Synode : Le peuple juif et ses Saintes
Écritures dans la Bible chrétienne |
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Le 07 octobre 2008 -
(E.S.M.) -
À une argumentation basée sur les Écritures du peuple juif, le Nouveau
Testament reconnaît une valeur décisive. Dans le IVème évangile, Jésus
déclare à ce propos que “ l’Écriture ne peut être abolie”
(Jn 10,35). Sa
valeur vient de ce qu’elle est “parole de Dieu” (ibid.).
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Le cardinal
Vanhoye -
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Le document de la Commission Biblique Pontificale sur "Le peuple juif et ses
Saintes Écritures dans la Bible chrétienne"
RAPPORT DE S.ÉM. LE CARD. ALBERT
VANHOYE, S.I., RECTEUR ÉMÉRITE DE L’INSTITUT PONTIFICAL BIBLIQUE DE ROME
(FRANCE)
Le 07 octobre 2008 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
-
En 1996, après son renouvellement partiel, la Commission Biblique
Pontificale a été invitée par son président, le Cardinal Joseph Ratzinger,
désormais pape Benoît XVI, à
choisir un nouveau sujet de recherche, qui soit important pour la vie et la
mission de l'Église dans le monde actuel. Plusieurs sujets ont été proposés.
Un vote a été effectué. Le sujet qui a obtenu le plus grand nombre de voix a
été “l’antijudaïsme et la Bible”. Le terme “antijudaïsme” a été préféré à
“antisémitisme”, parce qu’il est plus précis ; il y a, en effet, d’autres
peuples sémites que le peuple juif.
La Commission Biblique s’est ensuite montrée fidèle au choix de ce terme,
mais elle ne l’a pas maintenu dans le titre de son travail. Elle a adopté
une perspective plus ouverte et plus positive et a défini son sujet par une
autre formulation: “Le peuple juif et ses Écritures dans la Bible
chrétienne.” Un collègue a fait alors remarquer que l’expression “ses
Écritures” a un sens trop large, car, en plus de la Bible hébraïque, elle
s’applique aussi à la Mishna, à la Tosephta, au Talmud. On a donc précisé en
mettant “saintes Écritures”, expression employée par l’apôtre Paul au début
de sa Lettre aux Romains et qui a l’avantage d’exprimer un respect religieux
pour les écrits désignés de cette façon.
“Le peuple juif et ses Saints Écritures dans la Bible chrétienne”: dans ce
titre sont indiqués deux thèmes distincts et complémentaires, qui
correspondent à deux questions. La première est de quelles façons “le peuple
juif” est-il présenté dans la Bible chrétienne, c’est-à-dire dans l’Ancien
Testament et dans le Nouveau ? La seconde question est: quelle place les
“saintes Écritures” du peuple juif occupent-elles dans la Bible chrétienne ?
Le document traite ses deux questions dans l’ordre inverse. - Il traite
d’abord de la place occupée par l'Ancien Testament dans la Bible chrétienne
et ensuite des façons dont le peuple juif est présenté dans les deux parties
de cette Bible, Ancien et Nouveau Testament. Disons tout de suite que cette
façon plus ouverte et plus positive de poser les questions a eu pour
conséquence que le mot “antijudaïsme” ne se trouve plus dans aucun des
titres du document, ni dans les titres des chapitres, ni dans ceux des
paragraphes. Par contre, il se trouve en plus d'un endroit dans le texte,
car le problème n'a aucunement été éludé; il a été clairement affronté, mais
sans occuper toute la perspective, qui est restée avant tout positive, ce
qui fait - remarquons-le - que le document constitue un antidote plus
efficace contre l’antijudaïsme.
Le travail de la Commission Biblique s’est effectué, comme d'habitude, en
trois étapes. Des études monographiques ont d’abord été rédigées par chaque
membre de la commission et discutées en assemblée plénière. Ensuite, après
l’établissement d'un plan pour le document, la rédaction des diverses
parties de ce plan a été confiée à divers collègues et soumise ensuite à une
discussion. Enfin, troisième étape, les différentes contributions ont été
unifiées dans une rédaction d'ensemble, qui a été discutée, révisée, soumise
au vote. La rédaction finale est donc vraiment le fruit d’un travail
collégial.
