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L'Europe, remarque
Benoît XVI, est envahie par une étrange haine envers ses
racines chrétiennes
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Le 14 mars 2011 -
(E.S.M.)
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D'après le pape et les évêques, l'Italie est un exemple pour
l'Europe et pour le monde. À condition qu'elle renforce son identité
catholique. Portrait d'un nouveau leader culturel italien, le
professeur Ornaghi. Le cardinal Ruini a-t-il en lui un héritier?
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L'Europe, remarque Benoît XVI, est envahie par une
étrange haine envers ses racines chrétiennes
"Italia felix". Voici comment elle est fêtée par l'Église
par Sandro Magister
Le 14 mars 2011 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Dans trois jours, le 17 mars, l'unité de l'Italie
aura 150 ans. Et l’Église catholique, y compris le pape, tiendra sa place
dans les célébrations, tout en regardant au-delà des frontières italiennes.
En effet, d’après l’Église catholique, l'Italie a une mission universelle.
Jean-Paul II l’avait affirmé, en termes solennels, dans une lettre aux
évêques italiens et dans une grande prière pour ce pays, en 1994 :
"La mission de défendre pour toute l'Europe le patrimoine religieux et
culturel introduit à Rome par les apôtres Pierre et Paul est confiée de
manière spéciale à l'Italie, conformément à son histoire".
Benoît XVI l’avait redit à Vérone en octobre 2006, devant les états généraux
de l’Église d’Italie qui s’y étaient réunis :
"L'Italie constitue un terrain très favorable au témoignage chrétien. En
effet l’Église est dans ce pays une réalité très vivante, qui garde une très
large présence parmi les gens de tous âges et de toutes conditions".
Mais c’est précisément là que se pose la question : l'Italie catholique
est-elle capable, aujourd’hui et dans l’avenir proche, d’accomplir cette
mission qui lui vient, entre autres, du fait qu’elle donne, depuis deux
millénaires, l’hospitalité au siège de Pierre ?
Une mission qui n’est pas uniquement religieuse, mais également civile et
politique. Dans une Europe qui, d’après le pape Benoît XVI, est envahie par
une "étrange haine" envers elle-même et envers ses racines chrétiennes.
*
Les Églises d’autres pays d'Europe considèrent que l'Italie catholique
constitue une exception enviable, un exemple à imiter.
Une preuve de cette particularité serait, dans le domaine politique, la
résistance que l'Italie oppose aux lois et aux décisions de justice qui
tendent, partout dans le monde, à libéraliser au maximum l'avortement et
l'euthanasie et à pulvériser la structure familiale fondée sur le mariage
entre un homme et une femme.
Mais, au plus haut niveau de la hiérarchie de l’Église, il y a également la
crainte que la vitalité politique de l'Italie catholique ne diminue et ne
s’éteigne. Et que, pour reprendre vie, elle n’ait besoin d’"une nouvelle
génération de catholiques engagés en politique", comme Benoît XVI et le
président de la conférence des évêques d’Italie, le cardinal Angelo
Bagnasco, en ont exprimé le souhait à plusieurs reprises.
C’est aussi pour faire grandir cette "nouvelle génération" que,
depuis plus de dix ans, l’Église d’Italie a consacré beaucoup d’énergie à
l'animation religieuse et civile du catholicisme italien, à travers ce
qu’elle a appelé "projet culturel d’inspiration chrétienne", dont
l’inventeur et le guide est le cardinal Camillo Ruini.
Mais, aujourd’hui, un nouveau leader est apparu sur les traces de Ruini et a
pris en charge, en Italie, un rôle de guide culturel pour la mise en œuvre
de ce projet.
Ce n’est pas un ecclésiastique mais un simple baptisé. Professeur de
sciences politiques, il est depuis 2002 recteur de l'Université Catholique
du Sacré-Cœur, à Milan. Il s’appelle Lorenzo Ornaghi.
Depuis plusieurs mois, Ornaghi revient sans cesse, avec une insistance
croissante, sur l'idée que, pour le catholicisme italien, l’heure est venue
d’être de nouveau "guelfe".
Au Moyen Âge, les "guelfes" étaient les citoyens des communes libres qui se
battaient pour assurer la défense de leurs libertés et du pape contre les
"gibelins" qui étaient partisans de l’empereur. Depuis cette époque,
l'Italie "guelfe" est synonyme d’une Italie qui vit avec fierté son
catholicisme et qui le met en pratique avec décision, y compris dans les
domaines civil et politique, contre les embûches du sécularisme.
Ornaghi soutient que le christianisme n’est pas une valeur supplémentaire,
facultative, dans les systèmes démocratiques de l'Occident, mais qu’il est
l’origine et le fondement de la démocratie elle-même.
Et il l’est d’autant plus, aujourd’hui, que la politique s’introduit, à un
degré qui n’avait jamais été atteint dans le passé, dans cette question
centrale qu’est la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort, depuis la
famille jusqu’à l'éducation. Une question centrale à propos de laquelle les
catholiques sont particulièrement bien équipés.
Par conséquent, la déchristianisation qui est en cours dans différents pays
n’est pas seulement préjudiciable à la foi chrétienne, mais elle est "létale"
– affirme Ornaghi – pour les systèmes démocratiques eux-mêmes.
C’est pourquoi les catholiques ne doivent pas se résigner à jouer un rôle
périphérique dans le domaine politique. Ils ne doivent pas succomber à ce
péché capital qu’est la paresse.
Bien au contraire. À une époque comme la nôtre – affirme Ornaghi – les
catholiques doivent être bien conscients qu’ils "sont dans une position de
net avantage". Ils disposent d’un patrimoine d’idées et de convictions sur
l’être humain, sur la famille, sur les communautés, sur la société, "moins
contaminé par ces idéologies qui ont dominé le XXe siècle". Ils ont des
compétences et des sensibilités que les autres ne possèdent pas. Ils sont
davantage prêts à conduire de manière positive les grands changements.
