Tout l'argent de Pierre. Vices et
vertus de la banque du Vatican |
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Rome, le 15 juin 2009 -
(E.S.M.)
- 200 millions de dollars pour la "charité du pape". D'où viennent-ils
? A qui vont-ils ? Nouvelles révélations sur les méfaits de l'Institut pour
les Œuvres de Religion. Et sur les obstacles à son assainissement.
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Tout l'argent de Pierre. Vices et vertus de la banque du Vatican
Le 15 juin 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Début juillet, le Vatican publiera comme tous les ans ses comptes pour 2008,
en deux chapitres et un appendice.
Le premier chapitre fera apparaître les recettes et dépenses de
l'Administration du Patrimoine du Siège Apostolique, APSA, qui gère les
biens mobiliers et immobiliers qui lui appartiennent, ceux de la curie, du
corps diplomatique, de la maison d'édition, de la radio, de la télévision.
Le second chapitre fera apparaître les recettes et dépenses du gouvernorat
de l’État de la Cité du Vatican: territoire, services, musées, timbres,
monnaie.
L'appendice indiquera le montant du Denier de Saint-Pierre, collecte pour le
pape faite chaque année dans le monde entier le 29 juin, fête des saints
Pierre et Paul, à quoi s’ajoutent les dons faits directement au pape pendant
l’année.
En 2007, par exemple, la collecte et les dons ont atteint 94,1 millions de
dollars, dont 14,3 millions venant d’un seul donateur qui a voulu rester
anonyme.
Voilà ce qui est publié chaque année.
Rien d’autre. Pas une ligne sur les autres recettes qui, en plus du Denier,
alimentent la "charité du pape". Et pas une ligne sur l’emploi qui
est fait de cette somme.
Un service de la secrétairerie d’Etat s’occupe précisément de cette
question. Il a été dirigé pendant des années par Mgr Gianfranco Piovano,
remplacé depuis quelques mois par Mgr Alberto Perlasca ; tous deux sont des
diplomates de carrière. Cette caisse recueille, en plus du Denier, les
contributions que les diocèses du monde entier sont tenus de verser au
successeur de Pierre en vertu du canon 1271 du code de droit canonique. Les
congrégations religieuses et les fondations envoient également de l’argent.
En 2007, d’après un rapport confidentiel envoyé par le Vatican aux diocèses,
ces contributions ont atteint 29,5 millions de dollars qui, ajoutés au
Denier, font un total de 123,6 millions de dollars.
Ces fonds sont destinés, justement, à la "charité du pape". Dans une
conférence faite à des diplomates de différents pays du Moyen-Orient et
d’Afrique du Nord, en mai 2007, à l’Université Pontificale Grégorienne de
Rome, le banquier Angelo Caloia, président de l'Institut pour les Œuvres de
Religion, l’IOR, la "banque du Vatican", décrivait ainsi l'utilisation de
ces fonds:
"Ils sont surtout destinés à subvenir aux besoins matériels de diocèses
pauvres, à aider des institutions religieuses et des communautés de fidèles
en grandes difficultés: pauvres, enfants, personnes âgées, marginaux,
victimes de guerres et de catastrophes naturelles, réfugiés, etc.".
Dans la même conférence, Caloia a aussi cité une autre source de la "charité
du pape": les profits de l’IOR. En effet, chaque année en mars, l’IOR
met à l’entière disposition du pape la différence entre ses recettes et ses
dépenses de l'année précédente. Le montant de cette somme est secret mais on
estime qu’il est proche de celui du Denier de Saint-Pierre. C’était du moins
le cas pour quatre années dont les chiffres ont filtré : 1992 avec 60,7
milliards de lires de l'époque, 1993 avec 72,5 milliards, 1994 avec 75
milliards et 1995 avec 78,3 milliards. Ces années-là, le Denier de
Saint-Pierre était légèrement supérieur à ces montants.
S’il en est ainsi, 2007 aurait apporté à Benoît XVI, pour sa "charité",
une somme totale proche de 200 millions de dollars.
La même année, les comptes faisaient apparaître pour l'APSA une perte de 9,1
millions d’euros et pour le gouvernorat un profit de 6,7 millions d’euros.
Des miettes, par comparaison
***
Dans sa conférence aux diplomates, Caloia a peu parlé de l’IOR. Il a
souligné que celui-ci "n’a pas de relation fonctionnelle" avec le
Saint-Siège. Et il a affirmé que seuls sont autorisés à y déposer de
l’argent des "individus ou entités juridiques ayant une légitimité
canonique: cardinaux, évêques, prêtres, religieuses, moines, congrégations
religieuses, diocèses, chapitres, paroisses, fondations, etc.".
Mais la réalité n’a pas toujours correspondu à ce profil. En 1990, quand
Caloia a pris la présidence de la banque vaticane, elle sortait à peine
d’une terrible déconfiture, liée au nom de son prédécesseur, l'archevêque
Paul Marcinkus, et aux opérations téméraires que celui-ci avait réalisées
avec les financiers Michele Sindona et Roberto Calvi, morts tous les deux de
mort violente par la suite, dans des circonstances mystérieuses.
Le cardinal Agostino Casaroli, secrétaire d’Etat à l'époque, avait assaini
le contentieux en ordonnant de verser aux créanciers 242 millions de dollars
à titre de "contribution volontaire". En accord avec le gouvernement
italien, il avait confié les recherches sur les agissements de la banque
vaticane à deux spécialistes de la finance et du droit administratif,
Pellegrino Capaldo et Agostino Gambino, et à un prélat de curie en qui il
avait toute confiance. Il s’agissait de Mgr Renato Dardozzi, né en 1922,
ordonné prêtre à 51 ans, diplômé en ingénierie, mathématiques, philosophie
et théologie, ayant fait une carrière de manager dans les télécommunications
et enfin directeur et chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences.
