Lectures herméneutiques du Concile Œcuménique |
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Rome, le 15 novembre 2007 -
(E.S.M.) - Les changements de l'ère Vatican II
ont-ils ou non porté atteinte à l'essence du catholicisme ?
"L'Osservatore Romano" remet le grand intellectuel suisse au goût du
jour. Et l'archevêque Agostino Marchetto démolit les thèses de ses
adversaires: "l'école de Bologne", fondée par Dossetti et Alberigo.
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Mgr
Agostino Marchetto -
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C'est ici
L’interprétation du Concile comme rupture et nouveau début est en train de
disparaître
Grands retours: Romano Amerio et les variations de
l'Eglise catholique
par Sandro Magister
Parmi les nouveautés de "L'Osservatore Romano", désormais dirigé par
le professeur Giovanni Maria Vian, il en est une qui concerne un
intellectuel d’une importance exceptionnelle dans la culture catholique du
XXe siècle: le Suisse Romano Amerio, mort à Lugano en 1997 à 92 ans.
En 1985, lorsqu’Amerio a publié son chef-d’œuvre "Iota unum. Studio delle
variazioni della Chiesa cattolica nel secolo XX", le journal du
Saint-Siège a refusé de publier la critique du livre qui avait été demandée
à celui qui était alors préfet de la Bibliothèque Ambrosienne, Mgr Angelo
Paredi. La critique avait été jugée trop favorable et depuis,
"L'Osservatore" a décidé de ne pas en parler. C’est ainsi que les autorités
du Vatican elles aussi se sont jointes à ceux qui ont fait tomber un silence
intolérant sur ce livre et son auteur.
Aujourd’hui, "L'Osservatore Romano" a pris la décision inverse. Il a
décidé non pas de garder le silence à propos d’Amerio, mais d’en parler. En
bien.
L’occasion: un congrès sur Amerio organisé à Ancône, centre de l’Italie, par
le Centro Studi Oriente Occidente, dix ans après la mort du grand
penseur suisse.
La question de fond que pose Amerio dans "Iota unum" – et dans sa
suite posthume "Stat Veritas" sortie en 1997 – est la suivante:
"Tout le problème concernant l’état actuel de l’Église
peut se résumer ainsi: l’essence du catholicisme est-elle préservée ? Les
variations introduites le font-ils perdurer dans des circonstances variables
ou bien le transforment-elles en quelque chose d’autre ? [...] Notre livre
tout entier est un recueil de preuves de cette transformation".
Amerio a été mis au ban comme emblème de la "réaction anti-conciliaire".
Mais en réalité la question qu’il a posée avec une rigueur à la fois
philologique et philosophique, avec une rare liberté d’esprit et en même
temps avec une obéissance totale à l’Église est une question que l’on
ne peut ni emprisonner ni mettre de côté.
Le point de non-retour a été le discours de Benoît XVI à la curie, le 22
décembre 2005 (Allocution
du pape Benoît XVI, analyse 2005, orientations 2006. Texte intégral),
centré justement sur la juste interprétation des "variations" de l’Église
avant et après le Concile Vatican II.
Après ce discours capital, il aurait été impardonnable de continuer à ne pas
parler d’Amerio. Le premier signe que le philosophe suisse était à nouveau
admis à l’"agora" publique de l’Église remonte à avril 2007. Il s’agissait
d’une critique positive, par "La Civiltà Cattolica" – la revue des
jésuites de Rome imprimée après révision préalable des autorités du Vatican
– d’un livre de son disciple Enrico Maria Radaelli: "Romano Amerio. Della
verità e dell'amore".
Mais aujourd’hui, c’est "L'Osservatore Romano" qui rompt le silence
de manière définitive. Le samedi 10 novembre 2007, le journal du pape a non
seulement ouvert ses colonnes au congrès d’Ancône, mais il a aussi publié
les conclusions de l’un des relateur et admirateurs d’Amerio, l’archevêque
Agostino Marchetto, intitulées: "Per una
corretta interpretazione del Concilio Vaticano II [Pour une
interprétation correcte du Concile Vatican II]".
Ce n’est pas tout. Dans un commentaire signé par Raffaele Alessandrini, "L'Osservatore
Romano" a apprécié chez Amerio sa critique prévoyante du "processus
de sécularisation qui est aussi en cours au sein du monde chrétien"
et des "risques du relativisme envahissant".
Une critique menée au nom de la "primauté de la
vérité sur l’amour", l’un des fondements de la pensée d’Amerio,
dont le renversement – écrit Alessandrini – s’avère de plus en plus une "douce
tromperie", une confusion qui met toutes les religions au même
niveau. Pire, "une attaque contre le Christ, Verbe
de Dieu fait homme, le Logos". En bref, "seule
la vérité rend libre et non l’inverse". Même un catholique
éloigné de la pensée d’Amerio comme le père Lorenzo Milani – écrit encore
Alessandrini – partageait avec lui la "primauté de la vérité sur l’amour".
Il avait compris que la fidélité de l’Église à son essence originelle se
fonde sur cet "ordre".
Au congrès d’Ancône, plusieurs chercheurs ont parlé d’Amerio sous différents
angles. Son disciple Enrico Maria Radaelli, en charge de ses œuvres, les
philosophes métaphysiciens Matteo D’Amico et Dario Sacchi, de l’Université
catholique de Milan, Mgr Antonio Livi, de l’Université pontificale du
Latran, Pietro De Marco, de l’Université de Florence, le père Pietro Cantoni,
ex-membre de la Fraternité saint Pie X et enseignant dans le "Studium"
théologique des diocèses de Toscane.
Le seul qui n’ait jamais mentionné Amerio au cours de son intervention a été
l’archevêque Agostino Marchetto. Après avoir passé 30 ans dans la diplomatie
pontificale, Mgr Marchetto est aujourd’hui secrétaire du conseil pontifical
pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement. En tant
qu’historien de l’Église, Mgr Marchetto est pourtant l’auteur de nombreux
comptes rendus d’ouvrages où il critique vertement l’exaltation du
Concile Vatican II comme "rupture et nouveau début"
encouragée par l’"école de Bologne", fondée par le père Giuseppe Dossetti et
Giuseppe Alberigo. Une exaltation aux antipodes des analyses d’Amerio sur l’Église
catholique au XXe siècle.
