Jean-Paul II , annoncer la bonne
nouvelle jusqu'aux " extrémités de la terre " |
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Le 14 avril 2008 -
(E.S.M.) - La journée mondiale de prière pour les vocations
s'est terminée hier et a été largement commentée par le pape Benoît XVI.
Dans le prolongement de cet événement nous publions un texte d'une
incontestable actualité. Il s'agit d'une conférence du cardinal Darío Castrillón Hoyos
alors
Préfet de la Congrégation pour le Clergé.
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" Da mihi animas,
cetera tolle ! " -
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Jean-Paul II , annoncer la bonne nouvelle jusqu'aux " extrémités de la terre
"
Se convertir pour convertir
Introduction
Je voudrais ouvrir les bras à la mesure des côtés de
ce sanctuaire pour vous embrasser tous et vous dire ainsi mon bonheur de me
trouver parmi vous, qui représentez moralement tous les prêtres du monde, et
pour vous dire ainsi mon " merci " pour votre présence ici, qui montre que
vous avez bien compris les motifs profonds pour lesquels la Congrégation
pour le Clergé désire accompagner l’Ordo sacerdotal tout entier, dans
un pèlerinage évocateur, pour arriver à franchir dans les justes
dispositions la porte sainte du grand jubilé.
Nous devons franchir la porte sainte du grand jubilé dans une attitude
profonde de conversion personnelle, pour pouvoir devenir de manière crédible
et efficace, dans les mains du Rédempteur, des instruments de conversion.
Ce sera justement ce " vertere contra ", cette dépossession
volontaire et aimante, qui permettront au Seigneur - qui nous a appelé et
qui ne nous abandonne jamais - de reverser en nous ses charismes et ses
consolations.
En nous ouvrant à l'Esprit Saint, à son action de conversion, nous voulons
faire émerger la dimension objective et sacrificielle à laquelle nous sommes
appelés.
Nous avons reçu la mission de prononcer les paroles : " ceci est mon
corps, ceci est mon sang ". Par conséquent nous devons être prêts à nous
offrir nous-mêmes, âme et corps, à tous : pour expier leurs péchés. Nous
sommes appelés à être prêtres et victimes. De la même manière que Jésus : "
Sacerdos et Hostia " !
Ces jours-ci, sous la protection de la vierge Marie, nous voulons nous
entraider pour être conscients de tout cela, de manière plus vitale, dans un
climat de famille.
Je me réjouis de la présence de si nombreux frères cardinaux et évêques, que
je remercie de tout cœur. Ces présences sont un acte d'amour envers le
sacerdoce du Christ et envers chacun de vous, envers chaque prêtre.
Mais il y a une très haute présence spirituelle, qui garantit l'affection de
communion qui nous relie : à travers son message c'est le Souverain Pontife
lui-même qui a voulu nous rejoindre !
Ainsi se manifeste de manière éloquente, de façon sacramentelle, l'amour
fraternel ; la communion vécue par le Seigneur avec les apôtres se fait
visible, elle devient un ferment pour la communion de l'Église.
En jouissant de cette " familiarité " sacrée, entrons donc dans le thème de
cette conférence.
1) De quoi avons nous besoin, nous qui
vivons en cette époque l'identité d'autres Christs, à divers degrés, et qui
exerçons le ministère pastoral qui en découle ?
Nous avons besoin de réflexion, de silence et de
méditation.
Le grand prophète Jérémie a déterminé que le motif des malheurs de l'homme
sur la terre était le manque de réflexion. Voici comment il exprime la
plainte de Dieu : " de nombreux pasteurs ont dévasté ma vigne, ils ont
foulé mon champ. Ils ont fait de mon champ préféré un désert désolé... tout
le pays est dévasté et personne ne s'en préoccupe... ils ont semé du blé et
ils ont récolté des épines, ils se sont donnés du mal sans aucun profit ;
ils sont honteux de leur récolte (Jer 12, 10 - 13).
Pour quel motif ? Parce que personne n'y réfléchit ". Le manque de réflexion
est le motif pour lequel tout le pays est dévasté.
