Légionnaires du Christ. Les dix
questions du père Richard Gill |
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Rome, le 09 février 2011 -
(E.S.M.)
- Elles concernent les points encore obscurs du "mystère" de
Marcial Maciel. Mais il y a aussi d'autres obstacles au sauvetage de la
Légion du Christ. Le rapport d'un ancien dirigeant, qui est aujourd'hui
prêtre du diocèse de New-York
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Légionnaires du Christ. Les dix
questions du père Richard Gill
par Sandro Magister
Le 09 février 2011 - E.
S. M. - L'opération visant à sauver la Légion du Christ du
gouffre dans lequel l'a précipitée son fondateur, Marcial Maciel, a été
marquée par deux nouveautés au cours des dernières semaines.
Le 31 janvier, le cardinal Velasio De Paolis, le délégué auquel Benoît XVI a
donné les pleins pouvoirs dans cette affaire, a fait passer de quatre à six
le nombre de membres du conseil général de la congrégation.
Parmi les conseillers déjà en place continuent à figurer les deux principaux
personnages de l’équipe de direction constituée en son temps par Maciel et
qui lui était très étroitement liée : le directeur général Álvaro Corcuera
et le vicaire général Luís Garza Medina, Mexicains l’un et l’autre.
En revanche, les deux nouveaux conseillers qui ont été nommés par le délégué
pontifical sont Espagnols : il s’agit de Juan José Arrieta Ibarrechebea,
curé de Notre-Dame de Guadalupe, la paroisse romaine confiée aux
Légionnaires, et de Jesús Villagrasa, professeur de philosophie à l'Athénée
Pontifical "Regina Apostolorum".
Le cardinal De Paolis les a choisis parmi les quinze candidats qui avaient
recueilli le plus grand nombre de voix de la part de tous les prêtres et
religieux ayant prononcé des vœux perpétuels dans la congrégation, auxquels
il avait été demandé d’indiquer leurs préférences.
D’aucuns voient dans ce geste un petit pas en avant – accompli au rythme de
tortue, lent mais inexorable, qui caractérise le délégué pontifical – sur le
chemin du renouvellement de l’équipe dirigeante de la Légion.
*
La seconde nouveauté est l'institution par le cardinal De Paolis d’une
"Commission d’assistance".
Celle-ci sera chargée de prendre contact avec les victimes d’abus sexuels
commis par Maciel et de recueillir leurs demandes. Elle devra ensuite
présenter un rapport au délégué pontifical, qui décidera ce qu’il convient
de faire.
Cette commission, qui est présidée par Mgr Mario Marchesi, vicaire général
du diocèse de Crémone et conseiller du délégué pontifical, est composée de
quatre membres. Deux d’entre eux font partie de la Légion : Florencio
Sánchez, aumônier de l’Université Francisco de Vitoria à Madrid, et Eduardo
Robles-Gil, directeur de "Regnum Christi" à Mexico. Les deux autres ont été
choisis en dehors de la Légion : Silverio Nieto Nuñez, prêtre du diocèse de
Madrid, directeur du département de droit civil de la conférence des évêques
d’Espagne, et Jorge Adame Goddard, membre d’un institut de recherches
juridiques et professeur de droit à l’Université Panaméricaine, au Mexique.
Le site web des Légionnaires du Christ a publié les adresses, postale et
électronique, auxquelles les victimes de Maciel qui souhaitent être
entendues peuvent écrire.
D’aucuns voient également dans le lancement de cette commission un pas en
avant dans l’action entreprise pour libérer la Légion des conséquences des
méfaits du fondateur.
*
Cependant il est évident que le succès final de l'opération de sauvetage de
la Légion du Christ reste encore très incertain, en dépit des efforts du
Saint-Siège.
Pour se faire une idée des points positifs et négatifs, au cours de cette
phase de lancement, on peut lire ci-dessous l'intervention d’un observateur
d’une importance notable.