Le texte intégral de l’intervention de Mgr Marchetto à Ancône est reproduit
ci-dessous. Elle vise essentiellement à démolir l’interprétation d’Alberigo
et de ses disciples.
Mais la polémique ne s’arrêtera pas là. Dans le prochain numéro de "Cristianesimo
nella storia", leur revue officielle, les chercheurs de l’"école de
Bologne" défendront à nouveau leur interprétation du Concile Vatican II.
Joseph A. Komonchak et Alberto Melloni ont fait comprendre à demi-mot qu’ils
vont tenter de mettre Benoît XVI de leur côté. Et de rappeler qu’il a promis
qu’il laisserait "sa documentation conciliaire à l’institut de Bologne".
En revanche, Mgr Marchetto et le cardinal Camillo Ruini vont faire de leur
part l’objet de nouvelles critiques. L’"école de Bologne" ne pardonne pas au
second d’avoir approuvé en public les critiques du premier à la "Storia
del Vaticano II" dirigée par Alberigo. Au point de déclarer:
“L’interprétation du Concile comme rupture et nouveau début est en train
de disparaître. C’est aujourd’hui une interprétation très faible et
dépourvue de réel soutien au sein de l’Église. Il est temps que
l’historiographie produise une nouvelle reconstruction de Vatican II qui
soit aussi, finalement, une histoire de vérité“.
Romano Amerio a consacré toute sa vie de chercheur et de catholique à la
suprématie de cette vérité.
Lectures herméneutiques du Concile Œcuménique
Vatican II
par Mgr Agostino Marchetto
Je voudrais commencer – en guise d’introduction – par le rappel de
l’importance vitale du lien profond entre théologie, histoire de l’Église et
droit. J’ai travaillé sur cette question au cours des 35 dernières années,
comme en témoigne mon livre "Chiesa e papato nella storia e nel diritto.
25 anni di studi critici" (Librairie éditrice du Vatican,
Cité du Vatican 2002).
J’ajouterai une observation fondamentale à propos de l’importance, de la
valeur doctrinale, spirituelle et pastorale du Concile Œcuménique Vatican II:
il est "icône" du catholicisme, constitutionnellement, mais aussi communion
avec le passé, avec les origines, identité en évolution, fidélité dans le
renouvellement. D’où la nécessité d’une bonne exégèse, d’une herméneutique
véridique, c’est-à-dire d’une interprétation basée sur le Concile Œcuménique
et respectueuse envers lui.
Vatican II a été "Grand". Les actes officiels nécessitent à eux seuls 62
volumes imposants, qui forment la base sûre pour une bonne compréhension et
une herméneutique correcte. Cependant, nombreux sont
ceux qui ont commencé à tisser leur toile d’interprétation avant même que
les actes – indispensables – ne soient publiés.
Ils se sont référés aux organes de direction du concile, c’est-à-dire qu’ils
se sont basés sur des écrits privés (des journaux intimes), sur la presse de
l’époque et sur des chroniques, qui sont cependant parfois d’une grande
valeur. Je pense par exemple à la chronique du P. Caprile.
Ici se pose déjà la question de l’examen de ces écrits et de la critique
croisée. En effet, même une lecture rapide laisse apparaître des divergences
et des différences d’attributions et de "bons points" (pour certaines
positions "gagnantes" au final) et des connaissances partielles au regard de
la complexité des affaires synodales (enchevêtrement de règlements,
"pressions", mouvements, "batailles" contre le "conservatisme", ou la curie,
pour défendre la tradition ou la modernité, magistère du Magistère, ou les
interprétations de l’intention pastorale-œcuménique de Jean XXIII).
Je ne réfute pas pour autant l’apport des journaux intimes, comme l’a fait
par exemple Eric Mahieu pour ceux de Congar. Ces journaux donnent d’ailleurs
de la saveur et constituent des "ingrédients" d’un tout. Mais il faut les
confronter aux actes officiels sans tomber dans une histoire fragmentée, une
chronique ou un encyclopédisme, en pratiquant une dispersion, une
dissection, une vivisection ou un décorticage du Concile lui-même. Rappelons
à cette occasion les journaux de Chenu, Edelby, Charue – et les inventaires
des papiers de Suenens et de De Smedt –, Congar, Prignon, Betti et Philips,
en attendant celui de Felici. A mentionner également, les ouvrages de S.
Schmidt sur Bea, celui de B. Lai sur Siri, ceux de J. Ratzinger – avec deux
"rappels" sur le but du Concile et sur les "sources" de la Révélation –,
mais aussi – et il s’agit encore de mémoires – ceux du cardinal Suenens. Mon
ouvrage "Il Concilio Ecumenico Vaticano II. Contrappunto per la sua
storia", à la Librairie éditrice du Vatican
(2005, pp. 407), traite de ce
sujet.
La problématique sous-jacente à l’utilisation des journaux intimes est, pour
beaucoup, liée à la volonté de diminuer l’importance des documents finaux du
Concile (l’"esprit" du Concile! Mais c’est en fait l’esprit de ce corpus),
la synthèse de la Tradition et du renouveau (c’est-à-dire aggiornamento),
pour faire prévaloir une recherche "ciblée"
à l’avance, qui nous est apparue dès le début
comme idéologique. Cette recherche se concentre
uniquement sur les innovations, sur la discontinuité par rapport à la
Tradition. L’exemple le plus explicite se trouve dans "L'evento e le
decisioni. Studi delle dinamiche del Concilio Vaticano II", de Maria
Teresa Fattori et Alberto Melloni.
