L’impossible négationnisme |
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Le 11 février 2009 -
(E.S.M.)
- Après Jean-Paul II, Benoît XVI n’a jamais cessé de dire sa
solidarité avec les juifs. Lui qui, à peine élu pape, a suspendu la
béatification du père Léon Dehon à cause de ses écrits
antisémites, voit dans la mémoire de la Shoah l’occasion d’une réflexion sur
« la puissance du mal lorsqu’il s’empare du cœur de l’homme ».
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Jean-Dominique Durand
Professeur d’Histoire contemporaine, Université de Lyon 3
Consulteur du Conseil pontifical de la Culture
L’impossible négationnisme
Le 11 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Par Jean-Dominique Durand, professeur d’Histoire contemporaine, à
l’Université de Lyon 3, et consulteur du Conseil pontifical de la Culture.
L’Europe et le monde chrétien ne pourront jamais aborder la Shoah comme un
événement quelconque de son histoire, parce que, pensée, préparée et mise en
œuvre dans un pays, sur un continent aux racines chrétiennes, qui se pensait
comme chrétien, se trouve au cœur de son histoire. L’Europe et le monde
chrétien ne pourront jamais oublier ni banaliser, parce que, comme l’a dit
Jean-Paul II en mars 2005 à l’occasion du 60° anniversaire de la libération
du camp d’Auschwitz-Birkenau « personne n’a le droit de passer avec
indifférence devant la tragédie de la Shoah. Cette tentative de destruction
systématique de tout le peuple juif reste comme une ombre sur l’Europe et
sur le monde entier ; c’est un crime qui marque pour toujours l’histoire de
l’humanité ». Reprenant une idée déjà exprimée depuis sa visite à la
synagogue de Rome en 1986, il insiste sur l’impossibilité pour l’Église de
ne pas s’interroger simultanément sur la nature de la Shoah et sur le fait
qu’elle ait eu lieu en Europe, dans des pays d’antique civilisation
chrétienne : l’Église ne peut échapper à un douloureux et nécessaire examen
de conscience sur la relation entre le génocide perpétré par les nazis et
l’attitude, au fil des siècles, des chrétiens envers les juifs.
Comme l’a noté Bernard Delpal qui travaille en historien sur le rapport des
Églises à la mémoire de la Shoah, pour recevoir ce message pontifical,
l’Église a dû parcourir un chemin long et difficile. Il commence, au
lendemain de la guerre, par les appels d’intellectuels catholiques
(Maritain, Claudel, Mauriac) et juifs (Jules Isaac)
au Saint-Siège et aux
épiscopats nationaux pour qu’ils sortent du silence qui a prévalu pendant
les hostilités, et s’interrogent sur les terribles responsabilités de
l’enseignement du mépris dans le déroulement de la « Catastrophe ».
Le tournant se produit vraiment avec la déclaration
Nostra
Aetate de Vatican
II. Ce texte fit l’objet d’un combat acharné de la part de la minorité
conduite par Mgr Lefebvre : les intégristes ne se trompaient : le rapport
avec le judaïsme était bien la question centrale. Ce texte n’aborde pas la
Shoah, mais, comme l’a écrit Denis Pelletier dans La Croix
(3 février), il
rompt avec « une rhétorique antisémite », et il enclenche un processus
radical sous le pontificat de Jean-Paul II. Le pape demande pardon à Dieu et
aux juifs à Jérusalem en 2000, et fait de la repentance un élément central
de l’année jubilaire pour permettre à l’Église de franchir le seuil du
nouveau millénaire en ayant confessé ses erreurs et péchés. Parmi ceux-ci,
l’antisémitisme est à éradiquer absolument. L’Église met ainsi un terme au
silence qui a longtemps retardé la connaissance de la Shoah et de son sens
profond pour le monde juif. La repentance assumée à l’aube du IIIème
millénaire contribue à placer la Shoah au cœur de l’histoire contemporaine,
et bouleverse les relations entre catholicisme et judaïsme, rassuré par la
volonté catholique affirmée par le pape et par tant d’évêques, et notamment
par l’épiscopat français, de combattre toute forme d’antisémitisme,
d’antijudaïsme ou de négationnisme. Après Jean-Paul II, Benoît XVI n’a
jamais cessé de dire sa solidarité avec les juifs. Lui qui, à peine élu
pape, a suspendu la béatification du père Léon Dehon à cause de ses écrits
antisémites, voit dans la mémoire de la Shoah l’occasion d’une réflexion sur
« la puissance du mal lorsqu’il s’empare du cœur de l’homme ».
Après tant d’initiatives, et avec le souvenir des conséquences d’un
antisémitisme trop facilement et complaisamment camouflé en antijudaïsme
religieux, l’antisémitisme chrétien, si évidemment opposé à l’enseignement
du Christ, semblait appartenir au passé, il paraissait impossible, tout
comme le négationnisme. On pouvait penser que « les assassins de la mémoire
», selon la belle expression de Pierre Vidal-Naquet, se recrutaient dans des
milieux marginaux, liés aux extrêmes (de droite et de gauche). Le choc est
donc rude. Les déclarations d’un évêque et de quelques prêtres, fussent-ils
intégristes, qui se disent nourris de l’Évangile, montrent la permanence
dans le catholicisme, malgré la terrible leçon de l’histoire, malgré les
claires prises de position des papes, d’un antisémitisme militant qui
n’hésite pas à s’appuyer sur les mensonges odieux du négationnisme, dans un
mépris absolu pour les témoins comme pour les recherches historiques.
L’antisémitisme reprend de la vigueur dans toute la société comme le
montrent bien des épisodes récents, il est vivant, il se diffuse comme une
mauvaise herbe qui semble résister à tous les désherbants et revient
toujours.
Pour les chrétiens, la responsabilité est grande : Toute faiblesse ici est
incompatible avec la nature même de l’Église aussi bien qu’avec la mémoire
de la Shoah et l’héritage du Concile et du pontificat de Jean-Paul II.
Jean-Dominique Durand
Professeur d’Histoire contemporaine, Université de Lyon 3
Consulteur du Conseil pontifical de la Culture
Sources : lyon.catholique
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un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 11.02.2009 -
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