Ce cadre tracé par Jérémie il y a 2600 ans ne présenterait-il pas des
analogies avec le monde d'aujourd'hui, désolé spirituellement et
matériellement, plein de tensions et d'anxiétés - bien que celui qui a
l'intelligence de la foi sait reconnaître " au-delà " des motifs d'espérance
fondée ?
Pie XI, d’immortelle mémoire, dans son Encyclique
Mens nostra (20 XII 1929) sur les exercices
spirituels, observe que " la plus grande maladie de
l'époque moderne est le manque de réflexion ". Et la
symptomatologie de cette infirmité se manifesterait, toujours selon le grand
Pontife, dans une " perpetua et vehemens ad exteriora effusio " et
dans une " inexplebilis divitiarum atque voluptatum cupiditas ".
L'homme, " raptus externis atque fluxis rebus ", n'examine pas son
intérieur et ne pense pas à Dieu, alors que celui-ci est notre principe et
notre fin (Pie XI, Encyclique
Mens nostra, AAS 12, 1929).
Ce diagnostic d'il y a un demi siècle vaut
encore plus aujourd'hui.
Aujourd'hui, en nous regardant de l'intérieur, " hommes du sacré " et "
missionnaires " par constitution ontologique, consacrés toujours aux choses
de Dieu, en même temps nous constatons tous, malheureusement, que nous
sommes poussés par mille choses qui passent, même quand elles sont liées à
des activités recommandables, et que nous réduisons le temps consacré à
regarder à l’intérieur de nous-mêmes et à reconnaître en permanence le
murmure de l'Esprit Saint.
On ne peut substituer l'écran de la télévision ou quoi que ce soit d'autre
au miroir de la conscience, dans lequel l'homme s'entrevoit lui-même. La
voix de Dieu, portée sur les ondes de l'âme, ne peut être remplacée par les
ondes électromagnétiques. Voilà pourquoi la maladie de l'homme contemporain
- et nous n'en sommes pas exempts - réside, dans une large mesure, dans le
manque de réflexion, et est une " fecundus malorum fons ".
Quand il y a près de quarante ans, en juillet 1969, l'homme pris pied pour
la première fois sur la lune, l'un des philosophes contemporains les plus
connus, Bertrand Russel, déclara : " le mal existe, parce que nous sommes
dévorés par la fièvre d'agir ; or l'humanité a davantage besoin, avant toute
chose,
du silence, de la réflexion et de la méditation
".
Le mal que provoque le manque de silence, de réflexion et de méditation nous
menace également fortement, nous les prêtres et les évêques d'aujourd'hui.
L'administration ordinaire, la vie de chaque jour nous font nous mouvoir
dans une jungle touffue de réunions, de bureaux et de bureaucraties
énervantes qui, souvent, ne sont pas au bénéfice des rapports personnels
nécessaires.
Chacun de nous est exposé, si l'on peut dire, au danger de la " perpetua
et vehemens ad exteriora effusio ", au danger de se perdre dans
l'extériorité en négligeant sa propre intériorité. Et
pourtant, c'est de notre rapport intime avec Dieu que dépend la
perfection de nos actions externes.
Dans l'Apocalypse, nous rencontrons un avertissement insistant : " à l'Ange
de l'Église de Sardique écrit... je connais tes œuvres, tu passes pour
vivant alors que tu est mort ; parce que je n'ai pas trouvé tes œuvres
parfaites devant Dieu. Rappelle-toi donc comment tu as accueilli la parole,
conserve-la " (Ap 3, 1 - 3). Rappelle-toi,
repense, médite ce que tu a reçu de la part de Dieu.
La réflexion, la méditation et le silence sont nécessaires à tous. C'est
pourquoi ces journées sont particulièrement précieuses, surtout les trois
premières, toutes concentrées sur les thèmes fondamentaux de la conversion,
de la communion et de la mission. Le tout dans ce climat idéal du Cénacle,
rassemblés autour de notre très sainte mère de Guadalupe, dans un climat
fervent de communion ecclésiale et de fraternité, dans l'attente confiante
de l'effusion de l’Esprit Saint qui nous anime pour la nouvelle
évangélisation.
2) Nouvelle évangélisation ! Ce
n'est pas un " slogan " mais c'est une exigence devant laquelle le Saint
Père nous met de façon providentielle. Il ne s'agit pas d'une phrase
magique mais d'une mission à accomplir, aussi ardue que fascinante et
nécessaire, et qui doit mobiliser tous les baptisés qui sont les
protagonistes principaux et autorisés de l'évangélisation.
