|
Benoît XVI : La vérité de l'homme, c'est qu'il
achoppera toujours contre la vérité
|
Le 15 mars 2023 -
(E.S.M.)
-
La vérité de l'homme, c'est son manque de vérité. Quand le psaume
116 (v. 11) nous dit que tout homme n'est que mensonge, que
toujours, sur un point ou sur un autre, il vit contre la vérité,
nous trouvons déjà là, mis à nu, le visage réel de l'homme. La
vérité de l'homme, c'est qu'il achoppera toujours contre la vérité.
|
|
Culte chrétien -
Pour agrandir l'image
►
Cliquer
THEOLOGIE
II. «A
souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié, a été enseveli»
c) L'essence du culte chrétien
L'essence du culte chrétien ne consiste donc pas dans l'offrande de choses,
ni dans une destruction quelconque, comme il est répété sans cesse dans les
théories du sacrifice de la messe, depuis le XVIe siècle. D'après ces
théories, la destruction serait la vraie façon de reconnaître la
souveraineté de Dieu sur toutes choses. Toutes ces spéculations sont tout
simplement dépassées par l'événement du Christ et par l'interprétation qu'en
donne la Bible. Le culte chrétien consiste dans l'absolu de l'amour, tel que
seul pouvait l'offrir celui en qui l'amour même de Dieu était devenu amour
humain ; il consiste dans la forme nouvelle de représentation, incluse dans
cet amour : à savoir que le Christ a aimé pour nous, et que nous nous
laissons saisir par lui. Ce culte signifie donc que nous mettons de côté nos
propres tentatives de justification ; celles-ci ne sont, au fond, que des
excuses qui nous opposent les uns aux autres, comme Adam par exemple essaya
de se justifier en se trouvant des excuses et en repoussant la faute sur
l'autre, cherchant finalement à accuser Dieu lui-même : « C'est la femme que
tu as mise auprès de moi qui m'a donné de l'arbre... » (Gn 3, 12).
Il
exige qu'au lieu de nous détruire mutuellement, en cherchant à nous
justifier nous-mêmes, nous acceptions le don de l'amour de Jésus-Christ qui
s'est engagé pour nous, et que nous nous laissions réunir dans cet amour,
pour devenir avec le Christ et en Lui de vrais adorateurs.
A partir de là,
il devrait être possible de répondre brièvement à quelques questions qui se
posent encore.
1) Se réclamant du message d'amour du Nouveau Testament, une tendance se
fait jour de plus en plus, qui voudrait réduire
totalement le culte chrétien à l'amour fraternel, à la solidarité humaine (Mitmenschlichkeit),
et
qui ne veut plus admettre aucun amour ou culte direct de Dieu :
l'on
n'accepte plus que la ligne horizontale et l'on refuse la ligne verticale
de la relation directe à Dieu. En partant de ce que nous avons dit, on n'aura
sans doute pas de mal à voir pourquoi cette conception,
qui paraît à
première vue si sympathique, passe en fait à côté, non seulement de la
réalité chrétienne, mais encore de la véritable réalité humaine.
Un amour
fraternel qui voudrait se suffire à lui-même serait en fin de compte de
l'égoïsme, de l'affirmation de soi sous sa forme extrême. Il refuse ses
possibilités ultimes d'ouverture, de détachement, de désintéressement, s'il
n'accepte pas que cet amour a lui-même besoin d'être racheté par celui qui
seul a réellement assez aimé. En dépit des meilleures intentions, il fait
finalement du tort au prochain et à lui-même, car l'homme ne trouve pas son
accomplissement dans les simples relations de la solidarité humaine
; il ne
le trouve que dans la communion de l'amour désintéressé pour Dieu même. La
gratuité de la simple adoration constitue la plus haute possibilité de
l'homme, c'est là seulement qu'il atteint sa véritable et définitive
libération.
2) Une question toujours à nouveau soulevée, en particulier par les
dévotions traditionnelles à la croix, est celle du rapport qui existe en
fait entre le sacrifice (donc l'adoration) et la souffrance. D'après les
réflexions qui viennent d'être faites, le sacrifice chrétien n'est pas autre
chose que l'exode du « pour », consistant à sortir de soi, accompli
fondamentalement dans l'homme qui est tout entier exode, dépassement de soi
dans l'amour. Le principe constitutif du culte chrétien est donc ce
mouvement d'exode, avec son orientation, double et unique à la fois, vers
Dieu et vers le prochain. En introduisant l'être de l'homme auprès de Dieu,
le Christ l'introduit à son salut. L'événement de la croix est pain de vie «
pour la multitude » (Lc 22, 19), parce que le Crucifié a remodelé le
corps de l'humanité pour lui donner la forme du « oui » de l'adoration. Il
est pleinement « anthropocentrique », pleinement ordonné à l'homme, parce
qu'il a été radicalement théocentrique, en livrant le Moi, et de ce fait
l'être de l'homme, à Dieu. Or, dans la mesure où cet exode de l'amour est l'
« ec-stase » de l'homme hors de lui-même, une extase où il se trouve tendu
en avant infiniment au-delà de lui-même et comme écartelé, attiré bien
au-delà de ses apparentes possibilités de développement, dans cette
mesure-là l'adoration (le sacrifice) est en même temps croix, souffrance
du déchirement, mort du grain de blé, qui ne peut porter du fruit qu'en
passant par la mort. Mais l'on voit en même temps par là que cet élément de
la souffrance est secondaire, et découle d'une réalité première qui seule
lui donne un sens. Le principe constitutif du sacrifice n'est pas la
destruction, mais l'amour. C'est seulement dans la mesure où cet amour
brise, ouvre, crucifie, déchire, que la souffrance fait partie du sacrifice
: comme forme de l'amour dans un monde marqué par la mort et l'égoïsme.
