lésée, exposée au risque de tomber sous la coupe
des idoles, des biens contingents transformés en absolus. Tout cela risque
de mener la société à des totalitarismes politiques et idéologiques qui
donnent une place exagérée au pouvoir public, tandis que les libertés de
conscience, de pensée et de religion sont humiliées ou jugulées, comme si
elles pouvaient lui faire concurrence.
Dialogue entre institutions civiles et religieuses
9. Le patrimoine de principes et de valeurs exprimés par une religiosité
authentique est une richesse pour les peuples et pour leur ethos. Ce
patrimoine parle directement à la conscience et à la raison des hommes et
des femmes, il leur rappelle l’impératif de la conversion morale, les incite
à cultiver la pratique des vertus et à se rapprocher les uns des autres avec
amour, sous le signe de la fraternité, en tant que membres de la grande
famille humaine[12].
Dans le respect de la laïcité positive des institutions étatiques, la
dimension publique de la religion doit toujours être reconnue. Dans ce but,
il est fondamental que s’instaure un dialogue sincère entre les institutions
civiles et religieuses pour le développement intégral de la personne humaine
et l’harmonie de la société.
Vivre dans l’amour et dans la vérité
10. Dans l’univers mondialisé caractérisé par des sociétés toujours plus
multi-ethniques et multi-confessionnelles, les grandes religions peuvent
représenter un important facteur d’unité et de paix pour la famille humaine.
A partir de leurs propres convictions religieuses et de la recherche
rationnelle du bien commun, leurs fidèles sont appelés à vivre de manière
responsable leur propre engagement dans un contexte de liberté religieuse.
Au sein des cultures religieuses variées, s’il faut rejeter tout ce qui est
contraire à la dignité de l’homme et de la femme, il est nécessaire, à
l’inverse, d’accueillir comme un trésor tout ce qui s’avère positif pour la
convivialité civile. L’espace public que la communauté internationale rend
disponible pour les religions et pour leur proposition d’une « vie bonne »,
favorise l’émergence d’une mesure commune de vérité et de bien, ainsi qu’un
consensus moral, qui sont essentiels pour une coexistence juste et
pacifique. Les leaders des grandes religions, en vertu de leur rôle, de leur
influence et de leur autorité dans leurs propres communautés, sont appelés
les tout premiers au respect mutuel et au dialogue.
Les chrétiens, pour leur part, sont invités, par la foi même en Dieu, Père
du Seigneur Jésus-Christ, à vivre en frères, qui se rencontrent dans
l’Eglise et qui collaborent à l’édification d’un monde où les personnes et
les peuples ne feront « plus de mal ni de violence […] car le pays sera
rempli de la connaissance du Seigneur, comme les eaux couvrent le fond de la
mer » (Is 11,9).
Le dialogue comme recherche en commun
11. Pour l’Eglise, le dialogue entre les fidèles des diverses religions
représente un instrument important pour collaborer au bien commun avec
toutes les communautés religieuses. L’Eglise elle-même ne rejette rien de ce
qui est vrai et saint dans les diverses religions. « Elle considère avec un
respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines
qui, quoiqu’elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu’elle-même tient
et propose, cependant apportent souvent un rayon de la vérité qui illumine
tous les hommes »[13].
Le chemin ainsi indiqué n’est pas celui du relativisme ou du syncrétisme
religieux. L’Eglise en effet « annonce, et elle est tenue d’annoncer sans
cesse, le Christ qui est "la voie, la vérité et la vie" (Jn 14,6), dans
lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans
lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses »[14]. Cela n’exclut pas
cependant le dialogue et la recherche commune de la vérité dans divers
milieux vitaux, car, selon une expression souvent utilisée par saint Thomas
d’Aquin, « toute vérité, qui que ce soit qui la dise, vient de l’Esprit
Saint »[15].
En 2011 sera fêté le 25e anniversaire de la Journée mondiale de prière pour
la paix, convoquée en 1986 à Assise par le vénérable Jean-Paul II. A cette
occasion, les responsables des grandes religions du monde ont manifesté
combien la religion est un facteur d’union et de paix et non de division et
de conflits. Le souvenir de cette expérience est un motif d’espérance en un
avenir où tous les croyants se sentent et deviennent effectivement artisans
de justice et de paix.
