Pékin et Moscou, les derniers défis de
Jean-Paul II |
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Le 14 octobre 2007 -
(E.S.M.) - Comme s'il sentait la Providence
avec lui, le Saint-Père Jean-Paul II nourrissait des projets grandioses
: la réconciliation de l'Église catholique avec les Églises orthodoxes
et la réunification des deux Églises catholiques de Chine, l'officielle
et la clandestine. Tâches poursuivies, depuis, par le pape Benoît XVI.
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Le
Saint-Père Jean-Paul II -
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Pékin et Moscou, les derniers défis de Jean-Paul II
Voir l'an 2000 et célébrer à Rome le jubilé de
l'année sainte, c'était la grande espérance de Jean-Paul II.
Ce vœu fut accompli.
Comme s'il sentait la Providence avec lui, le Saint-Père Jean-Paul II
nourrissait des projets grandioses : la réconciliation
de l'Église catholique avec les Églises orthodoxes et la réunification des
deux Églises catholiques de Chine, l'officielle et la clandestine.
Tâches poursuivies, depuis, par le pape Benoît XVI.
Ce furent depuis toujours ses deux grandes ambitions, avec le voyage en
Israël. C'était aussi des défis à son âge. Défis qui ne paraissaient
pas si déraisonnables si l'on en croyait son entourage médical. Il n'y avait
pas de raison pour que le pape ne puisse survivre encore longtemps. Selon
les spécialistes de la polyclinique Gemelli, son cœur et ses artères étaient
en bon état pour un homme de quatre-vingts ans.
"Il faudra que Dieu lui prête encore plusieurs années de vie pour que le
Saint-Père Jean-Paul II mène à bien ses projets œcuméniques aujourd'hui si
importants pour lui. Même épuisé, il trouve toujours un rendez-vous pour un
prêtre venant de Russie. Car la réconciliation avec les Églises orthodoxes
ne semble pas pour demain. Au cours de sa visite, le 6 juin 2000 au Vatican,
le président russe Vladimir Poutine n'a pas renouvelé l'invitation à Moscou
qu'avait faite au pape son prédécesseur, Boris Eltsine.
Ce voyage était pourtant l'un des grands rêves de
Jean-Paul II".
La vraie raison de la réticence de Vladimir Poutine fut l'opposition du
patriarche de Moscou, Alexeï II, à ce voyage du pape. Et si parfois le
patriarche laissait entendre, comme le 4 juin 2000, devant la presse russe
qu'il serait envisageable dans l'avenir, il s'attire aussitôt les
protestations du saint-synode
(collège des évêques
orthodoxes russes). Et le pape, s'il était invité par le
président russe, ne se rendrait sans doute pas à Moscou sans l'accord
explicite du saint-synode. Dans une interview, Vladimir Poutine a d'ailleurs
précisé : « Si le pape venait à Moscou sans rencontrer le patriarche, ce
serait un scandale. À quoi bon pour nous une visite sur fond de scandale.
Cela ne contribuerait pas au rapprochement de nos positions. Le pape est un
homme intelligent. il comprend tout très bien. » Deux tentatives de
faire se rencontrer Jean-Paul II et Alexeï II avaient déjà échoué lors des
voyages du Saint-Père en Hongrie en septembre 1996, et un autre déplacement
a été annulé à Vienne en juin 1997.
Alors que le pape se rend à Cuba et en Israël, cette « interdiction de
séjour » dans un grand pays chrétien paraît extraordinaire, dit-on au
Saint-Siège. Faut-il croire que les conflits entre
frères sont les plus insolubles ? Les raisons en sont à la fois
politiques, culturelles et dogmatiques.
Ce qui sépare les deux Églises remonte à près de mille ans et serait
difficilement compris des fidèles aujourd'hui. Elles se sont affrontées sur
la « procession » du Saint-Esprit. Selon Rome, le Saint-Esprit procède du
Père et du Fils. Selon Constantinople, du Père seul. C'est la fameuse
querelle du Filioque. D'où anathèmes réciproques de Rome et de
Constantinople en 1054.
