Le prédicateur
de Benoît XVI développe "Dieu est Amour" |
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ROME, Vendredi 14 avril 2006
– Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le père Raniero
Cantalamessa, OFM Cap, prédicateur de Benoît XVI, a proposé ce
vendredi aux fidèles, au cours de la célébration de la Croix, qui s’est déroulée
dans la Basilique Saint-Pierre en présence du pape Benoît XVI. |
Photo: Benoît XVI
Le prédicateur de Benoît XVI développe "Dieu est
Amour"
Le vendredi Saint est
le seul jour de l'année liturgique où le pape Benoît XVI ne prononce pas
d'homélie.
Texte intégral de l’homélie du Vendredi Saint du père R. Cantalamessa
ROME, Vendredi 14 avril 2006
– Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le père Raniero
Cantalamessa, OFM Cap, prédicateur de Benoît XVI, a proposé ce
vendredi aux fidèles, au cours de la célébration de la Croix, qui s’est déroulée
dans la Basilique Saint-Pierre en présence du pape Benoît XVI.
Dieu démontre son amour pour nous
1. « Soyez, chrétiens, à vous mouvoir plus graves !»
« Car un temps viendra où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine,
mais au contraire, au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, ils se
donneront des maîtres en quantité et détourneront l’oreille de la vérité pour se
tourner vers les fables » (2 Tm 4, 3-4).
Cette parole des Saintes Ecritures – surtout l’allusion à l’oreille qui démange
en entendant des choses nouvelles – se réalise de façon nouvelle et
impressionnante de nos jours. Alors que nous célébrons ici la mémoire de la
passion et de la mort du Sauveur, des millions de personnes sont amenées à
croire, par d’habiles spécialistes du remaniement de légendes antiques, que
Jésus de Nazareth n’a en réalité jamais été crucifié. Aux Etats-Unis, l’un des
best-sellers du moment est une édition de l’Evangile de Thomas présentée
comme l’évangile qui « nous épargne la crucifixion, rend la résurrection non
nécessaire et ne nous présente pas de Dieu appelé Jésus » [1].
« C’est une constatation peu flatteuse pour la nature humaine, écrivait, il y a
quelques années le plus grand expert biblique de l’histoire de la Passion,
Raymond Brown : plus le scénario est invraisemblable, plus la promotion qu’il
reçoit est sensationnelle et plus l’intérêt qu’il suscite est intense. Des
personnes qui ne prendraient pas la peine de lire une analyse sérieuse des
traditions concernant la manière dont Jésus fut crucifié, dont il mourut, fut
enseveli et ressuscita d’entre les morts, sont fascinés par le récit de quelque
« nouvelle théorie » selon laquelle il n’aurait pas été crucifié et ne serait
pas mort, surtout si la suite de l’histoire comprend sa fuite avec
Marie-Madeleine, en Inde…[ou en France, selon une version plus récente]. Ces
théories démontrent que lorsqu’il s’agit de la Passion de Jésus, contrairement
au dicton populaire, la fiction dépasse la réalité – et est souvent,
intentionnellement ou non, plus rentable » [2].
On parle beaucoup de la trahison de Judas sans se rendre compte qu’on est en
train de la renouveler. Le Christ est vendu, une nouvelle fois, non plus aux
chefs du sanhédrin pour trente pièces d’argent, mais à des éditeurs et des
libraires pour des milliards de pièces d’argent…
Personne ne réussira à stopper cette vague spéculative qui va même être relancée
avec la sortie imminente d’un film, mais m’étant consacré pendant des années à
l’Histoire des origines chrétiennes je considère comme de mon devoir d’attirer
l’attention sur un énorme malentendu qui se trouve à la base de toute cette
littérature pseudo-historique.
Les évangiles apocryphes sur lesquels elle s’appuie sont des textes connus
depuis toujours, dans leur totalité ou en partie, mais avec lesquels même les
historiens les plus critiques et les plus hostiles au christianisme n’ont jamais
pensé avant ce jour que l’on puisse faire de l’histoire. Ce serait comme si dans
quelques siècles on prétendait reconstruire l’histoire d’aujourd’hui en se
basant sur les romans écrits à notre époque.
