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19 Avril 2005
 

Taizé, clé de l’histoire religieuse du XXe siècle ?

 

Rome, le 09 Juin 2008 - (E.S.M.) - Yves Chiron vient de publier une biographie plaisante à lire et fort bien documentée de frère Roger Schütz (1915-2005), le fondateur de Taizé assassiné peu après l’élection de Benoît XVI (1). Présentation d’un personnage et d’une œuvre qui ont marqué leur temps.

Frère Roger recevant publiquement la sainte communion des mains du cardinal Ratzinger -  Pour agrandir l'image: Cliquez

Taizé, clé de l’histoire religieuse du XXe siècle ?

Jacques Bordelais

« Il est impossible de retourner à Rome parce que Rome ne s’est pas réformée » déclarait en 1948 Frère Roger Schütz, le fondateur et « prieur » de Taizé, la célèbre communauté monastique réformée. Or, lors des obsèques de Jean Paul II, le même frère Roger étonnait beaucoup de catholiques, et d’autres, en recevant publiquement la sainte communion des mains du cardinal Ratzinger/Benoît XVI. À commencer par le Cardinal Barbarin. Celui-ci, qui aime les situations claires, posa donc la question de sa conversion. Il lui fut répondu officiellement que « Frère Roger Schütz [était] formellement catholique ». Admirons le « formellement », qui peut se comprendre de différentes façons.
C’est Max Thurian son fidèle second, lui-même converti et devenu prêtre catholique, qui donne la clef de cette communion : « Avec [Paul VI], la conviction s’est précisée en moi que tout l’apport positif de la Réforme avait été assumé dans la foi catholique par le concile Vatican II, avec toutes les corrections nécessaires ».
Le livre d’Yves Chiron est parfaitement informé et objectif. Il souligne la si forte vocation monastique, le grand sens de l’Eucharistie, de la Tradition et de l’Église de Frère Roger et de ses disciples. Quand on connaît les précédents de ce genre, de Newman au Père Bouyer, on pouvait imaginer que leur rentrée dans l’Église catholique, avec l’aide de Dieu, était plus que prévisible.
Mais l’histoire de Taizé est bien autre chose. Roger Schütz, outre sa foi et sa piété indiscutables, avait un charisme, ou un charme, extraordinaire qui fascina tous ses interlocuteurs. Évêques, nonces, cardinaux et papes, catholiques, orthodoxes, agnostiques, de Roncalli à Ottaviani, de Tisserand à Mitterrand, d’Athénagoras à Desmond Tutu, et de Pie XII à Jean-Paul II. « Il est droit, il est direct, il me parle avec l’acier des yeux » écrivait un Jean Guitton… Seuls les réformés, du début à la fin, ont toujours été plus que réservés.
Taizé et son fondateur ont joué un rôle essentiel dans deux grands événements de la seconde moitié du XXe siècle : le déroulement du second Concile du Vatican et la révolution liturgique.

Influence sur le Concile

Tout a commencé avec des rencontres préliminaires évêques-pasteurs, puis la « représentation permanente de Taizé à Rome », qui a joué un rôle central dans le retournement du Concile. Dès l’ouverture, presque tous les jours, dans l’appartement de la via del Plebiscito, une noria incessante d’évêques et de cardinaux venaient entendre les commentaires, les critiques, les encouragements, on n’ose écrire les orientations de Taizé. Les prélats allemands, français et néerlandais, les plus obnubilés par le rapprochement avec les protestants, étaient les plus assidus. Et Max Thurian faisait officiellement son débriefing à Saint-Louis des Français !
L’histoire exhaustive et vraiment objective de ce Concile reste à écrire, mais il est maintenant évident que l’influence des frères Roger Schütz et Max Thurian a été importante. Ils ont contribué, par exemple, à ce que le schéma sur la Sainte Vierge ne soit pas l’objet d’un texte indépendant. Néanmoins, le nouveau pape à peine élu, Paul VI, tenait à ce schéma sur la Vierge qui a finalement été inclus dans la Constitution dogmatique sur l’Église, Lumen Gentium. Le jour de clôture de la troisième cession, Paul VI créa même la surprise en attribuant à Marie le titre de « Mère de l’Église », ce qui fit dire aux progressistes hollandais proches des protestants qu’ils venaient de vivre la « semaine noire » du Concile (le pape venait également d’ajouter à Lumen gentium la Nota explicativa praevia sur la collégialité qui en donnait une interprétation limitative).

Ces événements montrent qu’il n’est pas possible d’analyser le Concile seulement comme un jeu d’influences « politiques ». Certes, ces influences existent et il est légitime et même nécessaire de les analyser, mais il est remarquable de constater que, malgré elles, les textes du Concile sont demeurés totalement catholiques – l’Esprit Saint n’a pas déserté ce seul Concile !
Pour revenir aux frères Roger Schütz et Max Thurian, l’ambiguïté venait du fait que leurs interlocuteurs les considéraient comme des pasteurs représentants officiels du protestantisme alors qu’ils ne représentaient qu’eux-mêmes. Leur succès tenait au fait qu’ils incarnaient parfaitement toutes les aspirations, mais aussi les illusions et le sentimentalisme de l’époque. Et ces années 60-70 étaient une drôle d’époque. Pour ne prendre qu’un exemple, quand le « bon pape Jean » confie à frère Roger que « l’Église catholique n’a pas toute la vérité, il faudra chercher ensemble… », on saisit mieux l’intention irénique que la précision doctrinale, puisque même frère Roger qui rapporte le propos ne peut s’empêcher de le juger « formellement hérétique » !
Le « talent » de frère Roger est d’avoir été l’interprète, le medium de son temps. Outre un sens magistral des relations publiques, toujours admirablement pensées et contrôlées, il a été un concepteur hors pair de ce qu’on appelle maintenant « stratégies événementielles ». Des rencontres internationales des jeunes aux favelas de Rio, des « missions volantes » aux « semaines du jeûne œcuménique », des jonques de Hong Kong aux palais présidentiels, des révolutionnaires des FARC (eh oui) au « concile des jeunes », la presse a été pendant plus de trente ans pleine du bruit de Taizé. Et, là aussi, il a fait école, que l’on pense aux JMJ !
Et, malgré le proverbe, le bruit n’empêche pas toujours le bien.

