À propos du préservatif et du sida le
pape Benoît XVI est descendu de sa chaire |
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Rome, le 11 décembre 2010 -
(E.S.M.)
- La discussion ouverte par Benoît XVI relativement à l'un des
points les plus sensibles de la morale catholique devient de plus en
plus vive. Deux nouvelles interventions, celles d'un théologien et d'un
philosophe, en exclusivité.
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À propos du préservatif et du sida le
pape Benoît XVI est descendu de sa chaire
par Sandro Magister
Le 11 décembre 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
-
La discussion à propos du sida et du préservatif
lancée par Benoît XVI dans un passage de son livre-entretien "Lumière du
monde" connaît chez les catholiques de nouveaux et importants
développements.
Les interprétations les plus restrictives des propos du pape – dont
www.chiesa a parlé dans
deux précédents articles – ont reçu une réponse en
sens contraire d’un spécialiste de la théologie morale très engagé sur ce
sujet, le Suisse Martin Rhonheimer, professeur d’éthique et de
philosophie politique à l’Université Pontificale de la Sainte Croix,
l'université romaine de l'Opus Dei.
Ce n’est pas tout. Un philosophe catholique italien de premier plan est
également intervenu dans la discussion, pour défendre une interprétation
encore plus ouverte et extensive des propos du pape.
Mais procédons avec ordre.
Le professeur Rhonheimer s’était déjà exprimé en 2004, dans un article
publié par "The Tablet" de Londres, en faveur de l'utilisation du
préservatif à des fins non contraceptives, dans des cas semblables à ceux
que l’on trouve maintenant donnés comme exemples par Benoît XVI dans son
livre.
Cet article, nous révèle aujourd’hui son auteur, avait été soumis à l’examen
de la congrégation vaticane pour la doctrine de la foi. Et ladite
congrégation n’avait rien trouvé à y objecter.
Mais, entre temps, cet article de Rhonheimer avait été vivement contesté par
d’autres chercheurs catholiques, en particulier par Luke Gormally, membre de
l’Académie Pontificale pour la Vie.
Et aujourd’hui Gormally est de nouveau l’un des plus inflexibles partisans
du "non" à l’utilisation du préservatif, sans aucune exception, pas
même dans le cas d’une prostituée qui voudrait se protéger d’une infection
mortelle.
En plus de lui et d’autres personnes, le jésuite Joseph Fessio - éditeur de
"Lumière du monde" aux États-Unis et membre du Schülerkreis, le
cercle des anciens étudiants qui ont eu Joseph Ratzinger comme professeur de
théologie – s’est prononcé en faveur d’une interprétation très restrictive
des propos du pape.
Au Vatican, le cardinal Raymond Burke, préfet du tribunal suprême de la
signature apostolique, s’est exprimé en termes rigoureux.
Le professeur Rhonheimer a donc décidé de revenir sur le sujet, pour
soutenir une interprétation plus ouverte – et à son avis plus fidèle – des
propos du pape.
Il l’a fait dans une longue interview qu’il a accordée à l’hebdomadaire
catholique le plus diffusé aux Etats-Unis, "Our Sunday Visitor", interview
dont on trouvera ci-dessous les principaux passages.
Et surtout il l’a fait dans un nouvel article, écrit expressément pour
www.chiesa, qui est publié intégralement ci-dessous.
Rhonheimer y explique pour quelles raisons Benoît XVI a tout à fait raison
quand il reconnaît, dans l’utilisation du préservatif dans des situations de
péché particulières, "un premier pas vers une moralisation" et "une première
prise de responsabilités".
Sur le cas classique – que le pape n’a pas abordé – de deux époux dont l’un
est infecté et utilise le préservatif pour ne pas contaminer l’autre,
Rhonheimer s’exprime avec prudence et se limite à indiquer les critères de
jugement.
Au contraire le philosophe catholique auteur de l’autre intervention
importante de ces jours-ci entre directement dans l’examen de ce cas et
défend la licéité de l’utilisation du préservatif.
Il cache son identité sous la signature Giovanni Onofrio Zagloba, du nom
d’un personnage littéraire conçu par Henryk Sienkiewicz, sorte de Falstaff
polonais, ingénieux et fanfaron.
