Le livre Jésus de Nazareth de Benoît XVI
au centre de la 1ère prédication de l'Avent |
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Cité du Vatican, le 07 décembre 2007 -
(E.S.M.)
- A 9h aujourd'hui, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en
présence du Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison
Pontificale, le Rev.do P. Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu la
première prédication de l'Avent sur le thème : « Il nous a parlé par le
Fils » (Hébreux 1, 2).
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Le pape Benoît XVI et
le P. Raniero Cantalamessa, O.F.M -
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Le livre Jésus de Nazareth de Benoît XVI au centre de la 1ère prédication de
l'Avent
Première prédication de l'Avent
A 9h aujourd'hui, dans la Chapelle « Redemptoris Mater », en présence
du Saint Père Benoît XVI, le Prédicateur de la Maison Pontificale, le Rev.do
P. Raniero Cantalamessa, O.F.M. Cap., a tenu la première prédication de
l'Avent sur le thème : « Il nous a parlé
par le Fils » (Hébreux 1, 2).
Après Jean (1, 14) (« le Verbe s'est fait chair »),
le texte biblique le plus
caractéristique du temps de Noël est celui aux Hébreux
(1, 1-2) : « Dieu, qui après
avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos
pères par les prophètes, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils
». À la lumière de ce passage et en prenant l'exemple du livre du Pape
Benoît XVI sur
Jésus de Nazareth, le P. Raniero Cantalamessa a cherché à mettre en lumière la nouveauté et
l'unicité du Christ comme il en émerge de la comparaison entre les prophètes
et Jean Baptiste et de l'usage qu'il fait du titre de 'Fils'. Le fruit
spirituel devrait être une foi et une adhésion toujours plus convaincues en
la personne du Sauveur.
Ce matin, le Pape a assisté en la chapelle Redemptoris Mater à la première
prédication d'Avent donnée par le Prédicateur de la Maison pontificale. Le
thème, "Il nous a parlé par le Fils", est tiré de l'Epître aux
hébreux. Comme à l'accoutumé, Benoît XVI était
entouré des Cardinaux et des prélats de la Curie Romaine et du Vicariat de Rome,
ainsi que des supérieurs d'ordres appartenant à la Chapelle papale.
Les deux
prédications suivantes auront lieu les 17 et 21 décembre prochains.
1. La troisième recherche
« Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux
Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a
parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi
il a fait les siècles. Resplendissement de sa gloire, effigie de sa
substance, ce Fils qui soutient l'univers par sa parole puissante, ayant
accompli la purification des péchés, s'est assis à la droite de la Majesté
dans les hauteurs » (He 1, 1-3).
Cette entrée en matière de la Lettre aux Hébreux constitue une synthèse
grandiose de toute l'histoire du salut. Celle-ci apparaît constituée par la
succession de deux temps : le temps où Dieu parlait par l'intermédiaire des
prophètes et le temps où Dieu parlait par l'intermédiaire du Fils ; le temps
où il parlait « par personne interposée » et le temps où il parlait « en
personne ». Le Fils, en effet, est « resplendissement de sa gloire et
effigie de sa substance », c'est-à-dire, comme nous le dirons plus loin, de
la même substance que le Père.
Il y a à la fois continuité et saut de qualité. C'est le même Dieu qui
parle, la même révélation ; la nouveauté est qu'à présent le Révélateur
devient révélation, la révélation et le révélateur coïncident. La formule
d'introduction des oracles en est la meilleure démonstration : ce n'est plus
« dit le Seigneur », mais « Je vous dis ».
A la lumière de cette puissante parole de Dieu que constitue Hébreux
(1, 1-3), nous tenterons, dans
cette prédication de l'Avent, d'opérer un discernement des opinions qui
circulent aujourd'hui sur Jésus, à l'extérieur et à l'intérieur de l'Eglise,
afin de pouvoir, à Noël, unir sans réserve notre voix à celle de la liturgie
qui proclame sa foi dans le Fils de Dieu venu en ce monde. Nous sommes
continuellement renvoyés au dialogue de Césarée de Philippe : pour moi Jésus
est-il « l'un des prophètes », ou le « Fils du Dieu vivant » ?
(cf. Mt 16, 14-16).