L’énorme malentendu consiste dans le fait que l’on utilise ces écrits pour leur
faire dire exactement le contraire de ce qu’ils voulaient dire. Ils font partie
de la littérature gnostique des IIe et IIIe siècle. La vision gnostique – un
mélange de dualisme platonique et de doctrines orientales revêtu d’idées
bibliques – soutient que le monde matériel est une illusion, œuvre du Dieu de l’Ancien
Testament, qui est un dieu méchant, ou au moins inférieur ; le Christ n’est pas
mort sur la croix, car il n’a jamais pris, sauf en apparence, un corps humain,
ceci étant indigne de Dieu (docétisme).
Si Jésus, selon l’Evangile de Judas, duquel on a beaucoup parlé ces jours
derniers, ordonne lui-même à l’apôtre de le trahir c’est afin que, en mourant,
l’esprit divin qui est en lui puisse finalement se libérer de l’enveloppe de la
chair et remonter au ciel. Le mariage qui préside les naissances est à éviter
(encratisme) ; la femme se sauvera uniquement si « le principe féminin » (thelus)
qu’elle personnifie, se transforme en principe masculin, c’est-à-dire si elle
cesse d’être femme [3].
Le plus étonnant est qu’aujourd’hui certains croient voir dans ces écrits
l’exaltation du principe féminin, de la sexualité, de la jouissance totale et
désinhibée de ce monde matériel, en opposition avec l’Eglise officielle qui,
avec son manichéisme, aurait en permanence piétiné tout cela ! On note le même
malentendu au sujet de la doctrine de la réincarnation. Présente dans les
religions orientales comme une punition due à des fautes passées et comme une
chose à laquelle on tente de toutes ses forces de mettre fin, elle est
accueillie en occident comme la possibilité merveilleuse de pouvoir vivre et
jouir indéfiniment de ce monde.
Ce sont des choses qui ne mériteraient pas d’être traitées en ce lieu et
aujourd’hui, mais nous ne pouvons pas permettre que le silence des croyants soit
interprété comme un sentiment d’embarras et que la bonne foi (ou la naïveté ?)
de millions de personnes soit impunément manipulée par les médias, sans élever
la voix pour protester au nom, non seulement de la foi, mais aussi du bon sens
et d’une raison saine. Le moment est venu, je crois, de réentendre
l’avertissement de Dante Alighieri :
« Soyez, chrétiens, à vous mouvoir plus graves,
ne soyez comme plume à tout vent,
et ne croyez que toute eau vous lave.
Vous avez le Nouveau et l’Ancien Testament
Et le pasteur de l’Eglise qui vous guide,
Cela vous suffise pour votre salut…
Soyez hommes et non folles brebis » [4].
2. La Passion a précédé l’Incarnation !
Mais laissons de côté ces théories fantaisistes qui ont toutes une explication
commune : nous sommes à l’époque des médias et les médias s’intéressent
davantage à la nouveauté qu’à la vérité. Concentrons-nous sur le
mystère que nous sommes en train de célébrer. La meilleure manière de réfléchir,
cette année, au mystère du Vendredi saint serait de relire en entier la première
partie de l’encyclique du pape Deus caritas est. Ne pouvant le faire ici,
je voudrais au moins commenter certains passages qui se réfèrent plus
directement au mystère de ce jour.
Dans l’encyclique nous lisons : « Le regard tourné vers le côté ouvert du
Christ, dont parle Jean (cf. 19, 37), comprend ce qui a été le point de départ
de cette Encyclique : «Dieu est amour» (1 Jn 4, 8). C’est là que cette vérité
peut être contemplée. Et, partant de là, on doit maintenant définir ce qu’est
l’amour. À partir de ce regard, le chrétien trouve la route pour vivre et pour
aimer » [5].
Oui, Dieu est amour ! Quelqu’un a affirmé que si toutes les bibles du monde
étaient détruites par un cataclysme ou une fureur iconoclaste, et qu’il n’en
restait qu’une ; et si même cet exemplaire était terriblement endommagé et
qu’une seule page ne fût encore entière, que cette page elle-même fût tellement
froissée que l’on ne pouvait lire qu’une seule ligne : si cette ligne était la
ligne de la Première Lettre de Jean où il est écrit « Dieu est amour ! », toute
la Bible serait sauve, car tout est contenu dans cette phrase.