Il s’agit de Richard Gill, qui a été prêtre chez les Légionnaires du Christ
pendant 29 ans et a longuement dirigé "Regnum Christi" aux États-Unis. Il a
quitté la Légion il y a un an et est incardiné dans le diocèse de New-York.
L'analyse de Gill est d’un grand intérêt. En particulier là où elle démontre
que l’héritage de Maciel continue à peser négativement sur la Légion à
travers ses supérieurs, qui étaient liés à lui et qui dirigent encore la
congrégation à l’heure actuelle.
LA LÉGION DU CHRIST PEUT-ELLE ÊTRE RÉNOVÉE ?
par Richard Gill
Il y a un peu plus d’un an, j’ai décidé que je ne pouvais plus, en
conscience, continuer à faire partie des Légionnaires du Christ et j’ai
entrepris des démarches pour être incardiné dans le diocèse de New-York en
tant que prêtre diocésain. Les révélations concernant la sordide double vie
de l’homme qui avait créé la Légion du Christ, feu le P. Marcial Maciel,
sont bien connues. Sa vie marquée par un comportement sexuel déviant, par de
la corruption, par de mauvais traitements, par l’abus de la confiance de
plusieurs papes, a fait naître de sérieux doutes quant au fait qu’un
authentique charisme ait pu être transmis par un tel homme. Ces questions
sont encore largement sans réponses à l’heure actuelle. Bien que le
Saint-Siège ait fait un effort extraordinaire et impliqué un grand nombre de
gens dans la réforme la Légion au cours des années à venir avec l’espoir de
la sauver, un groupe d’enquêteurs du Vatican a parlé de Maciel comme d’un
“homme dépourvu de sentiment religieux” et le Saint Père lui-même l’a
qualifié de “faux prophète”. Il n’est pas exagéré de dire que Marcial Maciel
a été, de loin, le personnage le plus méprisable de l’Église catholique au
vingtième siècle et qu’il a fait plus de tort à la réputation de celle-ci et
à sa mission d’évangélisation que n’importe quel autre dirigeant de l’Église
pris individuellement.
Mais ce qui pesait sur moi encore plus que les scandales dont le P. Maciel
s’était rendu coupable, c’est le fait que les actuels dirigeants de la
Légion, une fois qu’ils en ont été informés, n’ont pas agi ou qu’ils ont agi
d’une manière telle qu’ils ont constamment induit les Légionnaires en
erreur. Ils ont cherché à maintenir une unité extérieure au détriment de la
confiance, de l’honnêteté, des réformes nécessaires et de la transparence. À
la suite des révélations à propos de Maciel, ils se sont systématiquement
efforcés de nier et de minimiser les faits relatifs au P. Maciel,
manifestant ainsi une attitude profondément troublante de paternalisme
vis-à-vis de leurs propres religieux. C’était comme si les prêtres et
religieux n’avaient pas eu le droit d’être informés d’affaires graves ayant
un impact sur leur avenir, leur liberté et le don de leur vie à la
Congrégation. J’en suis venu à admettre que ce type de comportement était le
fruit d’une culture interne créée par le P. Maciel et extrêmement difficile
à changer, même avec l’assistance du Saint-Siège.
J’écris maintenant comme quelqu’un qui est à l’extérieur et observe ce qui
se passe, mais, bien évidemment, je continue à m’intéresser vivement aux
Légionnaires parmi lesquels j’ai servi pendant 29 ans. Les Légionnaires de
ma génération et de celle qui a suivi étaient des jeunes gens idéalistes qui
voyaient dans la Légion une grande force capable de contribuer au
renouvellement de l’Église et de collaborer avec le pape Jean-Paul II au
nouveau printemps de l’évangélisation. Ce dans quoi nous nous étions
engagés, motivés par un zèle authentique et par une espérance juvénile,
s’est avéré une accablante démonstration du côté humain de l’Église, qui a
laissé beaucoup d’entre nous très profondément désabusés. J’espère
sincèrement que le projet de réforme va réussir, parce que je sais par
expérience que la Légion compte un grand nombre de prêtres pleins de talent,
intelligents, actifs et saints, qui ont beaucoup à apporter à l’Eglise s’ils
sont correctement dirigés.