La focalisation sur la discontinuité vient aussi de la tendance actuelle de
l’historiographie générale qui (après et contre Braudel et les Annales)
privilégie, dans l’interprétation historique, "l’événement",
conçu comme une discontinuité et un changement traumatique. Ainsi, dans l’Église,
si "l’événement" n’est pas tant un fait important qu’une rupture, une
nouveauté absolue, presque la naissance "in casu"
d’une nouvelle Église, une révolution
copernicienne, pour résumer, le passage à un autre
catholicisme – en perdant ses caractéristiques uniques – la
perspective mentionnée ci-dessus ne pourra et ne devra pas être acceptée
justement du fait de la spécificité catholique. Par conséquent, le livre
cité plus haut contient la critique des herméneutiques conciliaires d’hommes
qui ne sont certainement pas “fermés” ou contraires à Vatican II, tels que
Jedin, Kasper, Ratzinger et Poulat lui-même. Ainsi, la
position extrémiste (opposée au "consensus") au
sein de la majorité conciliaire (il y avait
aussi un extrémisme dans la minorité, qui s’est ensuite manifesté par le
schisme de Mgr Lefebvre) est presque parvenue, après
le Concile, à monopoliser son interprétation jusqu’à aujourd’hui, en
rejetant toute autre manière de faire, en la condamnant si nécessaire comme
anti-conciliaire (voir G. Dossetti, "Il Vaticano II. Frammenti di
una riflessione").
Il est donc nécessaire de rappeler ici l’intention (au singulier, alors que
beaucoup en parlent au pluriel) de Jean XXIII et de Paul VI en ce qui
concerne le Concile. Après une légère perplexité initiale ("un imbroglio"),
Paul VI a en fait adhéré de tout son cœur à l’engagement conciliaire, à
l’aggiornamento. Il suffit de penser à la lettre qu’il avait écrite au
cardinal Cicognani afin de donner une unité à la réflexion sur l’Église
ad intra et sur l’Église ad extra. Naturellement, il s’agissait
pour les deux papes d’un aggiornamento pastoral, dans la fidélité au "depositum".
Un de mes articles le démontre: "Tradizione e rinnovamento si sono
abbracciati: il Concilio Vaticano II", paru dans la "Rivista della
Diocesi di Vicenza", 1999 / n. 9, pp. 1232-1245, et dans "Bailamme",
n. 26 / 4, Juin-Décembre 2000, pp. 51-64). J’en rappelle les sous-titres:
problématique sous-jacente; l’intention de Jean XXIII et le sens de la
T(t)radition; l’intention de Paul VI; un exemple d’alliance: collégialité et
primauté; le dialogue et le consensus au sein du Concile pour atteindre
l’alliance entre renouvellement et Tradition.
Je citerai ici un seul passage, où Paul VI atteste que "celui
qui penserait que le Concile Vatican II représente un détachement, une
rupture ou une libération par rapport à l’enseignement de l’Église, ou bien
qu’il autorise ou encourage à se conformer à la mentalité de notre époque,
en ce qu’elle a d’éphémère et de négatif, ne serait pas dans le vrai"
("Insegnamenti di Paolo VI", vol. IV, 1966, p. 699).
A partir de cette toile de fond, nous pouvons désormais rappeler la
situation herméneutique des années 90. Celui qui veut compléter et
approfondir le sujet peut se reporter à mon livre sur le Concile,
Précisons dès maintenant que, selon nous, cette situation n’est pas bonne
puisqu’on constate un déséquilibre, une interprétation presque monocorde,
c’est-à-dire qui néglige cette alliance dont nous venons de parler.
Le "groupe de Bologne"
Dans les faits, ce groupe de chercheurs de Bologne – appelons-les comme cela
– dirigés par le professeur Giuseppe Alberigo et assistés par une équipe
soudée d’auteurs (certains, mais pas tous, venant de l’université catholique
de Louvain, Belgique), qui étaient fondamentalement sur la même ligne de
pensée, sont parvenus, grâce à des moyens importants, à des opérations bien
ciblées et à un large réseau d’amitiés, à monopoliser
et imposer une interprétation, déformée à notre avis. Et cela surtout
grâce à la publication d’une "Storia del Concilio Vaticano II" en
cinq volumes, aux éditions Peeters/Il Mulino. Ils sont déjà tous
parus en italien et les versions française, portugaise, russe et japonaise
sont en cours d’achèvement. On peut saisir toute la gravité de la situation
qui en découle en se référant à la présentation des volumes de l’ouvrage
dans mon étude citée précédemment (pp.
93-165). Pour donner un exemple concret, je vais vous lire
quelques unes de mes critiques aux "Conclusione e alle prime esperienze
di ricezione" par Giuseppe Alberigo dans le cinquième volume. L’auteur y
revient sur ses points de vue de toujours, que nous avons déjà critiqués à
maintes reprises. Je pense à l’opposition entre Jean XXIII et Paul VI, à la
question de la "modernité" (que cela signifie-t-il ?) et au passage –
infondé – de cette modernité à l’"humanité".
Je pense aussi au déplacement du centre de gravité conciliaire de
l’assemblée (et aux Acta Synodalia) aux commissions (et aux journaux
intimes), et à la tendance à considérer comme "nouveaux" des schémas qui ne
le sont pas. Je pense également au reproche fait à l’assemblée conciliaire
d’être "acéphale", et enfin à la vision partisane concernant la liberté
religieuse.
Je pense en outre à l’inspiration réductrice du Synodus Episcoporum//Synode
des évêques. A la "disparité entre les différents actes approuvés: leur
degré d’élaboration et de cohérence avec les lignes de fond de Vatican II
est de toute évidence inégale" (je me demande: au fait, qui donne ce
jugement ?). A la dévalorisation des voix des Pères, à
l’appauvrissement du code de droit canonique et, au contraire, au
goût pour la "loi partielle". Je pense encore, d’une façon critique, au
rappel de la "semaine noire" – qui, en fait d’être noire, a été la semaine
de l’éclaircissement. A la "Nota Explicativa Praevia" (qui aurait pu
constituer la base d’une "règle herméneutique"). A la prétendue "longue
attente" entre les décisions conciliaires de leur application qui aurait
justifié "des spontanéités tumultueuses". A la
réforme de la curie "dans une optique ecclésiologique néo-centralisatrice et
donc en contradiction justement avec Vatican II". Je pense au "silence
conciliaire" (le Concile est resté "muet": en a-t-il été vraiment ainsi ?)
sur certains sujets: finalité du mariage, génération
responsable et célibat sacerdotal. Au "choc provoqué dans le monde
chrétien par l’encyclique "Humanae
Vitae". A la nécessité d’une nouvelle grille de lecture de Vatican II. A
la défense renouvelée de la canonisation conciliaire de Jean XXIII. A la
dévalorisation des textes conciliaires par rapport à l’événement. A la
critique de leur édition usuelle et, par personne interposée, aux Acta
Synodalia sous la direction de Mgr Carbone.
