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19 Avril 2005
 

Entretien avec un « socialiste religieux »

 

Le 11 octobre 2008 - (E.S.M.) - "Il y a une inculture phénoménale. Cette espèce de rupture culturelle frappe le monde religieux comme elle frappe le monde littéraire, linguistique. Il n’y a jamais eu de rupture comparable à celle qui est en train de se produire dans l’histoire de France des derniers siècles".

Chateaubriand 

Entretien avec un « socialiste religieux »

L’argent, Dieu et le diable : Péguy, Bernanos et Claudel face au monde moderne

Le 11 octobre 2008 -  Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Directeur-délégué du Nouvel Observateur et essayiste, Jacques Julliard est aussi un disciple de Pascal, et surtout un grand admirateur de Péguy, Claudel et Bernanos.
Trois auteurs chrétiens qu’il a réunis dans un même livre, où les puissances modernes sont étrillées (1). Entretien avec un « socialiste religieux ».

La Nef – Vous êtes un homme de gauche : comment expliquer que vous ayez réuni ces trois hommes-là, Péguy, Bernanos et Claudel qui ne sont pas spécialement considérés comme appartenant à votre courant de pensée ?
Jacques Julliard – Les trois premiers articles que je reprends dans ce livre et que j’ai intitulés « Deux ou trois choses que je sais de… » étaient à l’origine une manière pour moi, à la demande d’interlocuteurs, de me situer, de dire la place que ces trois-là avaient tenue dans mon itinéraire personnel.

Péguy depuis toujours, depuis ma khâgne de Lyon, une khâgne qui était très « catho » et très libre en même temps, a joué un rôle important pour moi. Je l’ai lu toute ma vie et j’en ai toujours eu une lecture personnelle qui évitait les chapelles. Je le relis périodiquement, parce que c’est l’homme qui a toujours « rechargé mes accus ». Pour Bernanos, c’est beaucoup plus ponctuel : j’ai des « crises Bernanos », je le relis à certains moments. Je me suis passionné pour le romancier qui n’est pas à sa place dans la littérature d’aujourd’hui. C’est l’un des rares héritiers en France de Dostoïevski. Quant à Claudel, c’était une découverte tardive : j’ai longtemps, comme beaucoup de gens de gauche, eu une énorme méfiance à son égard, parce que je l’identifiais à un « pétainiste ». Ma découverte de Claudel a été tumultueuse : il m’a remué non seulement dans ma conscience littéraire, mais aussi dans ma conscience tout court. Depuis, je ne cacherai pas que c’est celui avec qui j’ai le dialogue le plus soutenu, parce que c’est un génie à l’état pur, et parce que toutes les considérations qui peuvent jouer encore pour Péguy et Bernanos (sont-ils de gauche ou de droite ? Sont-ils antisémites ou prosémites ?) bien que présentes chez Claudel, sont subordonnées au fait que c’est un génie. On ne parle pas d’Eschyle, de Dostoïevski ou de Shakespeare comme on parle d’un prix Goncourt.

Chez Claudel, il y a une élaboration commune de sa vision d’abord symboliste et ensuite symbolique du monde, qui va de pair avec l’approfondissement de sa foi catholique. Pour lui, c’est presque la même chose : l’idée que le monde est un immense symbole va de pair avec l’idée que la clef de ce symbole, c’est Jésus-Christ. Cette élaboration très intellectuelle est unique dans notre littérature : mener de front Rimbaud et saint Thomas d’Aquin, ce n’est pas chose tellement habituelle et ça fait peur à nos contemporains.

Avez-vous l’impression que Claudel n’est pas lu aujourd’hui ?

Son théâtre est redécouvert périodiquement et chaque fois, comme l’ignorance est grande, les gens sont littéralement sidérés, parce qu’il porte la langue française à une incandescence qu’elle a rarement eue avant lui. Claudel transporte son public dans un univers qu’il ne fréquente pas tous les jours.

Vous avez dans ce livre une phrase étonnante : « Je suis psychologiquement athée, culturellement anticlérical, et spirituellement chrétien »…

Je suis anticlérical de famille, et je le suis resté, parce que l’on est de toute façon tributaire de sa famille et que je n’ai jamais trouvé de raison de changer ce point de vue. J’entends par anticléricalisme une certaine méfiance vis-à-vis de l’Église qui, en tant qu’institution, peut avoir les défauts de tous les milieux fermés.

Je dis que je suis psychologiquement athée parce que chez moi la croyance n’est pas une chose naturelle. J’ai de la peine à croire. Mais à chaque fois que je réfléchis, j’ai encore plus de peine à ne pas croire. Ma croyance se situe entre cette peine et ce surcroît de peine. C’est ce que j’appelle être psychologiquement athée : si l’on me demande à brûle-pourpoint s’il y a un Dieu, je dis : « Non, je ne vois pas, je n’y pense pas ».

En revanche, je suis spirituellement chrétien parce si spontanément je ne crois pas en Dieu, spontanément je crois en Jésus-Christ. Et puisque vous me posez la question, pas plus tard qu’hier soir, je relisais un passage de Pascal – je relis toujours un peu de Pascal le soir – et il dit exactement la même chose : que sans Jésus-Christ, la croyance en Dieu ne sert à rien. Il est même d’une violence étonnante. Il dit : non seulement la croyance en Dieu sans Jésus-Christ est impossible, mais elle inutile. Ainsi, je suis spirituellement chrétien : Jésus-Christ est la seule voie d’accès au monde du divin.

Cette formule est un peu contradictoire aux yeux des gens, et n’est pas très facile à vivre. Mais les gens qui ont influencé ma pensée pratiquaient la contradiction : Pascal, Georges Sorel ou le cardinal Newman.

