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La foi est la plus belle expérience de Dieu
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Le 09 octobre 2023 -
E.S.M.
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"Le cœur du salut de l'homme est son Fils qui a pris sur lui tous
nos péchés, nos suffisances, nos certitudes, nos vanités, nos envies
de devenir comme Dieu. Un chrétien qui ne sait pas glorifier Dieu
crucifié n'a pas compris ce que signifie être chrétien. Nos plaies,
celles qui laissent le péché en nous, se guérissent seulement par
les plaies du Seigneur, par les plaies de Dieu fait homme, humilié,
anéanti."
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Jésus-Christ Porte Sa Croix au
Golgotha -
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POUR ÊTRE DANS LA VÉRITÉ
« La prière était en quelque sorte la colle qui a permis à ma liberté de
prendre forme. » James Foley, journaliste américain assassiné en Syrie le 19 août 2014
NICOLAS DlAT : Quelle définition donneriez-vous au mot « foi » ?
CARDINAL ROBERT SARAH : La foi ressemble à la réponse de deux fiancés. Par
le oui qui va engager toutes leur vie, deux êtres consacrent leur amour. Ce
sentiment amoureux repose sur une foi mutuelle, qui fait crédit à l'autre et
compte sur sa fidélité pour l'avenir. Ainsi, les deux deviennent une seule
chair. Dans l'amour, chacun s'anéantit humblement devant l'autre, s'épanouit
et grandit en l'autre. « L'Amour a grandi en moi ! », disait, timidement et
vigoureusement, sainte Thérèse de Lisieux. Dans la foi et l'amour, Dieu
grandit en moi et II me hisse jusqu'à lui. Mais la foi est aussi un don de
Dieu, car l'homme répond toujours librement à l'appel du Ciel. Il ne s'agit
pas d'une réponse théorique, mais d'une expérience personnelle de Dieu, tel
qu'il est. En répondant à Dieu, nous fondons en lui notre vie, et le
Père place en nous son espérance. Dieu veut toujours configurer l'homme à
son image et à sa ressemblance. Il est important de comprendre que la foi
est une alliance d'amour, qui nous fait devenir un seul et même être avec la
personne aimée. Dans son livre Le Signe de Jonas,
Thomas Merton se demandait s'il était possible d'affirmer que « par l'Amour,
l'âme reçoit la "forme" même de Dieu ». Dans la langue de saint Bernard,
cette forme que l'on pourrait associer à une divine ressemblance constitue
l'identité pour laquelle nous sommes créés. Aussi pouvons-nous dire : «
Caritas haec visio, haec similitude est », « la charité, c'est cette
vision, cette identité ». Par l'amour, nous ressemblons immédiatement à
Dieu, et par l'amour mystique, nous le « voyons » ici-bas, en ce sens que
nous avons déjà l'expérience de Dieu tel qu'il est en Lui-même.
La foi est la plus belle expérience de Dieu. Un exemple
extraordinaire est donné par Abraham. Après avoir entendu un appel, il s'est
mis en marche avec confiance. Nous sommes les fils d'Abraham, notre père
dans la foi, et nous appartenons à la lignée des descendants spirituels du
peuple de l'Exode, cheminant à travers le désert. De la même manière, les
chrétiens sont aussi les enfants des disciples de Jésus, ceux qui marchaient
à sa suite. Ainsi, la foi peut être définie comme une marche spirituelle
conduite et guidée uniquement par la voix de Dieu. D'une manière différente,
je dirais que la foi est l'adhésion à une parole réputée venir de plus loin
et de plus haut que moi. Toute la Bible ne cesse d'amplifier ce donné
providentiel. La foi est aussi un acte qui nous transforme progressivement
et définitivement. Comme Abraham a dû accepter de sacrifier son fils Isaac, le
fils de la promesse, la foi est un acte qui nous rend radicalement autre.
Après l'épreuve du sacrifice de son fils, ni Abraham ni Isaac ne sont plus
les mêmes ; Isaac n'est plus le même fils pour Abraham. Il a été donné et
remis à Dieu, il est devenu le signe d'une autre filiation. De même, Abraham
ne vit plus seulement comme l'homme qui a reçu un don de Dieu : le don de
son fils Isaac. Il est celui qui a accepté la dépossession de ce don et son
recouvrement comme héritage spirituel. En fait, la foi est toujours un itinéraire pascal à la
recherche de la volonté du Père, dans la lignée de la fidélité d'Abraham et
de son obéissance jusqu'à l'autel du sacrifice de son fils Isaac. Saint
Paul
définit la foi comme l'obéissance au Père (Rm 1, 5 ; 16, 25). Mais
nous devons comprendre que notre obéissance peut conduire vers la montagne
du sacrifice. Ainsi, la route de la foi est celle du consentement de l'homme
à la volonté de Dieu. Les commandements du Père sont toujours une charte de
vie qui nous demande un consentement d'amour. La foi consiste à vouloir ce
que Dieu veut, à aimer ce que Dieu aime, même si cela nous conduit jusqu'à
la Croix. En Jésus Christ, nous mettons notre foi. Sur lui, nous nous
appuyons car « il est le chef de notre foi, qui la mène à sa perfection » (He
12, 2). Par lui, nous disons l'«Amen » à Dieu pour sa Gloire (2
Co 1, 20). Le mot Amen, en hébreu, se rapporte à un élément
solide et digne de confiance. Ce mot exprime donc la réponse de la fidélité
de l'homme à la fidélité de Dieu en Jésus Christ. Nous pouvons nous appuyer
sur Dieu comme sur un rocher, avec la conviction et l'assurance que même
planté au bord du gouffre, il ne s'écroulera pas. Dans une relation de foi,
Dieu est ma citadelle, ma forteresse et mon roc. La foi ne suppose pas de garanties. Le croyant marche dans la
nuit, comme un pèlerin qui cherche la lumière. Ce qu'il sait, il ne le sait
que dans la pénombre du soir, marchant avec l'aide d'une « cognitio
vespertina » et non pas encore d'une « cognitio matutina », une
connaissance dans la claire vision, selon la belle terminologie de saint
Augustin et de saint Thomas. Si je me réfère à une étymologie médiévale fort suggestive,
je ne peux oublier que le verbe croire, credere, signifierait aussi
cor-dare, « donner son cœur », et le remettre sans condition entre
les mains d'un Autre.