Les premiers responsables de cette nouvelle évangélisation du troisième
millénaire de l’Incarnation du Verbe, ce sont nous, les prêtres ! Il doit
donc être clair que pour pouvoir réaliser notre mission nous avons besoin
d'alimenter en nous-mêmes une vie qui soit une pure transparence de notre
identité, et de vivre une union d'amour avec Jésus-Christ, Prêtre Souverain
et Éternel, Tête et Maître, Époux et Pasteur de son Église, en nourrissant
notre spiritualité et notre ministère avec une formation permanente et
complète. Je crois que la référence constante, comme
cadre d'orientation à la fois personnel et pour tout le presbyterium, sera
toujours et seulement le Christ. Pour notre chemin sacerdotal
l'Église nous a remis un instrument, comme point pratique de référence,
le
Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, qui est vraiment
indispensable, y compris pour garantir la communion ecclésiale nécessaire et
effective.
3) " Comme le Père m'a envoyé, moi aussi
je vous envoie "
(Jn 20, 21). La dimension missionnaire est
ontologiquement présente dans l'ordination sacrée elle-même. Nous avons été
choisis, consacrés et envoyés pour rendre efficace et toujours actuelle
cette mission Éternelle du Christ.
Nous, tout en étant nés au sein d'une Église particulière - ne l'oublions
jamais ! - nous appartenons " in modo immediato " à l'Église
universelle
(cf. Congrégation pour la doctrine de la foi, Lettre sur
l'Église comme communion
Communionis
notio, 28 mai 1992, 10 : AAS 85) et avec elle nous
partageons, selon les modalités propres à chacun de nous, la mission
d'annoncer la bonne nouvelle jusqu'aux " extrémités de la terre "
(Ac 1, 8) (cf. Jean-Paul II, Encyclique
Redemptoris Missio, 23a : AAS 83, 1991). Maintenant, il peut
se faire que dans le plan de Dieu les plus proches constituent des
frontières lointaines, et vice-versa. La mission la plus ardue, en certaines
circonstances, pourrait être celle au sein de sa propre famille.
Il s'agit de la mission d'annoncer la conversion et de rendre disciples du
Christ toutes les nations, afin qu'elles connaissent le salut.
Convertir, oui, mais pour convertir nous devons nous
convertir. Et cela non pas parce que la parole et les sacrements
n'auraient pas de force intrinsèque, mais parce que nous devons être des
canaux limpides pour que la grâce puisse passer rapidement et irriguer le
monde entier pour son salut.
Notre ministère est irremplaçable, on ne peut lui trouver de succédanés, en
vertu de la volonté divine de celui qui a fondé l'Église avec une structure
hiérarchique et communionnelle. Cela comporte de graves responsabilités pour
nous. Tant de dignité va avec tant de responsabilité, que rend possible la
grâce de notre état.
4) Chaque jubilé a toujours eu nécessairement un caractère propédeutique
pénitentiel, il pousse à la conversion, à la sincérité du "cor semper poenitens". Dans cette ligne, toujours en fonction de la nouvelle
évangélisation, je voudrais me proposer à moi-même et à vous tous, chers
confrères dans le sacerdoce, un examen de conscience sur une catégorie
particulière de péchés que je définirais "intellectuels", bien qu’ils se
répercutent sur les attitudes pastorales. Ils peuvent nuire à l’œuvre
missionnaire, et à l'image même de l'Église. Dans ce climat de charité
fraternelle, je vous invite à partager une analyse qu'il me semble devoir
faire dans un but constructif. C’est pleins de confiance dans l’œuvre du
Saint Esprit, et dans cet amour profond pour l'Église qui est enraciné en
notre être - je dirais presque dans nos chromosomes sacerdotaux - que nous
pouvons entrer en matière.
