Homélie de Benoît XVI pour le
bicentenaire de la naissance de Léon XIII |
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Le 07 septembre 2010
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(E.S.M.)
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Dans la matinée du dimanche 5 septembre 2010, le Pape Benoît XVI s'est rendu
à Carpineto Romano, dans le Latium (Italie), à l'occasion des célébrations
du bicentaire de la naissance de Léon XIII.
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Le pape Benoît XVI -
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Homélie de Benoît XVI pour le bicentenaire de la
naissance de Léon XIII
Les chrétiens, force bénéfique et pacifique
de changement social
Le 07 septembre 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Dans la matinée du dimanche 5 septembre 2010, le Pape Benoît XVI s'est rendu
à Carpineto Romano, dans le Latium (Italie), à l'occasion des célébrations
du bicentaire de la naissance de Léon XIII. Nous publions ci-dessous
l'homélie prononcée par le Saint-Père au cours de la Messe:
Chers frères et sœurs!
Avant tout, permettez-moi d'exprimer ma joie de me trouver parmi vous à
Carpineto Romano, sur les traces de mes bien-aimés prédécesseurs Paul VI et
Jean-Paul II! Et c'est aussi une fête qui m'a conduit ici: le bicentenaire
de la naissance du Pape Léon XIII, Vincenzo Gioacchino Pecci, le 2 mars
1810, dans cette belle petite ville. Je vous remercie tous pour votre
accueil! Je salue en particulier avec reconnaissance l'évêque d'Anatri-Alatri,
Mgr Lorenzo Loppa, et le maire de Carpineto, qui m'ont souhaité la bienvenue
au début de la célébration, ainsi que les diverses autorités présentes.
J'adresse une pensée particulière aux jeunes, notamment à ceux qui ont
accompli le pèlerinage diocésain. Ma visite, hélas, est très brève et
entièrement concentrée sur cette célébration eucharistique: mais ici, nous
trouvons tout: la Parole et le Pain de vie éternelle, qui nourrissent la
foi, l'espérance et la charité; et nous renouvelons le lien de communion qui
fait de nous l'unique Eglise du Seigneur Jésus Christ.
Nous avons écouté la Parole de Dieu, et il est naturel de l'accueillir, en
cette occasion, en repensant à la figure du Pape Léon XIII et à l'héritage
qu'il nous a laissé. Le thème principal qui ressort des lectures bibliques
est celui du primat de Dieu et du Christ. Dans le passage évangélique, tiré
de saint Luc, Jésus lui-même déclare avec franchise trois conditions
nécessaires pour être ses disciples: l'aimer plus que tout autre personne,
et plus que sa vie; porter sa croix et le suivre; renoncer à tous ses biens.
Jésus voit qu'une grande foule le suit avec ses disciples, et il veut être
clair avec tous: le suivre est exigeant, cela ne peut dépendre
d'enthousiasmes et d'intérêts personnels; cela doit être une décision
réfléchie, prise après s'être demandé en toute conscience: qui est Jésus
pour moi? Est-il véritablement "le Seigneur", occupe-t-il la première
place, comme le Soleil autour duquel tournent toutes les planètes? Et la
première lecture du Livre de la Sagesse nous suggère de façon indirecte le
motif de ce primat absolu de Jésus Christ: en Lui, les questions de l'homme
de tout temps qui cherche la vérité sur Dieu et sur lui-même trouvent une
réponse. Dieu est au-delà de notre portée, et ses desseins sont insondables.
Mais lui-même a voulu se révéler, dans la création et surtout dans
l'histoire du salut, jusqu'à ce que dans le Christ, il se soit pleinement
manifesté lui-même, ainsi que sa volonté. Bien qu'il demeure toujours vrai
que "Dieu, personne ne l'a jamais vu" (Jn 1, 18),
à présent, nous connaissons son "nom", son "visage" et
également sa volonté, car Jésus, qui est la Sagesse de Dieu faite homme,
nous les a révélés. "C'est ainsi, - écrit l'Auteur sacré - que les
hommes ont appris ce qui te plaît et, par la Sagesse, ont été sauvés"
(Sg 9, 18).