L'homme qui croit consent, comme Abraham, à devenir
prisonnier du Dieu invisible ; il accepte d'être possédé par le Père dans
l'écoute obéissante, la docilité de son cœur et les lumières de son
intelligence. La marche vers Dieu est un consentement et un abandon, sans
attendre de bénéficier de garanties rassurantes. Saint Paul nous donnait ce
magnifique programme : « Je poursuis ma course pour tâcher de saisir, ayant
été saisi moi-même par le Christ Jésus » (Ph 3, 12). En avril 2014, le pape François rappelait dans une homélie à
Sainte-Marthe que « le christianisme n'est pas une doctrine philosophique,
ce n'est pas un programme de vie pour survivre, pour être éduqué, pour faire
la paix. Ce sont là les conséquences. La Croix est le mystère de l'amour de
Dieu qui s'humilie lui-même. Il n'existe pas de christianisme sans Croix. Il
n'y a pas de possibilité de sortir tout seul de notre péché. Le Christ
s'humilie pour nous sauver. Et de même que s'est élevé le péché dans le
désert, ici s'est élevé Dieu, fait homme et fait péché pour nous. Et tous
nos péchés étaient là. On ne peut pas comprendre le christianisme sans
comprendre cette humiliation profonde du Fils de Dieu, qui s'humilie
soi-même en se faisant esclave jusqu'à la mort et mort sur la Croix, pour
nous servir ». Le Saint-Père ajoutait : « Le cœur du salut de l'homme est
son Fils qui a pris sur lui tous nos péchés, nos suffisances, nos
certitudes, nos vanités, nos envies de devenir comme Dieu. Un chrétien qui
ne sait pas glorifier Dieu crucifié n'a pas compris ce que signifie être
chrétien. Nos plaies, celles qui laissent le péché en nous, se guérissent
seulement par les plaies du Seigneur, par les plaies de Dieu fait homme,
humilié, anéanti. » J'aime beaucoup cette réflexion du pape, car elle montre
combien la foi est un engagement de notre être entier. La foi portée à son
degré ultime est un dépouillement absolu en Dieu. Sur cette terre, je pense
que les moines chartreux, fils de saint Bruno, qui placent toute leur
espérance en Dieu, sont un des plus beaux exemples de vies données
intégralement à Dieu. Dans leurs ermitages, plus rien ne compte hors de
l'espérance divine.
Précisément, comment évoquer cette espérance ?
L'espérance n'est rien d'autre que l'optimisme chrétien. Elle
permet à l'homme de rester solide dans la foi, pleinement rassuré par les
promesses de Dieu. Dans l'espérance, Dieu est le garant de mon avenir et de
ma sereine stabilité. Les chrétiens doivent rester optimistes et joyeux ;
mais il s'agit d'un sentiment qui naît de la foi en la puissance d'un Dieu
qui ne perd jamais une bataille pour que l'homme connaisse la paix et la
gloire auprès de Lui. La foi est le fondement de l'espérance, nouvelle
dimension de l'homme qui le conduit vers la divinité. Aussi, dans sa Lettre
aux Romains, saint Paul écrit-il : « Etant donc justifiés par la foi, nous
avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, à qui nous devons
d'avoir eu accès par la foi à cette grâce dans laquelle nous demeurons
fermes, et de nous glorifier dans l'espérance de la gloire de Dieu. Bien
plus, nous nous glorifions même dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la constance, la constance
une vertu éprouvée, et la vertu éprouvée l'espérance. Or, l'espérance ne
trompe point, parce que l'amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par
l'Esprit-Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 1-5). Puisque notre foi et notre espérance reposent en Dieu, nous
n'avons rien à craindre. Le chrétien peut dire avec assurance : « Mon
espérance, elle est en toi, Seigneur. Je suis en toute confiance, je me
tais, je n'ouvre pas la bouche, car c'est toi qui es à l'œuvre» (Ps 39,
8.10). En 2007, dans son encyclique
Spe salvi, Benoît XVI a écrit des paroles lumineuse sur l'espérance
: « De fait "espérance" est un mot central de la foi biblique au point que,
dans certains passages, les mots "foi" et "espérance" semblent
interchangeables. Ainsi, la Lettre aux Hébreux lie étroitement à la
"plénitude de la foi" (10, 22) "l'indéfectible profession de
l'espérance" (10, 23). De même, lorsque la première Lettre de Pierre
exhorte les chrétiens à être toujours prêts à rendre une réponse à propos du
logos - le sens et la raison - de leur espérance (3, 15),
"espérance" est équivalent de "foi". Ce qui a été déterminant pour la
conscience des premiers chrétiens, à savoir le fait d'avoir reçu comme don
une espérance crédible, se manifeste aussi là où est mise en regard
l'existence chrétienne avec la vie avant la foi, ou avec la situation des
membres des autres religions. Paul rappelle aux Éphésiens que, avant leur
rencontre avec le Christ, ils étaient "sans espérance et sans Dieu dans le
monde" (Ep 2, 12). Naturellement, il sait qu'ils avaient eu des
dieux, qu'ils avaient eu une religion, mais leurs dieux s'étaient révélés
discutables, et de leurs mythes contradictoires n'émanait aucune espérance.