Ce travail a été réalisé avec rigueur scientifique et dans un esprit de
respect et d'amour pour le peuple juif. On ne s’est pas contenté d'un examen
superficiel des textes, mais on les a étudiés et approfondis. Le document
n'est donc pas toujours de lecture facile. Et ce sont les textes eux-mêmes
qui inspirent respect et amour pour le peuple juif. “Dans l’Ancien
Testament,” en effet, “le projet de Dieu est un projet d'union d'amour avec
son peuple, amour paternel, amour conjugal, et quelles que soient les
infidélités d’Israël, Dieu n’y renonce jamais, mais en affirme la perpétuité
(Is 54,8 ; Jr 31,3). Dans le Nouveau Testament, l’amour de Dieu surmonte les
pires obstacles. Même s’ils ne croient pas en son Fils, qu’il leur a envoyé
pour être leur Messie sauveur, les Israélites restent “aimés” [saint Paul
l’affirme dans sa Lettre aux Romains 11,28]. Qui veut être uni à Dieu, doit
donc également les aimer” (n° 86, fin). La Commission Biblique s'est mise
explicitement dans l’orientation indiquée par le Pape Paul VI dans son
homélie du 28 octobre 1965, jour de la promulgation du document conciliaire
Nostra
Aetate, qui traite des rapports avec les religions non-chrétiennes,
en particulier la religion juive. Parlant des Juifs, Paul VI a souhaité
“qu’on ait pour eux respect et amour” et il a même ajouté “et qu’on ait
espoir en eux”. Extrêmement positive, cette orientation ne laisse aucune
place à l’antijudaïsme. Elle devrait être plus fidèlement maintenue.
Le document se compose de 3 grands chapitres. Le premier s’intitule “Les
Saintes Écritures du peuple juif, partie fondamentale de la Bible
chrétienne”. On avait d'abord mis “partie intégrante”, ce qui aurait
signifié que sans les Saintes Écritures du peuple juif, la Bible chrétienne
ne serait pas complète. Cela est tout à fait exact, mais reste insuffisant.
L’Ancien Testament n’est pas simplement un morceau entre autres de la Bible
chrétienne. Il en est la base, la partie fondamentale. Si le Nouveau
Testament s'était établi sur une autre base, il serait sans vraie valeur.
Sans sa conformité aux Saintes Écritures du peuple juif, il n’aurait pas pu
se présenter comme l’accomplissement du dessein de Dieu. Quand l’apôtre Paul
veut exprimer l’essentiel de la foi chrétienne, il souligne deux fois cette
conformité, en disant : “Christ est mort pour nos péchés, conformément aux
Écritures et il a été enseveli ; il est ressuscité le troisième jour,
conformément aux Écritures, et il est apparu” (1 Co 15,3-5). La foi
chrétienne n’est donc pas basée seulement sur des événements, mais sur la
conformité de ces événements à la révélation contenue dans les Saintes
Écritures du peuple juif (n° 7). Cela constitue évidemment un lien très fort
entre les chrétiens et le peuple juif.
Le 1er chapitre présente une longue démonstration de l’affirmation contenue
dans son titre. Il montre d'abord que “le Nouveau Testament reconnaît
l’autorité des Saintes Écritures du peuple juif”. Il la reconnaît
implicitement en utilisant constamment le même langage que ces Saintes
Écritures et en faisant souvent allusion à des passages de ces textes. Il la
reconnaît aussi en la citant souvent explicitement. Le Document rappelle en
détail les multiples façons dont sont présentées dans le Nouveau Testament
ces citations explicites. Le lecteur peut en être fatigué, mais c’est cette
attention aux détails précis qui donne toute sa valeur à la démonstration.
“Très souvent, le Nouveau Testament utilise des textes de la Bible juive
pour argumenter”.
À une argumentation basée sur les Écritures du peuple juif, le Nouveau
Testament reconnaît une valeur décisive. Dans le IVème évangile, Jésus
déclare à ce propos que “ l’Écriture ne peut être abolie”
(Jn 10,35). Sa
valeur vient de ce qu’elle est “parole de Dieu” (ibid.). “Dans ses
argumentations doctrinales, l’apôtre Paul, en particulier, s’appuie
constamment sur les Écritures de son peuple et il met une nette distinction
entre les argumentations scripturaires et les raisonnements humains. Aux
argumentations scripturaires, il attribue une valeur incontestable. Pour
lui, les Écritures juives ont une valeur toujours actuelle pour guider la
vie spirituelle des chrétiens. Dans sa Lettre aux Romains, il leur écrit :
“Tout ce qui a été écrit auparavant l’a été pour notre instruction, afin
que, par la persévérance et l'encouragement des Écritures, nous possédions
l’espérance” (Rm 15,4 ; cf. 1 Co 10,11).