Il existe, à ce sujet, un texte important de Jean Daniélou, qui répond il
est vrai à une autre problématique, mais qui devrait pouvoir éclairer
davantage l'idée que nous essayons de faire ressortir : « Entre le monde
païen et la Trinité bienheureuse,
il n'y a qu'un passage qui est la croix du
Christ. Comment nous étonner alors, dès que nous voulons nous établir dans
cet intervalle et tisser à nouveau entre le monde païen et la Trinité les
fils mystérieux qui les rejoindront, de ne pouvoir le faire que par la
croix. Il faut nous configurer à cette croix, la porter en nous et, comme le
dit saint Paul du missionnaire, « porter toujours avec nous dans notre corps
la mort de Jésus » (2Co 4, 10). Cette division qui nous crucifie,
cette incompatibilité dans notre cœur de porter à la fois l'amour de la
Trinité très sainte et l'amour d'un monde étranger à la Trinité très sainte,
c'est la Passion même du Fils unique qu'il nous appelle à partager, Lui qui
a voulu porter en Lui cette séparation, pour la détruire en Lui, mais qui ne
l'a détruite que parce qu'il l'a d'abord portée : il va d'une extrémité à
l'autre. Sans quitter le sein de la Trinité, il s'étend jusqu'aux extrêmes
frontières de la misère humaine et il remplit tout l'intervalle. Cette
extension du Christ, dont les quatre dimensions de la croix sont le signe,
est l'expression mystérieuse de notre distension et nous configure à elle
6l.
» La souffrance est en fin de compte le résultat et l'expression de
cette extension de Jésus-Christ, depuis l'intimité de Dieu jusqu'à l'enfer
du « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? ». Celui qui a distendu son
existence au point d'être à la fois plongé en Dieu et plongé dans l'abîme de
la créature abandonnée de Dieu, se trouve nécessairement écartelé, il est
réellement « crucifié ». Mais cet écartèlement est
identique à l'amour : il en est la réalisation « jusqu'au bout
» (Jn 13,
1), il est l'expression concrète de l'ouverture immense créée par
l'amour. On pourrait dégager à partir de là le vrai fondement d'une dévotion
authentique envers la Passion, et montrer aussi comment dévotion à la croix
et spiritualité apostolique se rejoignent. L'on pourrait faire voir que
l'activité apostolique, service des hommes dans le monde, est intimement
liée au cœur même de la mystique chrétienne et de la dévotion à la croix.
Les deux visées ne s'opposent pas; au contraire, dans leur vraie profondeur,
elles vivent l'une de l'autre. Il devrait enfin être clair par là que ce qui
compte dans la croix, ce n'est pas une accumulation de souffrances
physiques, comme si la valeur rédemptrice de la croix consistait dans la
plus grande somme possible de tourments. Comment Dieu pourrait-il prendre
plaisir aux tourments de sa créature, voire de son Fils, et les considérer
même comme la valeur à fournir pour acheter la réconciliation ?
La Bible et
la foi chrétienne authentique sont loin de telles idées.
Ce n'est pas la
souffrance, comme telle, qui compte, mais l'ouverture créée par l'amour,
élargissant l'existence au point d'unir ce qui est loin et ce qui est
proche, de mettre l'homme abandonné de Dieu en rapport avec Dieu. L'amour
seul donne un sens à la souffrance. S'il en était autrement, ce sont les
bourreaux qui auraient été à la croix les véritables prêtres, ce sont eux
qui, en provoquant la souffrance, auraient offert le sacrifice. Parce que
cela ne dépendait pas de la souffrance, mais de ce centre intime qui la
supporte et l'anime, à cause de cela, ce ne furent pas eux, ce fut Jésus le
prêtre, qui réunit à nouveau en son corps les deux extrémités séparées du
monde (Ep 2, 13 s).