Dans le domaine des études historiques sur Jésus, nous sommes en train de
vivre ce que l'on appelle la « troisième recherche ». Elle est appelée ainsi
pour la distinguer à la fois de la « vieille recherche » historique
d'inspiration rationaliste et libérale qui a dominé de la fin du XVIIIe
siècle jusqu'à la fin du XIXe, et de la « nouvelle recherche historique »
qui a commencé vers la moitié du siècle dernier, en réaction aux thèses de
Bultmann qui avait proclamé le Jésus historique inaccessible et de surcroît
sans importance pour la foi chrétienne.
En quoi la « troisième recherche » diffère-t-elle des précédentes ? Tout
d'abord de par la conviction que nous pouvons, grâce aux sources, savoir
beaucoup plus sur le Jésus historique, que ce que l'on admettait dans le
passé. Mais surtout, la troisième recherche se différentie des autres au
niveau des critères utilisés pour atteindre la vérité historique sur Jésus.
Si auparavant on pensait que le critère fondamental pour établir la vérité
d'un fait ou d'une déclaration de Jésus était le fait qu'il/elle soit opposé
à ce que l'on faisait ou pensait dans le monde juif de l'époque, à présent
on considère en revanche la compatibilité d'une donnée évangélique avec le
judaïsme de l'époque. Si auparavant, la marque d'authenticité d'une
déclaration ou d'un fait était sa nouveauté et son caractère inexplicable
par rapport au contexte, aujourd'hui c'est au contraire le fait qu'il soit «
explicable » à la lumière de nos connaissances du judaïsme et de la
situation sociale de la Galilée à l'époque.
Certains avantages de cette nouvelle approche sont évidents. On retrouve la
continuité de la révélation. Jésus se situe à l'intérieur du monde juif,
dans la ligne des prophètes bibliques. On sourit même à l'idée qu'il fut un
temps où l'on croyait pouvoir expliquer tout le christianisme en ayant
recours aux influences hellénistiques.
Le problème est que l'on est allé tellement au-delà de cette conquête qu'on
en a fait un échec. Dans la pensée de nombreux représentants de cette
troisième recherche, Jésus finit par se dissoudre complètement dans le monde
juif, sans plus se distinguer de ce monde si ce n'est par quelques détails
ou interprétations particulières de la Torah. Il devient l'un des prophètes
juifs ou, comme on dit, des « charismatiques itinérants ». Le titre d'un
ouvrage célèbre de J.D. Crossmann, est significatif : « Le Jésus historique.
Vie d'un paysan juif de la Méditerranée ».
Sans arriver à ces excès, l'auteur plus connu, et d'une certaine manière le
précurseur de la troisième recherche, E. P. Sanders, est lui aussi sur cette
ligne (1). En retrouvant la continuité
on a perdu la nouveauté. La divulgation, y compris chez nous en Italie, a
fait le reste, en diffusant l'image d'un Jésus juif parmi les juifs, qui n'a
presque rien fait de nouveau, mais dont on continue à dire (on ne sait pas
comment) qu'il a « changé le monde ».
On continue à reprocher aux générations de chercheurs du passé d'avoir
chaque fois construit une image de Jésus selon la mode ou les goûts du
moment, sans se rendre compte que l'on est en train de faire la même chose.
Cette insistance sur le Jésus juif parmi les juifs vient, au moins en
partie, du désir de réparer les torts historiques infligés à ce peuple et de
favoriser le dialogue entre juifs et chrétiens. Un excellent objectif,
poursuivi, nous allons le voir tout de suite, par un moyen (en raison de la
manière dont il est utilisé) erroné. Il s'agit en effet d'une tendance
pro-juive uniquement en apparence. En réalité on finit par attribuer au
monde juif une responsabilité supplémentaire : celle de ne pas avoir reconnu
l'un des siens, un homme dont la doctrine était parfaitement compatible avec
ce que lui-même croyait.
2. Le rabbin Neusner et Benoît XVI
C'est précisément un juif, le rabbin américain Jacob Neusner, qui a souligné
le caractère illusoire de cette approche à des fins de dialogue authentique
entre le judaïsme et le christianisme. Ceux qui ont lu le livre du Pape
Benoît XVI sur Jésus de Nazareth connaissent déjà bien la pensée de ce
rabbin avec lequel il dialogue dans l'un des chapitres les plus passionnants
du livre. En voici les grandes lignes.