Mais la grande question – "était-ce une transition historique ?" – qui
reçoit une réponse positive, est posée dans le chapitre suivant par Alberigo
lui-même dans le Ve volume de la "Storia". La pensée de l’auteur y
est un peu moins radicale et plus contenue dans son expression en certains
endroits qu’elle ne l’était auparavant (voir par exemple cette affirmation
exacte: "il n’y a pas eu un concile de la majorité
et un concile de la minorité, et encore moins un concile des vainqueurs et
un concile des vaincus. Vatican II est le résultat de tous les facteurs qui
y ont contribué"). Nous en prenons acte nous aussi avec plaisir,
après avoir lu tant de pages contre une minorité "anti-conciliaire" dans les
volumes précédents.
Cependant, Alberigo continue, même dans ce dernier chapitre, à exposer ses
points de vue bien connus, très critiquables, selon nous, puisqu’ils sont
dénaturés par une idéologie évidente. Laissons de côté certaines questions,
bien qu’elles aient leur importance, et considérons que l’auteur présente
Vatican II "avant tout comme un événement" et
ensuite comme "corpus de ses décisions". Notre critique porte
justement ici sur cette priorité. En effet, si l’on donne au mot événement
le sens que lui attribue actuellement l’historiographie profane, dont j’ai
déjà parlé, c’est-à-dire le sens d’une rupture par rapport au passé, nous ne
pouvons accepter une telle qualification
(voir notre note au sujet de "L'evento e
le decisioni" dans A. H. C., 1998, pp. 131-142, et dans "Apollinaris",
1998, pp. 325-337).
Cet événement est ensuite présenté, à juste titre, comme lié à l’"aggiornamento",
mais passé à travers le filtre de Chenu et à la "pastoralité",
mais en se référant ici aussi, à nouveau, à ce théologien et avec le rappel
d’une opposition à son "attitude de recherche" de la part du regretté Mgr
Maccarone.
Pour Alberigo, pastoralité et aggiornamento auraient posé “conjointement les
conditions nécessaires pour dépasser l’hégémonie de la théologie, comprise
comme un isolement de la dimension doctrinale de la foi et sa
conceptualisation abstraite, tout comme celle du ‘juridisme’“. Et d’ajouter
ces très graves affirmations: “La foi et
l’Église n’apparaissent plus comme liées à la doctrine, cette dernière
ne constituant même pas la dimension la plus importante. L’adhésion à la
doctrine, et surtout à une unique formulation doctrinale, ne peut plus être
le critère suprême pour discerner l’appartenance à l’Unam Sanctam“.
Quoi qu’il en soit, en matière d’œcuménisme Alberigo soutient à nouveau que
les observateurs non-catholiques “avaient été des membres à part entière du
Concile, bien que d’une manière informelle (sui generis). Il y a eu
une “communicatio in sacris“, même si elle était imparfaite. L’auteur
poursuit: “De cette façon, une conception pastorale-sacramentelle du
christianisme et de l’Église est apparue – ne serait-ce qu’en filigrane –
pendant Vatican II; elle tend à remplacer une précédente conception
doctrinale-disciplinaire". Remplacer ? Je m’interroge, stupéfait.
Vient ensuite le chapitre "Physionomie de l’Église et
dialogue avec le monde", avec, dès le départ, des équivoques et une
différenciation, à ce sujet, entre Jean XXIII et Paul VI. L’auteur relève
des différences entre les deux papes par rapport au Concile Vatican I
lui-même: "Ainsi, Paul VI a dû insister sur la constitution hiérarchique, au
point d’introduire la possibilité d’une communion hiérarchique. Cela a rendu
difficile l’entente harmonieuse avec l’ecclésiologie de la majorité
conciliaire, qui avait préféré ne pas reprendre la qualification de l’Église
comme corps mystique. Cette difficulté a eu pour point culminant la Nota
Explicativa Praevia, au chapitre 3 de la constitution
Lumen
Gentium". Que de sauts périlleux, même par la suite, pour différencier
les deux papes.
Un autre sujet brûlant a été intitulé "Le Vatican et
la tradition". A ce sujet, l’auteur considère qu’il existe une
"continuité substantielle" entre les textes préparatoires et les textes
finaux, mais également une "discontinuité par rapport au catholicisme
médiéval et à l’époque post-tridentine. Ce ne sont pas de réelles nouveautés
qui apparaissent, mais un effort pour proposer à nouveau l’ancienne foi en
des termes que l’homme contemporain peut comprendre". Pourtant, tout de
suite après, voilà que réapparaît la distinction entre Église et Royaume de
Dieu (de façon à ce que l’on en considère pas que la première est le germe
et le début du second), qui pose ainsi "les conditions nécessaires au
dépassement de ‘l’ecclésiocentrisme’ et donc à une relativisation de
l’ecclésiologie elle-même et à un recentrage de la réflexion chrétienne
Le professeur Alberigo introduit donc la vision d’un "parallélisme des
forces: épiscopat-pape-curie-opinion publique".
Il y a là de l’indulgence pour un certain psychologisme (crainte, fatigue,
apathie, marginalisation), une mise en cause de conférences épiscopales
continentales qui n’existent pas, une création d’analogies sans fondement
(avec les lobbies parlementaires, avec les "nations" des conciles de la fin
du Moyen Age), un rappel (valable pour tout le monde et pas seulement pour
le Coetus des traditionalistes) des mises en garde de Paul VI contre
l'organisation de groupes à l'intérieur du Concile et du "test de la
jalousie qui a freiné presque toutes les commissions".
Alberigo réserve aussi à la curie le traitement habituel. Elle a exercé son
"hégémonie sur la phase préparatoire comme sur celle qui l’a précédée". Elle
a été "un pôle de toute la vie de Vatican II, un pôle qui avait sa propre
vision de l’Église, dont elle était jalouse". Sont cités les noms du
cardinal Ottaviani, de Mgr Felici, des secrétaires d’état, qui "ont eu une
importante influence sur le concile, à la fois directement et en
conditionnant le pape". Il ne se rend pas
compte que ce sont, notamment les secrétaires d’état, les plus proches
collaborateurs du pape lui-même, ses bras droits. "La très forte incidence –
continue l'auteur – du conditionnement réalisé par la curie est apparue
surtout dans le poids des schémas préparatoires sur les travaux du concile,
jusqu’à sa fin". On est toujours dans l’équivoque: les
schémas n’étaient pas élaborés par la curie.
