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Selon Benoît XVI, l'homme-Dieu n'apparaît
nulle part dans le Nouveau Testament
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Le 08 mars 2023 -
(E.S.M.)
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Le concept de l'homme divin, ou de l'homme-Dieu n'apparaît nulle
part dans le Nouveau Testament. Inversement, dans l'antiquité, l'on
ne rencontre nulle part la désignation de « fils de Dieu » appliquée
aux « hommes divins ». Voilà deux faits importants. Les deux
concepts sont historiquement tout à fait indépendants, ils n'ont
aucun rapport entre eux, ni linguistique ni réel.
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Ratzinger- Pape Benoît XVI -
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III . LE BIEN-FONDÉ DU DOGME CHRISTOLOGIQUE
a) A propos de l' « homme divin »
Le concept de l'homme divin, ou de l'homme-Dieu
n'apparaît nulle part dans le
Nouveau Testament. Inversement, dans l'antiquité, l'on ne rencontre nulle
part la désignation de « fils de Dieu » appliquée aux «
hommes divins ». Voilà deux faits importants. Les deux concepts sont
historiquement tout à fait indépendants, ils n'ont aucun rapport entre eux,
ni linguistique ni réel. D'une part, la Bible ne connaît pas l'
«
homme divin », d'autre part, l'antiquité ne connaît pas l'idée de
filiation divine dans le contexte des hommes
divins. Des recherches plus récentes montrent même que l'emploi du
concept d' « homme divin » avant
l'époque chrétienne ne peut guère être établi par les documents ; on ne le
trouve que plus tard14. Mais, même indépendamment de ce fait, il reste que
le titre de fils de Dieu, avec toutes les implications qu'il comporte, ne
saurait être expliqué à partir du titre et de l'idée d'homme divin
: les
deux schèmes de pensée sont, du point de vue historique, complètement
étrangers l'on à l'autre et n'ont pas eu de contact entre eux.
b) La terminologie biblique et son rapport avec le dogme
Dans la terminologie du Nouveau Testament, il faut distinguer
nettement la désignation de « Fils de Dieu » et la simple désignation de «
Fils », Pour celui qui ne procède pas avec rigueur, les deux peuvent
paraître signifier exactement la même chose; et de fait, ]es deux
désignations ont, en un certain sens, des rapports entre elles et tendent de
plus en plus à se rapprocher. Mais primitivement, elles appartiennent à des
contextes tout à fait différents, elles ont une origine différente et
expriment des réalités différentes.
1) « Fils de Dieu. » L'expression «
Fils de Dieu » provient
de la théologie royale de l'Ancien Testament, qui elle-même repose sur une
démythologisation de la théologie royale orientale, et qui exprime la
transposition de cette dernière dans la théologie de l'élection d'Israël.
L'exemple classique de ce processus (c'est-à-dire de l'adoption de la
théologie royale de l'ancien Orient et de sa démythologisation biblique dans
le sens de l'idée d'élection) nous est fourni par les versets 7 et 8 du psaume
2, ce texte devenu en même temps un des points de départ décisifs
pour la pensée christologique. Dans ces versets, on adresse au roi d'Israël
l'oracle suivant : « Tu es mon fils, moi aujourd'hui, je t'ai engendré.
Demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les
extrémités de la terre. » Cette formule, qui fait partie du contexte de
l'intronisation des rois d'Israël, provient, nous l'avons dit, de rites de
couronnement de l'ancien Orient, où le roi était déclaré fils de Dieu,
engendré par lui. Il semble cependant que l'Egypte seule ait retenu l'idée
de génération dans toute son ampleur : le roi y était regardé comme un être
engendré mythiquement par Dieu. A Babylone, au contraire, on avait déjà
largement démythologisé le même rituel et compris l'idée de
la filiation
divine du roi essentiellement dans le sens d'un acte juridique
15.