Le document montre ensuite que “le Nouveau Testament s’affirme conforme aux
Écritures du peuple juif”. Le Nouveau Testament manifeste, en effet, une
double conviction : “d’une part, ce qui est écrit dans la Bible juive doit
nécessairement s'accomplir, car cela révèle le dessein de Dieu, qui ne peut
manquer de se réaliser, et d’autre part, la vie, la mort et la résurrection
du Christ correspondent pleinement à ce qui était dit dans ces Écritures”.
Le document approfondit beaucoup le thème de l'accomplissement des
Écritures, car c’est un thème très important pour les rapports entre les
chrétiens et les Juifs et il est très complexe. Ce thème est traité d'abord
dans le paragraphe 8 ; il est repris plus longuement dans le 2ème chapitre,
paragraphes 19 à 21. L’accomplissement des Écritures comprend nécessairement
trois aspects: un aspect fondamental de continuité avec la révélation de l’Ancien
Testament, mais en même temps un aspect de différence sur certains points et
un aspect de dépassement. Une simple répétition de ce qui existait dans l’Ancien
Testament ne suffit pas pour qu’on puisse parler d’accomplissement. Un
progrès décisif est indispensable. Prenons, par exemple, le thème de
l'habitation de Dieu au milieu de son peuple. Une première réalisation a été
le Temple de Jérusalem, construit par Salomon. Toute splendide qu’elle
était, cette première réalisation était imparfaite. Au moment même de la
dédicace, Salomon le reconnaissait, en disant à Dieu : “Les cieux et les
cieux des cieux ne peuvent te contenir, encore moins cette maison que je
t’ai construite” (1 R 8,27). Souillé par les péchés du peuple, le Temple de
Salomon a été détruit et les Juifs ont été déportés en exil. Au retour de
l’exil, le Temple a été reconstruit. Était-ce alors l'accomplissement du
projet de Dieu ? Nullement, car il s’agissait de nouveau d’un édifice
matériel, construit par des hommes, qui ne pouvait pas être réellement la
maison de Dieu. Il était différent du Temple de Salomon, mais au lieu
d'aller dans le sens d’un progrès décisif, la différence allait dans le sens
d’une infériorité. C'est ce que constatait le prophète Aggée, lorsqu’il
demandait aux Juifs rapatriés : “Quel est parmi vous le survivant qui a vu
cette Maison dans son ancienne splendeur ? Et comment la voyez-vous à
présent ? N’apparaît-elle pas à vos yeux comme un rien ?”
(Ag 2,3). Le
prophète annonçait donc une intervention de Dieu. Cette intervention s'est
effectuée dans le mystère pascal du Christ. Jésus l'avait annoncé en disant
aux Juifs : “Détruisez ce sanctuaire et, en trois jours, je le relèverai”
(Jn
2,20). L’évangéliste ajoute cette précision : “Il parlait du sanctuaire de
son corps” (Jn 2,21). Cette fois, la différence est radicale. Comme le dit
S. Marc, au lieu d’un “sanctuaire fait de main d'homme”, il s’agit d'un
“sanctuaire non fait de main d'homme” (Mc 14,58) et cette différence va dans
le sens d’une infinie supériorité. Le corps glorifié du Christ est vraiment
la demeure de Dieu ; “en lui habite toute la plénitude de la divinité”,
comme le proclame la Lettre aux Colossiens (Col 2,9).
Dans son paragraphe 8, le Document précise donc que la conformité du Nouveau
Testament aux Écritures du peuple juif n’est pas totale, mais est
“accompagnée de quelques aspects de non-conformité”. C’est le cas, par
exemple, dans les Lettres de S. Paul. “Dans la Lettre aux Galates et dans
celle aux Romains, l’apôtre argumente à partir de la Loi” - c’est-à-dire de
l’Ancien Testament - “pour démontrer que la foi au Christ a mis fin au
régime de la Loi. Il montre que la Loi comme révélation a annoncé sa propre
fin comme institution nécessaire au salut”.
On peut remarquer qu’en réalité, il n’y a pas “non-conformité” aux Écritures
du peuple juif prises dans leur ensemble, mais non-conformité à leur aspect
institutionnel et conformité à leur aspect prophétique, lequel est présent
dans la Torah elle-même. L’Ancien Testament, en effet, est rempli de
tensions entre ces deux aspects. Dans les Lettres de S. Paul, “la phrase la
plus significative à ce sujet, est celle de Rm 3,21 où l'apôtre affirme que
la manifestation de la justice de Dieu, dans la justification par la foi au
Christ, s'est faite “indépendamment de la Loi”, mais est cependant “conforme
au témoignage de la Loi et des prophètes”. De façon analogue, la Lettre aux
Hébreux montre que le mystère pascal du Christ est conforme aux prophéties
et à l’aspect préfiguratif des Écritures, mais comporte, du même coup, un
aspect de non-conformité aux institutions anciennes”. Le sacrifice personnel
du Christ est conforme aux oracles prophétiques qui dénonçaient
l’insuffisance des immolations d’animaux, bien qu’elles soient prescrites
par la Loi. La situation du Christ glorifié est conforme à l’oracle du Ps
109 (110),4 sur le sacerdoce “selon l’ordre de Melchisédeq” ; elle est, par
là-même, non conforme au sacerdoce lévitique. Il y a donc souvent à la fois
conformité et non-conformité.