Le très célèbre savant juif a écrit un livre intitulé « Un rabbin parle avec
Jésus », dans lequel il imagine être un contemporain du Christ qui un jour
se joint à la foule qui le suit et écoute le sermon sur la montagne. Il
explique pourquoi, malgré sa fascination pour la doctrine et la personne du
Galiléen, il comprend à la fin, à contre-cœur, qu'il ne peut devenir son
disciple, et décide de rester disciple de Moïse et fidèle à la Torah.
Tous les motifs de sa décision se réduisent en définitive à un seul : pour
accepter ce que dit cet homme, il faut lui reconnaître la même autorité que
Dieu. Il ne se limite pas à « accomplir », mais il remplace la Torah. La
conversation que le rabbin a avec son maître dans la synagogue, au retour de
sa rencontre avec Jésus, est touchante :
Le Maître : « Ton Jésus a négligé quelque chose [de la Torah] ?
Rabbin Neusner : « Rien »
Le Maître : « Alors il a ajouté quelque chose ? »
Rabbin Neusner : « Oui, lui-même ».
Coïncidence intéressante : c'est la réponse même que donnait saint Irénée au
IIe siècle à ceux qui se demandaient ce que le Christ avait apporté de
nouveau en venant dans le monde. « Il a apporté toute nouveauté,
écrivait-il, en apportant lui-même » (omnem novitatem attulit semetipsum
afferens) (2).
Neusner a souligné l'impossibilité de faire de Jésus un juif « normal » de
son temps, ou un juif qui se détache des autres uniquement sur des points
d'importance secondaire. Il a eu un autre très grand mérite, celui de
montrer la futilité de toute tentative de séparer le Jésus historique du
Christ de la foi. Il montre comment la critique peut ôter au Jésus de
l'histoire tous ses titres : nier qu'il se soit (ou qu'on lui ait) attribué,
de son vivant, le titre de Messie, de Seigneur, de Fils de Dieu. Après qu'on
lui ait enlevé tout ce que l'on veut, ce qui reste dans les évangiles est
plus que suffisant pour montrer qu'il ne se considérait pas comme un simple
homme. De même qu'il suffit d'un fragment de cheveu, d'une goutte de sueur
ou de sang pour reconstituer l'ADN complet d'une personne, il suffit d'une
déclaration de l'Evangile, prise presque au hasard, pour démontrer que Jésus
était conscient d'agir avec la même autorité que Dieu.
En bon juif, Neusner sait ce que signifie : « Le Fils de l'homme est maître
du sabbat » [Mt 12, 8, ndlr],
car le sabbat est « l'institution » divine par excellence. Il sait ce que
cela signifie de dire : « Si tu veux être parfait, viens et suis-moi » :
cela signifie remplacer l'ancien paradigme de sainteté qui consiste à imiter
Dieu (« Soyez saints car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint ») par
le nouveau paradigme qui consiste à imiter le Christ. Il sait que seul Dieu
peut suspendre l'application du quatrième commandement comme le fait Jésus
lorsqu'il demande à un homme de renoncer à ensevelir son père. Commentant
ces déclarations de Jésus, Neusner s'exclame : « C'est le Christ de la foi
qui parle ici » (3).
Dans son livre, le pape répond longuement et, pour un croyant, de manière
convaincante et éclairante, à la difficulté du rabbin Neusner. Sa réponse me
fait penser à celle que Jésus lui-même donna à ceux qui avaient été envoyés
demander à Jean-Baptiste : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en
attendre un autre ? » En d'autres termes, Jésus n'a pas seulement revendiqué
pour lui-même une autorité divine, mais il a également donné des signes et
des garanties comme preuve : les miracles, son enseignement (qui ne se
limite pas au sermon sur la montagne), l'accomplissement des prophéties,
surtout celle qui a été prononcée par Moïse d'un prophète semblable et
supérieur à lui ; puis sa mort, sa résurrection et la communauté née de lui
qui accomplit l'universalité du salut annoncée par les prophètes.
3. « Encouragez-vous mutuellement »
Il convient ici de faire une observation : la question de la relation entre
Jésus et les prophètes ne se pose pas seulement dans le cadre du dialogue
entre le christianisme et le judaïsme, mais également au sein même de la
théologie chrétienne, où les tentatives d'expliquer la personnalité du
Christ en ayant recours à la catégorie des prophètes, n'ont pas manqué. Je
suis convaincu de l'insuffisance radicale d'une christologie qui prétend
isoler le titre de prophète et refonder toute la structure de la
christologie sur ce titre.