Malgré les dieux, ils étaient "sans Dieu" et, par conséquent, ils se
trouvaient dans un
monde obscur, devant un avenir sombre. "In nihil ab nihilo quam
cito recidimus, " "du néant dans le néant, combien souvent rapidement
nous retombons," dit une épitaphe de l'époque — paroles dans lesquelles
apparaît sans ambiguïté ce à quoi Paul fait référence. C'est dans le même
sens qu'il dit aux Thessaloniciens : vous ne devez pas être "abattus comme
les autres, qui n'ont pas d'espérance" (1 Th 4, 13). Ici aussi
apparaît comme élément caractéristique des chrétiens le fait qu'ils ont un
avenir : ce n'est pas qu'ils sachent dans les détails ce qui les attend,
mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant.
C'est seulement lorsque l'avenir est assuré en tant que réalité positive que
le présent devient aussi vivable. Ainsi, nous pouvons maintenant dire : le
christianisme n'était pas seulement une bonne nouvelle — la communication
d'un contenu jusqu'à présent ignoré. Dans notre langage, nous dirions : le
message chrétien n'était pas seulement "informatif', mais "performatif".
Cela signifie que l'Évangile n'est pas uniquement une communication
d'éléments que l'on peut connaître, mais une communication qui produit des
faits et qui change la vie. La porte obscure du temps, de l'avenir, a été
ouverte toute grande. Celui qui a l'espérance vit différemment ; une vie
nouvelle lui a déjà été donnée. »
Dès lors, pourquoi la joie chrétienne n'est-elle plus comprise ?
Pour saint Paul, la joie est la caractéristique du chrétien.
Rappelez-vous comme il aimait exhorter les chrétiens en leur disant : «
Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur, je le dis encore,
réjouissez-vous. Que votre modération soit connue de tous les hommes. [...]
N'entretenez aucun souci; mais en tout besoin recourez à l'oraison et à la
prière » (Ph 4, 4-6). Sans prière, il n'y a pas de joie véritable. De
même, Paul s'exclamait : « Le Christ est annoncé, et je m'en réjouis. Je
persisterai même à me réjouir, car je sais que cela servira à mon salut,
grâce à vos prières » (Ph 1, 18-19). La prière est la source de notre joie
et de notre sérénité parce qu'elle nous unit à Dieu, Lui qui est notre
force. Un homme triste n'est pas un disciple du Christ. Celui qui compte sur
ses propres forces est toujours attristé quand ces dernières déclinent. A
contrario, l'homme qui croit ne peut pas être dans la peine car sa joie ne
vient que de Dieu. Mais la joie spirituelle dépend de la Croix. En
commençant à nous oublier pour l'Amour de Dieu, nous Le trouvons, au moins
obscurément. Et Dieu étant notre joie, celle-ci est proportionnée à notre
abnégation et à notre union à Lui.
Jésus lui-même nous invite à une vie pleine de générosité, de don, mais
aussi de joie. Le pape François parle beaucoup du bonheur simple de
l'Évangile. Dans son exhortation apostolique
Evangelii gaudium, la joie de
l'Evangile, il écrit : « Avec Jésus la joie naît et renaît toujours. » Le
Saint-Père montre bien qu'il faut prier quotidiennement pour ne pas perdre
cette douce plénitude. De nombreuses sollicitations du monde peuvent brimer
la joie chrétienne. Il est même possible de dire que les bonheurs mondains
ne peuvent pas comprendre la joie chrétienne. Il faut rester heureux à la
suite du Christ en toutes circonstances. La bataille se révèle toujours
rude, car les peines ne manquent pas. Le sourire n'est pas inné lorsque nous
affrontons la souffrance et la déception. Si Dieu nous possède vraiment, si
le Christ reste en nous, la joie revient toujours.
En fait, la joie ne se commande pas ; elle jaillit spontanément d'une source
intérieure qui est Dieu. Son amour entraîne constamment le vrai bonheur.
Ainsi, les peuples des pays riches qui ont abandonné Dieu sont toujours
tristes, alors que les nations pauvres et croyantes rayonnent d'une vraie
joie ; elles n'ont rien, mais Dieu est une lumière constante parce qu'il
réside dans leur cœur. J'ai encore pu le constater lors de mon dernier
voyage aux Philippines, avec le pape, en janvier 2015.
De même, beaucoup d'observateurs tendent à souligner que François a placé
son pontificat sous le maître-mot de la miséricorde. Qu 'en pensez-vous ?
Selon l'étymologie, la miséricorde consiste à jeter son cœur dans la misère
d'autrui, à aimer l'autre au cœur de sa misère. Mais la miséricorde exige,
avant de nous inonder de sa bienveillance, la vérité, la justice et le
repentir. En Dieu, la miséricorde va se faire « pardon ». Nous sommes ainsi
au centre du message évangélique. Le pardon est le visage le plus marquant de l'amour de Dieu pour l'homme.