Les gens qui vous ont marqué sont donc principalement des chrétiens ? Est-ce un hasard ?

J’ai souvent aimé chez ces chrétiens ce qui n’était pas chrétien en eux. Je suis allé chercher en eux, moins leur adhésion au christianisme que cette partie des valeurs laïques qui étaient en eux et n’y avaient trouvé place que parce qu’il y avait un cheminement vers le christianisme. C’est très net chez Péguy, qui n’est chrétien qu’à un moment où une partie de sa personnalité et de son œuvre existent déjà : lui-même reste anticlérical, mais le type de valeurs dans lesquelles il se reconnaît, qui sont souvent républicaines et socialistes, trouvent une signification nouvelle quand il devient chrétien. Le christianisme est la résolution enfin trouvée des contradictions de ces gens-là. C’est vrai aussi pour moi, en m’excusant de me placer au même rang que ces grands hommes.

Aujourd’hui, de plus en plus d’intellectuels s’affirment chrétiens. Vous-mêmes êtes chrétien et socialiste : comment conciliez-vous les deux ?

Je suis un socialiste religieux. C’est-à-dire que mon socialisme n’est pas le fruit de mes convictions religieuses. J’ai critiqué l’engagement de ceux qu’on appelait les « chrétiens progressistes » à l’époque, ceux de Témoignage Chrétien par exemple. Je n’ai jamais dit : « Je suis socialiste, progressiste, parce que chrétien ». J’ai toujours pensé que le christianisme était une chose trop fondamentale et trop commune potentiellement à l’humanité entière, pour avoir pour seule conséquence un engagement politique précis quel qu’il soit. Si je m’étais dit « conservateur parce que chrétien », cela m’aurait paru aussi absurde, aussi condamnable que « socialiste parce que chrétien ». À titre personnel, je trouve dans mon socialisme une manière d’exprimer des convictions chrétiennes, mais je ne demanderai jamais, au grand jamais, à quiconque d’en tirer les mêmes conséquences. Cette synthèse ne peut être que la mienne.

La gauche, toujours méfiante à l’égard du christianisme, pense que l’Église est toujours un danger pour la République laïque…

Aujourd’hui, ce n’est pas l’Église qui menace la laïcité, c’est l’islam. La gauche demeure anticléricale d’apparence, par crainte de perdre son dernier marqueur. Ces deux traditions historiques se développent par ricochet : les chrétiens qui spontanément identifient l’Église à la droite induisent la gauche à prendre des positions anticléricales. Je pense que c’est une chose qui est en voie de disparition dans le domaine des idées, mais qui reste puissante dans le domaine des réflexes. C’est surtout le symptôme d’un grand désarroi idéologique.

On a l’impression que la gauche, abandonnant le combat social et la matrice nationale, cherche surtout à s’opposer à la droite sur les questions éthiques et anthropologiques 

: qu’en pensez-vous ?
Je crois pourtant qu’en termes de morale, il y a paradoxalement une gauche qui coïncide de plus en plus avec l’esprit du christianisme, au-delà de ce grand clivage qui a commencé avec la Révolution française. Voyez les alter mondialistes : chez ces gens aux antipodes du christianisme, la morale de la charité l’a emporté sur la morale de la justice. Bourdieu ne parlait plus comme Marx à la fin, mais comme saint Vincent de Paul.

Je connais peu d’époques dans lesquelles la morale spontanée qui se dégage soit comme aujourd’hui la morale chrétienne, abâtardie tant que vous voudrez, mais chrétienne. Le père de Lubac montre très bien dans son livre sur Joachim de Flore les origines chrétiennes du monde démocratique et socialiste – même si on a coupé le cordon ombilical entre les valeurs chrétiennes et leur transposition en matière démocratique et sociale. Aujourd’hui l’anticléricalisme est en recul dans le monde, où l’Église n’apparaît plus comme le bastion du conservatisme. Nous vivons une période de transition, et l’Europe n’est pas très représentative du reste du monde, ce qu’avait très bien compris Jean-Paul II qui, au fond, avait fait un peu l’impasse sur les Églises européennes au profit du reste du monde.

Malgré tout, n’y a-t-il pas une perte de tradition généralisée ?

Il y a une inculture phénoménale. Cette espèce de rupture culturelle frappe le monde religieux comme elle frappe le monde littéraire, linguistique. Il n’y a jamais eu de rupture comparable à celle qui est en train de se produire dans l’histoire de France des derniers siècles. C’est le grand échec de l’école : avant elle, les valeurs se transmettaient ; aujourd’hui qu’elle est là pour les transmettre, elles ne se transmettent plus.

L’Église n’y arrive pas davantage. Elle s’en rend compte elle-même : elle oscille entre le repli vers ce qui existe, et au contraire parfois vers une confiance naïve dans le caractère généreux de la société qui un jour ou l’autre retrouvera ses racines chrétiennes. Je suis un disciple de Chateaubriand : je pense qu’à court terme, le catholicisme est très menacé dans nos sociétés ; qu’à moyen terme, le christianisme est l’avenir du monde. Chateaubriand explique que le résultat de la révolution démocratique sera une société où le christianisme s’imposera non pas à cause de sa connivence avec les puissances établies, mais à cause de la puissance révolutionnaire de l’Évangile. Je ne suis donc pas très inquiet.

Propos recueillis par Christophe
Geffroy et Jacques de Guillebon


(1) L’argent, Dieu et le diable : Péguy, Bernanos et Claudel face au monde moderne, Flammarion, 2008, 236 pages, 19 € (cf. notre recension in n°196 de septembre 2008). 

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Sources :  La Nef n°197 de octobre 2008
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M. sur Google actualité)  11.10.2008 - T/Brève/Chronique

 

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