De plus, les patriarches de Constantinople refusaient et refusent toujours
de reconnaître la primauté de l'évêque de Rome. Des querelles sur
l'existence du purgatoire s'ajoutèrent à ces dissensions. La colère des
orthodoxes s'est accrue à la suite du sac de Constantinople par les croisés
en 1204. Les Byzantins s'exclamèrent alors : « Plutôt le turban que la tiare
! »
Depuis l'éclatement de l'URSS et le retour à la liberté de culte, l'Église
orthodoxe russe, qui a toujours été religion nationale, sous Staline
(où les popes étaient de vrais
serviteurs du parti) comme sous les tsars, s'estime aujourd'hui
victime d'une vaste offensive des missionnaires catholiques. Autre sujet de
discorde. Il est incontestable que la papauté, depuis Pie XI, essaie
habilement de gagner du terrain en Russie en y renforçant une structure
catholique hiérarchisée. Pie XI avait sous Staline ordonné en secret des
évêques avec pour mission d'ordonner à leur tour clandestinement des prêtres
catholiques. Le prosélytisme de l'Église catholique russe — qui ne compte
pourtant qu'une centaine de prêtres, dont seulement une dizaine de Russes
mais un million de fidèles, descendant pour la plupart de Polonais et
d'Arméniens déportés par Staline — inquiète Alexeï II Ce dernier avait
apporté son soutien actif à Boris Eltsine au moment de sa réélection au
printemps 1996.
Autre sujet de discorde, l'Église catholique russe, qui fut anéantie sous
Staline, s'est vu confisquer alors nombre d'églises où les popes se sont
installés. Ils rechignent aujourd'hui à les restituer.
Enfin, il y a la querelle des uniates. Vaste conflit vieux de trois siècles
qu'on appréhende mal en Occident. À l'époque de la Contre-Réforme, les
dirigeants catholiques d'Autriche, de Hongrie et de Pologne contraignirent
certaines de leurs Églises orthodoxes à reconnaître la primauté de l'évêque
de Rome. Telle est l'origine des Églises uniates, rassemblant des chrétiens
orientaux de rite byzantin mais acceptant l'autorité du pape. L'Église
uniate d'Ukraine, persécutée sous Staline, relève la tête aujourd'hui et
elle est considérée à Moscou comme la cinquième colonne du Vatican.
Jean-Paul Ier avait tenté de contourner Alexeï II en invitant le métropolite
de Leningrad, monseigneur Nicodem, un prélat assez engagé dans le dialogue
avec Rome. À l'époque, où la Russie était encore communiste, il estimait que
le soutien du catholicisme était indispensable aux orthodoxes. Il l'avait
confié au cardinal König, président du Conseil pontifical pour le dialogue
avec les non-croyants : « Sans vous, nous sommes perdus. » Malheureusement,
souvenir aussi macabre que spectaculaire, il s'effondra, foudroyé par une
crise cardiaque au cours de l'audience que Jean-Paul Ier lui avait accordée
le 5 septembre 1978. Plus tard, Jean-Paul II commenta : « II est mort trop
tôt ou je suis devenu pape trop tard. » Le sort s'acharnait.