Ainsi saint Pierre demanda à Jésus : « Seigneur, combien de fois mon frère
pourrait-il pécher contre moi et devrais-je lui pardonner ? Irais-je jusqu'à
sept fois ? Jésus lui dit : je ne dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à
soixante-dix-sept fois » (Mt 18, 21-22). Autrement dit,
inlassablement...
En fait, il nous faut aimer comme Dieu. Dieu connaît les déchéances et les
grandes faiblesses de l'homme, mais II jette son cœur sur notre misère. Dieu
se réjouit de nous pardonner. Le pardon consiste à recommencer à aimer avec
plus de gratuité et de générosité lorsque l'amour a été mis à mal.
Sans la grâce de Dieu, sans un regard fixé sur le crucifix d'où nous
parvient la voix de Jésus priant pour ses bourreaux, et si nous n'ouvrons
pas la faille de nos cœurs pour les greffer au cœur transpercé et débordant
d'amour de Celui qui vient brûler nos péchés, il nous sera difficile de
pardonner, car cet acte exige de donner en plénitude. Il faut être débordant
d'amour, il faut être surabondant d'amour pour accéder à la vérité du
pardon. La meilleure imitation de Jésus, c'est le pardon. Dans l'Évangile,
le fils prodigue, la femme adultère, Marie Madeleine, sont des exemples
merveilleux du pardon que le Christ nous donne à imiter.
Dieu est pardon, amour et miséricorde ; la nouveauté radicale du
christianisme se situe ici et nulle part ailleurs. Les hommes doivent
pardonner comme Dieu lui-même pardonne de manière inlassable. Nous avons été
façonnés par Dieu, et il nous suffit de nous souvenir de nos origines
divines pour accéder sans peine à sa volonté qui nous demande d'être
parfaits comme notre Père céleste est parfait dans la miséricorde. Le pardon
permet toujours une recréation de l'homme, car il s'agit d'une chance venue
du Ciel...
Qui est ce Dieu de pardon ?
Le livre de Jonas affirme que ce Dieu est « un Dieu de pitié et de
tendresse, lent à la colère et riche de grâce et d'amour et se repentant du
mal » (Jon 4, 2).
Quant à Jérémie, il nous révèle un Dieu frissonnant de tendresse pour
Éphraïm : « Éphraïm, est-il donc pour moi un fils si cher, un enfant
tellement préféré, que chaque fois que j'en parle je veuille encore me
souvenir de lui ? C'est pour cela que mes entrailles s'émeuvent pour lui,
que pour lui déborde ma tendresse, oracle du Seigneur Dieu » (Jr 31, 20).
Pour le prophète Isaïe, Dieu nous a gravés sur les paumes de ses mains.
Le
Père dépasse et submerge la tendresse de toutes les mères du monde : « Une
femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de
ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t'oublierai
jamais. Vois, je t'ai gravée sur les paumes de mes mains, tes remparts sont
devant moi sans cesse » (Is 49, 15-16).
Enfin, Jésus révèle un Dieu dont l'amour est insondable. Quand ses enfants
prodigues reviennent à la maison, II les embrasse longuement et leur redonne
leur dignité d'enfants du Ciel.
Dieu est bon et beau, et ses créations sont toutes à son image ; la Genèse,
avec le récit de la naissance du monde, transpire magnifiquement la beauté
de Dieu. Cette beauté resplendit pour l'homme. Dieu ne fait rien pour Lui ;
toute la création est composée à l'intention de sa descendance.
La beauté de Dieu, qui rejaillit sur la Création et qui peut être abîmée par
l'homme, est toujours susceptible de renaître grâce au pardon. Si l'homme
rejette le pardon, il se détache de Dieu et tombe dans une vie infrahumaine
où la laideur, le mensonge et le mal dominent. S'il accepte le pardon, le
bien renaît.
Comment comprendre la quête de l'universel qui traverse l'entière histoire
du christianisme ?
L'homme cherche toujours à se retrouver dans un ensemble plus large que
lui-même, pour affermir et donner un développement à sa vie. Or, depuis ses
origines, l'Église a souhaité intégrer chaque homme dans cette grande
communauté de baptisés voulue par Dieu. Elle veut les rassembler dans une
dignité commune, une égale destinée. En cela, l'Épouse du Christ fait
magnifiquement écho à une quête qui est inhérente à l'homme lui-même. Il
s'agit toujours d'une volonté d'enrichissement en se tournant vers l'autre.
L'Esprit-Saint unit et DIEU
suscite des charismes distincts : il y a une diversité dans l'unité. L'autre
est toujours un trésor qui m'est offert par Dieu pour enrichir mon humanité
et m'aider à grandir dans ma vocation propre. À mon tour, si pauvre que je
sois, je me dois de promouvoir les richesses et les spécificités de l'autre.
Je suis aussi un don - si modeste soit-il - pour l'autre. Nous formons une
seule famille humaine, chacun apportant sa richesse propre, dans une
merveilleuse mosaïque des cultures et des traditions. Il y a des trésors de
l'humanité qui ne sont pas de vains mots. Aussi,
l'universel ne doit-il pas détruire l'identité particulière. A
travers les siècles, l'Église a pris soin de donner une place
prépondérante aux expressions locales. Le plus bel exemple fut
apporté par les rites liturgiques spécifiques, comme
le rite ambrosien,
le rite
lyonnais, ou .le
rite mozarabe.