Je commence par préciser que les situations auxquelles je ferai référence ne
sont pas universellement répandues, qu'elles ne sont pas non plus
majoritaires, et qu’elles ne sont le fait d’aucun d’entre nous, sans quoi
nous ne serions pas ici ces jours-ci. Il s'agit cependant d’idées qui
circulent et qui, si on les reçoit même par inadvertance, pourraient
gravement nuire à tant de sacrifices dans l’apostolat, aux si nombreuses
héroïcités cachées et à la fidélité de tous les jours qui caractérisent
votre ministère sacré quotidien.
La pastoralité nous oblige à la prudence et à la hauteur de vue.
La perfection sacerdotale exige la conformité de l'intelligence avec la
pensée du Christ, et la forme historique de cette conformation réside dans
la communion effective et cordiale avec l'Église et avec le vicaire du
Christ. Cette perfection de l'être se répercute dans l'action, à un double
niveau :
A au niveau de l'étude, qui dans le domaine intellectuel approfondit la
pensée ;
B au niveau de la diffusion de la pensée, tant sur le plan magistériel que
sur le plan génériquement culturel, dans les contextes de l'école et de
l'opinion publique.
Il faut enrichir la communauté en lui présentant les développements de la
pensée, mais ce serait un péché contre la foi, et spécialement contre la foi
simple des personnes humbles, de diffuser des conclusions que le Magistère
authentique n’a pas accepté, pour ne rien dire de celles qu’il a rejeté.
A
5) Parmi les " péchés " commis de manière plus diffuse, en général, revient
celui de se réclamer d'un prétendu " esprit du Concile Vatican II ", lequel
n'aurait pas encore été assimilé, surtout par l'Église institutionnelle.
Le cardinal Ratzinger/Benoît XVI a dit - si je me rappelle bien - qu'il s'agit plutôt
d'un " anti-esprit du Concile ". Et cela se remarque déjà dans le fait que la
demande de se référer à " l'esprit du Concile " ne concerne pas tant, comme
ce devrait être, l’Esprit Saint qui a guidé et enseigné l'Église dans le
Concile " en prenant du bien de Jésus " (cf. Jn 16, 13) et en la conduisant
encore plus profond dans sa vérité, mais elle se réfère à une lecture des
textes conciliaires qui est dans la ligne, de fait, d'une ancienne hérésie ;
celle précisément qui attend " l'ère de l'Esprit " définitive, dans laquelle
la référence à l'incarnation concrète du Christ sera dépassée, comme aussi
la référence à son corps ecclésial concret, ou celle à ses dons
institutionnels concrets.
L'influence de cet (" anti ") esprit du Concile se constate, à mon avis,
dans l’attitude de fond que voici : les problèmes de la vie ecclésiale sont
affrontés comme si rien ne devait être définitivement normatif. Et même si
on admet que quelque chose doit être normatif, on ne le perçoit et on ne le
présente pas comme une richesse, mais comme une limite fastidieuse. Par
conséquent, la fermeté avec laquelle l'Église veut s’en référer à son "
depositum fidei " (dans le domaine dogmatique et moral) est facilement
considérée comme une volonté abusive de restauration. En particulier :
- On tend à séparer l'Esprit Saint de ce qui est " corps " : de la vie
historique de Jésus, de l'institution ecclésiastique, des sacrements, du
Magistère et, surtout, du droit canonique, le tout sur la base d'un préjugé
généralisé selon lequel l'Esprit " souffre " à chaque fois qu'il est
contraint de " s'incarner ".
- On se sert de la terminologie théologique traditionnelle (" peuple de Dieu
", " Règne de Dieu "...) mais en changeant le sens des mots, en s’inspirant
plus de l'idéalisme que de la Révélation.
- Parfois, on considère valable par principe toute forme d'expérimentation
qui tend à inculturer et à indigéniser l'Évangile, toute " théologie "
nouvelle. Nous sommes inclinés à parler d'inculturation, mais nous devrions
employer la même emphase, en parallèle, quand il s’agit d’évangéliser la
culture, parce que les deux réalités sont absolument indissociables.
- Ne manquent pas non plus ceux qui cherchent une solution au
problème
œcuménique sur la base d'une déconfessionalisation progressive
(c'est-à-dire
en considérant les diverses " confessions chrétiennes " comme des formes
légitimes de pluralisme) ; on cherche également à ouvrir le chemin à un
œcuménisme entre les religions, à un " souhaitable " retour au
théocentrisme, en réduisant par diverses précautions les caractéristiques
universelles du christianisme et l'unique centralité salvifique du Christ.