Dans le paragraphe 21, le Document revient sur la notion d’accomplissement
et déclare que c’est “une notion extrêmement complexe, qui peut facilement
être faussée, si on insiste unilatéralement soit sur la continuité, soit sur
la discontinuité”. La pastorale doit donc être attentive à ne pas fausser la
notion d’accomplissement des Écritures. Le Document continue en disant que
“la foi chrétienne reconnaît l’accomplissement, dans le Christ, des
Écritures et des attentes d’Israël, mais elle ne comprend pas cet
accomplissement comme la simple réalisation de ce qui était écrit. Une telle
conception serait réductrice. En réalité, dans le mystère du Christ crucifié
et ressuscité, l’accomplissement s’effectue d’une manière imprévisible. Il
comporte un dépassement. Jésus ne se limite pas à jouer un rôle déjà fixé -
le rôle de Messie [victorieux] - mais il confère aux notions de Messie et de
salut une plénitude qu'on ne pouvait pas imaginer à l’avance ; il les
remplit d’une réalité nouvelle ; on peut même parler, à ce sujet de
“nouvelle création” (2 Co 5,17 ; Ga 6,15). […] Le messianisme de Jésus a un
sens nouveau et inédit. […] Il y a donc lieu de renoncer à l’insistance
excessive, caractéristique d’une certaine apologétique, sur la valeur de
preuve attribuée à l’accomplissement des prophéties. Cette insistance a
contribué à rendre plus sévère le jugement des chrétiens sur les Juifs et
sur leur lecture de l’Ancien Testament : plus on trouve évidente la
référence au Christ dans les textes de l’Ancien Testament et plus on trouve
inexcusable et obstinée l’incrédulité [de la grande majorité] des Juifs”.
Plus loin, le Document déclare : “Lorsque le lecteur chrétien perçoit que le
dynamisme interne de l'Ancien Testament trouve son aboutissement en Jésus,
il s’agit d'une perception rétrospective, dont le point de départ ne se
situe pas dans les textes comme tels, mais dans les événements du Nouveau
Testament proclamés par la prédication apostolique”. Le Document tire alors
une conclusion qui concernent les Juifs qui ne croient pas au Christ : “On
ne doit donc pas dire que le Juif ne voit pas ce qui était annoncé dans les
textes, mais que le chrétien, à la lumière du Christ et dans l’Esprit,
découvre dans les textes un surplus de sens qui y était caché”.
L’expression, vous le remarquez, est très nuancée. L’interprétation
chrétienne dépasse le sens littéral de certains textes ; elle leur confère
“un surplus de sens”, mais elle ne le fait pas de façon arbitraire ; elle
découvre ce “surplus de sens” dans les textes mêmes, car il “y était caché”.
Dans le paragraphe 64, le Document exprime la même idée en d'autres termes.
Il déclare : “Les lecteurs chrétiens sont convaincus que leur herméneutique
de l’Ancien Testament, fort différente, assurément, de celle du judaïsme,
correspond cependant à une potentialité de sens effectivement présente dans
les textes. À la manière d’un “révélateur” au cours du développement d’une
pellicule photographique, la personne de Jésus et les événements qui la
concernent ont fait apparaître dans les Écritures une plénitude de sens qui,
auparavant, ne pouvait pas être perçue”.
Il s’ensuit, selon le Document, que “les chrétiens peuvent et doivent
admettre que la lecture juive de la Bible, est une lecture possible”, une
lecture “qui se trouve en continuité avec les Saintes Écritures juives de
l‘époque du second Temple, une lecture analogue à la lecture chrétienne, qui
s’est développée parallèlement”. Mais le Document fait nettement comprendre
que, possible pour les Juifs qui ne croient pas au Christ, cette lecture
n'est pas possible pour les chrétiens, car elle implique l’acceptation de
tous les présupposés du judaïsme, en particulier ceux “qui excluent la foi
en Jésus comme Messie et Fils de Dieu”. “Chacune des deux lectures est
solidaire de la vision de foi respective dont elle est un produit et une
expression. Elles sont, par conséquent, irréductibles l’une à l’autre”.