L'Église est une et différente en chaque point de la terre.
Aujourd'hui, pour de nombreux chrétiens, il est parfois difficile de garder
confiance en l'avenir. . .
Dans une vie chrétienne, les doutes affleurent parfois, mais la confiance
revient toujours. Le meilleur synonyme du mot confiance, c'est le mot foi !
En fait, la confiance représente la plus belle manifestation de l'homme
tourné vers Dieu. Sa Parole ne peut pas me tromper ni m'égarer. La confiance
du chrétien consiste à s'abandonner totalement à la fidélité éternelle du
Christ. Aujourd'hui, une certaine littérature est hantée par le problème de
la transparence ; il semble que tout doit être transparent pour que la
sincérité existe. Mais la véritable transparence, c'est le Christ. La
confiance naît de cette lumière de la vérité qui ne s'épuise jamais. Les
circonstances peuvent devenir difficiles, les vents rudoyer notre existence,
les orages détruire nos repères humains, Jésus reste toujours avec nous : «
Heureux l'homme qui met sa confiance dans le Seigneur et dont le Seigneur
est la foi. Il est comme un arbre planté au bord des eaux, qui étend ses
racines vers le courant. Il ne craint pas la chaleur quand elle vient et son
feuillage reste vert » (Jr 17, 7-8).
Dans ses méditations, sainte Thérèse d'Avila a écrit des lignes magnifiques
sur la véritable confiance dans cet absolu du Fils de Dieu : «
Que rien ne
te trouble, que rien ne t'effraie. Tout passe,
Dieu ne change pas. La
patience obtient tout. Celui qui a Dieu ne manque de rien.
Dieu seul suffit.
»
Les moines, par la voie exigeante et pure de leur vie, montrent une
espérance sans retour en la Parole de Dieu. Ils possèdent en abondance la
simple confiance belle et exemplaire des petits enfants. Ils ont confiance
car Dieu seul leur suffit vraiment. Ils savent que Dieu ne les trompera pas.
La clef d'un si grand dépouillement dans la vie quotidienne, c'est la
confiance, la prière et l'amour absolu pour Dieu. L'amour est un feu ; ce
brasier les brûle d'un désir qui n'est pas orienté immédiatement vers
l'action, mais plutôt vers Dieu seul.
La vie tout entière des moines est consacrée à la prière. Mais comment
définir avec précision la prière ?
Si l'homme ne possède pas de puits, il ne peut pas puiser d'eau. De la même
manière, sans la prière, l'homme se dessèche car il n'a plus ni profondeur,
ni intériorité, ni fontaine pour irriguer sa vie. La prière ouvre sur une
oasis sans limites. Elle ne consiste pas fondamentalement à parler avec
Dieu. Certes, il est normal que deux amis veuillent parler pour se
connaître. De ce point de vue, Moïse est un bon exemple, qui parlait avec
Dieu dans un face-à-face sublime ; l'Ancien Testament nous dit que lorsqu'il
sortait de ces colloques intimes, son visage était illuminé. Nous ne pouvons
pas rencontrer réellement Dieu sans que sa lumière brille sur nous. Par la
prière, nous laissons Dieu graver sur notre visage la splendeur de sa Face.
En fait, la prière consiste finalement à se taire pour écouter Dieu qui nous
parle et pour entendre l'Esprit-Saint qui parle en nous. Je crois important
de dire que nous ne savons pas et ne pouvons pas prier seuls : c'est
l'Esprit-Saint qui prie en nous et pour nous. Saint Paul nous dit : «
L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes
enfant de Dieu. » II poursuit : « Pareillement, l'Esprit vient au secours de
notre faiblesse. Car nous ne savons que demander pour prier comme il faut.
Mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables.
Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Eprit-Saint » (Pan 8,
16.26).
Bien sûr, il ne fait aucun doute que les hommes doivent parler à Dieu ; mais
la véritable prière laisse Dieu libre de venir à nous selon sa volonté. Nous
devons savoir l'attendre dans le silence. Il faut durer dans le silence,
dans l'abandon et dans la confiance. Prier, c'est savoir se taire longtemps
; nous sommes si souvent sourds, distraits par nos paroles... Hélas, il
n'est pas évident que nous sachions écouter l'Esprit-Saint qui prie en nous.
Plus nous persévérons dans le silence,
plus nous aurons la chance d'écouter
le murmure de Dieu. Souvenons-nous que le prophète Elie est resté longtemps
caché dans une grotte avant d'entendre le doux murmure du Ciel. Oui, je le
redis, la prière consiste d'abord à rester longtemps silencieux.
Il nous
faut souvent nous blottir auprès de la Vierge du silence pour lui demander
de nous obtenir la grâce du silence de l'amour et de la virginité
intérieure, c'est-à-dire une pureté de cœur et une disponibilité à l'écoute
qui bannit toute présence qui n'est pas celle de Dieu. L'Esprit-Saint est en
nous, mais nous sommes souvent remplis d'orchestres qui couvrent sa voix...
La prière est un long temps de désert et d'aridité alors que nous avons
envie de rejoindre les joies faciles du monde plutôt que d'attendre Dieu.