En dépit des efforts faits pour aller de l’avant comme si tout était normal,
la situation au sein de la Légion est compliquée et divisée. Environ 70
prêtres sur plus de 800 ont quitté la Congrégation. Parmi ceux qui sont
restés, certains espèrent de manière passive que le Vatican va simplement
dicter à la Légion le chemin à suivre. D’autres désirent sincèrement une
réforme, mais ils ne font aucunement confiance aux supérieurs actuels. Les
supérieurs ont découragé la discussion ouverte sur les questions à débattre
en se référant à la nécessité d’être charitables et miséricordieux envers
Maciel. Il reste beaucoup d’ignorance à propos de ce qui s’est passé et des
raisons pour lesquelles le scandale a perduré pendant tant de décennies.
L’obéissance, fondée sur l’idée que pour les Légionnaires un supérieur
représentait la volonté de Dieu, est devenue pour beaucoup d’entre eux une
tension et un malaise. Beaucoup ont fini par se rendre compte que la
direction spirituelle dynamique qui est nécessaire dans une telle crise a
fait et continue à faire gravement défaut.
Les vocations ont chuté vertigineusement dans des endroits comme les
États-Unis. Les opérations de collecte de fonds ont été gravement affectées,
ce qui a conduit à la décision de vendre un certain nombre de biens d’une
grande valeur et de se décharger d’apostolats importants afin que la Légion
puisse assurer le remboursement de ses lourdes dettes. La situation est très
semblable en Espagne, où les vocations sont très peu nombreuses depuis
plusieurs années et où, actuellement, la Légion est également aux prises
avec de graves difficultés financières et se trouve contrainte de vendre des
écoles et d’autres biens pour financer ses activités.
Le cardinal De Paolis, nommé délégué du Saint Père en juillet dernier, a
jusqu’à maintenant avancé avec lenteur dans le processus de réforme, qui en
est encore à ses étapes initiales. Dans une conférence qu’il a donnée aux
Légionnaires à Rome le 3 janvier, il a présenté les grandes lignes d’un
processus de révision des constitutions de la Légion élaboré par une
commission composée de ses assistants et de plusieurs prêtres Légionnaires.
De Paolis a insisté sur le fait que ce travail serait fait à un rythme
mesuré et s’étendrait sur trois années, couvrant en 2011 “l’identité et la
spiritualité” de la Légion, puis en 2012 le système de formation, et enfin
en 2013 le gouvernement et l’administration de la Légion. Après cela viendra
probablement le temps de la rédaction [des nouvelles constitutions], de
[leur] approbation par un Chapitre Général spécial convoqué à cet effet et
de l’approbation finale par le Saint-Siège. Il semble que ce processus va
durer jusqu’en 2014 ou 2015 au moins.
Le 1er février, la Légion a annoncé la constitution d’une “Commission
d’Assistance” de cinq personnes chargées de recevoir les plaintes des
victimes de Maciel et de faire des recommandations au cardinal De Paolis. Il
y aura bientôt une autre commission chargée d’étudier les finances de la
Légion. Un quatrième champ de travail est celui de la Visite Apostolique aux
hommes et femmes consacrés de Regnum Christi, qui est actuellement en cours
avec l’évêque espagnol Ricardo Blasquez.
De Paolis a insisté pour que chaque Légionnaire prenne part au processus de
révision des constitutions et qu’il le fasse dans un esprit de dialogue et
de respect fraternels. Il est difficile d’exagérer l’énorme changement de
modèle que cela représente pour les Légionnaires, puisqu’il était admis que
la constitution de Maciel exprimait la volonté de Dieu en détail. Le
cardinal De Paolis a renversé cette croyance des Légionnaires et il leur
demande de prendre la responsabilité de remodeler la Légion sous sa
direction. Le P. Maciel étant complètement discrédité aux yeux de De Paolis
et ne constituant en aucune manière un point de référence pour l’avenir,
personne ne peut prédire avec certitude quelle nouvelle forme va prendre la
Légion.