Cette prise de position vaut pour la lecture juive dans son ensemble. Elle
ne vaut pas pour la lecture de tous les détails des textes bibliques, car
souvent cette lecture juive des détails n'implique nullement le refus de la
foi au Christ. Elle correspond simplement à une lecture faite avant la venue
du Christ.
Le Document peut donc déclarer que “sur le plan concret de l’exégèse, les
chrétiens peuvent, néanmoins, apprendre beaucoup de l’exégèse juive
pratiquée depuis plus de deux mille ans et, de fait, ils ont appris beaucoup
au cours de l’histoire”. Le Document ajoute que, réciproquement, les
exégètes chrétiens “peuvent espérer que les Juifs pourront tirer profit, eux
aussi, des recherches exégétiques chrétiennes” (n. 22).
Pour compléter l’étude des rapports entre le Nouveau Testament et l’Ancien,
le Document étudie les relations qui existent, dans le judaïsme et le
christianisme primitif, entre l’Écriture et la Tradition. Il note des
correspondances : “la Tradition donne naissance à l’Écriture” et ensuite
l’accompagne, car “les textes écrits ne peuvent jamais exprimer la Tradition
de façon exhaustive”. La Tradition a déterminé, en particulier, le canon de
l’Écriture. Cette détermination s’est faite progressivement et n’a pas
abouti au même résultat pour les Juifs et pour les chrétiens. En plus des
livres de l’Ancien Testament, les chrétiens ont les écrits du Nouveau
Testament et, pour l’Ancien Testament lui-même, le canon chrétien est plus
étendu que le canon juif des Écritures; il comporte des livres écrits en
grec dont le texte ne se trouve pas dans la Bible hébraïque. Le Document
rend compte de cette situation.
Il note, d’autre part, que la réception des Écritures n’est pas identique
dans le judaïsme et dans le christianisme. “Pour tous les courants du
judaïsme de la période correspondant à la formation du canon, la Loi était
au centre. En elle, en effet, se trouvent les institutions essentielles
révélées par Dieu lui-même et chargées de gouverner la vie religieuse,
morale, juridique et politique de la nation juive après l’exil”. Dans le
Nouveau Testament, au contraire, “la tendance générale […] est de donner
plus d’importance aux textes prophétiques, compris comme annonçant le
mystère du Christ. L’apôtre Paul et la Lettre aux Hébreux n’hésitent pas à
polémiquer contre la Loi”. Cette différence de perspectives est due au fait
que l’Église du Christ n’est pas une nation. L’apôtre Paul a lutté
vigoureusement pour qu’on n’impose pas aux chrétiens originaires des nations
païennes la législation et les coutumes particulières de la nation juive.
Le deuxième chapitre du document examine la situation de façon plus
détaillée. Il prend en considération les “Thèmes fondamentaux des Écritures
du peuple juif et leur réception dans la foi au Christ” (nos. 19-65).
Les Écritures du peuple juif sont reçues dans la Bible chrétienne sous le
nom d’Ancien Testament. Le Document fait aussitôt remarquer à ce sujet qu’
“en les nommant ‘Ancien Testament’, l’Église chrétienne n’a aucunement voulu
suggérer que les Écritures du peuple juif étaient périmées et qu’on pouvait
désormais s’en passer. Elle a toujours affirmé, au contraire, qu’Ancien
Testament et Nouveau Testament sont inséparables. Lorsque, au début du IIème
siècle, Marcion voulut rejeter l’Ancien Testament, il se heurta à une
complète opposition de l’Église post-apostolique”.
“Le nom d’Ancien Testament […] est une expression forgée par l’apôtre Paul
[dans la 2e aux Corinthiens 3,14-15] pour désigner les écrits attribués à
Moïse”. Paul y parle de “la lecture de l’Ancien Testament” et dit ensuite
“lorsqu’on lit Moïse”. Le sens de l’expression a été élargi, dès la fin du IIème siècle, pour l’appliquer aussi aux autres saintes Écritures du peuple
juif accueillies dans la Bible chrétienne. “Actuellement, dans certains
milieux, on tend à répandre l‘appellation “Premier Testament”, pour éviter
la connotation négative qui pourrait être attachée à “Ancien Testament”.
Mais “Ancien Testament” est une expression biblique et traditionnelle, qui
n’a pas par elle-même de connotation négative; l’Église reconnaît pleinement
la valeur de l’ “Ancien Testament” comme Parole de Dieu. Quant à
l’expression “Premier Testament”, elle se trouve en latin sous la forme
“prius testamentum” ou “primum” dans la traduction de la Lettre aux Hébreux
(9,15 ; “primum” en 9,18), mais il ne s’agit pas alors des Écritures ; il
s’agit de l’alliance conclue au Sinaï ; et de cette “première alliance” il
est dit que Dieu l’a “rendue ancienne”, lorsqu’il en a annoncée une
“nouvelle”, et qu’elle était dès lors vouée à sa disparition
(He 8,13).