- Parfois, c’est l'histoire de l'Église qui n'est plus tellement considérée
comme un dépôt de sainteté (de vie et de doctrine) dans lequel puiser
joyeusement, à pleines mains, mais comme un dépôt de problématiques pesantes
qu'il faut expliquer et supporter.
- On rencontre souvent une attitude qui tend à éroder ou à diminuer (en les
considérant opinables ou non définitives) certaines doctrines, par ailleurs
très claires, comme par exemple celle sur la différence essentielle entre le
sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun, celle sur l’impossibilité de
l'ordination des femmes, celle sur le caractère définitif des prises de
position sur l’éthique sexuelle, etc. Parfois le Magistère du Souverain
Pontife est considéré d’avance avec suspicion, et il est plus l’objet d'une
exégèse attentive que d'une transmission cordiale et fidèle. Il en va de
même pour beaucoup de documents du Saint-Siège, sur lesquels on étend
parfois le voile de l'oubli et de l'indifférence, comme s'ils n'existaient
pas.
- Les affaissements et les hésitations dans le domaine de l'orthodoxie sont
considérés comme moins graves que les affaissements dans la morale, voir
même, on les considère avec une sympathie cachée. De toute façon ils
apparaissent comme " intéressants ", " ouverts " et signes de
liberté
intellectuelle.
- Le relativisme sur la vérité ne manque pas d’un certain nombre de
prosélytes ; on le propage comme un devoir qu'imposerait la charité. En ce
sens, certaines expressions apparemment " charitables " et lourdes de
sagesse deviennent habituelles : " chacun cherche la vérité ", " chacun ne
peut voir la vérité que d'un point de vue particulier ", etc. On ne réalise
pas que des expressions comme celles-ci finissent par engendrer un
scepticisme pratique et universel. Or le pasteur a une responsabilité
catéchistique remarquable, y compris par sa façon courante de parler.
- Le devoir de la " présence chrétienne " est étendu à tout le domaine de
l'expérience, et la présence dans le social en est une part importante.
L'évangélisation de la vérité, avec toute la lutte qu'elle exige
inévitablement, est facilement cachée derrière l'évangélisation de la
charité " pratique ", que le monde reconnaît plus facilement et qu’il
accepte, mais qu'il phagocyte également, étant donné ses immenses besoins.
6) En résumé, on tend à séparer l'Esprit Saint des événements
historiques de Jésus de Nazareth, de la vérité et du salut qu'Il est en sa
personne. Et plus encore, on tend à le séparer de toutes les dimensions
concrètes et existentielles de l'Église.
Dans le meilleur des cas on considère que seule est acceptable une Église
qui, sans aucun lien, se laisse façonner continuellement par l'Esprit Saint,
avec une référence au Christ la plus idéale possible.
L'Esprit, en somme, devrait libérer l'Église du scandale de " l'incarnation
particulière " : le dogme du " Dieu qui s'est fait cet homme Jésus " tend à
s'estomper - en récupérant de nombreuses subtilités hérétiques anciennes -
dans le dogme du " Dieu qui s’est fait chaque homme ", ou celui de " l'homme
incarnation de Dieu ".
Évidemment, aucun d'entre nous ne serait disposé à reconnaître comme siennes
toutes les positions dont je viens de faire la liste, mais l'acceptation,
même voilée, de l'une ou l'autre d'entre elles, donne une orientation et un
goût même aux autres enseignements formellement irréprochables.
B
7) La très grande majorité des clercs, en réalité et grâce à Dieu,
n'est pas impliquée dans les problématiques que je viens de décrire, mais
elles constituent une sorte de pseudo-dépôt, auquel il est facile de puiser
dans les moments de difficultés, ou dans les moments de superficialité.
Au plan pratique il y a un autre affaissement macroscopique qui fait son
chemin, et qui par certains aspects, se rattache aux doctrines auxquelles
j'ai fait allusion. Et même, il me semble que ce que je présenterai
maintenant est comme le bassin collecteur dans lequel peuvent se verser et
être reçus également d’autres éléments plus " intellectuels ".
Il s'agit d'une version mise à jour du vieux
pélagianisme.