Ce rappel fondamental de la Parole de Dieu fait penser à deux aspects de la
vie et du ministère de votre vénéré concitoyen que nous commémorons
aujourd'hui, le Souverain Pontife Léon XIII. Avant tout, il faut souligner
qu'il fut un homme de grande foi et de profonde dévotion. Cela demeure
toujours la base de tout, pour chaque chrétien, y compris le Pape. Sans la
prière, c'est-à-dire sans l'union intérieure avec Dieu, nous ne pouvons rien
faire, comme le dit clairement Jésus à ses disciples au cours de la dernière
Cène (cf. Jn 15, 5). Les paroles et les actes
du Pape Pecci laissaient transparaître sa religiosité intime; et cela s'est
répercuté également sur son Magistère: parmi ses très nombreuses Encycliques
et Lettres apostoliques, comme le fil dans un collier, il y a celles à
caractère proprement spirituel, consacrées surtout à l'approfondissement de
la dévotion mariale, en particulier à travers le chapelet. Il s'agit d'une
véritable "catéchèse", qui rythme du début à la fin les 25 ans de son
pontificat. Mais nous trouvons également les documents sur le Christ
rédempteur, sur l'Esprit Saint, sur la consécration au Sacré Cour, sur la
dévotion à saint Joseph, sur saint François d'Assise. Léon XIII fut
particulièrement lié à la famille franciscaine, et lui-même appartint au
Tiers-Ordre. J'ai plaisir à considérer tous ces divers éléments comme les
facettes d'une unique réalité: absolument rien ne doit être placé avant
l'amour de Dieu et du Christ. Et c'est ici, dans son village natal, que
Vincenzo Gioacchino Pecci apprit de ses parents et de sa paroisse, cette
première et principale qualité. Mais il y a aussi un deuxième aspect, qui
dérive toujours du primat de Dieu et du Christ et qui se retrouve dans
l'action publique de tout pasteur de l'Eglise, en particulier de tout
Souverain Pontife, avec les caractéristiques propres à la personnalité de
chacun. Je dirais que c'est précisément le concept de "sagesse chrétienne",
qui est déjà apparu au cours de la première lecture de l'Evangile, qui nous
offre la synthèse de cette caractéristique pour Léon XIII - ce n'est pas un
hasard si c'est aussi l'incipit d'une de ses Encycliques. Chaque pasteur est
appelé à transmettre au peuple de Dieu non seulement des vérités abstraites,
mais une "sagesse", c'est-à-dire un message qui conjugue foi et vie, vérité
et réalité concrète. Le Pape Léon XIII, avec l'aide de l'Esprit Saint, a été
capable de le faire à une période historique parmi les plus difficiles pour
l'Eglise, en demeurant fidèle à la tradition et, dans le même temps, en se
mesurant avec les grandes questions ouvertes. Et il y parvint précisément
sur la base de la "sagesse chrétienne" fondée sur les Saintes Ecritures, sur
l'immense patrimoine théologique et spirituel de l'Eglise catholique ainsi
que sur la philosophie solide et limpide de saint Thomas d'Aquin, qu'il
apprécia au plus haut degré et promut dans toute l'Eglise.
Dès lors, après avoir considéré le fondement, c'est-à-dire la foi et la vie
spirituelle, et donc le cadre général du message de Léon XIII, je peux
évoquer son magistère social, rendu particulièrement célèbre et impérissable
par l'Encyclique
Rerum Novarum,
mais riche de multiples autres interventions qui constituent un corps
organique, le premier noyau de la doctrine sociale de l'Eglise. Partons de
la Lettre à Philémon de saint Paul qu'avec bonheur, la liturgie nous offre à
lire précisément aujourd'hui. C'est le texte le plus bref de tout
l'épistolaire paulinien. Pendant la période de sa prison, l'apôtre a
transmis la foi à Onésime, un esclave originaire de Colosses ayant fui son
maître Philémon, un riche habitant de cette ville, devenu chrétien avec sa
famille grâce à la prédication de Paul. A présent, l'apôtre écrit à Philémon
en l'invitant à accueillir Onésime non plus comme un esclave, mais comme un
frère dans le Christ. La nouvelle fraternité chrétienne dépasse la
séparation entre esclaves et hommes libres, et amorce dans l'histoire le
principe de promotion de la personne qui conduira à l'abolition de
l'esclavage, mais aussi à franchir les barrières qui existent encore
aujourd'hui. Le Pape Léon XIII consacra précisément au thème de l'esclavage
l'encyclique Catholicae Ecclesiae, de 1890. A partir de cette expérience
particulière de saint Paul avec Onésime, peut s'engager une vaste réflexion
sur l'élan de promotion humaine apportée par le christianisme sur le chemin
de la civilisation ainsi que sur la méthode et le style de cette
contribution, conformes aux images évangéliques du grain et du levain: à
l'intérieur de la réalité historique, les chrétiens, en agissant
individuellement en citoyens, ou sous forme associative, constituent une
force bénéfique et pacifique de changements profonds, en favorisant le
développement des potentialités internes à la réalité elle-même. C'est la
forme de présence et d'action dans le monde proposée par la doctrine sociale
de l'Eglise, qui vise toujours à faire mûrir les consciences, condition de
transformations efficaces et durables.