Il se trouve donc que, dans le Nouveau Testament, c’est l’expression “Primum Testamentum” qui a une connotation négative et non l'expression “ancien
testament”.
Pour le dire tout de suite, le texte polémique de la Lettre aux Hébreux est,
en général, consciemment ou inconsciemment, ignoré dans les déclarations
lénifiantes sur la permanente validité de la première alliance. Le Document
ne cite pas ce texte, mais il en tient compte, car il se garde d'affirmer la
permanente validité de l'alliance du Sinaï ; il parle de la permanente
validité de “l’alliance-promesse de Dieu”, qui n'est pas un pacte bilatéral
comme l‘alliance du Sinaï, souvent rompue par les Israélites. Elle est
“toute de miséricorde” et “ne peut pas être annulée”
(n. 41) ; elle “est
définitive et ne peut pas être abolie” ; c’est en ce sens que, selon le
Nouveau Testament, “Israël continue à se trouver dans une relation
d’alliance avec Dieu” (n. 42).
Dans son deuxième chapitre, le document passe en revue non moins de neuf
thèmes fondamentaux des Écritures du peuple juif, qui sont reçus dans la foi
au Christ. Les deux premiers ont une immense ampleur, car il s’agit de la
“révélation de Dieu” et de la situation de “la personne humaine” sous ses
deux aspects contrastés de “grandeur et de misère”. Les thèmes suivants
précisent le dessein de Dieu, dessein “libérateur et sauveur”, qui se
réalise par “l’élection d’Israël”, peuple auquel Dieu offre “l’alliance” et
“la Loi”. Les derniers thèmes concernent “la prière et le culte, Jérusalem
et le Temple” ; ensuite, les oracles divins de “reproches et [de]
condamnations” ; enfin les oracles de “promesses”.
Le document constate que “le Nouveau Testament assume pleinement tous les
grands thèmes de la théologie d’Israël”, mais il ne se contente pas de
répéter à leur sujet ce qui était déjà écrit ; il les approfondit, ce qui
exige un dépassement en vue d'une progression. “La personne et l’œuvre du
Christ ainsi que l’existence de l'Église se situent [nettement] dans le
prolongement de l’histoire d‘Israël”. “On ne saurait nier, cependant, que le
passage de l’un à l’autre Testament entraîne des ruptures. Celles-ci ne
suppriment pas la continuité. Elles la présupposent [au contraire] sur ce
qui est essentiel. Elles atteignent, cependant, des pans entiers de la Loi :
[c’est-à-dire] des institutions, comme le sacerdoce lévitique et le Temple
de Jérusalem ; des formes de culte, comme les immolations d’animaux ; des
pratiques religieuses et rituelles, comme la circoncision, les règles sur le
pur et l‘impur, les prescriptions alimentaires ; des lois imparfaites, comme
celle sur le divorce ; des interprétations légales restrictives, concernant
le sabbat, par exemple. Il est manifeste que, d’un certain point de vue -
celui du judaïsme - ce sont des éléments de grande importance qui s’en vont.
Mais il est tout aussi évident que le déplacement radical d'accents réalisé
dans le Nouveau Testament était déjà amorcé dans l’Ancien Testament et en
constitue ainsi une lecture potentielle légitime” (n. 64).
“La discontinuité sur plusieurs points n’est que la face négative d’une
réalité dont la face positive s’appelle progression. Le Nouveau Testament
atteste que Jésus, bien loin de s’opposer aux Écritures israélites, de leur
mettre un terme et de les révoquer, les porte [au contraire] à leur
achèvement, dans sa personne, dans sa mission et, tout particulièrement,
dans son mystère pascal. […] aucun des grands thèmes de la théologie de l’Ancien
Testament n’échappe au rayonnement de la lumière christologique”
(n. 65).
En particulier, le Nouveau Testament assume comme une réalité irrévocable
l’élection d'Israël, peuple de l‘alliance : celui-ci conserve intactes ses
prérogatives [énumérées par l’apôtre Paul, en] (Rm 9,4) et son statut
prioritaire, dans l’histoire, par rapport à l’offre du salut (Ac 13,23 ; [Rm
1,16]) et de la Parole de Dieu (Ac 13,46). Mais à Israël Dieu a offert une
“alliance nouvelle” (Jr 31,31) ; celle-ci a été fondée dans le sang de Jésus
[Lc 22,20 ; 1 Co 11,25]. L’Église se compose des Israélites qui ont accepté
cette nouvelle alliance et d’autres croyants qui se sont joints à eux.