Alors que tant de pensées nous éloignent de Dieu, il importe de ne pas
oublier que l'Esprit-Saint reste présent. Les plus grands saints ont douté
eux-mêmes de leur propre vie de prière, tellement la sécheresse était
parfois rude ; sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus se demandait même si elle
croyait dans les mots qu'elle disait dans ses prières quotidiennes.
Je crois que la prière appelle en quelque sorte une absence de mots,
car le
seul langage que Dieu entende vraiment est le silence de l'amour. La
contemplation des saints se nourrit exclusivement d'un face-à-face avec Dieu
dans l'abandon. Il n'y a de fécondité spirituelle que dans un silence
virginal, qui ne soit pas mêlé de trop de mots et de bruit intérieur. Il
faut savoir se mettre à nu devant Dieu, sans fard. La prière a besoin de
l'honnêteté d'un cœur sans tache. La virginité est l'essence même de
l'absolu où Dieu nous garde.
Dieu a enveloppé de sa lumière ineffable la pauvreté de Moïse. Il a déchargé
son cœur de toutes les difficultés. Moïse fut dépouillé pour écouter
vraiment l'espérance de Dieu. La véritable prière entraîne une forme de
disparition de notre fatras personnel.
Lorsque Jean-Paul II priait, il était abîmé en Dieu et pris par une présence
invisible, comme un roc qui semblait totalement étranger à ce qui se passait
autour de lui. Karol Wojtyla était toujours à genoux devant Dieu, immobile,
pétrifié, et comme mort dans le silence devant la grandeur de son Père. En
pensant à ce saint successeur de Pierre, je me remémore souvent cette phrase
de Jean de la Croix dans la Montée du Mont-Carmel : « Pour jouir de l'union
divine, tout ce qui est dans l'âme, grand ou petit, peu ou beaucoup, doit
mourir. »
Dieu ne se communique jamais pleinement qu'à un cœur qui ressemblerait à la
lumière pure d'un matin d'été fort de belles promesses.
Je n'ignore pas que le corps nous tire constamment en dehors de la prière.
L'homme est aussi imagination, laquelle est habile à nous entraîner pour de
si longs voyages loin de Dieu...
Ainsi, je pense depuis longtemps que la prière ne peut prendre corps que
dans la nuit. Dans l'obscurité, nous ne sommes illuminés que par Dieu. Comme
Jacob, et à l'exemple des moines, il est important d'apprendre à prier en
pleine nuit, alors que toute la création cherche le sommeil. La prière de la
nuit nous replonge dans les ténèbres de la mort de Jésus Christ, que nous
commémorons au cours des célébrations de la nuit pascale. Alors, selon
Thomas Merton dans Le Signe de Jonas10, « l'obscurité sera comme une
fontaine d'où nous sortirons lavés et illuminés, non plus séparés mais unis
dans le Christ ressuscité ».
Par la prière, l'homme est recréé dans l'immensité de Dieu ; elle est une
petite anticipation de l'éternité. Par la prière, nous ressemblons au Christ
qui aimait se recueillir toute la nuit : « Or il advint, en ces jours-là,
qu'il s'en alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à
prier Dieu » (Lc 6, 12).
Pour se situer à un autre niveau, comment définir la contemplation ?
Dans l'Ethique
à Nicomaque, (son fils) Aristote en parle admirablement. Pour ce
dernier, l'activité contemplative est par elle même l'action la plus élevée
de l'homme sur cette terre. Ainsi, la contemplation constitue l'exact
contraire de l'activité pratique ; par définition, elle est le moment le
plus important de la vie humaine. Il spécifie que la sagesse du contemplatif
comporte des plaisirs merveilleux, autant par la pureté que par la solidité.
Le sage, même abandonné à lui-même, peut encore se livrer à la
contemplation. Plus la sagesse est grande, plus la contemplation occupe une
place importante dans la vie. Aristote précise que le sage a le devoir
d'entraîner d'autres personnes vers l'activité contemplative. Il annonce les
Pères du désert et tous les contemplatifs qui ont décidé de vouer leur vie à
Dieu, sagesse et source de toute sagesse. Certes, les réalités divines dont
parle Aristote sont très loin de notre Dieu et du Christ. Le philosophe
appelait simplement à l'élévation de l'esprit et du cœur.
En fait, il y a chez l'homme une forme de nostalgie de la
compagnie de Dieu. Nous avons en nous un désir profond et une volonté d'être
face à face avec le divin. Sur le plan chrétien, la contemplation est
effectivement un cœur à cœur avec Dieu dans le silence et la solitude. Elle
est impossible dans l'agitation du monde, mais plus encore dans les
dispersions du bruit intérieur. Les tumultes les plus difficiles à encadrer
restent nos propres orages intérieurs. Avec le Christ, la contemplation ressemble à la joie de deux
amoureux qui se regardent silencieusement. Je pense souvent à ce petit
paysan qui venait chaque jour dans l'église d'Ars. Il restait de longs
moments absolument immobile devant le tabernacle. Un jour, le saint curé lui
demanda « Que faites-vous là, cher ami ? » Alors, il lui répondit : « Je
l'avise, et il m'avise. » Le petit paysan ne disait rien, car il n'avait pas
besoin de parler pour dire au Christ qu'il l'aimait ; en retour, il n'avait
pas besoin de manifestation du Fils de Dieu, car il se savait vraiment aimé.