Cette tentative n'est d'ailleurs pas nouvelle du tout. Elle fut proposée
dans l'antiquité par Paul de Samosate, Fotin et d'autres, en termes parfois
presque identiques. A l'époque, dans une culture d'orientation métaphysique,
on parlait du prophète le plus grand ; aujourd'hui, dans une culture
d'orientation historique, on parle du prophète eschatologique. Mais
eschatologique est-il vraiment différent de suprême ? Un prophète peut-il
être le plus grand prophète sans être également prophète définitif, et le
prophète définitif peut-il ne pas être aussi le plus grand des prophètes ?
Une christologie qui ne dépasse pas la catégorie de Jésus comme « prophète
eschatologique » constitue il est vrai, conformément à l'intention de ceux
qui la proposent, une mise à jour de la donnée antique, non pas de la donnée
définie par les conciles mais de la donnée condamnée par les conciles.
Mais je n'insiste pas sur cette question que j'ai traitée ici même, les
années passées (4). Je voudrais plutôt
passer tout de suite à une application pratique des réflexions présentées
jusqu'à présent, qui nous aide à faire de l'Avent un temps de conversion et
de réveil spirituel.
La conclusion que la Lettre aux Hébreux tire de la supériorité du Christ sur
les prophètes et sur Moïse n'est pas une conclusion triomphaliste, mais
parénétique ; elle n'insiste pas sur la supériorité du christianisme mais
sur la plus grande responsabilité des chrétiens face à Dieu. Elle dit :
« C'est pourquoi nous devons nous attacher avec plus d'attention aux
enseignements que nous avons entendus, de peur d'être entraînés à la dérive.
Si déjà la parole promulguée par des anges s'est trouvée garantie et si
toute transgression et désobéissance a reçu une juste rétribution, comment
nous-mêmes échapperons-nous, si nous négligeons pareil salut ?
(He 2, 1-3) ». « Encouragez-vous
mutuellement chaque jour, tant que vaut cet aujourd'hui, afin qu'aucun de
vous ne s'endurcisse par la séduction du péché »
(He 3, 13).
Et au chapitre 10 elle ajoute : « Quelqu'un rejette-t-il la Loi de Moïse ?
Impitoyablement il est mis à mort sur la déposition de deux ou trois
témoins. D'un châtiment combien plus grave sera jugé digne, ne pensez-vous
pas, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le
sang de l'alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l'Esprit de la
grâce ? » (He 10, 28-29).
La parole avec laquelle nous voulons, en accueillant l'invitation de
l'auteur, nous encourager mutuellement, est celle que la liturgie nous a
fait entendre dimanche dernier et qui donne le ton de toute la première
semaine de l'Avent : « Veillez ! ». Il est intéressant de noter une chose.
Lorsqu'elle est reprise dans la catéchèse apostolique après Pâques, cette
parole de Jésus prend presque toujours un caractère dramatique : non pas
veillez, mais réveillez-vous, arrachez-vous au sommeil ! De l'état de
veiller on passe à l'acte de se réveiller.
Il y a une constatation fondamentale : dans cette vie, nous risquons
constamment de retomber dans le sommeil, c'est-à-dire dans un état où les
facultés sont suspendues, un état d'assoupissement et d'inertie spirituelle.
Les choses matérielles ont un effet anesthésiant sur l'âme. Pour cela, Jésus
recommande : « Tenez-vous sur vos gardes, de peur que vos cœurs ne
s'appesantissent dans la débauche, l'ivrognerie, les soucis de la vie »
(Lc 21, 34).
Il peut nous être utile, comme examen de conscience, de réécouter la
description que saint Augustin fait de cet état de demi-sommeil dans les
Confessions :
« Ainsi, le fardeau du siècle pesait sur moi comme le doux accablement du
sommeil ; et les méditations que j'élevais vers vous ressemblaient aux
efforts d'un homme qui veut s'éveiller, et vaincu par la profondeur de son
assoupissement, y replonge. [...] je ne doutais pas qu'il ne voulût mieux me
livrer à votre amour que de m'abandonner à ma passion. Le premier parti me
plaisait, il était vainqueur ; je goûtais l'autre, et j'étais vaincu. Et je
ne savais que répondre à votre parole : ‘Lève-toi, toi qui dort, Lève-toi
d'entre les morts, et le Christ t'illuminera !'