Alexeï II, soixante et onze ans, qui était patriarche de Moscou depuis dix
ans après avoir été métropolite de Leningrad, tenait toujours tête à
Jean-Paul II, iI était appuyé par le gouvernement russe. L'Église orthodoxe
était en effet un élément précieux de stabilité dans un pays où l'État est
chancelant et l'administration en lambeaux. Vladimir Poutine, qui, dès son
intronisation, s'est dit croyant et pratiquant, avait alors affirmé que
l'Église orthodoxe devait retrouver sa mission traditionnelle de stabilité
et d'unification des Russes autour de priorités morales communes ; il
assistait volontiers aux cérémonies religieuses. Eltsine s'était presque
converti, surtout à la suite de son quintuple pontage en 1997, et il avait
fait baptiser ses cinq petits-enfants. Comme le disait l'ancien ambassadeur
de Russie au Saint-Siège, Viacheslav Kostilov : « La sensibilité religieuse
de Boris ne faisait que croître et Dieu s'est peut-être installé en lui. »
Autre geste significatif de la faveur officielle dont jouit l'Église
orthodoxe, le maire de Moscou, après s'être fait lui aussi baptiser, a
ordonné, au milieu des années 90, la reconstruction de la cathédrale du
Saint-Sauveur, la plus grande cathédrale russe, qui fut dynamitée sur
l'ordre de Staline en 1931. La dorure de l'imposante coupole de la capitale
a exigé pas moins de cinquante kilos de feuilles d'or fin.
Alexeï II, ce patriarche imposant, coiffé d'une riche tiare et appuyé sur sa
crosse au pommeau en forme de serpent, est assailli en permanence par un
flot d'évêques et de moines aussi âgés que barbus qui pourfendent
l'œcuménisme, cette idée malsaine venue d'Occident. Ils s'appuient sur la
force de leur Église avec ses 128 diocèses, ses 17 500 prêtres, ses 2 300
diacres et ses 480 monastères. Ils voudraient ressusciter le vieux
messianisme russe et refaire de Moscou la troisième Rome
(la deuxième ayant été
Constantinople). Ils ne font pas grand chose pour faciliter les
contacts avec le Vatican. Un important prélat du Saint-Siège se plaignait
que, lorsqu'il était — rarement — reçu à Moscou, c'était toujours en plein
hiver, par - 25 °C, ce qui déstabilise naturellement qui est habitué au
climat tempéré de Rome. D'ailleurs, avouait-il, «j'étais tellement gelé que
je pouvais à peine parler ».
Jean-Paul II, a probablement commis des erreurs tactiques. Par exemple en
reconnaissant, avant tous les autres États, la Slovénie et la Croatie
catholiques. Il s'est ainsi fait honnir non seulement des Serbes mais aussi
des autres pays orthodoxes comme la Grèce, la Roumanie et bien sûr la
Russie. Il n'a certes pas reconquis leurs bonnes grâces en béatifiant, à
Zagreb, en 1998, le cardinal Stepinac que les communistes accusaient d'avoir
été complice des Oustachi pronazis pendant la guerre. Ce qui n'est pas
exact, comme en témoignent les vingt mille pages du procès en béatification.
Ajoutons enfin que les Églises orthodoxes, qui sont relativement pauvres,
parfois même agonisantes financièrement, sont jalouses de l'Église de Rome
qui leur paraît si flamboyante.
Le Saint-Père a tout essayé auprès d'autres patriarches orthodoxes. Le
premier sollicité fut Bartholomeos Ier, le patriarche de Constantinople, à
qui Rome reconnaît la primauté historique de l'orthodoxie. Ce que conteste
l'Église orthodoxe russe. « Le patriarche de Constantinople n'a plus que
deux cent mille fidèles, protestait Alexeï II, tandis que j'en ai
soixante-dix millions. » Le patriarche russe reproche aussi à Bartholomeos
Ier d'avoir été largement financé par de riches armateurs dont Aristote
Onassis, qui, parmi d'autres cadeaux, lui prêtait régulièrement un avion
banalisé d'Olympic Airways.
Le Vatican, qui lui a déjà offert ses études au Séminaire français de Rome,
le reçoit avec honneur et le couvre de dons. Jean-Paul II le traitait très
courtoisement. Mais ces bons procédés n'ouvrent sur rien de bien concret et
ne servent qu'à exaspérer Alexeï II. De plus, Bartholomeos Ier a pris
récemment ses distances et est allé jusqu'à mettre en cause la « conception
sommaire » de la papauté ainsi que le « pesant » centralisme du Vatican,
qu'il a opposé à la souplesse de l'orthodoxie. Depuis le voyage de Benoît
XVI en Turquie les choses ont bien évolué.