Dans l'amour, la parole n'est pas nécessaire. Plus la vie de silence est
dense, plus l'âme est seule avec Dieu. Et plus l'âme est vierge, plus elle
se retire du monde agité. Cependant, nous ne devons pas croire que la contemplation de
Dieu n'est possible que dans le silence d'un monastère, d'une église, ou
dans la solitude du désert. Jean-Paul II exhortait les chrétiens à être,
« des contemplatifs en action ».
Dans le commentaire de saint Thomas sur
saint Jean se trouve un passage particulièrement éclairant. Jésus se tourne
vers André et Jean qui lui ont demandé : « Rabbi - ce qui veut dire Maître —
où demeures-tu ? » Et il leur répond : « Venez et voyez.
» Saint Thomas
donne ainsi un sens mystique à des paroles qui signifient effectivement que
seules la rencontre et l'expérience personnelle peuvent nous faire connaître
le Christ. Cette connaissance expérimentale de Dieu en nous est le cœur de
la contemplation. La sainte humanité du Christ est toujours le chemin pour
arriver à Dieu : le laisser parler dans le silence, devant le saint
sacrement, face à un crucifix, en la présence d'un malade qui est un autre
Christ, le Christ lui-même. Chaque âme, certes, a son chemin. Jean-Paul II
disait que si parfois il se sentait mûr pour demander des choses à Dieu, en
d'autres occasions, ce n'était pas le cas. Pour saint Thomas, il n'y a pratiquement pas de contradiction
entre la contemplation et l'activité. Ainsi, un moine peut affronter une
tempête spirituelle dans sa cellule ou dans l'église du monastère, et
retrouver Dieu après avoir travaillé dans les champs... Le sacrifice,
l'obéissance, la mortification sont susceptibles de le ramener au Père. Un
intense travail intellectuel ou manuel purifie l'esprit des préoccupations
qui rendent impossible l'union consciente à Dieu. « Ora et labora »
résume les deux voies vers la contemplation offertes non seulement aux
moines, mais à tous les disciples du Christ.
La contemplation nous entraîne vers le
divin dans un mouvement sans retour. L'homme qui contemple et rencontre son
créateur ne sera plus jamais le même ; il pourra cent fois chuter, cent fois
pécher, cent fois renier Dieu, une partie de son âme a déjà rejoint
définitivement le Ciel. Il serait regrettable que la prière se transforme en longs
bavardages indistincts qui nous éloignent de la contemplation authentique.
La prière volubile ne permet pas d'entendre Dieu. Il s'agit d'un danger de
la vie moderne où le silence se fait parfois gênant. Nous avons sans cesse
besoin d'entendre le bruit du monde : aujourd'hui, la logorrhée est une
forme de règle impérieuse, et le silence se rapporte à un échec... La contemplation représente un moment précieux de la
rencontre entre l'homme et Dieu. La lutte demeure constante mais la
victoire, superbe, est à ce prix.
Peut-être est-ce une gageure, mais pourriez-vous résumer en quelques mots
la recherche de Dieu dont vous parlez si souvent ?
Le psaume 42 dit : « Comme languit une biche auprès de l'eau
vive, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, du
Dieu vivant ; quand pourrai-je entrer et paraître face à Dieu ? » Je pense
que ces phrases expriment le désir qui est au fond de nous de manière
permanente ; l'homme a absolument besoin de Dieu, comme un nouveau-né a
besoin de sa mère. Le Père nous a faits pour lui, mais notre cœur est angoissé,
divisé par une sourde inquiétude. En fait, il attend simplement de reposer
en Dieu ; Lui seul peut nous satisfaire. Voilà pourquoi, consciemment ou
non, nous sommes constamment en recherche du Père. Il ne faut pas avoir peur de Le chercher toujours, car Dieu
est caché par tant d'événements dans notre vie, tant de tentations, tant de
fausses lumières qui nous aveuglent ; nous pouvons Le perdre facilement. Pourtant, le désir de Dieu reste inscrit dans le cœur de
l'homme. Oui, l'homme a été créé par Dieu, pour Dieu, et Dieu ne cesse de
l'attirer. Ce n'est qu'en Dieu que l'homme trouvera la vérité et le bonheur
qu'il cherche avec fièvre.
Saint Augustin a magnifiquement parlé de cette attirance éperdue de
l'homme vers la cité de Dieu, et à l'opposé de tous
les charmes périssables de la cité terrestre. L'homme souhaite l'exceptionnel, qui est Dieu, mais il ne l'a
jamais rencontré vraiment. Dans notre temps d'indifférence religieuse, la
recherche est encore plus vive. Car les choses du temps sont de connivence
avec l'éternité. Si la sécheresse de l'époque semble effrayante, il ne faut
pas oublier que la source divine reste plus présente que jamais. L'homme
peut chercher sans savoir pourquoi, ou même refuser le chemin vers Dieu ;
mais sa quête existe en profondeur. Comment savoir déceler cette soif
intérieure, pour aider l'humanité à dépasser le voile des apparences
sensibles ? Je pense que l'homme ne sera jamais indifférent devant
Dieu. Il peut vouloir l'oublier, par mode ou par esprit idéologique. Mais ce
repli frileux est circonstanciel. En ce sens, l'athéisme n'existe pas.
Paradoxalement, le fait même de ne pas croire est déjà la proclamation d'une
foi refoulée.
L'Eglise parle du bonheur surnaturel. Quelle est la signification de
cette expression ?
