Y a-t-il plusieurs spiritualités ? |
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Le 12 février 2009 -
(E.S.M.)
- Le thème de
cette rencontre est une question : « Y a-t-il plusieurs spiritualités ?
». Puisque les organisateurs ont demandé à trois intervenants de
répondre à cette question, j’en conclus qu’ils ont assumé qu’il y avait
au moins trois réponses possibles.
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L'Esprit
descendit sur les Apôtres le jour de la Pentecôte -
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Y a-t-il plusieurs spiritualités ?
Le 12 février 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
-
En fait il y a probablement autant de
réponses qu’il y a de personnes ici présentes et sans doute des milliers
d’autres réponses possibles.
Le problème fondamental est que le mot « spiritualité » peut
revêtir une multitude de sens. Si vous vous êtes amusés à taper ce mot
dans Google, vous avez pu voir tout de suite des centaines de
significations très différentes données à ce mot.
Je suis moine ; vous vous attendez donc à ce que je puisse vous dire
quelques chose de la « spiritualité monastique ». Si j’étais jésuite
vous vous attendriez à ce que je parle de « spiritualité ignacienne ».
D’un pasteur de l’Église réformée ou d’un évêque de l’Église anglicane
on s’attend à ce qu’il nous parle de la spiritualité de son Église. On
perçoit facilement alors qu’il y a dans ces diverses spiritualités
beaucoup en commun. Le mot signifie alors à la fois une certaine
attitude religieuse, une façon de vivre sa relation avec Dieu, ainsi
qu’un ensemble de pratiques visant à favoriser ou nourrir cette
relation.
Lorsque des penseurs laïcs comme le philosophe André Compte Sponville ou
Luc Ferry nous parlent de « spiritualité » athée, le mot a certainement
un sens différent. Il s’agit alors plutôt d’une recherche intellectuelle
visant à une dimension de l’existence humaine ou même de l’existence
tout court, même lorsqu’on n’accepte pas l’existence d’un être
transcendent que les croyants appellent Dieu.
Un élément commun à toutes ces approches est, me semble-t-il,
l’acceptation commune de l’existence d’une réalité
qu’on appelle l’esprit. Un deuxième élément commun, qui me semble
découler du premier est la possibilité pour l’être humain de
faire l’expérience existentielle de cette réalité, et donc
d’avoir une « expérience religieuse ». Si l’on accepte ces prémisses, on
en déduira que toutes les spiritualités dont on pourra parler
correspondront à la façon de vivre cette expérience spirituelle, de
l’exprimer dans des concepts, d’en garder le souvenir dans des
traditions et des coutumes religieuses ou autres et de l’interpréter à
travers divers systèmes de penser et diverses interprétations.
Lorsqu’on parle de spiritualité on parle d’expérience spirituelle et
lorsqu’on parle d’expérience spirituelle il y a lieu de distinguer trois
niveaux. Il y a tout d’abord l’expérience elle-même, puis la mémoire
(collective) de l’expérience, et enfin
l’interprétation de l’expérience.
Le niveau de l’expérience est celui de la foi ; celui de la mémoire
collective de l’expérience est celui de la religion et celui de
l’interprétation de l’expérience est celui de la philosophie et de la
théologie.
L’expérience spirituelle elle-même, si elle est authentique et dans la
mesure même où elle est authentique, est la même pour tout humain. Mais
elle n’est jamais vécue dans l’abstrait. Pour faire une expérience d’une
façon consciente et réfléchie, il faut pouvoir se la dire, et l’on se la
dit à travers des catégories culturelles et religieuses qui varient
d’une personne à l’autre. Pour le Chrétien, cette
expérience est une relation personnelle avec Jésus-Christ, Dieu fait
homme.
La mémoire collective de l’expérience religieuse s’exprime à travers des
coutumes religieuses, des rites, des traditions, une histoire, des codes
moraux. C’est le domaine de la religion. Ainsi, la foi chrétienne
s’exprime à travers l’Écriture et la tradition de l’Église, à travers
les sacrements et les diverses pratiques chrétiennes. C’est à ce niveau
là que, même à l’intérieur de la foi chrétienne peuvent se développer
diverses « spiritualités », si l’on conçoit la spiritualité comme une
façon de vivre sa foi.
Au fur et à mesure qu’un groupe religieux s’éloigne dans le temps de
l’expérience religieuse initiale qui lui a donné naissance, le besoin se
fait sentir d’interpréter cette expérience et son vécu, et d’élaborer
des façons successives de l’exprimer d’une façon cohérente en un système
de pensée. À ce niveau-là, même à l’intérieur de la même foi chrétienne,
et même à l’intérieur de la même confession chrétienne, il y a place
pour de nombreuses théologies et aussi pour de nombreuses «
spiritualités », si l’on entend par « spiritualité » un enseignement
cohérent sur la façon de vivre une expérience spirituelle.
Après avoir considéré ce tableau d’ensemble, nous pouvons maintenant
essayer de voir où chacun de nous se situe. Il serait un peu prétentieux
de ma part de penser que je pourrais vous décrire de façon claire en
quoi la spiritualité dite « catholique » se distingue aussi bien des
autres spiritualités chrétiennes que de celle des non croyants. Tout ce
que je puis faire, c’est vous décrire comment, en tant que catholique,
je conçois et comment j’essaye de vivre ma vie spirituelle.