La manière dont le cardinal De Paolis aborde le problème montre que le
Vatican a beaucoup réfléchi au processus. L'an dernier une tentative des
supérieurs de la Légion pour qu’il donne très rapidement son approbation à
une version révisée de la constitution a été immédiatement rejetée. Il y a
beaucoup à dire en faveur d’un délai plus long pour réaliser les réformes
nécessaires, dans la mesure où [le cardinal] ne s’occupe pas simplement de
détails techniques juridiques permettant à la Légion de mieux se conformer
au droit canon, mais d’un changement complet de culture interne. Un tel
changement, dans n’importe quelle organisation existant depuis soixante-dix
ans et comptant des milliers de membres, demande du temps, de la réflexion
et de l’assimilation.
En dépit de ces signes positifs, plusieurs difficultés se manifestent dans
la manière dont le cardinal aborde actuellement le problème, à savoir :
1. La Légion comme “œuvre de Dieu”
Dans sa lette du 19 octobre 2010 aux Légionnaires qui a marqué le début de
son travail en concertation, [le cardinal] a écrit que la Légion était une
“œuvre de Dieu”. Il n’a pas expliqué en quel sens c’était une œuvre de Dieu,
ni comment Dieu avait utilisé un homme comme Maciel. Apparemment il
s’agissait pour lui d’un point acquis. L’une des principales difficultés
créées par cette concession est que, pour les “macielistes” loyaux, cette
expression est riche de sens. Parce que, pour Maciel lui-même, qui appelait
sans cesse la Légion une “œuvre de Dieu”, elle signifiait que chaque détail
des constitutions et des règles était inspiré par le Saint-Esprit et ne
pouvait pas être remis en question. Une telle concession de langage
prématurée a été une grave erreur, à cause de laquelle les Légionnaires ont
plus de difficultés à comprendre qu’il existe des points gravement
défectueux dans la structure et dans la spiritualité que Maciel a laissées
derrière lui comme son héritage.
Un tel langage élude également ce qui constitue un gros problème au cœur du
scandale : en quel sens y a-t-il un authentique “charisme” à la Légion du
Christ ? Affirmer simplement qu’elle est œuvre de Dieu ne la rend pas telle,
même si c’est le Délégué Pontifical qui le dit. Ce qu’il faut, c’est
expliquer comment un charisme valable, approuvé, peut exister à la Légion
malgré le P. Maciel.
Ce qu’il faudrait également éclaircir, c’est en quoi consiste précisément ce
charisme. Pendant la vie du P. Maciel il y a eu différentes versions à
différents moments, à cause du changement des expressions utilisées par
Maciel lui-même, comme “formation des leaders”, “ action très efficace”,
“charité évangélique”. Les Légionnaires étaient toujours passablement
embarrassés de ne jamais pouvoir être vraiment d’accord sur ce qu’était leur
charisme, et encore moins de l’expliquer aux autres. Pour dire les choses
avec modération, la Légion doit reconnaître qu’elle a vécu dans une grande
ambigüité à ce sujet.
On peut espérer que ce sujet sera, de la part des Légionnaires, l’objet de
longues prières mais aussi de discussions et d’efforts de discernement
ouverts et honnêtes. Il faudra consulter abondamment des experts en histoire
de l’Église, en théologie et en droit canon.