L’amour de Dieu est lumière, bonheur, plénitude de vie. C’est le torrent qu’Ezéchiel
vit sortir du temple et qui, là où il arrive, guérit et donne la vie ; c’est
l’eau promise à la Samaritaine qui étanche toute soif. Jésus nous répète aussi à
nous, comme à elle : « Si tu savais le don de Dieu ! ». J’ai passé mon enfance
dans une maison de campagne située à quelques mètres d’une ligne électrique de
haute tension ; mais nous vivions dans l’obscurité ou à la lueur de la bougie.
Entre nous et la ligne de haute tension se trouvait une voie de chemin de fer
et, avec la guerre, personne n’aurait eu l’idée de surmonter ce petit obstacle.
C’est la même chose avec l’amour de Dieu : il est là, à portée de la main,
capable de tout illuminer et de tout réchauffer dans notre vie, mais nous vivons
notre vie dans l’obscurité et le froid. C’est le seul vrai motif de tristesse de
la vie.
Dieu est amour, et la croix du Christ en est la preuve suprême, la démonstration
historique. Il existe deux manières de démontrer son amour pour quelqu’un,
disait un auteur de l’orient byzantin, Nicola Cabasilas. La première consiste à
faire du bien à la personne aimée, à lui offrir des dons ; la deuxième, plus
exigeante, consiste à souffrir pour elle. Dieu nous a aimés de la première
manière, c’est-à-dire avec un amour de munificence, lors de la création,
lorsqu’il nous a comblés de dons, intérieurs et extérieurs ; il nous a aimés
d’un amour de souffrance dans la rédemption, lorsqu’il a inventé le propre
anéantissement, en souffrant pour nous les souffrances les plus terribles, afin
de nous convaincre de son amour [6]. Pour cette raison, c’est sur la croix que
l’on doit désormais contempler la vérité qui dit que « Dieu est amour ».
Le terme « passion » a deux significations : il peut indiquer un amour véhément,
« passionnel », ou une souffrance mortelle. Il existe une continuité entre les
deux choses et l’expérience quotidienne montre combien il est facile de passer
de l’une à l’autre. Il en fut ainsi également, et avant tout, en Dieu. Il y a
une passion, a écrit Origène, qui précède l’incarnation. C’est « la passion
d’amour » que Dieu nourrit depuis toujours pour le genre humain et qui, dans la
plénitude des temps, l’a conduit à venir sur la terre et à souffrir pour nous
[7].
3. Trois ordres de grandeur
L’encyclique Deus caritas est nous indique une nouvelle manière de faire
l’apologie de la foi chrétienne, peut-être la seule possible aujourd’hui et
certainement la plus efficace. Elle n’oppose pas les valeurs surnaturelles aux
valeurs naturelles, l’amour divin à l’amour humain, l’eros et l’agape,
mais en montre l’harmonie originelle, à redécouvrir et à guérir sans cesse, à
cause du péché et de la fragilité humaine. « L’eros, écrit le pape, veut
nous élever ‘en extase’ vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais
c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de
purifications et de guérisons » [8]. L’Evangile est, il est vrai, en
concurrence avec les idéaux humains, mais au sens littéral où il
con-court à leur réalisation : il les guérit, les élève, les protège. Il
n’exclut pas l’eros de la vie mais le venin de l’égoïsme de l’eros.
Il existe trois ordres de grandeur, a dit Pascal dans une pensée célèbre [9]. Le
premier est l’ordre matériel ou des corps : là excelle celui qui a de nombreux
biens, qui est doté de force athlétique ou de beauté physique. C’est une valeur
à ne pas mépriser, mais la plus basse. Au-dessus se trouve l’ordre du génie et
de l’intelligence dans lequel se distinguent les penseurs, les inventeurs, les
scientifiques, les artistes, les poètes. Il s’agit d’un ordre d’une qualité
différente. Le fait d’être riche ou pauvre, beau ou laid, n’ajoute rien et
n’enlève rien au génie. La difformité physique attribuée à leur personne
n’enlève rien à la beauté de la pensée de Socrate et de la poésie de Leopardi.