La lecture de son texte montre qu’il est très savant en philosophie et en
théologie, qu’il participe beaucoup à la vie de l’Église et qu’il a beaucoup
d’estime à la fois pour le pape actuel et pour le prédécesseur de celui-ci.
Il a souhaité que son texte, long et argumenté, soit publié sous forme de
lettre.
On en trouve l’intégralité depuis deux jours sur "Settimo Cielo", le
blog attaché à www.chiesa pour les lecteurs de langue italienne :
"Caro Magister, le parole del papa sull'uso del preservativo..."
Il y a dans ce texte un passage qui provoquera certainement des discussions,
celui où l'auteur parle de l'adultère et admet, dans ce cas, l'utilisation
du préservatif même à des fins contraceptives :
"Dans l’adultère ce qui est mauvais, ce n’est pas l’utilisation
(éventuelle) du préservatif. C’est la relation sexuelle avec une personne
qui n’est pas le conjoint. Éviter que de cette relation naissent des enfants
peut être préférable au fait d’aggraver encore davantage la situation en
procréant un enfant hors mariage".
Pour en revenir à Rhonheimer, voici donc, dans l’ordre, son article exclusif
pour www.chiesa et l’interview qu’il a accordée à "Our Sunday Visitor".
RÉFLEXIONS SUR LES CONSIDÉRATIONS DU PAPE À PROPOS
DU SIDA ET DU PRESERVATIF
par Martin Rhonheimer
Pourquoi le pape Benoît XVI a-t-il soudain décidé d’aborder la question du
sida et du préservatif ? Et pourquoi l’a-t-il fait de cette façon ?
D’après ce qu’il dit à Peter Seewald dans "Lumière du monde", il a
été contrarié par les réactions suscitées par ses propos à ce sujet lors de
son voyage de mars 2009 en Afrique. La tempête médiatique qui a suivi a
montré que trois croyances étaient largement répandues dans la société
occidentale : que le préservatif était la solution au problème du sida en
Afrique ; que l’enseignement de l’Église en matière de contraception
impliquait que l’utilisation du préservatif était interdite aux personnes
ayant des modes de vie immoraux et à haut risque ; et que lorsque le pape
Benoît XVI avait dit que les campagnes en faveur du préservatif pour
combattre le sida en Afrique étaient “inefficaces”, on a pensé qu’il
se référait aux déclarations faites en 2004 par le cardinal Alfonso López
Trujillo, alors président du conseil pontifical pour la famille, selon
lesquelles les préservatifs étaient trop poreux pour constituer une barrière
efficace contre la transmission du virus VIH.
Le pape souhaitait vivement dissiper ces mythes et, dans son interview qui
constitue tout un livre, il le fait en quelques brefs paragraphes. Il a
clairement affirmé que les campagnes en faveur du préservatif “banalisent”
la sexualité, ce qui provoque une expansion accrue du virus, et que seule “l’humanisation”
de la sexualité peut limiter la diffusion du virus. Mais il a également
ajouté que l’utilisation du préservatif par un(e) prostitué(e), quand elle
avait pour but d’éviter l’infection, serait au moins “une première prise
de responsabilité” ; et, en disant cela, il a mis implicitement fin aux
deux autres mythes : en effet si le préservatif était inefficace pour
freiner la transmission du virus dans les groupes à haut risque, son
utilisation ne serait pas un acte responsable. Et si, comme certains
l’avaient affirmé, l’Église enseignait que le préservatif était “intrinsèquement
mauvais”, alors le pape pourrait difficilement considérer leur
utilisation comme un “premier pas” dans la voie du progrès moral.
Personnellement, j’ai été très soulagé qu’il ait rendu clair ce dernier
point, parce que, quand j’ai dit cela, il y a quelques années, dans un
article (“The truth about condoms” [La vérité à propos du préservatif] paru
le 10 juillet 2004 dans "The Tablet" de Londres, j’ai été accusé par un
grand nombre de bons et fidèles catholiques d’inciter à la distribution de
préservatifs pour arrêter l’épidémie de sida et, par conséquent, de saper
les efforts de l’Église pour défendre les valeurs du mariage, de la fidélité
et de la chasteté. Mais alors même que l’article m’attirait des critiques
publiques, venant surtout de collègues spécialistes de la théologie morale,
j’ai été informé que ni l’article ni ses arguments ne posaient de problèmes
à la congrégation pour la doctrine de la foi, alors dirigée par le cardinal
Ratzinger.