Vérité morale dans la politique et dans la diplomatie
12. La politique et la diplomatie devraient prendre en considération le
patrimoine moral et spirituel offert par les grandes religions du monde pour
reconnaître et affirmer des vérités, des principes et des valeurs
universelles qui ne peuvent être niés sans nier en même temps la dignité de
la personne humaine. Mais, dans la pratique, qu’est-ce que cela veut dire
promouvoir la vérité morale dans le monde de la politique et de la
diplomatie ? Cela signifie agir de manière responsable à partir de la
connaissance objective et complète des faits ; cela veut dire déstructurer
des idéologies politiques qui finissent par supplanter la vérité et la
dignité humaine et veulent promouvoir des pseudo valeurs sous le couvert de
la paix, du développement et des droits humains ; cela veut dire favoriser
un engagement constant pour fonder la loi positive sur les principes de la
loi naturelle[16]. Tout cela est nécessaire et est cohérent avec le respect
de la dignité et de la valeur de la personne humaine, respect garanti par
les Peuples de la terre dans la Charte de l’Organisation des Nations Unies
de 1945, qui présente des valeurs et des principes moraux universels de
référence pour les normes, les institutions, les systèmes de coexistence au
niveau national et international.
Au-delà de la haine et des préjugés
13. En dépit des enseignements de l’histoire et de l’engagement des Etats,
des Organisations internationales au niveau mondial et local, en dépit des
efforts des Organisations non gouvernementales et de tous les hommes et
femmes de bonne volonté qui, chaque jour, se dépensent pour la sauvegarde
des droits et des libertés fondamentaux, on constate aujourd’hui encore,
dans le monde des persécutions, des discriminations, des actes de violence
et d’intolérance liés à la religion. En Asie et en Afrique en particulier,
les principales victimes sont les membres des minorités religieuses,
auxquels il est interdit de professer librement leur religion ou d’en
changer, par des intimidations, par la violation des droits et des libertés
fondamentaux et des biens essentiels, allant jusqu’à la privation de la
liberté personnelle ou même de la vie.
Il existe en outre - comme je l’ai déjà dit - des formes plus élaborées
d’hostilité envers la religion, qui, dans les pays occidentaux, se
manifestent parfois par le reniement de l’histoire et des symboles religieux
dans lesquels se reflètent l’identité et la culture de la majorité des
citoyens. Ces attitudes alimentent souvent haine et préjugés et ne sont pas
cohérentes avec une vision sereine et équilibrée du pluralisme et de la
laïcité des institutions, sans compter qu’elles peuvent empêcher les jeunes
générations d’entrer en contact avec le précieux héritage spirituel de leurs
pays.
La défense de la religion passe par la défense des droits et des libertés
des communautés religieuses. Que les leaders des grandes religions du monde
et les responsables des Nations renouvellent donc leur engagement pour la
promotion et la sauvegarde de la liberté religieuse, en particulier pour la
défense des minorités religieuses, qui ne représentent pas une menace pour
l’identité de la majorité, mais représentent au contraire une opportunité de
dialogue et d’enrichissement culturel réciproque ! Leur défense est la
meilleure manière de renforcer l’esprit de bienveillance, d’ouverture et de
réciprocité avec lequel protéger les droits et les libertés fondamentaux
dans tous les domaines et toutes les régions du monde.
La liberté religieuse dans le monde
14. Je m’adresse maintenant aux communautés chrétiennes qui souffrent de
persécutions, de discriminations, de violences et d’intolérance,
particulièrement en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et spécialement en
Terre Sainte, lieu choisi et béni par Dieu. Tout en leur renouvelant
l’assurance de mon affection paternelle et de ma prière, je demande à tous
les responsables d’agir avec promptitude pour mettre fin à toute brimade
contre les chrétiens qui habitent dans ces régions. Puissent les disciples
du Christ, confrontés aux adversités du moment, ne pas perdre courage, car
le témoignage rendu à l’Evangile est et sera toujours signe de contradiction
!
Méditons en notre cœur les paroles du Seigneur Jésus : « Heureux les
affligés, car ils seront consolés. Heureux les affamés et assoiffés de la
justice, car ils seront rassasiés. […] Heureux êtes-vous quand on vous
insultera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous
toute sorte d’infamie à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse,
car votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5, 5-12). Renouvelons
donc « l’engagement pris par nous à l’indulgence et au pardon, que nous
demandons à Dieu dans le Notre Père, en posant nous-mêmes la condition et la
mesure de la miséricorde désirée. En effet, nous prions ainsi :
"Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont
offensés" (Mt 6, 12) »[17]. La violence ne se vainc pas par la violence. Que
notre cri de douleur soit toujours accompagné par la foi, par l’espérance et
le témoignage de l’amour de Dieu ! J’exprime aussi le souhait qu’en
Occident, spécialement en Europe, cessent l’hostilité et les préjugés à
l’encontre des chrétiens qui veulent donner à leur vie une orientation
cohérente avec les valeurs et les principes exprimés dans l’Evangile. Que
l’Europe apprenne plutôt à se réconcilier avec ses propres racines
chrétiennes : elles sont essentielles pour comprendre le rôle qu’elle a eu,
qu’elle a et veut avoir dans l’histoire ; elle saura ainsi faire
l’expérience de la justice, de la concorde et de la paix, en cultivant un
dialogue sincère avec tous les peuples.