2. Enquête sur les origines et l’histoire du scandale
Une autre difficulté provoquée par le cardinal De Paolis est qu’il semble
avoir décidé de ne pas répondre positivement à ceux qui demandent, à propos
de l’ensemble du scandale Maciel, une enquête plus approfondie que celle qui
a été menée par les visiteurs apostoliques en 2009-10. Cette enquête a
largement consisté en interviews de Légionnaires actuels et a été concentrée
sur la détection d’irrégularités dans le mode de vie de la Légion. Elle n’a
pas abordé directement les faits relatifs au P. Maciel, ni le récit des abus
sexuels commis par lui sur des mineurs, ni le fait qu’il a entretenu au
moins deux maîtresses et trois enfants, ni les irrégularités financières
dues à son mode de vie. À plusieurs reprises le cardinal a indiqué
clairement que sa tâche était de superviser les efforts de réforme plutôt
que de faire un travail judiciaire supplémentaire.
La question plus générale qui se pose est celle de la nécessité de faire
toute la lumière sur l’histoire de la Légion et de Maciel. Ni la Légion ni
le Vatican n’ont fait une enquête approfondie qui apporte des réponses à des
questions comme celles qui suivent :
Comment le P. Maciel a-t-il pu être reconduit comme supérieur général en
1959, après avoir été suspendu pendant les 2 ans et demi que dura une
enquête menée par le Vatican à propos de sa conduite ? Les accusations
lancées contre lui à cette époque se sont toutes révélées vraies. Il fut
autorisé à revenir, s’adonna de nouveau à des abus sexuels et continua à
mener une vie immorale, allant jusqu’à devenir père d’enfants, tout en
restant supérieur général jusqu’en 2005.
Comment a-t-il réussi à obtenir du pape Paul VI, en 1965, un Décret de
Louange pour sa congrégation ?
Qu’y a-t-il derrière la disparition matérielle de Maciel de la Congrégation
pendant près d’un an à la fin des années 70 ? Pourquoi les autres dirigeants
de la Légion n’ont-ils rien fait ? On a découvert que l’un de ses enfants
était né pendant cette période. Maciel disparaissait régulièrement pendant
des semaines ou un mois sans que personne ne pose de questions.
Comment a-t-il pu mener une double vie pendant plusieurs décennies, avoir au
moins trois enfants de deux maîtresses sans que personne ne remarque rien ou
ne devienne son complice ?
Puisque les supérieurs de la Légion savaient en général qu’il était rare que
Maciel dise la Messe, récite le bréviaire ou prenne part à des retraites,
comment se fait-il que personne n’ait pris garde à ces signaux d’alarme ?
Comment se fait-il que personne n’y ait vu le signe d’une vie spirituelle
faible, comme on l’aurait fait pour n’importe qui d’autre ?
Comment les constitutions de la Légion - dont on reconnaît aujourd’hui les
graves défauts et les contradictions avec le droit canon et qui sont en
cours de révision - ont-elles pu être approuvées en 1983 sous la direction
du cardinal Pironio, ancien préfet de la congrégation pour les religieux ?
Comment un homme tel que Maciel a-t-il pu entrer en contact avec le pape
Jean-Paul II et le tromper pendant de nombreuses années ?
Comment peut-on expliquer que les cardinaux Angelo Sodano, ancien secrétaire
d’état du Vatican, et Franc Rodé, ancien préfet de la congrégation pour les
religieux, aient constamment défendu Maciel et qu’ils aient encouragé les
Légionnaires à le tenir en haute estime, même après que la congrégation pour
la Doctrine de la Foi l’eut blâmé avec l’approbation du Saint Père en 2006 ?
Que penser de la culture interne du Vatican quand on apprend qu’en 2004, à
l’occasion de ses 60 ans de sacerdoce, Maciel reçut les félicitations du
cardinal Sodano alors même qu’il faisait l’objet d’une enquête de la
congrégation pour la doctrine de la foi dirigée par le cardinal Josef
Ratzinger ?
Comment se fait-il que les supérieurs de la Légion aient pu promulguer à
l’usage des Légionnaires une version des statuts de Regnum Christi
différente de celle qui avait été approuvée en 2004 par le cardinal Rodé ?