( Ephés. V, 14) Et vous m'entouriez
d'évidents témoignages ; et convaincu de la vérité, je n'avais à vous
opposer que ces paroles de lenteur et de somnolence : Tout à l'heure !
encore un instant ! laissez-moi un peu ! Mais ce tout à l'heure devenait
jamais ; ce laissez-moi un peu durait toujours » (5).
Nous savons comment le saint finit par sortir de cet état. Il se trouvait
dans un jardin, à Milan, déchiré par ce combat entre la chair et l'esprit ;
il entendit les paroles d'un chant : « Prends, lis, prends, lis ». Il les
prit comme une invitation de Dieu ; il avait avec lui le livre des lettres
de Paul. Il l'ouvrit, résolu à prendre comme parole de Dieu pour lui le
premier passage sur lequel il serait tombé. Il tomba sur le texte que nous
avons entendu dimanche dernier dans la deuxième lecture de la messe :
« C'est l'heure désormais de vous arracher au sommeil ; le salut est
maintenant plus près de nous qu'au temps où nous avons cru. La nuit est
avancée. Le jour est arrivé. Laissons-là les œuvres de ténèbres et revêtons
les armes de lumière. Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec
dignité : point de ripailles ni d'orgies, pas de luxure ni de débauche, pas
de querelles ni de jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et
ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises »
(Rm 13, 11-14). Une lumière de
sérénité traversa le corps et l'âme d'Augustin et il comprit qu'avec l'aide
de Dieu, il pouvait vivre chaste.
4. « Donne-moi la chasteté et la continence »
L'exemple d'Augustin m'amène à introduire dans mon discours une note
d'actualité. La semaine dernière Rai Uno a diffusion un spectacle du comique
Roberto Benigni qui a enregistré un taux d'écoute extrêmement élevé. Il
s'agissait, à certains moments, d'une leçon de très haute communication
religieuse, outre la dimension artistique et littéraire, dont nous aurions
beaucoup à apprendre, nous prédicateurs : la capacité de faire parler le
sentiment de l'éternel chez l'homme, l'émerveillement devant le mystère,
l'art, la beauté et le simple fait d'exister.
Malheureusement, sur un point précis, peut-être non prémédité, le comique a
lancé un message qui pourrait s'avérer dévastateur pour les jeunes, et qu'il
convient de rectifier. Pour appuyer son invitation à ne pas avoir peur des
passions, à faire l'expérience du vertige de l'amour également dans son
aspect charnel, il a cité la phrase de saint Augustin qui dit à Dieu : «
Donne-moi la chasteté et la continence, mais pas encore » (6). Comme s'il
fallait d'abord tout essayer puis, éventuellement quand nous serons vieux et
que cela ne nous coûtera plus, pratiquer la chasteté.
Le comique n'a pas dit combien saint Augustin a dû par la suite, se repentir
d'avoir fait cette prière lorsqu'il était jeune, et combien de larmes cela
lui aura coûté, de s'arracher à l'esclavage de la passion à laquelle il
s'était abandonné. Il n'a pas rappelé la prière par laquelle le saint
remplacera celle qu'il a citée, une fois la liberté retrouvée : « Tu me
commandes d'être chaste ; eh bien, donne-moi ce que tu m'ordonnes et
ordonnes-moi ce que tu veux ! » (7)
Je ne crois pas que les jeunes d'aujourd'hui aient besoin d'être encouragés
à se « jeter », à « essayer », à rompre les barrières (tout les pousse à se
jeter tête baissée dans cette direction avec les résultats tragiques que
nous connaissons). Ils ont besoin de personnes qui suscitent en eux des
motivations valides, non pas certes pour avoir peur de leur corps et de
l'amour, mais au moins pour craindre d'abîmer l'un et l'autre.
Dans le chant de l'Enfer, que le comique a admirablement commenté, Dante
fournit l'une de ces motivations profondes, qu'il ne fait toutefois que
survoler. Le mal, c'est soumettre la raison à l'instinct, au lieu de
soumettre l'instinct à la raison. « J'entendis qu'à ce tourment étaient
condamnés les pécheurs charnels, qui soumettent la raison à la convoitise ».
La convoitise a sa fonction si elle est soumise à la raison ; dans le cas
contraire, elle devient l'ennemie et non l'alliée, de l'amour, conduisant
aux délits les plus atroces, dont l'actualité récente nous a fourni des
exemples.