La liberté religieuse, chemin vers la paix
15. Le monde a besoin de Dieu. Il a besoin de valeurs éthiques et
spirituelles, universelles et partagées, et la religion peut offrir une
contribution précieuse dans leur recherche, pour la construction d’un ordre
social juste et pacifique au niveau national et international.
La paix est un don de Dieu et en même temps un projet à mettre en œuvre,
jamais complètement achevé. Une société réconciliée avec Dieu est plus
proche de la paix, qui n’est pas simplement l’absence de guerre, qui n’est
pas le simple fruit d’une prédominance militaire ou économique, ni encore
moins de ruses mensongères ou d’habiles manipulations. La paix, en fait, est
le résultat d’un processus de purification et d’élévation culturelle, morale
et spirituelle de chaque personne et chaque peuple, processus dans lequel la
dignité humaine est pleinement respectée. J’invite tous ceux qui désirent
devenir artisans de paix, et spécialement les jeunes, à se mettre à l’écoute
de la voix intérieure qui est en eux, pour trouver en Dieu, le point de
référence stable pour la conquête d’une liberté authentique, la force
inépuisable pour orienter le monde avec un esprit nouveau, capable de ne pas
répéter les erreurs du passé. Comme l’enseigne le Serviteur de Dieu Paul VI,
dont la sagesse et la clairvoyance nous ont valu l’institution de la Journée
Mondiale de la Paix : « Il faut avant tout donner à la Paix d’autres armes
que celles destinées à tuer et à exterminer l’humanité. Il faut surtout les
armes morales, qui donnent force et prestige au droit international, à
commencer par l’observation des pactes »[18]. La liberté religieuse est une
arme authentique de la paix, et elle a une mission historique et
prophétique. En effet, elle valorise et fait fructifier les qualités les
plus intimes et les potentialités de la personne humaine capables de changer
et rendre meilleur le monde. Elle permet de nourrir l’espérance en un avenir
de justice et de paix, même devant les graves injustices et les misères
matérielles et morales. Puissent tous les hommes et toutes les sociétés, à
tout niveau et en tout point de la terre, faire sans tarder l’expérience de
la liberté religieuse, chemin vers la paix !
Au Vatican, le 8 décembre 2010.
BENEDICTUS PP XVI
[1] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate,nn. 29.
55-57.
[2] Cf. Concile œucuménique Vatican II, Déclaration sur la liberté
religieuse Dignitatis humanae, n. 2.
[3] Cf. Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 78.
[4] Cf. Concile œcuménique Vatican II, Déclaration sur les relations de
l’Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n.1.
[5] Ibid. Déclaration sur la liberté religieuse Dignitatis humanae, n. 7.
[6] Benoît XVI, Discours à l’Assemblée Générale de l’Organisation des
Nations Unies (18 avril 2008) : AAS 100 (2008), 337, DC 2403 (2008°, p. 537.
[7] Cf. Concile œcuménique Vatican II, Déclaration sur la liberté religieuse
Dignitatis humanae, n.2.
[8] Jean-Paul II, Discours aux participants à l’Assemblée Parlementaire de
l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) (10
octobre 2003), 1 : AAS 96 (2004), p. 111.
[9] Cf. Caritas in veritate, n. 11.
[10] Cf. Concile œcuménique Vatican II, Déclaration sur la liberté
religieuse Dignitatis humanae, n. 1.
[11] Cf. Cicéron, De inventione, II,160.
[12] Cf. Benoît XVI, Discours aux Représentants des autres religions du
Royaume-Uni (17 septembre 2010) : L’Osservatore Romano (18 septembre 2010),
p.12 ; DC 2454 (2010), p. 876.
[13] Concile oecuménique Vatican II, Déclaration sur les relations de
l’Eglise avec les religions non chrétiennes Nostra aetate, n.2.
[14] Ibid.
[15] Super evangelium Joannis, I,3.
[16] Cf. Benoît XVI, Discours aux Autorités civiles et au Corps diplomatique
à Chypre (5 juin 2010) : L’Osservatore Romano (6 juin 2010), p. 8 ; DC 2448
(2010), p. 572-573 ; Commission Théologique Internationale, A la recherche
d’éthique universelle : Nouveau regard sur la loi naturelle, Cité du
Vatican, 2009.
[17] Paul VI, Message pour la Journée mondiale de la Paix 1976 : AAS 67
(1975), 671 ; DC 1686 (1975), p. 953.
[18] Ibid. : AAS, 67 (1975), p. 668 ; DC, 1686 (1975), p. 953.
► [Allemand,
Anglais,
Espagnol,
Français,
Italien,
Polonais,
Portugais]
► Présentation du Message du pape pour la XLIVe Journée mondiale de la paix
Sources : www.vatican.va
-
E.S.M.
© Copyright 2010 - Libreria Editrice Vaticana
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 16.12.2010 -
T/Benoît XVI
|