Tant que le mystère du P. Maciel, de ce qu’il a fait et comment, n’aura pas
été convenablement éclairci, beaucoup de gens douteront de la pertinence de
quelque réforme que ce soit. On continuera à se demander comment les
Légionnaires et les dirigeants du Saint-Siège ont pu être conquis à un tel
point par cet homme, pourquoi personne au sein de la congrégation n’a jamais
fait d’objections ou, si quelqu’un en faisait, pourquoi on n’en tenait pas
compte. Qu’y avait-il dans la culture interne de la Légion pour que des
hommes par ailleurs très intelligents aient pu être ainsi trompés ? Et l’on
ne voit pas très bien comment le Vatican va pouvoir tirer de la débâcle de
Maciel les leçons nécessaires afin de se réformer lui-même à l’intérieur et
d’éviter que d’autres drames du même genre ne se produisent à l’avenir.
3. La question de la responsabilité
Une troisième point faible de l’actuelle façon de procéder est
qu’apparemment on ne se préoccupe pas de demander aux individus des comptes
en ce qui concerne leur rôle dans la dissimulation aux autorités de l’Église
de ce qu’ils savaient du comportement de Maciel, ou même en ce qui concerne
leur collaboration avec Maciel par une coopération formelle à ces crimes. Il
s’agit certainement d’un domaine complexe, en raison du pouvoir
psychologique et spirituel que Maciel exerçait sur beaucoup de gens. Le
communiqué publié le 1er mai par le Vatican affirme que la grande majorité
des Légionnaires n’était pas au courant de la double vie de Maciel, parce
que celle-ci était bien cachée. Mais certains Légionnaires qui étaient
membres de la Congrégation dès les années 40 et 50 ont reconnu qu’ils
étaient informés des abus sexuels commis par Maciel ou de sa toxicomanie et
pourtant ils ont inculqué le culte du fondateur aux jeunes Légionnaires qui
croyaient comme parole d’évangile leurs histoires relatives à l’héroïsme de
Maciel. Maintenant on sait que ces histoires étaient en grande partie
inventées par Maciel et par d’autres. Il y a un besoin urgent de mettre au
jour la véritable histoire de la Légion et de faire apparaître la
responsabilité de ceux qui ont déformé la vérité et induit en erreur des
générations de jeunes Légionnaires, sans parler du Saint Père et de
l’ensemble de l’Église.
Il y a par ailleurs un groupe de secrétaires privés et de collaborateurs
personnels qui, pendant des années, ont voyagé avec Maciel, organisant ses
déplacements et lui fournissant les fonds nécessaires pour ses activités. Ce
groupe doit certainement avoir une part de responsabilité dans la
dissimulation de la vie perverse de Maciel aux autres Légionnaires et aux
autorités de l’Église. Il ne faut pas se hâter d’adresser des blâmes, mais
il est tout à fait raisonnable de procéder à une enquête approfondie et de
définir les responsabilités personnelles.
4. Le besoin de nouveaux dirigeants
Le cardinal De Paolis, qui est maintenant délégué pontifical depuis plus de
huit mois, n’a pas encore démis de ses fonctions un seul supérieur de la
Légion. Pour la plupart d’entre eux, les mêmes supérieurs qui avaient été
nommés par Maciel et qui ont dirigé les tentatives visant à le couvrir après
sa condamnation par le Saint-Siège en 2006 sont toujours aux commandes. Bien
entendu, la culpabilité de chacun d’eux diffère de celle des autres et il ne
faut pas se livrer à trop de généralisations à leur sujet.
Toutefois, tant que ce groupe conservera le pouvoir, peu de membres de la
hiérarchie feront vraiment confiance à la Légion. Une objection de bon sens
à leur maintien au pouvoir est simplement que certains d’entre eux étaient
nécessairement informés, ou auraient dû être informés, du mode de vie du P.
Maciel. S’ils sont coupables sur le premier point, ils doivent être
destitués pour fraude. S’ils le sont sur le second point, ils devraient être
écartés au moins pour incompétence.