Depuis lors et jusqu’à peu d’années avant sa mort en 2003, Dardozzi a
continué à assurer un rôle de surveillance sur le fonctionnement de l’IOR,
pour le compte de la secrétairerie d’Etat vaticane, avec Casaroli et le
successeur de celui-ci, le cardinal Angelo Sodano.
De son travail de surveillance, Dardozzi avait conservé une documentation,
qui est maintenant disponible dans un livre écrit par Gianluigi Nuzzi et
publié récemment en Italie aux éditions Chiarelettere.
Les documents cités et reproduits dans le livre sont absolument fiables. Ils
montrent que la mise à l’écart de Marcinkus et son remplacement par Caloia
en 1990 n’ont pas suffi à laver tout de suite l’IOR de sa mauvaise
réputation.
En effet Mgr Donato De Bonis, qui tenait le rôle-clé de "prélat" de la
banque vaticane, est resté à son poste jusqu’en 1993. Et il avait mis en
œuvre, pendant ces années, une sorte de banque occulte parallèle, sous sa
direction exclusive, qui a de nouveau failli mettre l’IOR en déconfiture.
Caloia a commencé à soupçonner l’existence d’irrégularités au printemps
1992. Il a ordonné une enquête interne et a découvert que De Bonis disposait
en effet de comptes au nom de fondations fictives, qui masquaient en réalité
des opérations financières illégales, pour des dizaines de milliards de
lires de l'époque.
En août, un rapport détaillé sur ces comptes fictifs est arrivé sur le
bureau du secrétaire de Jean-Paul II, Mgr Stanislaw Dziwisz.
En mars 1993, De Bonis a été mis à la porte de l’IOR. Personne ne l’a
remplacé dans la charge de "prélat" de la banque, qui est restée
vacante. Il a été consacré évêque et nommé chapelain de l’Ordre Souverain et
Militaire de Malte, poste qui bénéficie d’immunités diplomatiques.
Mais même après son départ de l’IOR, De Bonis a continué à agir, grâce à des
cadres avec qui il était resté lié. Fin juillet, Caloia, inquiet, a écrit au
secrétaire d’Etat, le cardinal Sodano:
"... On perçoit de plus en plus clairement les contours d’une activité
nettement criminelle exercée consciemment par quelqu’un qui, du fait de son
choix de vie et de ses fonctions, aurait dû au contraire être une sévère
conscience critique. On a de plus en plus mal à comprendre que perdure une
situation où le nommé [De Bonis] continue, à partir d’un poste tout aussi
privilégié, à gérer indirectement l'activité de l’IOR...".
Le risque était d’autant plus grave que, justement à cette époque, la
magistrature italienne enquêtait sur un pot-de-vin colossal versé
illégalement par la société Enimont aux hommes politiques qui l’avaient
favorisée. Ces enquêtes menaient aussi à l’IOR, en tant qu’intermédiaire
occulte de ces versements, à travers les comptes fictifs manœuvrés par De
Bonis.
A l'automne 1993, les magistrats de Milan ont demandé au Vatican, par
commission rogatoire, de leur fournir les données relatives aux opérations
contestées. Le Vatican s’en est sorti en fournissant le minimum
indispensable, moins que ce qu’il avait découvert par ses propres enquêtes.
Certains cadres ont été remplacés, les comptes fictifs ont été bloqués et De
Bonis n’a pas récupéré une seule lire des sommes déposées.
Le cardinal qui, au Vatican, avait le plus appuyé De Bonis, José Rosalio
Castillo Lara, président à la fois de l'APSA et du gouvernorat, a quitté la
scène en même temps que lui.
En 1995 Caloia a été reconduit dans ses fonctions de président de l’IOR pour
cinq ans. De même en 2000. De même encore en 2006, après un an de
prorogation "par intérim", au milieu de rumeurs insistantes à propos
de son remplacement imminent. Mais à l’été 2006, avant de transmettre le
secrétariat d’Etat à son successeur Tarcisio Bertone, le cardinal Sodano a
remis en vigueur la charge de "prélat" de l’IOR, en y nommant son propre
secrétaire, Mgr Piero Pioppo.
Aujourd’hui encore, on entend parler de temps à autre d’un changement à la
présidence de l’IOR. Mais Caloia, 69 ans, marié à une Anglaise et père de
quatre enfants, a en main une nomination qui va jusqu’au 14 mars 2011.
Ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui, grâce à lui, l’IOR est plus proche –
comme il ne l’a jamais été dans le passé – de l’image de la banque vertueuse
qu’il avait décrite aux diplomates du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord lors
de sa conférence, il y a deux ans.
***
La conférence sur les finances du Vatican faite par le
président de l’IOR à l’école pour diplomates de l’Université Pontificale
Grégorienne en 2007 se trouve dans le volume des actes: Angelo Caloia, "The
financial structures of the Holy See", en Franco Imoda, Roberto Papini
(éd.), "The Catholic Church and the International Policy of the Holy See
/ L'Eglise Catholique et la Politique Internationale du Saint-Siège",
Nagard, Milan, 2008, pp. 148-151.
Le livre où se trouvent les documents conservés par Mgr Renato Dardozzi :
Gianluigi Nuzzi, "Vaticano SpA", Chiarelettere, Milan, 2009, 282 pp.,
15,00 euros.
Les comptes du Vatican et le montant du Denier
de Saint-Pierre au cours des cinq dernières années
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Pour l'argent de Pierre, c'est le calme dans
la tempête (30.1.2009)
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.06.2009 -
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