Ce qui m’avait poussé à écrire cet article c’est que, dans le précédent
numéro de "The Tablet", Austen Ivereigh, qui en était alors rédacteur
en chef adjoint, avait opposé l’une à l’autre - dans un article où il
commentait une émission de la BBC, "Panorama", qui avait examiné les
déclarations du cardinal López Trujillo - deux opinions exprimées au sein de
l’Église à propos de l’utilisation du préservatif comme moyen de lutte
contre le sida.
La première opinion était celle du cardinal Godfried Danneels, alors
archevêque de Bruxelles, à qui Ivereigh attribuait les propos suivants : “Si
quelqu’un qui est porteur du virus VIH a décidé de ne pas respecter
l’abstinence, il doit protéger son partenaire et il peut le faire, dans ce
cas, en utilisant un préservatif”. Agir autrement, disait le cardinal,
serait “transgresser le cinquième commandement”, tu ne tueras pas.
La seconde opinion était une citation de Hugh Henry, alors responsable de
l’éducation au Linacre Centre catholique à Londres, qui, n’étant pas
d’accord avec la déclaration du cardinal Danneels, avait dit à Ivereigh que
l’utilisation du préservatif était un péché contre le sixième commandement,
car, “ne respectant pas le caractère de fertilité que doivent avoir les
actes conjugaux, elle empêche un don personnel de soi réciproque et complet
et constitue donc une transgression du sixième commandement”.
Cela suggérait, comme l’écrivait Ivereigh, qu’un “travailleur immigré qui
se rend dans un bordel en Afrique du Sud ne devrait pas, bien sûr, avoir de
relations sexuelles ; mais s’il en a, semble suggérer Henry, il ne devrait
pas utiliser un préservatif pour éviter de transmettre le sida à la femme,
parce que cette utilisation ne respecte pas le caractère de fertilité que
doivent avoir les actes conjugaux”. Et Ivereigh concluait : “Aux
lecteurs de décider si c’est le cardinal Danneels ou le Linacre Centre qui
donne le conseil le plus étrange”.
En lisant cet article, j’ai pensé que les deux conseils étaient
fondamentalement défectueux et que le choix entre eux était fallacieux. Le
problème était que l’un et l’autre exprimaient leur opinion en termes de
normes ou d’obligations morales – utiliser ou ne pas utiliser un préservatif
– alors qu’une approche normative était inadaptée pour traiter cette
question.
Ce que le Linacre Centre proposait comme l’authentique point de vue
catholique était qu’il existe une obligation morale, pour les gens qui
s’adonnent à des actes sexuels coupables, de s’abstenir au moins d’utiliser
le préservatif – pour éviter un péché supplémentaire contre le sixième
commandement et donc rendre moins coupables leurs actes coupables, même si,
ce faisant, ils transmettent aux autres ou à eux-mêmes une maladie mortelle.
Un tel argument fait croire aux gens, à tort, que c’est l’enseignement de
l’Église en matière de contraception qui conduit à ces conséquences opposées
à leur intuition ; mais cet enseignement concerne essentiellement l’amour
conjugal et l’expression de celui-ci dans les rapports sexuels, et il ne
s’applique pas à de telles circonstances. Inversement, si l’opinion du
cardinal Danneels est assez plausible, elle retourne l’erreur d’Henry en
transformant en norme morale pour ces gens l’obligation d’au moins utiliser
un préservatif, afin de ne pas pécher davantage contre le cinquième
commandement. Comme Henry, le cardinal Danneels établit ainsi une norme
morale en vue de rendre moins immorale un comportement intrinsèquement
immoral.
Pour revenir à l’opinion du Linacre Centre : l’enseignement donné par "Humanae
Vitae" n’inclut pas la formulation d’une norme morale indiquant comment
accomplir des actes intrinsèquement mauvais ; l’Église n’a jamais donné un
tel enseignement et elle ne le fera jamais pace qu’un tel enseignement
serait clairement contraire au bon sens. La seule chose que l’Église puisse
enseigner à propos du viol, par exemple, c’est l’obligation morale de s’en
abstenir complètement, pas de l’accomplir de manière moins immorale. Dans
certains contextes les orientations morales perdent complètement leur
signification normative parce qu’elles peuvent tout au plus atténuer un mal,
mais pas tendre au bien ; ce qu’il faut surmonter et qu’il est normatif de
surmonter, c’est le désordre moral intrinsèque. Comme je l’ai écrit en 2004,
“ce serait simplement un non-sens que de créer des normes morales pour
des types de comportement intrinsèquement immoraux”.