Mais venons-en plus directement à nous. La vie spirituelle ne se réduit
certes pas uniquement à la chasteté et à la pureté, mais il est certain que
sans elles, tout effort dans les autres directions est impossible. Celle-ci
est véritablement, comme l'appelle saint Paul dans le texte cité, une « arme
de lumière » : une condition pour que la lumière du Christ se diffuse autour
de nous et à travers nous.
Aujourd'hui, on a tendance à opposer les péchés contre la pureté et les
péchés contre le prochain et l'on tend à considérer comme un vrai péché
uniquement le péché contre le prochain ; on ironise parfois sur le culte
excessif accordé dans le passé à la « belle vertu ». Ce comportement est en
partie explicable ; dans le passé, la morale avait accentué de manière trop
unilatérale les péchés de la chair, jusqu'à créer parfois de véritables
névroses, au détriment de l'attention aux devoirs envers le prochain et au
détriment de la vertu même de pureté qui était ainsi appauvrie et réduite à
une vertu presque exclusivement négative, la vertu de savoir dire non.
Mais maintenant on est passé à l'excès inverse et l'on tend à minimiser les
péchés contre la pureté, au profit (souvent uniquement verbal) d'une
attention au prochain. C'est une illusion de croire pouvoir concilier un
authentique service à ses frères, qui demande toujours un sacrifice, de
l'altruisme, l'oubli de soi et de la générosité, et une vie personnelle
désordonnée, entièrement vouée à son propre plaisir et à satisfaire ses
passions. On finit inévitablement par instrumentaliser nos frères, comme on
instrumentalise notre corps. Celui qui ne sait pas dire « non » à lui-même,
ne sait pas dire « oui » à ses frères.
L'une des « excuses » qui contribuent le plus à favoriser le péché
d'impureté, dans la mentalité des personnes, et à le décharger de toute
responsabilité, est que, de toute façon, il ne fait de mal à personne, il ne
viole pas les droits et la liberté des autres, sauf - dit-on - s'il s'agit
de violence charnelle. Mais à part le fait qu'il viole le droit fondamental
de Dieu de donner une loi à ses créatures, cette « excuse » est fausse même
à l'égard du prochain. Il n'est pas vrai que le péché d'impureté se limite à
celui qui le commet.
Dans le Talmud juif on peut lire un apologue qui illustre bien la solidarité
qui existe dans le péché et le tort que tout péché, même personnel, provoque
aux autres : « Plusieurs personnes se trouvaient dans une barque. L'une
d'entre elles prit une perceuse et commença à faire un trou sous son siège.
Voyant cela, les autres passagers lui dirent : Qu'est-ce que tu fais ?
Celle-ci répondit : en quoi cela vous regarde-t-il ? N'est-ce pas sous mon
siège que je suis en train de faire un trou ? Mais les autres répliquèrent :
oui, mais l'eau entrera et nous serons tous noyés ! ». N'est-ce pas ce qui
est en train de se passer dans notre société ? L'Eglise elle-même sait le
mal que l'on peut faire au corps tout entier avec les erreurs personnelles
commises dans ce domaine.
L'un des événements spirituels les plus importants de ces derniers mois a
été la publication des « écrits personnels » de Mère Teresa de Calcutta. Le
titre choisi pour le livre qui recueille ces écrits est la parole que le
Christ lui a adressée au moment où il l'a appelée pour sa nouvelle mission :
« Come, be my light », viens, sois ma lumière dans le monde. C'est
une parole que Jésus adresse à chacun de nous et qu'avec l'aide de la Très
Sainte Vierge Marie et l'intercession de la Bienheureuse de Calcutta, nous
voulons accueillir avec amour et chercher à mettre en pratique pendant cet
Avent.
NOTES :
(1) Cf. E.P. Sanders, Jesus and Judaism, London 1985, trad. italiana Gesù e
il giudaismo, Marietti 1992.
(2) Cf. S. Ireneo, Adv. Haer. IV, 34, 1
(3) Cf. Neusner, op. cit. 84
(4) Cf. Méditations de l'Avent 1989 recueillies dans le livre Gesú Cristo,
il Santo di Dio, cap. VII, Edizioni San Paolo 1999
(5) Saint Augustin, Confessions, VIII, 5, 12
(6) Saint Augustin, Confessions, cf. VIII, 7, 17
(7) Saint Augustin, Confessions, cf. X, 31, 45
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Sources:
www.cantalamessa
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Eucharistie sacrement de la miséricorde -
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