Jean-Paul II a fait d'autres voyages en terre orthodoxe en Roumanie en mai
1999, en Géorgie en novembre 99 où le bilan fut maigre
En Géorgie, où Jean-Paul II s'est rendu dix mois plus tard, en novembre
1999, le bilan fut maigre. La messe pontificale célébrée à Tbilissi s'est, à
la demande du patriarcat, tenue dans un édifice fermé et non sur une place
de la ville. Le patriarche Ilia II, présent à deux cérémonies, s'est bien
gardé de jamais prononcer le mot d'« œcuménisme » alors que le pape lançait
un appel à l'unité de tous les chrétiens. Aucune prière commune n'a été
possible entre l'héritier de l'apôtre Pierre et celui de l'apôtre André,
frère de Pierre, qui selon la tradition locale aurait évangélisé la Géorgie.
C'est le président de la Géorgie, Edouard Chevarnadze, grand admirateur de
Jean-Paul II, qui avait obligé Ilia II à le recevoir. D'où, parmi d'autres
raisons, la froideur de l'accueil. Comme l'a souligné le pape à l'un de ses
proches qui me l'a rapporté : « Les gouvernements me font plus les yeux doux
que les popes. » II a rétorqué aussi à un ministre russe qui lui disait en
guise d'accueil : « Le Christ est ressuscité !
- Je préférerais qu'on m'attende en priorité dans les églises plutôt que
dans les palais. »
Dernier affront subi par Jean-Paul II de la part des orthodoxes : au cours
de son voyage au Caire, en mars 2000, le pape Chenouda III, patriarche de
six millions de coptes orthodoxes, et le Saint-Père, tout en se prodiguant
des marques d'estime et en échangeant avec des mines confites croix copte
contre croix latine, n'ont abordé aucun des sujets qui les séparent, de
l'existence du purgatoire à la « procession » du Saint-Esprit. Le fossé le
plus grand étant toujours l'importante question de la primauté de l'évêque
de Rome. Les coptes, évangélisés par l'apôtre Marc, ne voient pas pourquoi
ils devraient obéir au successeur d'un autre apôtre, Pierre.
Suprême vexation pour le souverain pontife, les moines orthodoxes du célèbre
monastère Sainte-Catherine, sur le mont Sinaï, l'ont accueilli sans
enthousiasme, et c'est une litote. Tout de noir vêtus, avec leurs
impressionnantes barbes et leur air ombrageux, la dizaine de moines
présents, guidés par leur supérieur, s'étaient regroupés dans un coin, à
quelques mètres à peine du lieu de la cérémonie, discutant entre eux comme
si rien ne se passait alentour alors que Jean-Paul II présidait une
cérémonie religieuse en présence de quelques milliers de fidèles. Dans son
discours, monseigneur Damianos a exhorté le pape « à revenir en toute
humilité à la vraie foi ». Les moines sont tout le temps restés à l'écart
pendant que le pape et sa suite priaient à voix haute. Mais il faut noter
que c'est la coutume depuis la séparation des deux Églises.
Jean-Paul II, comme toujours fin diplomate, jouait cependant avec habileté
des divisions internes qu'entretiennent entre elles toutes ces Églises
orthodoxes. Ce combat difficile et pastoral qui entraîne des voyages
épuisants le stimulait aussi bien physiquement qu'intellectuellement.
Nous verrons la fois prochaine si le Saint-Père fut plus heureux avec la
Chine ? Autre chantier poursuivi avec foi et ferveur par le pape Benoît XVI.
Ces deux dossiers sont en bonne voie
(à suivre...)
Sources: Le pape en privé
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.10.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.P. |