Peuple de la nouvelle alliance, l’Église a conscience de n’exister que grâce
à son adhésion au Christ Jésus, [descendant de David et] Messie d’Israël, et
grâce à ses liens avec les apôtres, tous Israélites. Loin donc de se
substituer à Israël, elle reste solidaire avec lui. Jamais le Nouveau
Testament n’appelle l’Église “le nouvel Israël”. Aux chrétiens venus des
nations [païennes], l’apôtre Paul déclare qu’ils ont été greffés sur le bon
olivier qui est Israël (Rm 11,16.17). Mais l’Église a conscience [d’autre
part] que le Christ lui donne une ouverture universelle, conformément à la
vocation d’Abraham, dont la descendance s’élargit désormais à la faveur dune
filiation fondée sur la foi au Christ (Rm 4,11-12 [; Ga 3,28-29]) (n.
65).Ainsi donc, le Nouveau Testament se situe par rapport aux saintes
Écritures du peuple juif dans une ligne de profonde fidélité, mais de
fidélité qui est en même temps créatrice, conformément aux oracles
prophétiques qui annonçaient “une nouvelle alliance” (Jr 31,31) et le don
d’un “cœur nouveau” et d’un “esprit nouveau” (Ez 36,26).
Le 3ème chapitre du document s’intitule “Les Juifs dans le Nouveau
Testament”. Mais il commence par un exposé préalable, qui ne manque pas
d’utilité, sur les “Points de vue divers” qui existaient “dans le judaïsme
d’après l’exil” (nos. 66-69). Ce serait, en effet, une erreur de concevoir
le judaïsme de cette époque comme une réalité monolithique. On doit, au
contraire, constater l’existence de différents courants de pensée et de
comportement, qui souvent s’opposaient entre eux. L’historien juif Josèphe
distingue trois “partis” ou écoles de pensée, les Pharisiens, les Saducéens
et les Esséniens ; cette liste n’est pas exhaustive. “Les relations entre
les divers groupes étaient par moments extrêmement tendues, allant jusqu’à
l’hostilité […] Les écrits de Qumram [par exemple] couvrent d’injures la
hiérarchie sadducéenne de Jérusalem, mauvais prêtres accusés de violer les
commandements, et ils dénigrent également les Pharisiens”. Le document rend
compte de cette situation, qui se reflète dans les écrits du Nouveau
Testament; il distingue plusieurs périodes successives : d’abord, “les
derniers siècles avant Jésus-Christ”, ensuite le Ier siècle après
Jésus-Christ, divisé en trois tiers. Le premier tiers est l’époque de la vie
de Jésus, “qui a commencé cependant un peu plus tôt, puisque Jésus est né
avant la mort d’Hérode le Grand, survenue en l’an 4 avant [le début de]
notre ère”.
Le document estime “probable que Jésus n’a appartenu à aucun des partis qui
existaient alors au sein du judaïsme. Il était simplement solidaire du
commun du peuple. Des recherches récentes ont tenté de le situer en divers
contextes de son temps : rabbis charismatiques de Galilée, prêcheurs
cyniques itinérants ou même zélotes révolutionnaires. Il ne se laisse
enfermer dans aucune de ces catégories. “Quant au groupe de ses disciples,
il “pouvait refléter le pluralisme qui existait alors en Palestine”
(n. 67).
Le 2ème tiers du Ier siècle est l’époque “où les disciples du Christ
ressuscité devinrent très nombreux et s'organisèrent en Églises”. Le 3ème
tiers commence avec “la révolte juive de 66-70" qui provoqua la guerre
juive, la défaite et la destruction du Temple de Jérusalem. “Lorsqu’ils
parlent du judaïsme, les écrits chrétiens datant de cette époque auront été
influencés, de façon croissante, par les rapports avec le judaïsme
rabbinique en voie de formation. Dans certains secteurs, le conflit entre
les dirigeants des synagogues et les disciples de Jésus était aigu”
(n. 69).