Ornaghi ne pense pas à un parti catholique, ni à des positions particulières
des catholiques au sein des différents partis : tentations qui sont
actuellement répandues en Italie. Selon lui, il est plus important que les
catholiques, partout où ils opèrent, sachent repérer les endroits et les
questions sur lesquels ils peuvent agir avec efficacité, en accord avec
d’autres personnes et groupes qui ne sont pas catholiques mais avec lesquels
ils ont une vision commune.
Précisément ces jours-ci, l'agenda politique italien comporte la discussion,
au parlement, d’une loi limitative contre l'euthanasie. Ce sera un test
important pour vérifier la capacité des catholiques, au sein des différents
partis, à orienter et à convaincre.
*
Le professeur Ornaghi n’agit pas tout seul. Ses thèses sur la mission
exemplaire de l'Italie catholique coïncident avec celles de la présidence de
la conférence des évêques d’Italie, assurée hier par le cardinal Ruini et
aujourd’hui par le cardinal Bagnasco : thèses qui, elles-mêmes, coïncident
avec celles des deux derniers papes, Jean-Paul II et Benoît XVI.
Il est également instructif de regarder où Ornaghi parle et écrit. Il y a
les cahiers de la revue officielle de l'Université Catholique du Sacré-Cœur,
"Vita e Pensiero" [Vie et Pensée], dont il est le directeur. Il y a
les Semaines Sociales des Catholiques Italiens, dont la dernière édition
s’est tenue à Reggio de Calabre en octobre dernier. Il y a les Forums du
Projet Culturel, dont le dernier a eu lieu à Rome du 2 au 4 décembre.
À ce Forum, le cardinal Ruini a totalement approuvé, dans sa conclusion, les
thèses d’Ornaghi et il a de nouveau porté ses regards au-delà des frontières
italiennes, vers l'Europe :
"La conviction d’être véritablement et simplement catholiques est la base
incontournable pour un engagement qui soit historiquement efficace. J’ose
espérer que l'Italie puisse être un laboratoire profitable, afin que soit
surmontée cette haine de soi-même dont l'Europe est atteinte et qui tend
aussi à éloigner le christianisme de ses réalisations historiques, même si
celles-ci sont, certes, 'semper reformandæ'".
Voici maintenant, ci-dessous, le passage de conclusion du manifeste pour une
Italie "guelfe" qui a été publié par Ornaghi dans le tout dernier numéro de
"Vita e Pensiero".
ITALIENS ET CATHOLIQUES
par Lorenzo Ornaghi
Voici venu le temps, pour le catholicisme italien, de se manifester avec
décision comme "guelfe", sinon de créer dès maintenant un "guelfisme
"nouveau et énergique.
Il est vraisemblable que l’avenir de l’Italie sera marqué encore longtemps
par la persistance de son histoire spécifique et par quelques-uns des nœuds
que l'unification du pays n’est pas parvenue à dénouer définitivement et
que, dans certaines circonstances, elle a emmêlés encore davantage. Mais
l’avenir sera surtout marqué par les grands changements qui sont en train de
parcourir le monde entier et, de manière tout à fait particulière,
l’Occident.
Puisque l’on constate les progrès de la technique et l’élargissement
démesuré de ses champs d’application, il convient de se demander quelle sera
la propension à l’innovation technologique.
Dans le cadre des nouvelles grandes vagues de l’évolution historique du
capitalisme, on peut se demander par quels rapports les régimes politiques
et leur système international vont être liés aux dynamiques et au pouvoir de
marchés qui se mondialisent de plus en plus.
Face aux représentations sociales qui sont modelées sans arrêt par les
moyens de communication de masse anciens ou tout récents, il est nécessaire
de se demander quelles sont les valeurs culturelles et les pratiques
éducatives qui sont le plus en mesure d’orienter de manière positive les
pensées, les convictions et les actions.
Être à nouveau "guelfes" de manière décidée, cela implique d’affirmer
l’idée et la réalité de l’italianité en tant que donnée historique – tout à
la fois culturelle et populaire – dont les éléments essentiels et les plus
durables sont religieux, catholiques.
Et surtout cela demande d’être conscient que la pérennité de l’Italie
catholique et son exemplarité par rapport à d’autres pays dépendent -
beaucoup plus que d’une disposition naturelle - de l’énergie et du succès de
l’action des catholiques d’aujourd’hui.
Par comparaison avec d’autres identités culturelles qui ont été des
protagonistes de l’histoire de l'Italie unie, nous autres catholiques
disposons d’idées qui sont plus adaptées à la résolution des problèmes
d’aujourd’hui. Et nous disposons également de moyens d’action moins
obsolètes ou moins improvisés.
Mais même cette position, que l’époque actuelle nous fait percevoir comme
meilleure et plus avantageuse par comparaison avec d’autres identités, ne
peut pas être considérée comme étant par nature un bien pérenne. Pas plus
qu’elle ne pourrait rester longtemps une ressource inépuisable, au cas où la
vision catholique de la réalité délaierait ses éléments constitutifs en les
mélangeant et en les uniformisant avec ceux des conceptions idéologiques du
XXe siècle ou de leurs formes actuelles.
Être "guelfes", aujourd’hui, cela implique que nous soyons conscients
que notre position d’avantage culturel doit être consolidée de jour en jour.
En la consolidant, nous serons déjà prêts pour chacune des nombreuses
actions nouvelles que le proche avenir nous demande déjà, surtout en ce qui
concerne l’importance et la capacité d’attraction de notre participation à
la vie politique actuelle.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 14.03.2011 -
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