Par là nous avons, au fond, déjà répondu à la question dont nous sommes
partis, à savoir si ce n'était pas une idée indigne que de se représenter un
Dieu exigeant l'immolation de son Fils pour apaiser sa colère. A cette
question, on ne peut que répondre : De fait, Dieu ne saurait être conçu de
cette manière. Mais une telle notion de Dieu n'a rien à voir avec l'idée de
Dieu du Nouveau Testament. Car, celui-ci nous présente au contraire
un Dieu
qui, de sa propre initiative, a voulu devenir dans le Christ l'oméga - la
dernière lettre - dans l'alphabet de la création. Il nous parle d'un Dieu
qui est lui-même l'acte d'amour, qui est tout entier « pour », et qui par
suite revêt nécessairement l'incognito du dernier ver de terre
(Ps 22
[21], 7). Il nous montre un Dieu qui s'identifie à sa créature et qui dans
ce contlnerl a minimo - en se laissant contenir et dominer par le
moindre des êtres - déploie cette « surabondance » qui le révèle comme Dieu.
La croix est révélation. Elle ne révèle pas quelque chose, elle révèle Dieu
et l'homme. Elle révèle qui est Dieu et comment est l'homme. Dans la
philosophie grecque, il y a un singulier pressentiment de cet ordre de
choses : l'image du juste crucifié, selon Platon. Le grand philosophe s'est
demandé, dans son traité de la République, quelle devait être dans ce monde
la condition d'un homme pleinement juste. Il arrive à la conclusion suivante
: la justice d'un homme n'est parfaite et avérée que s'il prend sur lui
l'apparence de l'injustice, car alors seulement l'on peut voir qu'il n'est
pas l'esclave de l'opinion des autres, mais tient à la justice uniquement
pour elle-même. Aussi, d'après Platon, le vrai juste doit-il être méconnu et
persécuté en ce monde. Platon va même jusqu'à dire : « Ils vont nous dire
qu'en réalité le juste, tel que je l'ai représenté, sera fouetté, torturé,
emprisonné, qu'on lui brûlera les yeux, qu'enfin, après avoir souffert des
maux de toute sorte, il sera empalé »
52. Ce texte, écrit quatre
cents ans avant Jésus-Christ, fera toujours une impression profonde sur un
chrétien. La pensée philosophique approfondie
entrevoit ici que le juste parfait doit être dans ce monde le juste crucifié. Il y a là un
pressentiment de cette révélation de l'homme qui a lieu sur la croix.
Que le juste parfait, lorsqu'il parut, soit devenu le Crucifié, livré à la
mort par la justice, ce drame nous découvre sans ménagement qui est l'homme
: Homme, voilà comme tu es, tu ne peux supporter le juste ; celui qui est pur
amour, tu en fais un fou, tu le bats, tu le répudies; tu es ainsi parce que
toi-même tu es injuste et que tu as besoin de l'injustice de l'autre pour te
sentir excusé; alors le juste, qui semble te priver de cette excuse, tu n'en
as que faire. Voilà ce que tu es. Jean a résumé tout cela dans le mot de
Pilate : « Ecce homo ! (« Voici l'homme ! »), ce qui signifie
profondément : Voilà ce qu'il en est de l'homme. L'homme, c'est cela.
La
vérité de l'homme, c'est son manque de vérité.
Quand le psaume 116 (v. 11)
nous dit que tout homme n'est que mensonge, que toujours, sur un point ou
sur un autre, il vit contre la vérité, nous trouvons déjà là, mis à nu, le
visage réel de l'homme. La vérité de l'homme, c'est qu'il achoppera toujours
contre la vérité ; le juste crucifié est ainsi le miroir présenté à l'homme,
où celui-ci voit son propre visage sans fard. Mais la croix n'est pas
seulement révélation de l'homme, elle est également révélation de Dieu :
ce
qui caractérise Dieu, c'est qu'il vient jusque dans cet abîme s'identifier
avec l'homme, c'est qu'il juge en sauvant. Dans l'abîme de la faillite
humaine, se révèle l'abîme encore bien plus insondable de l'amour divin.
Ainsi la croix est vraiment le centre de la révélation, d'une révélation qui
ne nous fait pas connaître quelques propositions inconnues jusqu'à présent,
mais nous dévoile nous-mêmes, en nous révélant devant Dieu et en révélant
Dieu au milieu de nous.
A suivre : « EST DESCENDU AUX ENFERS »
Notes :
51. J. Daniélou, Essai sur le Mystère de l'Histoire, Éd. du Seuil, 1953, p.
329.
52.
Politeia, II, 361-362 (trad. française d'après Platon, Œuvres complètes,
VI, Paris, 1959); - cf. à ce sujet H. U. von balthasar, Herrlichkeit,
III/1, Einsiedeln, 1965. pp. 156-161 ; - E. Benz, Der gekreuzigte
Cerechte bei Plato, im NT und in der alten Kirche, Abhandlungen der
Mainzer Akademie, Heft, 12
►
Les
lecteurs qui désirent consulter les derniers articles publiés par le
site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent cliquer
sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 15.03.2023
|