On sait que dans la vision pélagienne l'homme était considéré comme
naturellement bon et capable de se sauver par lui-même, même si la grâce de
Dieu et, surtout, l'illumination du Christ, étaient des instruments très
utiles. Quoi qu'il en soit, c'était une vision qui exigeait de l'homme un
grand engagement moral et une ascèse non négligeable.
Que s'est-il passé ? Certains, de fait, emploient leurs énergies dans une
annonce, et par suite dans une prédication, dans une catéchèse, dans une
vision globale du christianisme, qui sont substantiellement pélagiennes,
en ce qu’elles réduisent le Christ à " un bon exemple
". Il suffit de faire attention à la prédication des confrères, même
vertueux et orthodoxes, lors des Baptêmes, des mariages, des premières
communions, etc., mais aussi lors de l'homélie dominicale habituelle.
Presque toute l'annonce concerne les engagements que prend le chrétien ou
qu'il devrait prendre ; on ne parle presque exclusivement que de ce que
l'homme devrait faire. On en arrive ainsi, sans s'en apercevoir, à des
formulations qui, à bien y réfléchir, sous l'aspect matériel, seraient en
soi hérétiques, en tant qu'elles manquent de référence à " l'ex opere
operato ", au " caractère " et à la "
grâce ".
8) De plus, il n'est pas rare que nous négligions l'expérience
mystique que peut faire tout chrétien, parce que nous la confondons avec les
phénomènes mystiques extraordinaires, et par conséquent, nous n'encourageons
pas les croyants à aller vers les profondeurs mystiques de leur être.
Il n'y a pas d'erreur nouvelle, même si la forme actuelle du pélagianisme
est comme pulvérisée dans l'air que nous respirons. À ce titre, nous
risquons de tout réduire à de vagues recettes psychologiques et " de bons
sentiments ".
Voici quelle est la typologie actuelle du pélagianisme, qui pourrait polluer
également notre prédication, nos communautés et nos associations, nos
paroisses, nos diocèses, et priver de son ressort la nouvelle évangélisation
:
D'un côté, peu de renvois à la richesse sans fin des
dons chrétiens, peu de description du projet de Dieu, lequel est déjà
réalisé en substance ; et de l'autre côté, très peu de renvois à la
véritable ascèse et à la vraie moralité.
En échange, le nouveau pélagianisme offre beaucoup d'analyses et de recettes
psychologiques, et de très nombreux appels aux bons sentiments.
L'éventuelle présence de tant " d’œuvres ", de " groupes ", de "
célébrations ", de " rencontres ", ne change pas grand chose, étant donné
que l'annonce transmise, en définitive, tend toujours aux conclusions dont
nous parlions. L'évangélisation en ressort exténuée,
parce qu’elle ne peut plus s’appuyer sur sa force originaire : la beauté et
le caractère unique de l'événement de l'Incarnation dans lequel nous avons
été saisis, et la persuasion d'une Vie à laquelle on ne peut répondre que
par toute sa vie.
Qu'est-ce que l'Église, que devrait-elle être, sinon la vie entière des
chrétiens, vie qui adhère à la Vie entière du Christ sous la conduite
personnelle de l'Esprit Saint ?
9) Chers amis, ce splendide exemple sacerdotal qu'est Saint
Jean-Marie Vianney disait qu'à un curé excellent correspond une bonne
communauté, à un bon curé une assez bonne communauté, à un assez bon curé
une mauvaise communauté. Voici pourquoi, en fonction de l'évangélisation
pour laquelle nous sommes constitués prêtre, j'ai voulu mener cet examen de
conscience. Le sacerdoce dans lequel nous sommes constitués existe en
fonction du ministère, ce pourquoi notre conversion personnelle doit se
refléter dans les exigences pastorales. Nous ne serons saints que si nous
sommes pasteurs, quel que soit le lieu dans lequel le Seigneur nous a
appelés, aussi bien dans une paroisse que parmi les jeunes ou dans une
chaire ou dans une Curie ou ailleurs. N'importe où, mais avec le cœur et le
style des pasteurs.
Nous convertir pour convertir ! Et nous convertir en tant que pasteurs
authentiques.
