Editorial de Mgr Leonard sur la
pensée de Darwin |
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Le 11 février 2009 -
(E.S.M.)
- Demain 12 février, nous fêterons le le 200ème
anniversaire de la naissance de Charles Darwin et cette même année est
le 150ème anniversaire de la publication de son ouvrage décisif : De l’origine des espèces au moyen de la
sélection naturelle.
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Charles Darwin
Editorial de Mgr Leonard sur la pensée de Darwin
Le 11 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Le 12 février de cette année marque le 200ème anniversaire de la naissance
de Charles Darwin et cette même année est le 150ème anniversaire de la
publication de son ouvrage décisif : De l’origine des espèces au moyen de la
sélection naturelle. Autant dire que, dans les
journaux et les revues, nous allons être abreuvés de considérations
darwiniennes, néo-darwiniennes et anti-darwiniennes, même si ces dernières
seront probablement censurées. En fait, il ne s’agit ni d’être pro-darwinien
sans nuances, de manière dogmatique, ni d’être antidarwinien de manière
fondamentaliste, mais d’accueillir la théorie de Darwin avec l’ouverture
d’esprit et le sens critique qu’appelle toute théorie scientifique. D’où les
quelques réflexions qui suivent, que j’emprunte à mon récent ouvrage : Les
raisons d’espérer, Paris, Presses de la Renaissance, 2008, p. 107-111. Je
les ai déjà publiées ici il y a deux ans, mais je crois indispensable de
rafraîchir les mémoires sur un sujet d’importance capitale. J’y ajoute
d’ailleurs un petit complément. Je laisse à d’autres, bien plus compétents
que moi en la matière, le soin d’entrer davantage dans les détails de la
question.
La doctrine de l’évolution des espèces vivantes est plus qu’une hypothèse.
Elle est corroborée par la convergence d’innombrables observations portant
sur les fossiles et sur la structure des gènes. L’arbre généalogique de
toutes les espèces vivantes, y compris l’espèce humaine, est loin d’être
complètement inventorié, mais tout ce que nous en connaissons confirme que
nous comptons bien des invertébrés, des poissons, des batraciens et des
singes parmi nos ancêtres biologiques (je précise « biologique », car notre
origine en tant que personnes n’est pas seulement biologique).
Les fondamentalistes et les créationnistes naïfs (car il existe un
créationnisme métaphysique intelligent) rendent un très mauvais service à la
philosophie, à la foi et à la théologie en remettant massivement en cause la
théorie globale de l’évolution au nom d’une exégèse infantile de la Bible et
en voulant à tout prix établir que sur certains points précis – et ce n’est
pas totalement exclu – une interprétation littérale de certaines
affirmations bibliques à portée
apparemment scientifique serait parfois défendable. L’intention est
probablement généreuse, mais la démarche est épistémologiquement déficiente
et, du point de vue théologique, contreproductive. Ceci dit, le dogmatisme
non critique ne se trouve pas que du côté des fondamentalistes de tout poil.
Aujourd’hui encore, il existe nombre de darwiniens et de néo-darwiniens qui
traitent la doctrine de Darwin, non pour ce qu’elle est, à savoir une
théorie par
nature révisable et perfectible, mais comme un dogme intouchable et ne
supportent aucune critique, même venant des spécialistes en matière de
biologie. C’est ainsi qu’à notre époque la plupart des théoriciens de
l’évolution adhèrent encore au dogme darwinien selon lequel le jeu des
mutations aléatoires et de la sélection naturelle des plus performantes
d’entre elles suffirait à expliquer l’évolution biologique au cours des âges
géologiques, quelle que soit d’ailleurs la durée exacte de ceux-ci. Or les
derniers développements de la science – même s’ils sont souvent occultés par
les pontifes du darwinisme pur et dur – remettent ce dogme en question ! Ils
suggèrent plutôt que nous allons vers un nouveau paradigme des sciences de
l’évolution.
De plus en plus aujourd’hui, des biologistes sont, en effet, sensibles au
fait que, si les mutations aléatoires et la sélection naturelle jouent bien
un rôle dans l’évolution, elles ne suffisent pas à rendre compte de tous ses
aspects. Cela introduit des perspectives nouvelles qui, tout en respectant
l’intuition fondamentale de Darwin, la corrigent considérablement. Ces
nouvelles perspectives se traduisent par les thèses suivantes, étayées par
des faits incontournables :
- La plupart des mutations sont bien aléatoires, comme le pensent les
darwiniens, surtout sur le plan des microévolutions à l’intérieur d’un type
biologique donné. Mais certains faits donnent à penser qu’il existe aussi,
spécialement sur le plan des macroévolutions d’un type à l’autre, des
mutations qui ne sont pas purement aléatoires.
- En effet, nombre d’observations embryologiques et paléontologiques
suggèrent clairement que l’évolution est orientée a priori dans certaines
directions et vers certaines formes. Cela revient à diminuer le rôle du pur
hasard dans l’évolution et à donner un nouveau crédit à la célèbre doctrine
des formes (Gestalte) de Goethe, selon laquelle
la nature produit par nécessité des formes manifestant entre elles et à
l’intérieur d’elles-mêmes une certaine cohérence intelligible.
Ce ne serait donc pas par pur hasard, par exemple, que de multiples animaux
d’espèces différentes ont des organes ou membres doubles (deux yeux, deux
oreilles, etc.) ou une segmentation similaire de leur corps
(tête, tronc, etc.)1.