Alberigo reprend, l’une après l’autre, ses idées bien connues sur la
"première place qu’occupe l'action du Saint-Esprit et non pas celle du pape
ou de l’église et de son univers doctrinal" en ce qui concerne le Concile,
sur la doctrine sociale de l’Église, sur un Concile "piloté", sur la
méthode, sur la confrontation avec les sciences "profanes" et avec la
réflexion théologique de matrice protestante, sur l'"acceptation de
l’histoire". Il est question d’"un rapport organique entre histoire et
salut", grâce auquel on dépasse "la dichotomie entre histoire profane et
histoire sacrée. [...] C’est ainsi que l’histoire est reconnue comme ‘lieu
théologique'". Il présente aussi d’autres idées bien connues à propos de
l'utilisation rigoureuse de la méthode historico-critique et à propos de
l'alourdissement de Vatican II en raison d’un certain nombre de décrets
d'inspiration préconciliaire". Il concède quand même que le Concile "a, tout
compte fait, dépassé les attentes".
Notre présentation critique s’applique aussi à l’affirmation de la
"nouveauté" de ce Concile si, au-delà de ce qui est dit des différences
légitimes par rapport aux précédents conciles, on veut indiquer que les
critères de la "pastoralité" et de l'"aggiornamento" étaient "depuis trop
longtemps inhabituels – et même étrangers – au catholicisme". L'auteur
déprécie, par la même occasion, l'aspect juridique (les décisions
conciliaires auraient été "indicatives et non
contraignantes").
Toujours dans le domaine institutionnel, l'auteur fait également état, à
tort, d’un "renversement des priorités
[...] consistant en un abandon de la référence aux
institutions ecclésiastiques, à leur autorité et à leur efficacité comme
centre et critère de la foi et de l’Église". C’est une
affirmation grave et déséquilibrée si l’on se souvient que,
précédemment, Alberigo avait affirmé: "L'hégémonie du système
institutionnel sur la vie chrétienne avait atteint son sommet avec la
définition dogmatique du primat de l’évêque de Rome et de l'infaillibilité
de son magistère. [...] Au contraire c’est la foi, la communion et la
disponibilité à servir qui font l’Église; c’est en fonction de ces valeurs
directrices que l’on mesure l’inadéquation évangélique de la structure et
des comportements des institutions". Mais pourquoi opposer ainsi les
choses ? Je m’interroge.
Tout cela mène à la conclusion que "la manière dont
Vatican II a été accueilli – et peut-être même compris –
est encore incertaine et embryonnaire".
Nous ne serons pas aussi catégoriques et, en tout cas, Alberigo ne devrait
pas s’appuyer particulièrement sur le Synode extraordinaire de 1985, qui
s’est opposé à des herméneutiques comme la sienne. Et, du reste, comment
l'auteur peut-il condamner un prétendu aplatissement ecclésial des
institutions séculières alors qu’il propose sans cesse une démocratisation
de l’Église ? Le Concile pouvait-il faire plus ? se demande-t-il à la fin. "La
question est embarrassante et la réponse incertaine", mais Alberigo la
donne, révélant ainsi ses désillusions. Et pourtant Vatican II – qui n’était
pas œcuménique "strictu (sic) sensu". Pourquoi ? – "Il a
laissé derrière lui une église catholique bien différente de celle au sein
de laquelle il avait commencé". L'auteur appelle alors en consultation
Jedin, Rahner, Chenu, Pesch, Vilanova et Dossetti pour nous faire découvrir
la "troisième période de l’histoire de l’Église" (selon Pesch, que je trouve
très critiquable), et définir l'événement qu’est le Concile Vatican II comme
un "changement historique" et une "transition
historique". En effet "d’une part c’est le point d’arrivée et de
conclusion de la période post-tridentine et controversiste, et –
peut-être – des longs siècles constantiniens; d’autre part c’est
l’anticipation et le point de départ d’un nouveau cycle historique".
Et nous que dirons-nous à ce sujet ? Nous répéterons,
surtout, que nous n’acceptons pas la perspective de séparer l’événement et
les décisions conciliaires. Ensuite nous préciserons encore une fois que
c’est, pour nous, un grand événement mais que ce n’est pas une rupture, ni
une révolution, ni la quasi-création d’une nouvelle Église, ni l'abandon du
grand Concile de Trente et de Vatican I, ou de tout autre Concile œcuménique
précédent. Certes il y a eu un virage, mais, pour rester dans la métaphore
routière, ce n’est pas un "demi-tour". En fait il y a eu un "aggiornamento",
et le mot explique bien l'événement, la présence simultanée de "nova et
vetera", de fidélité et d’ouverture, comme le montrent, du reste, les
textes approuvés en Concile, tous les textes.
L'événement, donc, est un synode œcuménique
(cf., de M. Deneken, "L'engagement œcuménique
de Jean XXIII," in Revue des Sciences Religieuses", 2001, pp. 82-86).
C’est pourquoi on ne doit pas considérer comme un préjugé le fait de
l’analyser comme tel, à partir de ce qu’il est pour la foi catholique, tout
en tenant compte d’une de ses caractéristiques propres, à savoir
qu’il ne peut pas contredire ce que d’autres Conciles
œcuméniques ont défini. C’est un événement d’unité, de consensus. L’Église,
de plus, a toujours été l’amie de l'humanité, même si cela n’a pas signifié,
bien sûr, une amitié avec la modernité tout court, et en quel sens,
d’ailleurs ? Le professeur Alberigo tend à penser que "les éléments de
continuité avec la tradition conciliaire sont considérables, mais les
éléments de nouveauté aussi sont importants et peut-être le sont-ils
davantage". Nous ne raisonnons pas, nous, en termes de quantité, mais de
qualité, d’évolution fidèle et non de révolution
génératrice de troubles. C’est l’histoire qui nous dira si
Vatican II sera considéré comme une "transition historique", un "tournant
historique". Il ne nous reste qu’à attendre et à travailler tous, d’ici là,
à "accueillir" ce Concile de manière convenable, vraie, authentique, pas
seulement dans ses nouveautés, mais aussi dans sa continuité avec la grande
Tradition chrétienne, ecclésiale, catholique. Si je me suis beaucoup
occupé ici du professeur Alberigo, c'est parce que je trouve en lui la
racine de toute une herméneutique erronée.