L’enseignement de l’Église en matière de contraception n’est pas un
enseignement relatif aux “préservatifs”, mais à la vraie signification et au
sens de la sexualité et de l’amour conjugal. La question de la contraception
est autre chose que la question de l’utilisation du préservatif dans un but
prophylactique. La contraception en tant que déclarée intrinsèquement
mauvaise est décrite par "Humanae
Vitae" n°14 (reprise dans le Catéchisme de l’Église catholique n° 2370)
comme une action qui “soit en prévision de l’acte conjugal, soit dans son
déroulement, soit dans le développement de ses conséquences naturelles, se
proposerait [en latin "intendat"], comme fin ou comme moyen, de rendre
impossible la procréation ”. La contraception n’est pas simplement une
action qui empêche effectivement la procréation, mais une action empêchant
la procréation qui est précisément accomplie avec une intention
contraceptive. (Le fait d’empêcher effectivement la conception ne suffit pas
pour qu’un acte soit, au sens moral, un acte de contraception ; voilà
pourquoi l’utilisation de pilules empêchant l’ovulation dans le but de
réguler le cycle d’une femme pour des raisons médicales n’est pas une
contraception au sens moral).
Mais s’ensuit-il que l’on devrait conseiller positivement l’utilisation du
préservatif dans des buts strictement prophylactiques ? Les gens qui n’ont
pas envie de changer de mode de vie et qui utilisent des préservatifs pour
éviter d’être infectés ou d’infecter les autres me semblent avoir conservé
au moins un certain sens des responsabilités, comme le pape l’a dit lui-même
la semaine dernière. Mais nous ne pouvons pas dire qu’ils “devraient agir
ainsi” ou qu’ils sont “moralement obligés” d’agir ainsi, comme le cardinal
Danneels semblait le suggérer. Le pape le souligne quand il dit clairement
que [le préservatif] n’est pas une “solution morale”. Voilà pourquoi
il est également erroné d’affirmer dans ce cas des principes tels que celui
du “moindre mal”, selon lequel, pour éviter un plus grand mal, on
peut choisir un moindre mal, s’il y a pour cela une raison proportionnée.
Cette méthodologie morale, connue sous le nom de “proportionnalisme”,
n’est pas un enseignement de l’Église et a été rejetée par le pape Jean-Paul
II dans son encyclique "Veritatis
Splendor" de 1993 – avec laquelle le pape Benoît XVI est en plein
accord.
En disant, comme il le fait, que l’on agit avec “un certain sens des
responsabilités” quand on cherche à éviter l’infection, le pape
n’affirme pas qu’utiliser le préservatif pour éviter l’infection par le VIH
signifie agir de manière responsable. La véritable responsabilité, pour les
gens qui se prostituent, serait de s’abstenir complètement de contacts
sexuels risqués et immoraux et de changer complètement de mode de vie. S’ils
ne le font pas (parce qu’ils ne le peuvent pas ou ne le veulent pas), ils
agissent au moins subjectivement de manière responsable quand ils essaient
de prévenir l’infection, ou du moins ils agissent de manière moins
irresponsable que ceux qui n’essaient pas, ce qui est assez différent.
C’est là un jugement de bon sens, exprimé en termes personnalistes ; ce
n’est pas une norme morale positive permettant un “moindre mal”.
L’Église doit toujours conseiller aux gens de faire ce qui est bien, pas ce
qui est un moindre mal ; et le bien qu’il faut faire – et donc conseiller –
ce n’est pas d’agir de manière immorale et de réduire cette immoralité en
minimisant les dégâts qu’elle peut causer, c’est de s’abstenir complètement
de comportements immoraux. Voilà pourquoi justifier l’utilisation
prophylactique du préservatif au motif que ce serait un “moindre mal”
est erroné et dangereux, parce que cela ouvre la voie à la justification de
n’importe quel choix moral d’un “moindre mal” : faire du mal dont un
bien pourrait sortir. C’est également une question mal posée. Les
préservatifs "en soi", considérés comme des “choses”, ne sont
pas “mauvais” ; dans l’enseignement de l’Église, leur utilisation
pour les actes contraceptifs tels que définis par "Humanae
Vitae" est mauvaise mais, comme nous l’avons expliqué, cette encyclique
ne s’applique pas à la prophylaxie.