Nous devons à présent nous demander: quel était le contexte dans lequel
naquit, il y a deux siècles, celui qui serait devenu, 68 ans plus tard, le
Pape Léon XIII? L'Europe vivait alors la grande tempête napoléonienne, qui
avait suivi la Révolution française. L'Eglise et les nombreuses expressions
de la culture chrétienne étaient remises en question de manière radicale
(que l'on pense, par exemple, au fait de compter les années non plus à
partir de la naissance du Christ, mais depuis le début de la nouvelle ère
révolutionnaire, ou d'enlever le nom des saints du calendrier, des rues, des
villages etc.). Les populations des campagnes n'étaient certainement pas
favorables à ces bouleversements, et elles restaient liées aux traditions
religieuses. La vie quotidienne était pénible et difficile: les conditions
sanitaires et alimentaires très précaires. Dans le même temps, l'industrie
se développait et avec celle-ci, le mouvement ouvrier, toujours plus
organisé politiquement. Le magistère de l'Eglise, à son niveau le plus
élevé, fut soutenu et aidé par les réflexions et les expériences locales à
élaborer une lecture globale dans la perspective de la nouvelle société et
de son bien commun. Ainsi, lorsqu'en 1878 Léon XIII fut élu sur le trône
pontifical, il se sentit appelé à la mener à bien, à la lumière de ses
vastes connaissances de portée internationale, mais également des nombreuses
initiatives réalisées "sur le terrain" par des communautés chrétiennes et
des hommes et des femmes d'Eglise.
Ce furent en effet des dizaines et des dizaines de saints et de bienheureux,
de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle, qui cherchèrent à
expérimenter, avec la créativité de la charité, de multiples voies pour
mettre en pratique le message évangélique au sein des nouvelles réalités
sociales. Ce furent sans aucun doute ces initiatives, avec les sacrifices et
les réflexions de ces hommes et de ces femmes, qui préparèrent le terrain de
Rerum novarum et des autres documents sociaux du Pape Pecci. Déjà depuis
l'époque où il était nonce en Belgique, il avait compris que la question
sociale pouvait être affrontée de façon positive et efficace à travers le
dialogue et la médiation. A une époque de dur anticléricalisme et de vives
manifestations contre le Pape, Léon XIII sut guider et soutenir les
catholiques sur la voie d'une participation constructive, riche de contenus,
ferme sur les principes et capable d'ouverture. Immédiatement après Rerum
novarum eut lieu en Italie et dans d'autres pays une authentique explosion
d'initiatives: associations, caisses rurales et d'artisans, journaux... un
vaste "mouvement" qui trouva chez le serviteur de Dieu Giuseppe Toniolo un
animateur éclairé. Un Pape très âgé, mais sage et clairvoyant, put ainsi
introduire dans le XXe siècle une Eglise rajeunie, avec la juste attitude
pour affronter les nouveaux défis. Il s'agissait d'un Pape encore
politiquement et physiquement "prisonnier" au Vatican, mais en réalité, avec
son magistère, il représentait une Eglise capable d'affronter sans complexes
les grandes questions du monde contemporain.
Chers amis de Carpineto Romano, nous n'avons pas le temps d'approfondir ces
questions. L'Eucharistie que nous célébrons, le sacrement de l'Amour, nous
renvoie à l'essentiel: la charité, l'amour du Christ qui renouvelle les
hommes et le monde; tel est l'essentiel, et nous le voyons bien, nous le
percevons presque dans les expressions de saint Paul dans la Lettre à
Philémon. Dans ce bref écrit, en effet, on sent toute la douceur et dans le
même temps la puissance révolutionnaire de l'Evangile; on perçoit le style
discret et en même temps irrésistible de la charité, qui, comme je l'ai
écrit dans mon encyclique sociale,
Caritas in Veritate, est "la force dynamique essentielle du vrai
développement de chaque personne et de l'humanité tout entière"
(n. 1). Avec joie et avec affection, je vous laisse donc le
commandement ancien et toujours nouveau: aimez-vous comme le Christ nous a
aimés, et avec cet amour soyez le sel et la lumière du monde. Ainsi, vous
serez fidèles à l'héritage de votre grand et vénéré concitoyen, le Pape Léon
XIII. Et qu'il en soit ainsi dans toute l'Eglise! Amen.
Texte original du
discours du Saint Père
►
Italien
►
Angelus de Benoît XVI : le cœur du Message pour la JMJ de Madrid - 05.09.10
Sources : www.vatican.va
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E.S.M.
(©L'Osservatore Romano - 7 septembre 2010)
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.09.2010 -
T/Benoît XVI
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