En adoptant cette formule, la cour davidique en a sûrement
écarté totalement le sens mythologique. L'idée d'un roi physiquement
engendré par la divinité, est remplacée par cette représentation que le roi
devient fils hic et nunc ; l'acte de génération consiste dans l'acte
d'élection par Dieu. Le roi est fils, non parce que Dieu l'aurait engendré,
mais parce que Dieu l'a élu. Il n'est pas fait recours à un processus
physique, mais à la puissance du vouloir divin, qui crée un être nouveau.
Dans l'idée de filiation ainsi comprise se concentre également la
théologie
du peuple élu. Dans des textes plus anciens, Israël tout entier avait été
désigné comme premier-né de Yahvé, comme son fils bien-aimé (cf. Ex 4, 22).
Si au temps des Rois, cette expression est transférée au roi, cela veut dire
qu'en lui, dans le successeur de David, est résumée la vocation d'Israël ;
il est le représentant d'Israël et réunit en lui le mystère de la promesse,
de la vocation et de l'amour, qui repose sur Israël.
Il y a plus.
L'application du rituel royal oriental au roi d'Israël, telle
que la fait le psaume, devait, en regard de la situation concrète d'Israël,
paraître une cruelle plaisanterie. Il était concevable que l'on dise, lors
de l'intronisation, au pharaon ou au roi de Babylone : « Tu as les nations
pour héritage, ton domaine, c'est la terre, tu peux la briser, la fracasser
comme vases de potier. » De telles acclamations correspondaient aux
prétentions de domination universelle de ces rois. Mais ces mots qui avaient
un sens dans le cas des grandes puissances de l'Egypte et de Babylone,
lorsqu'ils sont appliqués au roi du mont Sion, tournent à la pure ironie,
car les rois de la terre sont loin de trembler devant lui ; c'est plutôt lui
qui tremble devant eux. Parler de domination universelle à propos du
misérable roitelet qu'il était, cela devait paraître presque ridicule. En
d'autres termes, le manteau du psaume, emprunté au rituel royal oriental,
était beaucoup trop large pour les épaules du roi réel qui régnait sur le
mont Sion. Aussi était-il dans la logique de l'histoire que ce psaume qui,
dans la situation présente, devait paraître presque intolérable,
devînt de plus en plus une confession d'espérance en Celui auquel il
s'appliquerait un jour en toute vérité. Cela revient à dire : la théologie
royale passant, dans une première étape, d'une théologie de génération à une
théologie d'élection, passa, dans une deuxième étape, d'une théologie
d'élection à une théologie d'espérance en un roi à venir ; l'oracle
d'intronisation devint de plus en plus la formulation de la promesse qu'un
jour un roi viendrait, dont on pourrait dire à bon droit : «
Tu es mon fils,
moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande et je te donnerai les nations
pour héritage. »
C'est à ce point précis que se rattache le nouvel usage de ce
texte, fait par la communauté chrétienne primitive. Sans doute l'application
de ces versets du psaume à Jésus a-t-elle été faite pour la première fois
dans le cadre de la foi en sa résurrection. L'événement de la résurrection
de Jésus est compris par les premiers chrétiens comme le moment où l'oracle
du psaume 2 est vraiment devenu réalité. Certes, le paradoxe n'est pas
moindre ici. En effet, croire que celui qui est mort sur le Golgotha est
également celui à qui sont adressées ces paroles, paraît une contradiction
inouïe. Que signifie cette application de la formule ? Elle veut dire que
l'espérance royale d'Israël s'est accomplie dans Celui qui est mort sur la
croix et qui, aux yeux de la foi, est ressuscité. Elle exprime la conviction
que c'est à Celui qui est mort sur la croix, à Celui qui a renoncé à toute
puissance du monde (entendons ici à l'arrière-plan les mots du Psaume où il
est question des rois de ce monde qui tremblent, où l'on parle de briser
avec un sceptre de fer), à Celui qui a fait mettre de côté tous les glaives
et qui n'a pas, comme font les rois de ce monde, envoyé les autres à la mort
à sa place, mais qui est allé Lui-même à la mort pour les autres, à Celui
qui a placé le sens de l'existence humaine, non dans la puissance
s'affirmant elle-même, mais dans une existence radicalement pour les autres,
et qui même était cette existence pour les autres, comme le prouve la croix,
c'est à Celui-là seul que Dieu a dit : « Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai
engendré. » C'est dans le Crucifié que les croyants perçoivent quel est le
sens de cet oracle, quel est le sens de l'élection : non pas privilège et
puissance pour soi, mais service pour les autres. En Lui apparaît le sens de
l'histoire de l'élection, le vrai sens de la royauté qui a toujours voulu
être une « représentation ». Ce que recouvre le mot « représenter » : être
là pour les autres, à leur place, prend désormais un autre sens. C'est à
Lui, qui a complètement échoué, qui, suspendu au gibet, n'a plus de sol sous
les pieds, dont on tire au sort les vêtements et qui semble abandonné de
Dieu lui-même, c'est précisément à Lui que s'applique l'oracle : «
Tu es mon
Fils, aujourd'hui - en cet endroit - je t'ai engendré. Demande et je te
donne les nations pour héritage et pour domaine les extrémités de la terre.