Ce que les remarques du pape n’ont pas abordé, c’est le cas d’un couple
marié dont l’un des époux est infecté et qui utilise un préservatif pour
protéger l’autre de l’infection. Dans mon article de 2004 j’avais assez
incidemment évoqué de tels cas et parlé de “raisons pastorales ou
simplement prudentielles” qui inciteraient à ne pas utiliser de
préservatifs dans ces circonstances. Ce cas est différent du précédent et
plus complexe, parce que c’est ce qui constitue véritablement un acte
conjugal qui est ici en jeu. Il est important de souligner que la question
de la contraception dans le mariage et celle de la prévention de l’infection
par l’utilisation du préservatif relèvent de deux problèmes moraux
différents.
La question va certainement continuer à être débattue ; mais quoi que
l’Église déclare en fin de compte à ce sujet, les pasteurs auront toujours
de bonnes raisons d’inciter à l’abstinence dans cette situation, parce que
l’utilisation d’un préservatif uniquement pour des finalités médicales est
en réalité quelque chose de théorique. Il est probable que – au moins pour
les couples fertiles – l’intention de prévenir l’infection fusionnera avec
l’intention véritablement contraceptive d’empêcher la conception d’un bébé
infecté. Personnellement je n’encouragerais jamais un couple à utiliser un
préservatif, mais je l’encouragerais à pratiquer l’abstinence. S’ils ne sont
pas d’accord, je ne penserais pas que leur rapport sexuel soit ce que les
spécialistes de la théologie morale appellent un péché “contre nature”
équivalent à la masturbation ou à la sodomie, comme le disent certains
spécialistes de la théologie morale. Mais l’abstinence complète serait le
meilleur choix moralement, non seulement pour des raisons prudentielles (les
préservatifs ne sont pas complètement sûrs même quand on les utilise
systématiquement et correctement), mais parce que s’abstenir complètement
d’actes dangereux correspond mieux à la perfection morale – à une vie
vertueuse – que d’éviter le danger de ces actes en utilisant un système qui
aide à contourner la nécessité d’un sacrifice.
Défendre l’enseignement de l’Église et sa manière d’envisager la prévention
de la transmission du virus VIH ne devrait pas nécessiter de faire appel à
des arguments contre-productifs et absurdes qui déforment l’enseignement de
l’Église. Si nous insistons sur l’abstinence, la fidélité et la monogamie
comme vrais moyens d’arrêter l’épidémie de sida, nous n’avons pas besoin de
nier que l’utilisation du préservatif par les groupes à haut risque fait
baisser les taux d’infection, tout en limitant la diffusion de l’épidémie
dans d’autres parties de la population. Mais cette tâche est surtout la
responsabilité des autorités civiles.
Le rôle de l’Eglise dans le combat contre le sida n’est pas celui du pompier
qui essaie de contenir l’incendie, mais celui de former et d’aider les gens
à construire des maisons qui résistent au feu et à éviter de faire ce qui
peut provoquer un incendie, tout en soignant, bien sûr, ceux qui souffrent
de brûlures. Elle le fait, ce qui est très important, pour offrir la
réconciliation avec Dieu et pour soigner les âmes de ceux qui ont été
blessés dans leur dignité humaine par leur propre conduite immorale ou par
les terribles choix et circonstances qu’impose le sida.
"LE PAPE A VOULU QUE LA DISCUSSION AIT LIEU AU
GRAND JOUR"
Interview accordée par Martin Rhonheimer
Q. – Certains commentateurs catholiques qualifient les
propos du pape de “changement radical” ; d’autres disent qu’absolument rien
n’a changé. Laquelle de ces deux opinions est juste ?