Après cet exposé préalable, le document examine la façon dont les Juifs sont
présentés dans les Évangiles et les Actes des apôtres ; ensuite, dans les
lettres de Paul, celles de Jacques, Pierre et Jude et dans l’Apocalypse. La
première phrase est très significative. Elle déclare que “sur les Juifs, les
Évangiles et les Actes ont une perspective fondamentale très positive, car
ils reconnaissent le peuple juif comme le peuple choisi par Dieu pour
réaliser son dessein de salut. Ce choix divin trouve sa plus haute
confirmation dans la personne de Jésus, fils d’une mère juive, né pour être
le sauveur de son peuple et qui mène à bien sa mission […]. L’adhésion à
Jésus d’un grand nombre de juifs, durant sa vie publique et après sa
résurrection, confirme cette perspective, et de même le choix par Jésus de
douze Juifs pour participer à sa mission et continuer son œuvre”
(n. 70).
Un autre aspect de la situation est ensuite exprimé dans les termes suivants
: “Accueillie positivement au début par beaucoup de Juifs, la Bonne Nouvelle
[annoncée au nom de Jésus] s’est heurtée à l’opposition des dirigeants, qui
ont été suivis, en fin de compte, par la plus grande partie du peuple. Il en
est résulté, entre les communautés juives et les communautés chrétiennes,
une situation conflictuelle, qui a évidemment laissée sa marque sur la
rédaction des Évangiles et des Actes” (n. 70).Ces deux aspects de la
situation, le premier, très positif, le second, négatif, se retrouvent dans
tous les écrits du Nouveau Testament. Le second aspect a provoqué des
expressions de reproches et la production de textes polémiques. Mais le
document fait remarquer que “dans le Nouveau Testament, les reproches
adressés aux Juifs ne sont ni plus fréquents, ni plus virulents que les
accusations exprimées contre les Israélites dans la Loi et les prophètes.
Ils ne doivent donc pas davantage servir de base à de l’antijudaïsme. Les
utiliser à cet effet va contre l’orientation d’ensemble du Nouveau
Testament. Un antijudaïsme véritable, c’est-à-dire une attitude de mépris,
d’hostilité et de persécution contre les Juifs en tant que Juifs, n’existe
en aucun texte du Nouveau Testament et est incompatible avec l’enseignement
du Nouveau Testament. Ce qui existe, ce sont des reproches adressés à
certaines catégories de Juifs pour des motifs religieux et, d’autre part,
des textes polémiques visant à défendre l’apostolat chrétien contre des
Juifs qui lui faisaient opposition” (n. 87).
Les reproches ne correspondent jamais à une attitude de haine. Le document
rappelle que, dans les Actes des Apôtres, “la faute des “Israélites” [qui] a
été d’avoir “fait mourir le prince de la vie” (3,15) […] n’est rappelée que
pour fonder un appel à la conversion et à la foi. [L’apôtre] Pierre,
d'ailleurs, atténue la culpabilité, non seulement des “Israélites”, mais
même celle de leurs “chefs”, en disant qu’il s’agit d’une faute commise “par
ignorance” (3,17). Pareille indulgence est impressionnante. Elle correspond
à l’enseignement “[de Jésus, qui nous a dit d’aimer nos ennemis] (Lc
6,36-37) et à son exemple [il a prié pour ceux qui le crucifiaient] (Lc
23,34)” (n. 75). Saint Étienne, le premier des martyrs a suivi fidèlement
cet exemple (Ac 7,60).
Quant aux textes polémiques, provoqués alors par l’opposition des Juifs à
l’apostolat chrétien, le document fait remarquer que “la situation ayant
radicalement changé, “ils n’ont” plus à intervenir dans les rapports entre
chrétiens et Juifs” (n. 71).
En terminant, le document constate que le Nouveau Testament “se trouve en
grave désaccord avec la grande majorité du peuple juif”, parce qu’il “est
essentiellement une proclamation de l'accomplissement, en Jésus Christ, du
dessein de Dieu [annoncé dans l’Ancien Testament]” et la grande majorité du
peuple juif “ne croit pas à cet accomplissement. […] Si profond qu’il soit,
un tel dissentiment n'implique nullement une hostilité réciproque. L’exemple
de [l’apôtre] Paul en Rm 9-11 montre qu'au contraire, une attitude de
respect, d’estime et d’amour pour le peuple juif est la seule attitude
vraiment chrétienne dans cette situation qui fait mystérieusement partie du
dessein, tout positif, de Dieu”.
“Le dialogue reste possible, puisque Juifs et chrétiens possèdent un riche
patrimoine commun qui les unit, et il est grandement souhaitable, pour
éliminer progressivement, d’un côté comme de l’autre, préjugés et
incompréhensions, pour favoriser une meilleure connaissance du patrimoine
commun et pour renforcer les liens mutuels” (n. 87).
C’est dans cette direction qu’une entière docilité à la Parole de Dieu
pousse l’Église à progresser.
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Sources : www.vatican.va
-
(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
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07.10.2008 -
T/Synode des Évêques
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