»
La notion de fils-de-Dieu qui, à travers l'explication de la
résurrection et de la croix par le psaume 2, est entrée de cette manière et
sous cette forme dans la confession de foi en Jésus de Nazareth, n'a
vraiment rien de commun avec l'idée hellénistique de l'homme divin ; elle ne
saurait en aucune façon être expliquée à partir d'elle. Elle représente
plutôt la deuxième étape de démythologisation de l'idée orientale de roi,
que l'Ancien Testament avait déjà démythologisée une première fois. Elle
désigne Jésus comme le véritable héritier de l'univers, comme l'héritier de
la Promesse, en qui est accompli le sens de la théologie davidique. En même
temps, il apparaît que l'idée de roi, appliquée ainsi à Jésus à travers le
titre de fils, se rencontre avec l'idée de serviteur. En tant que roi, il
est serviteur, et en tant que serviteur, il est roi. Cette compénétration,
fondamentale pour la foi au Christ, est préparée dans l'Ancien Testament,
quant au sens, et même quant à la terminologie dans la traduction grecque.
Le mot grec παιδί, employé pour désigner le serviteur de Dieu, peut aussi
signifier enfant. A la lumière de l'événement du Christ, cette double
signification devait devenir une indication sur l'identité interne des deux
sens en Jésus16.
L'équivalence entre fils et serviteur, entre
gloire et
service, à laquelle l'on aboutit ainsi et qui amena une interprétation toute
nouvelle de l'idée de roi et de l'idée de fils, a trouvé sa formulation sans
doute la plus grandiose dans la lettre aux Philippiens (2, 5-11), donc dans
un texte qui est encore né entièrement sur le sol du christianisme
palestinien. Il renvoie à l'exemple fondamental des sentiments de Jésus,
qui
ne retint pas jalousement l'égalité avec Dieu, qui lui revenait de droit,
mais qui s'est engagé dans l'humble condition de serviteur, jusqu'à la
totale dépossession de lui-même. Le terme evacuatio employé par le texte
latin, signifie qu'il s'est « vidé complètement » : renonçant à être pour
soi, il est entré dans la pure dynamique du « pour ». Mais, continue le
texte, par là-même il est devenu le Maître de l'univers, de tout le cosmos,
devant qui ce dernier accomplit la proskynèse, c'est-à-dire le rite et
l'acte de soumission, auquel seul le roi véritable a droit. Celui qui obéit
librement apparaît alors être le véritable Seigneur; Celui qui s'est abaissé
jusqu'à l'extrême limite de la dépossession de soi est devenu par là-même le
Seigneur du monde. Ce que nos considérations sur la Trinité nous ont déjà
fait découvrir, nous le retrouvons ici à partir d'un autre point de départ :
celui qui ne tient absolument pas à soi, mais qui est pure relation,
coïncide par le fait avec l'Absolu et devient Seigneur. Le Seigneur devant
qui tout genou fléchit est l'agneau immolé, représentant une existence qui
est pur acte, pur « être-pour ». La liturgie cosmique, l'hommage d'adoration
de l'univers se déploie autour de cet Agneau (Ap 5).