R. – Ni l’une ni l’autre. Commençons par la seconde : “Rien n’a changé”.
Ce n’est pas vrai. Le pape Benoît XVI, après avoir – je pense - mûrement
réfléchi, a fait une déclaration publique qui a changé le discours sur ces
questions, à la fois dans et hors de l’Église. Pour la première fois, il a
été dit par le pape lui-même, bien que ce ne soit pas dans le cadre d’un
enseignement formel du magistère de l’Église, que l’Église n’“interdit”
pas de manière inconditionnelle l’utilisation prophylactique du préservatif.
Au contraire, le Saint Père a dit que dans certains cas (dans le cas du
commerce du sexe, par exemple), son utilisation peut être un signe de ou un
premier pas vers une attitude responsable (tout en précisant en même temps
que ce n’est ni une solution pour vaincre l’épidémie de sida ni une solution
morale ; la seule solution morale est d’abandonner un mode de vie immoral et
de vivre sa sexualité d’une manière vraiment humanisée). Ce sujet provoque
beaucoup d’émotion de part et d’autre, raison pour laquelle j’espère que le
pas qu’a fait Benoît XVI puisse nous amener à changer notre façon de
discuter de ces sujets et à le faire de manière moins tendue et plus
ouverte.
Mais la seconde opinion, selon laquelle ce qu’a dit le pape est un “changement
radical” est également inexacte.
Tout d’abord, elle ne change en rien la doctrine de l’Église en matière de
contraception ; ce qu’a dit le pape confirme plutôt cette doctrine telle
qu’elle est enseignée par "Humanae
Vitae".
Deuxièmement, sa déclaration ne dit pas que l’utilisation du préservatif ne
pose pas de problème moral ou qu’elle est permise d’une manière générale,
même à des fins de prophylaxie. Le pape Benoît XVI parle de "begründete
Einzelfälle", ce qui, traduit littéralement, signifie “certains cas
justifiés” – comme celui d’un(e) prostitué(e) – dans lesquels l’utilisation
d’un préservatif “peut être un premier pas vers une moralisation, une
première prise de responsabilités”.
Ce qui est “justifié”, ce n’est pas l’utilisation du préservatif en tant que
telle : pas, du moins, au sens d’une “justification morale” d’où découle une
norme permissive du genre “il est moralement permis et bon d’utiliser le
préservatif dans tel et tel cas”. Ce qui est justifié, plutôt, c’est le
jugement selon lequel ce geste peut être considéré comme un “premier pas” et
“une première prise de responsabilités”. Benoît XVI n’a certainement pas
voulu établir une norme morale justifiant des exceptions.
Troisièmement, ce que dit le pape ne se réfère pas aux gens mariés : il a
seulement parlé de situations qui sont en elles-mêmes intrinsèquement
désordonnées.
Quatrièmement, comme il l’indique très clairement, le pape ne plaide pas en
faveur de la distribution de préservatifs, qu’il considère comme conduisant
à la “banalisation” de la sexualité qui est la cause majeure de la diffusion
du sida. Il mentionne simplement la méthode ABC, en insistant sur
l’importance de A et B (“abstain” [abstiens-toi] et “be faithful”
[sois fidèle]) et en qualifiant le C (“condoms” [préservatifs]) de
dernier recours (en allemand, "Ausweichpunkt") au cas où certaines
personnes refuseraient de se conformer à A ou B.
Et, ce qui est très important, il déclare que ce dernier recours relève
clairement de la sphère séculière, c’est-à-dire des programmes
gouvernementaux de lutte contre le sida. Donc ce qu’a dit le pape ne
concerne pas la manière dont les institutions sanitaires relevant de
l’Église devraient gérer les préservatifs. Il a donné une indication sur ce
qu’il faut penser d’un(e) prostitué(e) qui utilise habituellement des
préservatifs, pas de ceux qui les distribuent systématiquement dans le but
de contenir l’épidémie, ce qui est la responsabilité des autorités d’État.
Pour sa part, l’Église continuera à dire la vérité à propos de la manière
vraiment humaine de vivre la sexualité.
Q. – Dans ses propos, le pape Benoît XVI n’appelle pas
l’utilisation du préservatif par les gens porteurs du virus VIH un “moindre
mal” mais c’est comme cela que certains théologiens et leaders catholiques
expliquent ce qu’il a dit. Est-ce que, dans certains cas, le préservatif est
un “moindre mal” ?