Pour continuer ce développement, je citerai également ici l’ouvrage "Il
Concilio inedito. Fonti del Vaticano II", sous la direction de M.
Fagioli et G. Turbanti, avec deux citations significatives. La première
concerne "l’installation des archives et la publication officielle des actes
[qui] semblent devoir poser d’importantes questions préalables quant à
l'authenticité des interprétations possibles du concile lui-même. En effet
Paul VI a toujours manifesté une préoccupation et une vive inquiétude quant
aux conséquences que les interprétations partiales (sic!) des documents
pourraient entraîner dans la discipline ecclésiastique, car il craignait
que, au cours du processus de diffusion, des tendances radicales puissent
s’imposer et que de graves phénomènes de désunion se créent au sein de la
communauté ecclésiale". N’est-ce pas une préoccupation légitime pour un pape
? Les auteurs ne l’admettent qu’en partie parce que "le contrôle de la
documentation disponible [...] finit par rendre définitive une image précise
du concile qui, à la lumière d’autres sources, se révèle en définitive
partiale". En quel sens ? nous permettons-nous de demander. C’est
certainement celle que donnent les documents officiels, qui laissent la
porte ouverte à la recherche d’autres contributions ("sources diverses"),
mais pas au point de s’opposer à ce qui provient "ex actis et probatis".
La seconde citation, quant à elle, concerne une information importante
concernant la "Storia del Concilio Vaticano II " dirigée par Alberigo,
c’est-à-dire le fait que "les études menées jusqu’à présent ont utilisé une
partie relativement faible de cette masse documentaire". Il est précisé en
note: "Les sources rassemblées peu à peu par l'équipe qui a collaboré à
l’'Histoire du Concile' ont été normalement mises à la disposition de tous.
Cela n’empêche pas que chacun de ceux qui ont collaboré à l’'Histoire' les
ait utilisées plus ou moins largement, selon son propre jugement, en
recourant aussi à des sources complémentaires de diverses sortes". Il est
bon de le savoir, parce que cela confirme notre opinion quant au choix "ad
usum delphini" des sources. C’est l’une des grandes faiblesses de
l’"Histoire" en question, dans laquelle l’association avec les sources
officielles apparaît difficile et approximative.
Les volumes édités sous la direction du professeur Alberigo ont été
également préparés par des congrès et colloques organisés à cet effet. Ils
ont été réalisés en différents endroits et diffusés dans des publications
spécifiques, qui sont significatives puisqu’elles confirment les tendances
évoquées plus haut. On peut, si on le désire, en trouver des larges
comptes-rendus dans mon ouvrage déjà cité. Je signale aussi, en particulier,
"A la veille du Concile Vatican II. Vota et réactions en Europe et dans le
catholicisme oriental" (éd. par M. Lamberigts et Cl. Soetens, Leuven 1992),
dans lequel Alberigo (mais il le fait aussi ailleurs) fournit ses "critères
herméneutiques" personnels pour une histoire du Concile Vatican II que j’ai
fortement critiqués. Une rencontre d’une certaine importance a eu lieu
ensuite à Klingenthal (Strasbourg), en 1999; elle est à l’origine de
l’ouvrage, publié en collaboration par Mgr Doré et A. Melloni sous le titre
"Volti di fine Concilio". Cet ouvrage inclut "Studi di storia e teologia
sulla conclusione del Vaticano II". La conclusion est de Mgr Doré, qui
s’engage fondamentalement dans un difficile effort de synthèse et
d’assemblage de ce que les autres séparent. J’ai également donné un
compte-rendu de ce volume dans "Apollinaris" LXXIV
(2001), pp. 789 - 799.
Recherches générales sur le Concile et sur l’herméneutique correspondante
C’est vers 1995 que recommence l'audacieuse entreprise de recherches
globales, avec des synthèses plutôt "narratives", provisoires, et faites un
peu à la hâte, sur l’événement conciliaire "as a whole", dans son ensemble.
Les risques ? Les auteurs restent liés à leur vision partielle du concile et
il est difficile de mener une recherche vraiment scientifique avec un
objectif herméneutique qui demande une certaine sédimentation dans le temps
(c’est-à-dire un peu de "distance" par rapport à l'événement), un travail
long et patient d’assimilation et de contrôle des "chroniques" conciliaires
et des reportages journalistiques réalisés à l’époque (ils exercent
aujourd’hui encore une forte et néfaste influence), à la lumière des "Actes
du Concile" achevés seulement en 1999.
Pour rester en Italie, nous trouvons surtout le volume XXV / 1 et 2 de la "Storia
della Chiesa" commencée par Fliche-Martin, par M. Guasco, E. Guerriero et F.
Traniello. Dans cet ouvrage, le développement sur le Concile Vatican II a
été confié à R. Aubert, historien belge bien connu. Dans la présentation
correspondante (v. op. cit., pp. 177-196), je faisais remarquer, surtout,
quelques défauts semblables à ceux que l’on trouve chez le "groupe de
Bologne", mais avec une orientation plus équilibrée.
En tout cas, la conclusion d’Aubert, qui place Paul VI "tout à fait dans la
ligne tracée par Jean XXIII", en dit long sur sa position contraire à la
conviction d’Alberigo et de tous ceux qui se réfèrent à lui, y compris parmi
les Belges. Le chapitre VII présente ensuite les textes synodaux, dont le
"mérite" théologique, selon nous, devrait être davantage souligné, notamment
pour cet accueil souhaité par tous, au-delà de toute partialité. En effet, à
force de souligner les faiblesses des documents conciliaires, nous nous
demandons si on laisse place à l’acceptation de ce "magistère doctrinal dans
une optique pastorale" qui a été la caractéristique de Vatican II. C’est une
question générale et c’est une difficulté de notre époque, même si, bien
entendu, "la force et l’autorité des documents sont évaluées en fonction du
genre littéraire, des critères d’engagement et des sujets traités".