Mais revenons encore à la question concernant le titre de
fils-de-Dieu et sa place dans le monde antique. Car il faut noter que ce
titre a tout de même un parallèle, linguistique et réel, dans le
monde hellénistique romain. Mais ce parallèle n'est pas l'idée de l' « homme
divin », qui n'a rien à voir avec lui. Le seul parallèle réel, dans
l'antiquité, de la désignation de Jésus comme Fils de Dieu (qui est
l'expression d'une nouvelle conception de la puissance, de la royauté, de
l'élection, et même de la condition humaine) se trouve dans la désignation
de l'Empereur Auguste comme « fils de dieu » (Divi [Cæsaris] ƒilius)17. Nous trouvons ici de fait exactement
le mot par lequel le Nouveau Testament décrit la signification de Jésus de
Nazareth. C'est dans le culte romain de l'Empereur, et en lui seulement, que
revient, à la fin du monde antique, en même temps que l'idéologie royale de
l'Orient, le titre de « fils de dieu »; ce titre n'existe nulle part
ailleurs et ne peut exister en raison de la multiplicité de sens du mot «
Dieu18 ». II ne fait son
apparition que là où l'on revient à l'idéologie royale orientale, lieu
d'origine de cette désignation. Autrement dit, le titre de « fils de Dieu »
appartient à la théologie politique de Rome ; il renvoie donc à un contexte
originel identique à celui qui, nous l'avons vu, a donné naissance au « Fils
de Dieu » néotestamentaire. Les deux désignations proviennent de fait, bien
que indépendamment l'une de l'autre et par des voies différentes, du même
terroir et renvoient à une même et unique source. Nous retiendrons donc que,
dans l'Ancien Orient, et à nouveau dans la Rome impériale, l'expression «
fils de Dieu » fait partie d'une théologie politique. Dans le Nouveau
Testament, cette formule, déjà réinterprétée par Israël à l'intérieur d'une
théologie de l'élection et de l'espérance, a été une fois de plus
transformée par son intégration dans une nouvelle dimension de la pensée. A
partir de la même racine ont donc poussé des plantes tout à fait diverses :
dans le débat, qui devait devenir très vite inévitable, entre la confession
de Jésus comme Fils de Dieu et la confession de l'Empereur comme fils de
Dieu, s'opposaient pratiquement le mythe démythisé et le mythe resté mythe.
La prétention de domination universelle de l'Empereur-dieu romain était
naturellement incompatible avec la théologie royale et impériale
complètement transformée qui anime la confession de Jésus comme « Fils de
Dieu ». Aussi la martyria (témoignage) devait-elle devenir le martyrium, la
provocation contre la déification du pouvoir politique
19.
A suivre : le concept de
« Fils de Dieu »
Notes :
14. W. V. MARTITZ, « ulóç im
Griechischen », dans Theologisches Wörterbuch zum N. T. (éd. Kittel-Friedrich). VIII. pp.
335-340, ici 339 ss.
15. Cf. H- J. KRAUS. Psalmen I, Neukirchen, 1960, pp. 18 ss. (Ps 2,
7).
16. Cf. l'important article de J. JEREMIAS dans
Theologisches Wörterbuch zum
N. T., V, pp. 653-713, surtout pp. 702 s.
17. Cf. W. V. MARTITZ, art. cit., pp. 330 ss. 336.
18 C'est pourquoi de telles formules sont toujours accompagnées d'une
détermination ; cf. les références dans W. BAUER,
Wörterbuch zum N. T.,
Berlin, 1958, pp. 1649 ss. et dans W. v. MARTITZ, art. cit.
19. Cf. à ce sujet, l'importante documentation dans A. A. T. EHRHARDT,
Politische Metaphysik von Salon bis Augustin, 2 vol., Tübingen, 1959 ; - E.
PETERSON, « Zeuge der Wahrheit », dans
Theologische Traktate, München, 1951,
165-224; - N BROX Zeuge und Märtyrer, München, 1961.
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Sources :Texte original des écrits du Saint Père Benoit XVI -
E.S.M.
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constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 08.03.2023
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