R. – Décrire comme un moindre mal l’utilisation du préservatif pour empêcher
l’infection est très ambigu et peut créer de la confusion. Bien sûr, on peut
dire que quand un(e) prostitué(e) utilise un préservatif, cela diminue la
malfaisance de la prostitution ou du tourisme sexuel, puisque cela réduit le
risque de transmission du virus VIH dans de plus larges secteurs de la
population. Mais cela ne veut pas dire qu’il soit bon de choisir des actes
mauvais pour parvenir à un but qui est bon.
Étant entendu que la conduite sexuelle immorale devrait être totalement
évitée, à mon avis ce que le Saint Père a souligné à juste titre est que,
quand quelqu’un qui commet déjà des actes immoraux utilise un préservatif,
il ou elle ne choisit pas à proprement parler un moindre mal, mais il ou
elle essaie simplement d’éviter un mal — le mal de l’infection. Du point de
vue du pécheur, cela signifie évidemment choisir quelque chose de bon : la
santé.
Q. – Si le pape dit que l’utilisation du préservatif
dans certains cas peut être un signe de réveil moral, ne dit-il pas que
l’utilisation de la contraception est quelquefois acceptable ? Ou que
l’utilisation de la contraception est préférable à la transmission du virus
VIH ?
R. – Le préservatif est conçu comme un moyen d’empêcher les fluides
masculins de pénétrer dans le corps de la femme. Son utilisation normale est
la contraception. Mais dans le cas dont parle le pape, la raison qui conduit
à l’utiliser n’est pas d’empêcher la conception, mais de prévenir
l’infection. Il ne faut pas confondre les actions humaines, qui peuvent être
intrinsèquement bonnes ou intrinsèquement mauvaises, avec les “choses.”
Ce n’est pas le préservatif en tant que tel, mais son utilisation, qui pose
le problème moral. C’est pourquoi ce que dit le pape ne se réfère même pas à
la question de la contraception.
Il est vrai que certains spécialistes de la théologie morale soutiennent que
puisque – excepté dans le cas de partenaires sexuels stériles – l’effet du
préservatif est toujours physiquement contraceptif et pour cette raison
intrinsèquement mauvais, ceux qui l’utilisent commettent nécessairement le
péché de contraception, même s’ils ne l’utilisent pas dans ce but. C’est
pourquoi ils affirment que l’utilisation du préservatif rendra un acte déjà
immoral encore pire. L’affirmation du pape Benoît XVI – en admettant qu’il
ne voulait pas la restreindre uniquement au cas de la prostitution
homosexuelle masculine, cas dans lequel la question de la contraception ne
se pose évidemment pas – affaiblit cet argument de manière décisive.
Je pense que la seule manière de sortir de la bizarre impasse où conduisent
de tels arguments – par exemple l’affirmation selon laquelle il vaudrait
mieux, également d’un point de vue moral, que les gens qui se prostituent
soient infectés plutôt que d’utiliser un préservatif – est de dire
clairement que le préservatif, en tant que tel, n’est pas “intrinsèquement
contraceptif” au sens d’un jugement moral. C’est son utilisation et
l’intention qui sous-tend cette utilisation, qui déterminent si
l’utilisation d’un préservatif constitue un acte de contraception.
Q. – On peut présumer que le pape était conscient de
la confusion que ses propos allaient créer parmi les catholiques. Sans vous
demander de spéculer indûment sur ses intentions, quel bien peut sortir de
tout cela ?
R. – Il est évident que le Saint Père voulait que ce sujet soit discuté au
grand jour. Il a certainement prévu le tumulte, les malentendus, la
confusion et même le scandale qui allaient en résulter. Et je crois qu’il a
pensé qu’il était nécessaire, en dépit de toutes ces réactions, d’en parler,
dans le même esprit d’ouverture et de transparence qui a été le sien, depuis
qu’il dirigeait la congrégation pour la doctrine de la foi, pour traiter les
affaires d’abus sexuels de la part de prêtres. Je pense que Benoît XVI croit
en la force de la raison et que les choses vont se clarifier avec le temps.
Il a changé le discours public sur ces questions et préparé le terrain pour
une compréhension et une défense plus vigoureuses et plus adaptées de
l’enseignement de l’Église en matière de contraception, en tant qu’élément
de sa doctrine concernant l’amour conjugal et la véritable signification de
la sexualité humaine.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.

Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 11.12.2010 -
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