Le génie est une valeur certainement plus élevée que la précédente mais pas
encore la valeur suprême. Au-dessus il existe un autre ordre de grandeur,
l’ordre de l’amour, de la bonté. (Pascal l’appelle l’ordre de la sainteté et de
la grâce). Une goutte de sainteté, disait Gounod, vaut plus qu’un océan de
génie. Le fait d’être beau ou laid, intelligent ou illettré n’ajoute et n’enlève
rien au saint. Sa grandeur est d’un ordre différent.
Le christianisme appartient à ce troisième niveau. Dans le roman Quo vadis,
un païen demande à l’apôtre Pierre qui vient d’arriver à Rome : « Athènes nous a
donné la sagesse, Rome la puissance ; que nous offre votre religion ? Pierre
répond : l’amour ! » [10] L’amour est la chose la plus fragile qui existe au
monde ; il est représenté et est, comme un enfant. On peut le tuer avec rien
comme – nous l’avons vu avec horreur en Italie ces dernières semaines – on peut
le faire avec un enfant. Mais nous savons avec expérience ce que deviennent la
puissance et la science, la force et le génie, sans l’amour et la bonté…
4. Amour qui pardonne
« L’eros de Dieu pour l’homme, poursuit l’encyclique, est, en même temps,
totalement agapè. Non seulement parce qu’il est donné absolument
gratuitement, sans aucun mérite préalable, mais encore parce qu’il est un amour
qui pardonne ». (n. 10).
Cette qualité également resplendit au plus haut point dans le mystère de la
croix. « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis »,
avait dit Jésus au cénacle (Jn 15, 13). On aurait envie de s’exclamer : Bien
sûr, ô Christ, qu’il existe un amour plus grand que donner sa vie pour ses amis.
Le tien ! Tu n’as pas donné la vie pour tes amis, mais pour tes ennemis ! Saint
Paul dit qu’il est difficile de trouver une personne prête à mourir pour un
juste, mais qu’il en existe. « Pour un homme de bien, oui, peut-être osera-t-on
mourir ; mais la preuve que Dieu nous aime c’est que le Christ, alors que nous
étions encore pécheurs, est mort pour nous » (Rm 5, 6-8).
Mais l’on découvre bien vite que le contraste n’est qu’apparent. Le mot « amis »
au sens actif indique ceux qui nous aiment, mais au sens passif, il indique ceux
qui sont aimés par nous. Jésus appelle Judas « ami » (Mt 26, 50), non pas parce
que Judas l’aimait, mais parce que lui l’aimait ! Il n’y a pas de plus grand
amour que de donner sa vie pour ses ennemis, en les considérant amis : voilà le
sens de la phrase de Jésus. Les hommes peuvent être, ou se comporter, comme des
ennemis de Dieu, Dieu ne pourra jamais être ennemi de l’homme. C’est le terrible
avantage des enfants sur leurs pères (et sur leurs mères).
Nous devons réfléchir à la manière concrète dont l’amour du Christ sur la croix
peut aider l’homme d’aujourd’hui à trouver, comme dit l’encyclique, « la route
pour vivre et pour aimer ». C’est un amour de miséricorde, qui excuse et
pardonne, qui ne veut pas détruire l’ennemi, mais tout au plus la haine (cf. Ep
2, 16). Jérémie, l’homme le plus proche du Christ de la Passion, prie Dieu en
disant : « je verrai ta vengeance contre eux » (Jr 11, 20) ; Jésus meurt en
disant : « Père, pardonne-leur : ils ne savent ce qu’ils font » (Lc 23, 34).
C’est précisément de cette miséricorde et de cette capacité de pardon dont nous
avons besoin aujourd’hui, pour ne pas glisser toujours davantage dans l’abîme de
la violence mondialisée. L’Apôtre écrivait aux Colossiens : « Vous donc, les
élus de Dieu, ses saints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre
compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience ;
supportez-vous les uns les autres et pardonnez-vous mutuellement, si l’un a
contre l’autre quelque sujet de plainte ; le Seigneur vous a pardonné, faites de
même à votre tour » (Col 3, 12-13).