Toujours à propos de cette herméneutique conciliaire, qui est ici notre
principal centre d’intérêt, nous nous demandons aussi s’il est juste de
souligner – comme le fait Aubert – "la permanence de nombreuses ambiguïtés
dans les textes, ceux-ci superposant souvent des affirmations
traditionnelles et des propositions innovatrices plus qu’ils ne les
intègrent véritablement". Et encore: "Un tel manque de cohérence a souvent
produit des divergences d’interprétation, selon que l’on insistait de
manière unilatérale plutôt sur certains passages que sur d’autres. A cet
égard, une étude historique menée dans la sérénité permettrait de mieux
comprendre quelles ont été les intentions profondes de la grande majorité de
l'assemblée, au delà de la préoccupation de ce 'consensus' plus large".
Cependant nous ne pensons pas que l’on puisse arriver à la pensée
conciliaire en tant que telle, si l’on met de côté la préoccupation de ce
"consensus" qui a été vraiment une caractéristique synodale et qui a été
recherché non seulement pour lui-même, mais parce que s’y exprimaient la
fidélité à la Tradition et le désir d’incarnation, d’aggiornamento. De plus
seuls les textes définitifs, approuvés par le Concile et promulgués par le
Pasteur Suprême, "font foi", sinon chacun les recevra, comme il arrive
souvent, à sa manière, comme un prétexte pour son itinéraire personnel ou
encore pour sa préférence théologique ou "d’école".
L’historien belge que j’ai cité traite du même sujet dans un ouvrage à trois
mains (R. Aubert, G. Fedalto, D. Quaglioni) publié sous le titre "Storia dei
Concili" (San Paolo, Cinisello Balsamo, 1995), et, plus récemment, à deux
mains, avec N. Soetens, dans le XIIIe vol. de l'"Histoire du Christianisme"
(sous le titre "Crise et Renouveau, de 1958 à nos jours") publié en 2000,
sous la direction de Jean-Marie Mayeur (il existe une traduction en
italien). En comparaison avec l’effort précédent, qui est repris en grande
partie, la collaboration avec Soetens ne semble pas avoir profité à Aubert.
C’est un peu au-delà de cet auteur, peut-être dans une direction positive,
que s’est situé, assez récemment, Joseph Thomas, à qui est confié le
développement relatif à Vatican II dans l’ouvrage collectif "I Concili
Ecumenici", édité chez Queriniana, par Antonio Zani, en 2001; c’est la
traduction italienne d’un texte publié en français en 1989. Cet essai ne me
paraît pas encore assez calibré et équitable.
Alberigo s’est risqué à un travail de synthèse, avec l'édition d’une "Storia
dei Concili ecumenici" due à divers auteurs, éditée à Brescia en 1990, dans
laquelle il s’est réservé la partie relative aux Conciles Vatican. Une
cinquantaine de pages traitent de Vatican II. Nous y avons consacré une note
et il n’y a rien à ajouter à ce que nous avons déjà largement indiqué plus
haut
De plus, hors d’Italie, je ne peux pas me dispenser de rappeler, parce que
c’est caractéristique d’une combinaison théologico-sociologique, "Vatikanum
II und Modernisierung. Historische, theologische und soziologische
Perspektiven", (hrsg. F-X. Kaufmann, A. Zingerle, ed. F. Schoening,
Paderborn, 1996). N’étant pas sociologue, je n’approfondis donc pas le
jugement critique en ce domaine, mais il y aurait également beaucoup à dire
dans ce cas, au moins quand on sort de ses limites pour proposer des
interprétations unidimensionnelles et, selon nous, arbitraires sur le Concile
lui-même. C’est le cas du professeur Klinger et, dans une moindre mesure, de
Pottmeyer, mais dans un autre contexte. A propos de la sociologie, nous
refusons qu’elle soit "la maîtresse" de la théologie et nous prenons donc
largement nos distances par rapport à son "cheminement" sociologique. Cela
nous paraît juste et solidement établi. D'autre part le "montanisme" ou le "néomontanisme"
(dont peut découler – est-il dit ici – un "ghetto") sont des concepts
historico-théologiques, c’est-à-dire sur lesquels l’historien et le
théologien doivent de toute façon dire quelque chose, comme dans le cas, par
exemple, de "hiérocratie". Pour autant nous ne souhaitons pas sous-estimer
un "projet interdisciplinaire", comme l’ouvrage en question, même si nous en
reconnaissons les risques sous-jacents.
Pour une interprétation correcte du Concile
Face à un effort d’herméneutique aussi important – et nous aurions pu nous y
attarder encore davantage –, même si elle est fondamentalement
unidimensionnelle, dans la ligne d’interprétation la plus répandue, nous
pourrions peut-être nous sentir un peu seuls, ayant une position bien
différente, même si nous sommes consolés par ce qui se passe aussi pour le
Concile de Trente, et nous pensons à l’exégèse de Sarpi, qui a été dépassée
plus tard. En tout cas, nous sommes convaincus que l’histoire, les
documents, les futurs jugements "ex actis et probatis", feront une justice
herméneutique, avec le temps. D’ici là il faut de la patience, mais aussi du
travail, de l’engagement, des moyens.
Toutefois la nouvelle phase est née – nous semble-t-il – au cours de la
dernière décennie, et nous rappelons ici, pour commencer, le livre du
regretté Professeur L. Scheffczyk (créé cardinal par la suite) intitulé "La Chiesa. Aspetti della crisi postconciliare e corretta interpretazione del
Vaticano II" (Jaca Book, Como, 1998, avec une présentation par Joseph
Ratzinger), dans lequel est exprimé le souhait d’un rétablissement du sens
"catholique" de la réalité de l’Église, après la crise postconciliaire en ce
domaine. L'auteur a mis le doigt sur la plaie de l’herméneutique actuelle,
avec ces mots précis: "Chaque interprète ou chaque groupe ne prend en compte
que ce qui correspond à ses idées préconçues", y compris à celles de la
"majorité" (conciliaire).