L'homme nouveau à qui le pasteur suprême confie le soin du troupeau est
appelé à vivre de façon particulière et spécifique la charité pastorale.
On a beaucoup parlé et écrit de cette dernière, y compris récemment, avec le
risque habituel de rhétorique qui, comme cela arrive, tend à transformer une
formule théologiquement correcte et significative en un lieu commun au sens
plutôt vague.
Pourtant la physionomie de la charité pastorale est décrite par le Nouveau
Testament avec des traits précis et bien marqués, et c'est elle qui nous
contraint à une conversion constante.
Le mercenaire fuit et abandonne les brebis quand il voit venir le loup, et
celui-ci les enlève et les disperse (cf. Jn 10, 12).
Le mercenaire est peureux et sa vie est dominée par la crainte et les
calculs de son avantage propre. Ne jamais dire les choses telles qu'elles
sont vraiment, si l'on n'est pas disposé à en subir les conséquences : la
vérité suscite la haine de qui n'est pas de son côté !
On réclame du bon Pasteur cette marque définitive qui est le courage. Nous
devons avoir du courage. Le courage de nous regarder de l'intérieur, le
courage de nous confronter avec la vérité de notre être, de notre agir
sacerdotal, et le courage pastoral d'affronter n'importe quelle
contradiction et incompréhension de la part du monde pour le vrai amour des
âmes. Nous devrions pouvoir dire en vérité comme Saint Jean Bosco : "
da mihi animas, cetera tolle ! "
Cette attitude du coeur ne s'improvise pas, et elle ne résiste pas longtemps
si on ne la préserve pas des agents de corruption, de la dégradation
qu'apporte l'habitude, du fait d'être à l'écoute du monde au lieu de Dieu,
d'être a priori du côté des majorités plutôt que de la vérité, et de la
dérive de la " bureaucratie " pastorale.
Cette attitude du cœur est suscitée par l'admiration
de la majesté de Dieu, par l'amour pour les âmes vues à travers les plaies
du Sauveur crucifié.
C'est alors qu'on s'aperçoit mieux de nos manquements, de nos fragilités
face aux exigences de la charité pastorale. L'Esprit Saint se sert également
de cela pour nous pousser à la conversion personnelle et nous rendre ainsi
plus crédibles pour être des instruments de Dieu pour la conversion de nos
frères.
Nous savons que saint Antoine l'abbé pleurait souvent, en considérant ses
manquements. Et saint Athanase écrit à cause de cela : " le visage de saint
Antoine avait une grâce surprenante... il ne se troublait jamais, tant son
âme était pacifiée ". " Un visage lavé par les larmes - dit saint Ephrem -
est d'une beauté qui ne passe pas ".
Il est bien de se rappeler cet aspect consolant de la Pénitence chrétienne,
de la conversion.
Le jubilé, selon la Sainte Écriture, comportait également la remise des
dettes.
Implorons donc le Dieu de miséricorde pour qu'il nous remette les dettes que
nous avons contractées au cours de notre vie et dans l'exercice du ministère
sacré.
Considérons le chemin, qu'il soit long, moyen ou bref, que nous avons
parcouru jusque-ici, et durant lequel notre vie s’est confirmée, approfondie
et consolidée. Considérons-le, pour prendre une conscience plus claire de
l'action aimante de Dieu dans notre vie. C’est dans cette perspective, chers
frères dans le sacerdoce, que je désire vous inviter à vous unir à moi dans
l'action de grâce pour le don de la vocation et du sacerdoce, exprimé à
travers la ferme volonté de nous laisser convertir.
Rappelons-nous de cela : nous ferons beaucoup plus avec ce que nous sommes
réellement, qu'avec ce que nous ferons. Et même quand nous ferons, notre
voix aura une portée bien différente, et de même notre conviction, quand
elles jailliront d'une âme qui demeure constamment en Dieu.
Vivons donc le sacerdoce avec la conviction que le premier instrument de
celui-ci pour le ministère sera toujours notre vie intérieure, c'est-à-dire
l'état dans lequel nous nous trouverons devant le Seigneur, plein de grâce
et de vérité, en l'intime de notre âme !
Merci !
Le document
Sources :
www.vatican.va -
E.S.M.
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Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 11.04.08 -
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