Etre miséricordieux signifie avoir pitié (misereor) au plus
profond de son coeur (cordis) de son propre ennemi, comprendre comment
nous sommes tous faits et donc pardonner. Qu’est-ce qui pourrait se passer si,
par un miracle de l’histoire, au Proche Orient, les deux peuples opposés depuis
des décennies, commençaient à penser les uns aux souffrances des autres au lieu
de penser à leur culpabilité, s’ils commençaient à avoir pitié les uns des
autres. Aucun mur de division ne serait plus nécessaire entre eux. On pourrait
dire la même chose de tant d’autres conflits en cours dans le monde, y compris
les conflits entre les différentes confessions religieuses et les Eglises
chrétiennes.
Il y a une telle vérité dans le verset de notre Pascoli « Hommes, paix ! Sur la
terre penchée il y a trop de mystère » [11]. Un commun destin de mort plane sur
nous tous. L’humanité est enveloppée d’une telle obscurité et pliée (« penchée
») sous le poids de tant de souffrance que nous devrons bien avoir un peu de
compassion et de solidarité les uns pour les autres !
5. Le devoir d’aimer
Un autre enseignement nous vient de l’amour de Dieu manifesté à travers la croix
du Christ. L’amour de Dieu pour l’homme est fidèle et éternel : « D’un amour
éternel je t’ai aimé » dit Dieu à l’homme à travers les prophètes (cf. Jr 31,
3), et encore : « sans lui retirer mon amour, ni démentir ma fidélité » (Ps 88
(89), v. 34). Dieu s’est engagé à aimer pour toujours, il s’est privé de la
liberté de faire marche arrière. C’est le sens profond de l’alliance qui est
devenue « nouvelle et éternelle » dans le Christ.
Dans l’encyclique du pape nous lisons : « Cela fait partie des développements de
l'amour vers des degrés plus élevés, vers ses purifications profondes, de
l'amour qui cherche maintenant son caractère définitif, et cela en un double
sens : dans le sens d’un caractère exclusif – ‘cette personne seulement’ – et
dans le sens d’un ‘pour toujours’. L’amour comprend la totalité de l’existence
dans toutes ses dimensions, y compris celle du temps. Il ne pourrait en être
autrement, puisque sa promesse vise à faire du définitif : l’amour vise à
l’éternité » [12].
Dans notre société on se demande de plus en plus souvent quelle relation peut
exister entre l’amour de deux jeunes et la loi du mariage ; quel besoin a
l’amour, qui n’est qu’élan et spontanéité, de « s’engager ». Ils sont ainsi de
plus en plus nombreux ceux qui refusent l’institution du mariage et choisissent
le fameux « amour libre » ou la simple cohabitation de fait. On ne peut répondre
correctement à ces questions et donner aux jeunes un motif convaincant pour «
s’engager » à aimer pour toujours et à ne pas avoir peur de faire de l’amour un
« devoir », que si l’on découvre la relation profonde et vitale entre loi et
amour, entre décision et institution.
« Seulement quand il y a le devoir d’aimer – a écrit le philosophe qui,
après Platon, a écrit les choses les plus belles sur l’amour, Kierkegaard –
alors seulement l’amour est garanti pour toujours contre toute corrosion ;
éternellement libéré dans une indépendance bienheureuse ; assuré dans une
éternelle béatitude contre tout désespoir » [13]. Le sens de ces paroles réside
dans le fait que la personne qui aime, plus elle aime de manière intense, plus
elle perçoit avec angoisse le danger que court son amour. Un danger qui ne vient
pas des autres mais d’elle-même. Elle est en effet consciente de son inconstance
et elle sait que demain, hélas, elle pourrait déjà se lasser et ne plus aimer ou
changer l’objet de son amour. Et parce que maintenant elle se trouve dans la
lumière de l’amour, elle voit clairement quelle perte irréparable cela
comporterait, elle se prémunit en « s’engageant » à aimer par le lien du devoir
et en ancrant ainsi dans l’éternité son acte d’amour posé dans le temps.
Ulysse voulait réussir à revoir sa patrie et son épouse, mais il devait passer à
travers le lieu où se trouvaient les Sirènes qui ensorcelaient les navigateurs
par leur chant et les conduisaient à s’écraser contre les rochers. Que fit-il ?