Le mot « spiritualité », est construit à partir du mot « esprit ». La
spiritualité est donc une façon de vivre en communion profonde avec
l’Esprit. Et pour bien comprendre la spiritualité chrétienne il faut
comprendre son enracinement dans la spiritualité du peuple juif.
Ce qui fut l’expérience religieuse propre du peuple d’Israël, distincte
de celle de tous les autres peuples qui l’entouraient, fut d’avoir perçu
Dieu non pas comme un être lointain et impassible, mais comme
un Dieu personnel présent à toutes les dimensions de sa vie personnelle
et collective. Le mot esprit « ruah » est présent à
presque toutes les descriptions de cette expérience, à commencer par les
belles descriptions poétiques et symboliques de la création, qui sont
d’autant plus grandioses qu’elles n’ont rien d’une description qu’on
dirait aujourd’hui « scientifique ».
Dès le premier jour de la création, l’esprit de Dieu plane sur les eaux
et y engendre la vie sous toutes ses formes. Une description de la
création du premier homme nous montre Dieu façonnant un homme avec de
l’argile et insufflant dans ses narines son propre
souffle de vie. Ce même esprit descendra plus tard sur les
prophètes et les inspirera pour leur faire enseigner une spiritualité de
l’amour – décrivant les relations entre Dieu et sa créature avec les
images les plus réalistes et concrètes de l’amour humain. Enfin, ce même
esprit descendra sur la vierge Marie et la rendra mère de Jésus, le fils
du Père éternel. Le même esprit descendra sur Jésus lors de son baptême
pour le consacrer Messie. Au moment de quitter ses disciples le jour de
l’Ascension Jésus soufflera sur eux, en signe de la transmission de son
Esprit et ce même Esprit descendra sur les Apôtres le jour de la
Pentecôte. Et saint Paul dit que nous ne savons pas prier, mais que
l’Esprit de Dieu prie en nos coeurs et que c’est le même esprit qui
gémit comme dans les douleurs de l’enfantement au coeur de tout le
cosmos.
Il n’y a pas de « spiritualité » chrétienne, c’est-à-dire de vie selon
l’Esprit de Dieu, révélé par et en Jésus-Christ, sans une relation
explicite et constante à cet Esprit, toujours le même au coeur de
l’humanité depuis le premier matin de la création jusqu’à notre vie à
chacun de nous.
À travers tout son enseignement, Jésus nous a
révélé que cet esprit est un esprit d’amour et de communion. Il est le
lien d’amour qui l’unit lui-même à son Père, qui nous unit à lui et qui
doit nous unir les uns aux autres.
Si je voulais résumer en quelques mots ou quelques phrases ce qu’est la
spiritualité chrétienne dans l’Église catholique, je dirais que c’est
une vie humaine qui s’efforce d’être vécue sous
forme de communion constante avec Dieu : communion qui s’incarne
– et doit s’incarner – dans la communion avec d’autres chrétiens, et
aussi avec tous les hommes et femmes, y compris ceux de toutes les
religions et de toutes les cultures ; dans la communion avec la société
humaine et avec le cosmos. C’est là l’essentiel de la spiritualité
chrétienne : une vie vécue dans l’esprit, c’est-à-dire dans la communion
ou l’amour.
Évidemment cette vie dans l’esprit pourra prendre de nombreuses
modalités extérieures. Certains mettront la personne même du Christ au
centre de leur vie de prière et l’on parlera de « spiritualité
christocentrique ». D’autres développeront une grande dévotion à la
Vierge Marie, parfois sous des formes heureuses et parfois sous des
formes malheureuses ; on parlera alors de « spiritualité mariale ».
Certains chrétiens mariés vivront explicitement leur amour conjugal
comme une incarnation de leur communion avec Dieu ; on parlera alors de
« spiritualité conjugale ». Certains vivront cette communion dans des
communautés vivant dans la solitude et organisant toute leur vie autour
de l’expérience contemplative de Dieu. On parlera alors de «
spiritualité monastique ». On pourrait allonger cette liste. Toutes ces
distinctions ont leur importance, mais elles restent secondaires.
La spiritualité chrétienne – celle du catholicisme comme des autres
Traditions chrétiennes est une vie « dans l’Esprit de Dieu », donc une
vie de communion avec Dieu s’incarnant dans tous les secteurs de
l’existence humaine.
Pour répondre à la question initiale : Y a-t-il plusieurs spiritualités.
La réponse est « évidemment oui » ; mais la qualité propre à chacune
réside dans sa capacité à faire vivre en communion profonde avec
l’Esprit.
Dom Armand Veilleux,
Père Abbé
Conférence donnée à
Chimay, dans le cadre d’une rencontre plurielle
(catholiques, protestants et laïques)
organisée par le
Conseil Local de Pastorale de la communauté paroissiale de Chimay.
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Sources : Abbaye de Scourmont (Belgique)
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(E.S.M.)
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
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12.02.2009 -
T/Spiritualité
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