Influence sur la liturgie

Ici, l’histoire reste encore à écrire. Mais l’écart, le fossé ou le gouffre qui existent entre la Constitution sur la Liturgie et son « application » sont devenus un lieu commun. Les textes sont clairs sur le rôle primordial du latin et du grégorien, comme sur l’autorisation mesurée des langues vernaculaires. On sait ce qu’il en est advenu jusqu’aujourd’hui. Mais considérons rapidement le reste.
Qui a initié le retournement des autels et la célébration face au peuple (sans qu’aucun texte officiel en ait jamais parlé) ?
Qui a initié de façon informelle la prise en main des Saintes Espèces ?
Quelle autorité a remplacé le surplis par l’aube sans cordon de ceinture ?
Qui a relancé la « poignée de mains » de Paix avant la Communion ?
Pour qui le Père Gélineau a-t-il mis en musique les psaumes et les cantiques chantés un peu partout encore aujourd’hui ?
La réponse est toujours Taizé, Taizé, Taizé. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de critiquer systématiquement toute évolution. Mais de faire un constat. Bornons-nous donc à deux remarques. Les communautés de la Réforme protestante n’ont, elles, accepté aucune des « innovations » de Taizé. Ni l’office des heures, ni la solennité liturgique, ni la réserve eucharistique, ni les icônes de la Mère de Dieu. Elles les ont même expressément rejetées. Pensons par exemple à la prohibition de l’aube faite aux nombreux pasteurs suisses qui l’avaient adoptée dans les années 90. De plus, certaines innovations liturgiques comme le retournement des autels, l’abandon de la prière ad orientem, ou la Communion dans la main nous séparent totalement de toute la tradition de l’Église indivise et des chrétiens d’Orient. Alors que d’autres évolutions, comme l’usage de la langue vernaculaire (si elle est indispensable) ou la concélébration, nous rapprochent de leurs antiques disciplines. Ce critère de la conformité aux usages orientaux inchangés serait d’ailleurs intéressant à approfondir.
Mais il faut aussi noter que Taizé a contribué à faire bouger les esprits et les cœurs. Au-delà de toutes les illusions et confusions, il est indiscutable que la réconciliation entre les chrétiens qui ne se connaissaient plus est passée par la colline bourguignonne.
Le fond de tout cela, comme le souligne à plusieurs reprises Yves Chiron, c’est que le frère Roger Schütz ne supportait pas les ruptures : « Aimer autant les intégristes que les progressistes » ; ou encore : « Pas d’ouverture sans profondeur, pas de profondeur sans ouverture. Ceux qui sont attirés par l’ouverture iront-ils visiter ceux qui sont attachés à la profondeur, et réciproquement, pour tenter de se comprendre ? » Son espérance était « que les réformes accomplies par l’Église elle-même finiraient par faire perdre sa raison d’être à la Réforme protestante ». Pour ce qui le concerne, sa piété eucharistique, son amour du Siège romain et son sens de la Tradition l’avaient certainement emporté.
Le « prieur » de Taizé a donc pu « devenir » catholique sans renier et encore moins abjurer le protestantisme ! Les notions de « dépassement » ou de « double appartenance », qui lui étaient si chères, étaient et sont pourtant clairement rejetées par les théologiens aussi bien catholiques que protestants ; mais c’est bel est bien ce qui a été fait. Et on ne peut pas le reprocher au frère Roger puisque cette confusion ou cette exception, a été acceptée, voire encouragée au plus haut de l’Église.
Comment interpréter le fait que le successeur du frère Roger ait été désigné par lui et non élu selon la tradition de tous les moines cénobites et de tous les ordres religieux ? Et que celui-ci soit catholique ?
Aujourd’hui, les perspectives ont changé. Après la confusion des années 68, on a compris que l’on ne peut rien construire sur le flou et les ambiguïtés. On a compris que le chemin de l’œcuménisme passe d’abord par les Églises dont ne nous séparent que des incompréhensions (les préchalcédoniens Coptes, arméniens, syriaques) ou des ruptures historiques (orthodoxes). C’est la conviction et l’espérance du pape Benoît XVI.
En revanche, pour les chrétiens de la Réforme, puissent la vie et la foi extraordinaires du frère Roger de Taizé constituer un modèle et un exemple prophétiques, car, finalement, malgré les ambiguïtés, il est remarquable que Taizé ait conduit ses deux fondateurs du protestantisme au catholicisme !

(1) Yves Chiron : Frère Roger, Perrin, 2008, 416 pages.

Source : La Nef n°194 de juin 2008

 

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