Des destitutions seront nécessaires pour rétablir une certaine confiance
dans la Légion. On peut en dire autant du rétablissement de la confiance
chez les Légionnaires qui y sont restés et qui espèrent des réformes. Pour
la plupart de ceux qui ont quitté la congrégation, la perte de confiance
envers les dirigeants a été la cause principale de leur départ.
5. Les entraves à un véritable dialogue
Le cardinal De Paolis a exprimé son souhait qu’il y ait des discussions
sincères et franches entre Légionnaires au sujet des problèmes auxquels ils
sont confrontés. Il existe des signes qui montrent que de telles discussions
commencent à avoir lieu et un porte-parole de la Légion a récemment déclaré
qu’elles commenceraient pour de bon en février et mars au niveau local et au
niveau territorial.
Cependant, les vieilles cultures ont du mal à mourir et tout le monde sait à
la Légion que des voix qui expriment de profonds désaccords sont encore
régulièrement marginalisées. Certains membres de la Congrégation ont été
mutés dans des postes lointains, d’autres on été menacés. Les supérieurs se
préoccupent encore d’empêcher les dissidents de s’organiser.
Parmi les pratiques de la Légion, l’une des plus controversées a été le
contrôle très étendu, par les supérieurs, de toutes les correspondances
écrites, qu’elles soient envoyées par la poste ou électroniquement. La
Légion a récemment commencé à installer sur tous ses ordinateurs des
logiciels espions très efficaces pour contrôler tous les e-mails et toutes
les connexions internet des Légionnaires.
Il est difficile de dire jusqu’à quel point le cardinal est conscient de ces
agissements, mais en plus d’une occasion il est intervenu pour empêcher les
supérieurs de déplacer de manière injuste certains Légionnaires qui avaient
exprimé leur désaccord. Cependant, sa récente lettre a montré clairement
qu’il ne voulait pas se laisser entraîner à contrôler tous les faits et
gestes des actuels dirigeants et qu’il demandait aux religieux ayant des
plaintes à formuler de les adresser aux supérieurs de la Légion plutôt qu’à
lui. Mais beaucoup de Légionnaires, n’ayant pas un accès plus facile au
cardinal ou à ses quatre assistants, vont se sentir désarmés face à
d’éventuels abus de pouvoir et ils n’oseront pas parler.
Une autre action à envisager serait de faire participer au dialogue ceux qui
ont quitté la Légion à cause des scandales. Leur point de vue de
Légionnaires qui ont été longtemps loyaux mais se sont sentis obligés de
partir ces dernières années pourrait ajouter de l’objectivité et éviter à la
Légion d’avoir une vision trop limitée des problèmes.
6. La difficile question de la culture
Enfin il y a une question difficile, qui est bien perçue par la plupart des
Légionnaires qui ne sont pas originaires de pays latino-américains. C’est de
savoir jusqu’à quel point une “mentalité latino”, faute d’un terme plus
adapté, imprègne la Légion. Cette mentalité fait apparaître des points de
friction avec la manière européenne ou anglo-saxonne de vivre la foi
catholique. La plupart des congrégations internationales acceptent une bonne
dose de diversité dans l’expression et les coutumes. Mais, en raison du goût
obsessionnel de Maciel pour l’uniformité et l’unité partout dans le monde et
pour un seul ensemble de règles pour tous, les différences nationales et
culturelles étaient réduites au minimum. Les frictions existantes n’ont
jamais été sérieusement affrontées, ni même reconnues.
Cependant, les erreurs tragiques et la tromperie qui se sont manifestées
dans la manière de faire face au scandale démontrent que l’équipe
dirigeante, largement mexicaine, se souciait beaucoup moins de connaître les
faits, de les révéler, de faire connaître simplement la vérité et
d’affronter les conséquences. Culturellement, les Latinos ont tendance à
être plus tolérants vis-à-vis de l’inconduite, de la corruption et de la
malhonnêteté. Il est maintenant clair que les dirigeants n’ont pas jugé que
les membres de la congrégation eussent effectivement le droit de connaître
la vérité à propos du mode de vie du fondateur et qu’ils l’ont tenue cachée.