Il se fit ligoté au mât du navire après avoir bouché les oreilles de ses
compagnons avec de la cire. Arrivé sur le lieu, ensorcelé, il criait pour être
libéré et atteindre les Sirènes, mais ses compagnons ne pouvaient l’entendre, si
bien qu’il put revoir sa patrie et embrasser à nouveau son épouse et son fils
[14]. Il s’agit d’une légende mais qui aide à comprendre le pourquoi, également
humain et existentiel, du mariage « indissoluble » et, sur un plan différent,
des vœux religieux.
Le devoir d’aimer protège l’amour du « désespoir » et le rend « bienheureux et
indépendant » dans le sens qu’il protège du désespoir de ne pouvoir aimer pour
toujours. Donnez-moi un vrai amoureux, disait ce même penseur, et il vous dira
si, en amour, il existe une opposition entre le plaisir et le devoir ; si la
pensée de « devoir » aimer toute la vie est source, pour celui qui aime, de peur
et d’angoisse, ou plutôt de joie et de bonheur suprême.
Apparaissant, un jour de la semaine sainte, à la Bienheureuse Angèle de Foligno,
le Christ lui adressa une parole devenue célèbre : « Je ne t’ai pas aimée par
jeu » [15]. Le Christ ne nous a vraiment pas aimés par jeu. Il existe une
dimension ludique et joyeuse dans l’amour, mais l’amour lui-même n’est pas un
jeu ; c’est la chose la plus sérieuse et la plus lourde de conséquences qui
existe au monde ; la vie humaine en dépend. Eschilo compare l’amour à un
lionceau que l’on élève à la maison, « plus docile et tendre au début, qu’un
enfant », avec lequel on peut même plaisanter mais qui, en grandissant, est
capable de faire des ravages et de maculer la maison de sang [16].
Ces considérations ne suffiront pas pour changer la culture en vigueur qui
exalte la liberté de changer et la spontanéité du moment, la pratique du « use
et jette » appliquée également à l’amour. (Mais c’est malheureusement la vie qui
s’en chargera, lorsqu’à la fin on se retrouvera avec des cendres dans la main et
la tristesse de ne rien avoir construit de durable avec son amour). Mais qu’au
moins ces considérations servent à confirmer de la bonté et de la beauté de leur
propre choix, ceux qui ont décidé de vivre l’amour entre l’homme et la femme
selon le projet de Dieu, et servent à donner à de nombreux jeunes le désir de
faire ce même choix.
Il ne nous reste plus désormais qu’à entonner avec Paul l’hymne de l’amour
victorieux de Dieu. Il nous invite à faire avec lui une merveilleuse expérience
de guérison intérieure. Il repense à toutes les choses négatives et aux moments
critiques de sa vie : la tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la
nudité, le danger, l’épée. Il les considère à la lumière de la certitude de
l’amour de Dieu et s’écrie : « En tout cela nous sommes les grands vainqueurs
par celui qui nous a aimés ! ».
Il lève par conséquent les yeux ; il fait passer son regard de sa vie
personnelle au monde qui l’entoure et au destin universel de l’humanité, et de
nouveau cette même certitude jubilante : « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni
vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur
ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de
Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 37-39).
Accueillons son invitation, en ce vendredi de la passion, et répétons en
nous-mêmes ces paroles en nous apprêtant à adorer la croix du Christ.
Au début de la célébration, le pape
Benoît XVI, en vêtements liturgiques rouges, évoquant le sang des martyrs, s'est
allongé face contre terre pour prier, en signe d'abandon total à Dieu
Demain Samedi Saint, 15 avril
A 22 h, à Saint-Pierre, le pape Benoît XVI
bénira le feu, le cierge et l’eau avant l’entrée dans la basilique au chant de
l’Exultet, pour la veillée, « mère de toutes les veillées » , au cours de
laquelle le Saint-Père confèrera les sacrements de l’initiation chrétienne à des
catéchumènes.
Dimanche de Pâques, 16 avril
10 h 30, sur le parvis de la basilique Saint-Pierre, transformé en jardin de
la résurrection par les milliers de fleurs venues de Hollande, messe de la
Résurrection présidée par Benoît XVI.
Au terme de la célébration, le pape Benoît XVI délivrera son message de Pâques
et donnera sa bénédiction Urbi et Orbi, en mondovision, depuis la loggia des
bénédictions de la basilique.
Eucharistie, Sacrement de la Miséricorde. 14.04.2006 -
BENOÎT XVI
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