On ne peut sûrement pas faire ce reproche à Mgr V. Carbone, gardien et
éditeur des "Acta", conservés aux Archives du Concile Vatican II, voulues et
établies avec une extraordinaire prévoyance par Paul VI. Je n’évoquerai pas
ici ses divers documents de clarification sur des questions clés
d’herméneutique conciliaire, mais seulement un volume très mince mais d’une
importance exceptionnelle, "Il Concilio Vaticano II, preparazione della
Chiesa al Terzo Millennio", Cité du Vatican, 1998. C’est un recueil des
articles sur le grand concile qu’il a publiés dans "L'Osservatore Romano".
Encore dans une ligne de pensée positive et toujours dans le domaine des
recherches globales sur le concile, on peut citer l’ouvrage d’A. Zambarbieri
"I Concili del Vaticano" (San Paolo, Cinisello Balsamo, 1995). C’est, selon
nous, la meilleure synthèse publiée en italien à ce jour, notamment en
raison du sens historique qui s’y manifeste constamment. Cependant on y
trouve, par moments, une certaine indulgence pour des prises de position
provenant des principaux penseurs du "groupe de Bologne". La lacune la plus
grave apparaît précisément dans la présentation de la "Nota Explicativa
Praevia". C’est tout de même – nous le répétons avec plaisir – un bon
travail de recherche, avec des aperçus rapides et une présentation des
divers documents, qui témoigne aussi d’une profonde connaissance de la
bibliographie. Presque toujours, l’expression est claire et les opinions
mesurées, loin du style journalistique. L’auteur a fait confiance aux
indications sûres du P. Caprile pour la chronique et donne des références
précises, in concreto, aux "Acta" édités par Mgr Carbone.
Enfin j’aurais l’impression d’être injuste si je ne citais pas ici, dans un
sens positif, les livres intitulés "Paolo VI e il rapporto Chiesa-mondo al
Concilio", et "Paolo VI e i problemi ecclesiologici al Concilio", publiés
par l'Institut Paul VI de Brescia. Ils concluaient la "trilogie" de
colloques internationaux consacrés justement aux interventions de Paul VI au
Concile, qui sont d’une grande importance pour nous aussi.
Nous ne pouvons pas aller au delà parce que nous entrerions, avec la
bibliographie relative à Paul VI, dans un domaine très vaste, même s’il
concerne aussi son engagement conciliaire et d’exégèse postconciliaire. Du
reste nous ne pouvons même pas traiter ici le domaine de l’herméneutique, en
ce qui concerne le primat pontifical et la relation primat-collégialité,
binôme éminemment synodal qui a donné accès à plusieurs interprétations et à
différentes mises en valeur.
Je fais cependant trois exceptions, pour rappeler, surtout, la publication
des "Actes" de l'important symposium théologique qui s’est tenu au Vatican
en décembre 1996 sur le primat du successeur de Pierre, mais aussi une étude
complète de R. Tillard sur "L'Eglise locale. Ecclésiologie de communion et
catholicité". Je cite ce travail parce qu’il indique où l’on peut arriver,
en direction de la "localité", tout en partant de Vatican II, dans le
mouvement de balancier de l'horloge théologique, peut-être pour
contrebalancer l'excès précédent d’"universalité" presque désincarnée.
Mais il s’agit toujours d’excès. La troisième exception concerne l'ouvrage
de J. Pottmeyer "Le rôle de la papauté au troisième millénaire. Une
relecture de Vatican I et de Vatican II", publié à Paris en 2001, mais paru
auparavant en anglais. Il nous intéresse ici surtout pour son exégèse de
Vatican II, qui fait apparaître une "primauté (pontificale) de la
communion", c’est-à-dire que le pape est chargé "de représenter et de
maintenir l'unité de la communion universelle des Églises". Mais la partie
du livre que nous trouvons "progressiste" de manière vraiment outrancière,
avec des jugements très durs, est la dernière.
Je ne veux pas mettre un terme à mon propos sans évoquer trois événements
positifs relativement récents, qui donnent bon espoir d’un changement de
ton, en général, dans l’herméneutique conciliaire future. Je conclus de
cette façon non pas parce que je veux respecter à tout prix le principe "dulcis
in fundo" (garder le plus doux pour la fin), mais parce que j’ai de bonnes
raisons pour cela.
En effet un nouveau centre de recherches sur le Concile Vatican II a été
créé, assez récemment, à l’Université Pontificale du Latran. Il a organisé,
en 2000, un intéressant congrès international d’études sur "L'Université du
Latran et la préparation du Concile Vatican II", et par la suite il a
réitéré son effort scientifique avec un autre congrès, sur le thème "Jean
XXIII et Paul VI, les deux papes du Concile". Ce titre indique déjà la
volonté de ne pas mettre en alternative, en opposition, ces deux grands
pontifes. Il est significatif, indépendamment du déroulement des
interventions pendant le congrès.
Nous avons trouvé encore plus "doux" le colloque international sur la mise
en œuvre du Concile œcuménique Vatican II. Il a eu lieu au Vatican fin
février 2000 et a été convoqué à l’occasion du Grand Jubilé. Nous y avons
enfin trouvé de l’attention pour toutes nos préoccupations herméneutiques.
Pour me comprendre, il suffit de lire le discours pontifical publié par
"L'Osservatore Romano" du 28-29 février 2000, pp. 6-7. Je n’en citerai que
le passage suivant: "L’Église connaît depuis toujours les règles d’une
herméneutique correcte des contenus du dogme. Ce sont des règles qui se
situent à l’intérieur du tissu de foi et non à l’extérieur. Lire le Concile
en supposant qu’il comporte une rupture avec le passé, alors qu’en réalité
il se place dans la ligne de la foi de toujours, est nettement trompeur".
Enfin c’est avec une très grande douceur qu’a
retenti à nos oreilles le discours prononcé à la Curie, le 22 décembre 2005,
par le pape Benoît XVI, dans lequel il indiquait quelle était la bonne
herméneutique conciliaire, qui n’est pas une herméneutique de rupture. Je
vous encourage à le lire avec attention (Allocution
du pape Benoît XVI, analyse 2005, orientations 2006. Texte intégral).
Maintenant le Magistère nous a clairement indiqué le bon cheminement
herméneutique du Concile Œcuménique Vatican II. Nous en sommes profondément
reconnaissants au Seigneur et au pape.
Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Sources: La chiesa.it
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.11.2007 - BENOÎT XVI
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