Tant que Maciel a été au pouvoir, cette attitude était simplement considérée
comme un sous-produit d’un système strictement hiérarchique ; maintenant
elle irrite beaucoup de gens qui y voient une forme grossière de
paternalisme.
Ce n’est pas un hasard si les Légionnaires les plus indignés par les
dirigeants sont plutôt les Américains et les Espagnols, les deux
nationalités qui comptent le plus de membres après les Mexicains. Les
vocations ont chuté fortement dans les deux pays, comme dans le reste de
l’Europe. En ce qui concerne les départs pour rejoindre le clergé diocésain,
la grande majorité a été le fait d’Américains et d’Espagnols. La Légion, qui
était naguère fière de son caractère international, est aujourd’hui
confrontée au risque très réel de n’être plus qu’un ordre principalement
mexicain.
Il est temps de prendre acte du fait qu’une bonne partie de ce que Maciel
présentait comme “inspiré par Dieu” était plutôt le fruit des limites et des
défauts de sa culture.
Trouver moyen de donner de l’autonomie aux divers territoires, moins
insister sur la notion d’“unité monolithique” tellement défendue par Maciel
et introduire une saine volonté de vérité et de responsabilité : autant
d’objectifs qui peuvent paraître évidents mais qui, s’ils sont possibles,
impliqueront des changements spectaculaires dans la vie et la culture de la
Légion du Christ.
Une autre possibilité serait la création d’une forme radicalement différente
de la congrégation, moins centralisée et plus autonome en ce qui concerne
les États-Unis, où elle pourrait adopter un style plus américain d’ouverture
et de transparence. Cela aurait été impensable tant que l’état d’esprit de
Maciel prédominait au sein de la congrégation, mais ce ne serait sûrement
pas la première fois que le Saint-Siège reconnaîtrait le besoin de
flexibilité et d’autonomie dans un ordre religieux qui doit travailler de
différentes manières dans différents pays.
Une telle solution pourrait permettre à la Légion américaine de regagner la
confiance de l’Église et de lui offrir un apport de valeur, ce que le Saint
Père souhaite de manière évidente.
Conclusion
Personne ne sait, pour le moment, si les interventions extraordinaires du
Saint-Siège vont amener un fort renouveau de la Légion. La plupart des
ordres religieux qui parviennent à se réformer eux-mêmes le font après une
période de déclin, en revenant au charisme d’origine et aux principes du
fondateur inspiré. Dans le cas de la Légion, le fondateur a été un “faux
prophète” ; on ne peut donc pas procéder de la sorte.
L’avenir de la Légion, si elle est destinée à survivre et à prospérer,
dépendra de sa capacité à trouver en elle-même des dirigeants spirituels
d’exception qui parviennent, avec l’aide du Saint-Siège et l’inspiration du
Saint-Esprit, à prendre ce qu’il y a de très bon dans la Légion et à
exprimer un nouveau charisme et une nouvelle vision pour l’avenir.
Il est tristement ironique que Maciel lui-même ait fait de ce point un thème
majeur de ses écrits et conférences destinés aux Légionnaires, à savoir, que
l’avenir de la Légion dépendait du leadership spirituel de ses cofondateurs.
Les Légionnaires disaient régulièrement une prière spéciale pour
“l’authenticité et la fidélité des cofondateurs”. Maciel voulait que les
futurs leaders spirituels soient scrupuleusement fidèles à son “inspiration”
et à sa constitution. Mais ces leaders spirituels doivent maintenant se
manifester et créer une Légion bien différente de celle qu’imaginait Maciel.
Si une telle direction ne se manifeste pas, la Légion court le risque d’un
grave déclin et d’une disparition, ou d’une longue période de dérive sans
perception claire de sa mission et sans grande influence. Ce dont elle a
besoin, c’est de dirigeants courageux qui sachent se libérer de Maciel et
créer un nouveau chemin pour aller de l’avant.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 09.02.2011 -
T/International |