- Divers indices suggèrent que l’évolution ne s’est pas faite simplement par
développement continu, mais aussi, parfois, par sauts brusques d’un type à
l’autre sans la médiation de nombreux chaînons intermédiaires. Des
biologistes mathématiciens, comme D’Arcy Thompson, ont montré que les formes
animales sont portées par une logique interne et que, de même qu’on ne passe
pas graduellement d’une forme mathématique à une autre, ainsi la transition
d’un plan d’organisation du vivant à un autre se fait de manière non
graduelle, à la différences des microévolutions qui, elles, se produisent de
manière darwinienne. De cette manière, les plans fondamentaux d’organisation
du vivant correspondraient, sur le plan de la macroévolution, à des formes
quasi platoniciennes, à des structures archétypales inscrites dans les lois
de la nature, un peu à la manière dont sont prédéterminées les structures
des flocons de neige. La matière inorganique et ensuite vivante serait ainsi
douée d’une extraordinaire capacité d’auto-organisation.
- Cette impressionnante convergence d’indices n’est pas encore une preuve
formelle, mais l’on peut raisonnablement penser que le 21ème sera celui de
la mise au point d’un nouveau paradigme pour comprendre l’évolution, un
paradigme qui ne reniera pas la valeur explicative du néodarwinisme pour
comprendre les microévolutions à l’intérieur d’un type, mais révisera en
profondeur l’intelligence de la macroévolution, en faisant la part beaucoup
moins belle que le darwinisme pur et dur à la contingence.
En conclusion, les sciences de la vie – qui ont toujours un certain retard
temporel sur celles de la nature physique – vont très probablement établir
au cours de ce siècle que le surgissement de la vie et de l’espèce humaine
obéit beaucoup moins que ne le pensait le darwinisme dogmatique au simple
jeu du hasard et de la sélection. La vie et la conscience étaient en quelque
manière « programmées » dans les conditions initiales et les constantes
fondamentales de la matière (si tant est que celle-ci « existe » vraiment…),
par où la biologie et les sciences de l’évolution pourraient peut-être
rejoindre le principe anthropique de certains physiciens. N’est-ce pas là
une nouvelle raison d’espérer dans le caractère « sensé » de notre aventure
de personnes conscientes dans le royaume de la vie et l’univers physique ?
Ou, de manière plus précise, n’est-ce pas une raison d’espérer que ce que
nous pouvons tenir à bon droit par la foi et la philosophie ne sera plus
contredit par un scientisme primaire, mais plutôt suggéré discrètement par
la science elle-même, encore que celle-ci soit incapable de le prouver dans
son ordre propre ? Je prends une comparaison pour illustrer mon propos, une
comparaison déficiente, comme toute comparaison, mais éclairante quand même,
je l’espère.
Supposons qu’un professeur de mathématique envoie un élève au tableau noir
pour y démontrer que la somme des angles d’un triangle est toujours égale à
deux droits. L’étudiant va, avec sa craie blanche, tracer une figure au
tableau, y ajouter des constructions et y écrire les démarches de la preuve.
Vue de l’extérieur, cette démonstration s’explique intégralement par des
processus cérébraux, neuronaux, électriques et physicochimiques aboutissant
à ce qu’un peu de poussière de craie,
grâce à la contraction de divers muscles, se dépose sur le tableau.
Rien de miraculeux en tout cela !
Mais, en même temps, nous savons pertinemment bien que cet ensemble de
processus se déroulant dans le monde physique s’accompagne d’un effort de
réflexion de la part de l’étudiant. Effort qui, certes, n’est pas possible
sans le support du cerveau et de ses opérations, mais qui, dans son contenu
intellectuel ou logique, est d’un autre ordre que celui des phénomènes
physiques, tout en accompagnant ceux-ci et en expliquant leur véritable
portée.
De plus, par-delà les phénomènes physiques sous-jacents à la démonstration
et par-delà le phénomène intérieur de la réflexion de l’élève, il y a la
vérité géométrique éternelle, à savoir qu’en géométrie euclidienne la somme
des angles d’un triangle est égale à deux droits, vérité qui n’est
évidemment pas produite comme telle par les signes s’inscrivant au tableau
ni même par l’effort de l’étudiant, mais qui s’est en quelque sorte servie
des premiers et du second pour manifester sa vérité dans le monde.
Semblablement – mais comparaison n’est pas raison – on peut très bien
accepter sur le plan scientifique que la vie humaine naît biologiquement de
la longue évolution de la biosphère, selon des mécanismes darwiniens et
selon d’autres formes plus subtiles d’autoorganisation
de la vie, sans y faire jouer la moindre intervention d’un divin quelconque.
Mais cela n’empêche pas, sur un autre plan, de discerner dans le processus
de l’évolution cosmique et biologique la présence d’un dynamisme
intelligible et peut-être même intelligent et d’y discerner, sur un autre
plan encore, d’ordre proprement métaphysique, le déploiement de l’Énergie
créatrice, qu’elle soit de nature impersonnelle (comme elle l’est pour un
certain nombre de physiciens, de cosmologues ou de biologistes
spiritualistes ou déistes) ou de nature personnelle
(comme c’est le cas pour
les penseurs juifs, chrétiens ou musulmans). Affaire à suivre…
1 Sur les capacités d’auto-organisation de la vie dans un
équilibre délicat entre robustesse et malléabilité, cf. l’ouvrage
passionnant, mais ardu (en dépit de son titre alléchant…) de D. Lambert et
R. Rezsöhazy, Comment les pattes viennent au serpent. Essai sur l’étonnante
plasticité du vivant, Paris, Flammarion, 2004.
Sources : diocèse de
Namur
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 11.02.2009 -
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