Pour les théologiens, la béatitude consiste à voir et à
posséder Dieu. Sur la terre, nous ne voyons pas Dieu ; nous savons qu'il
existe, mais nous ne Le voyons pas. D'après saint Thomas, la vision de Dieu
dans le Ciel sera immédiate. Sur la terre, nous voudrions aimer de tout notre cœur, mais
nous n'y arrivons pas. Pourquoi ? Parce que nous ne voyons pas Dieu. Au
Ciel, notre âme sera silencieuse, parfaitement docile et transparente à la
lumière. L'âme sera immobile. La perpétuelle inquiétude de l'homme sur la
terre le conduit à la poursuite de fugitives apparences. Au Ciel, nous
posséderons l'être. La promesse d'une transformation et d'une résurrection ne cesse d'étonner
depuis plus de deux mille ans. Il est certes difficile de se préparer sur
cette terre au véritable bonheur du Ciel. La seule méthode sûre est de
rester uni à Dieu présent dans notre cœur. La vision de l'éternité ne nous
est pas donnée pendant notre vie présente, mais nous avons la foi qui est
une possession dans les ténèbres. En ce monde, la certitude de la perfection de Dieu doit nous
suffire. Saint Augustin a exprimé ce sentiment dans une formule paradoxale
et célèbre. Dans les Confessions, il écrit : « Mon Dieu, si vous me
proposiez de changer, de faire que moi, je devienne Dieu, et Vous Augustin,
je dirais : Non ! J'aime mieux que vous soyez Dieu et moi Augustin ou
n'importe quoi, qu'est-ce que ça fait ? C'est Vous qui êtes mon bonheur, ce
n'est pas moi. »
Les chrétiens savent qu'à la fin des temps le Christ reviendra dans la
gloire. Selon la Bible, il sera escorté de tous les anges, et devant lui se
rassembleront les peuples. Il séparera les hommes, comme le berger sépare
les brebis des boucs. Il placera les uns à sa droite, pour vivre avec lui
dans l'éternité, et les autres, qui ont choisi leur position, resteront
éloignés de sa lumière. La cité terrestre n'est pas notre véritable patrie ;
elle est un moment transitoire. Nous sommes nés pour faire un grand voyage
vers la cité de Dieu et devenir « concitoyen des saints, habitants de la
maison de Dieu » (Ep 2, 19).
Malgré cette destination sublime, nous sommes appelés ici-bas à être les
artisans de Dieu, pour que des gouttes de l'éternité descendent déjà dans ce
monde. La vision du Ciel ne peut pas nous faire oublier que nous devons
combattre les puissances du mal qui cherchent sans relâche à corrompre
l'humanité créée par Dieu. Le règne de Dieu doit commencer hic et nunc.
Sur terre, nous avons le trésor de la prière, qui est la langue du Ciel.
Dans cette langue, tous les mots ne font que traduire une seule pensée, une
seule vérité qui bientôt envahit l'âme et la pénètre entièrement pour la
diriger et l'ennoblir ; cette vérité, le Christ lui-même l'annonce : je suis
l'amour infini ; tout ce qui est à moi je vous le donne en sorte que nous
soyons unis comme le Père et le Fils sont unis (Jn 17, 22-23).
Le latin dit : « Soli Deo ». Dieu seul doit toujours aimanter l'homme ?
L'homme ne doit pas être tourné vers lui-même. C'est l'orientation
exactement inverse qui lui assure l'équilibre et la vie. Il faut que l'homme
s'arrache à lui-même. Tant qu'il est enfermé dans son ego, sa propre prison
intérieure reste un véritable enfer.
Dieu seul est la voie ouverte par laquelle nous pouvons échapper à
nous-mêmes. C'est la pensée de Dieu seulement qui peut nous donner à la fois la liberté
et la pureté, et l'équilibre entre l'une et l'autre. Ce n'est pas en prenant
modèle sur les hommes, même sur les meilleurs, que nous saurons ce que nous
devons faire, mais en nous tournant vers Dieu ; c'est Lui qui nous montrera
quels sont les sacrifices qui nous sont demandés, et c'est Lui seul aussi
qui nous donnera la force de les faire.
Lorsque nous sommes dans l'obscurité et que nous ne parvenons plus à voir
Dieu, ni même son idéal, il faut avoir un peu de courage en restant
patiemment tournés vers Lui. Dans ces heures sombres, nous avançons plus
rapidement vers le but. Les tunnels de la foi sont des raccourcis vers Dieu
; se distraire alors, c'est perdre de grandes grâces. Tant de saints en ont
fait l'expérience...
Si nous sommes fidèles à diriger toujours patiemment notre âme vers la
lumière divine, nous deviendrons lumineux à notre tour, comme les fleurs
prennent la ressemblance du soleil.
L'orientation normale produira l'ordre, l'équilibre, la tranquillité et la
paix. Alors, nous serons sur le chemin de la sainteté qui consiste à
s'intéresser à Dieu plus qu'à soi-même et à vivre de sa beauté éternelle.
Il s'agit du testament spirituel de Mère Teresa de Calcutta, qui pouvait
écrire à la fin de sa vie : « Efforcez-vous de marcher dans la présence de
Dieu, de voir Dieu en tous ceux que vous rencontrez, particulièrement dans
les rues, irradiez la joie d'appartenir à Dieu, de vivre avec Dieu, d'être
de Lui. »

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Sources : Extraits de la deuxième partie "Dieu
ou rien" - Entretien du cardinal Sarah avec Nicolas Diat -
E.S.M
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.10.2023
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