Le Motu Proprio de Benoît XVI dans le respect des
uns et des autres |
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Le 07 septembre 2007 -
(E.S.M.)
- Benoît XVI
invite à créer des ponts entre catholiques adeptes de l'une ou l'autre
forme liturgique, afin que les passages de l'une à l'autre se fassent
plus naturellement, sans heurts, dans le respect des uns et des autres.
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Le cardinal Ratzinger
célébrant la Messe de St Pie V -
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Le Motu Proprio de Benoît XVI dans le respect des uns et des autres
Le pape Benoît XVI et la paix liturgique
(deuxième
partie -
Pour lire la première
partie:
Benoît XVI)
L'axe du pontificat
Le rejet de tout esprit de rupture, dans le Magistère comme dans la
liturgie, est sans doute l'axe principal de ce pontificat. Benoît XVI a
lui-même tracé le chemin dans son très important et remarquable discours à
la
Curie romaine le 22 décembre 2005, dans lequel il oppose "l'herméneutique de la réforme, du renouveau dam la continuité", qui
enrichit le message sans contradiction essentielle avec l'enseignement
passé, et "l'herméneutique de la discontinuité et de la rupture". Pour
Benoît XVI, le concile Vatican II et la réforme liturgique de 1970
s'inscrivent sans doute possible comme une étape dans une évolution homogène
du Magistère. C'est un appel clair lancé aussi bien aux extrêmes «
progressistes » que « traditionalistes » qui contestent le concile pour des
raisons opposées : les premiers ont complètement dépassé les textes réels du
concile et, au nom de ce fameux « esprit », lui ont fait dire ce qu'il n'a
jamais dit; les seconds se sont bloqués contre des textes qu'ils jugent
contradictoires avec le Magistère des deux siècles passés, malgré
l'affirmation contraire du pape et des évêques unis à lui, seuls habilités à
interpréter la conformité avec la tradition. Cette remise en cause de
Vatican II concerne cependant essentiellement la frange des prêtres et
fidèles de la Fraternité Saint-Pie X et de sa mouvance. Benoît XVI a rappelé
sans ambages que la publication de son Motu proprio n'amenuisait en rien
l'autorité du concile Vatican II. Au reste, l'immense majorité de ceux qui, en pleine communion avec l'Église, sont
attachés à l'ancien Missel - particulièrement chez les plus jeunes qui n'ont
connu ni Vatican II ni la réforme de 1970 - reconnaissent sans état d'âme
cette autorité.
Dans Summorum Pontificum et la Lettre aux évêques, Benoît XVI reprend
l'esprit de son discours à la
Curie romaine du 22 décembre 2005 en l'appliquant à la liturgie: « II
n'y a aucune contradiction entre l'une et l'autre édition du
Missale
Romanum. L'histoire de la liturgie est faite de croissance et de
progrès, jamais de rupture. » Et Benoît XVI développe un point qui peut
paraître anodin mais qui est en réalité d'une grande importance pour
comprendre la réforme de Paul VI : « Le Missel romain promulgué par Paul VI
est l'expression ordinaire de la "lex orandi"
(la règle de ce qu'il faut
dire dans la prière) de l'Église catholique
de rite latin. Le Missel romain promulgué par saint Pie V et réédité par le
bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme l'expression extraordinaire
de la même "lex orandi" de l'Église et être honoré en raison de son
usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la "lex orandi"
de l'Église n'induisent aucune division de la "lex credendi"
(la règle de ce qu'il faut
croire) de
l'Église; ce sont en effet deux mises en œuvre de l'unique rite romain »
(art. 1). Il n'y a donc pas deux rites romains, mais un seul rite romain
ayant deux formes qui ne se contredisent pas. Dans le Motu proprio comme
dans la Lettre aux évêques, Benoît XVI rappelle comme une évidence que le
Missel de 1962 n'a jamais été « abrogé »
(dans la lettre, il précise
«juridiquement »).
Cette précision est essentielle et rassurante, car reconnaissons qu'elle n'a
jamais été la version « officielle ». L'argument d'autorité jusqu'alors
était plutôt d'affirmer que le Missel de 1970, n'étant qu'une réforme du
précédent comme il y en eut tant dans le passé, se substituait naturellement
à lui, lequel n'avait donc plus lieu d'être: si tel avait été le cas, alors
l'ancienne forme aurait été automatiquement abrogée et remplacée par la
nouvelle. C'est ce qu'a dit explicitement Paul VI le 24 mai 1976: « Le
nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l'ancien, après mûre
réflexion, et à la suite des instances du concile Vatican II ». La réalité,
cependant, ne s'opposait-elle pas à cette interprétation ? En effet, aucune
réforme dans le passé n'avait abouti à un tel bouleversement de l'esprit et
de la pratique de la liturgie, le cardinal Ratzinger est souvent revenu dans
ses livres sur cet aspect de la réforme : « à la
place de la liturgie fruit d'un développement continu, on a mis une liturgie
fabriquée » (2). Il est même allé plus loin : «
Je suis convaincu que la crise de l'Église que nous
vivons aujourd'hui repose largement sur la désintégration de la liturgie
» (3). On pouvait donc penser que malgré la volonté originelle du
législateur, on avait abouti dans les faits, non à une simple réforme comme
dans le passé, mais à la création d'un nouveau rite, laissant ainsi l'ancien
subsister naturellement, la nature de l'Église ne permettant pas la
disparition d'un seul coup d'une telle tradition liturgique. Une telle
hypothèse ne rendait évidemment pas illégitime le principe même de la
réforme voulue par Paul VI; lorsque le cardinal Ratzinger évoque ici ou là «
une liturgie fabriquée », il n'en tire jamais la conclusion que le nouveau
Missel est illégitime ou déficient.
Le pape, en affirmant l'unicité du rite romain, a désormais clairement
tranché cette question. La cohabitation de deux formes liturgiques d'un même
rite romain est une situation inédite. Certes, il y a toujours eu de
nombreux rites dans l'Église - surtout en Orient mais aussi chez les Latins
-, preuve que la cohabitation n'est pas un phénomène nouveau en soi, mais
c'est la première fois que deux formes liturgiques s'adressent aux mêmes
fidèles d'une même zone géographique. Est-ce pour autant une source de
division ou de discorde dans les diocèses ? Benoît XVI ne le pense pas et
l'expérience du Motu proprio
Ecclesia Dei
Adflicta le démontre également : là où les évêques ont « généreusement »
et paternellement accueilli les fidèles attachés au Missel de Jean XXIII
comme Jean-Paul II le leur demandait, il n'y a eu ni désordre, ni fracture.
Et plus l'accueil a été généreux, plus l'intégration dans la vie du diocèse
a été facile. Les cas de dissension et de conflit se sont manifestés là où
la demande des fidèles a été ignorée ou rejetée. Le critère d'unité des
catholiques, au demeurant, n'est pas principalement liturgique mais repose
d'abord sur la même foi publiquement professée. Il n'y a donc aucune raison
que la cohabitation des deux formes du rite romain entraîne des divisions.
Allons plus loin. Dans notre époque « multiculturelle » l'existence sur un
même territoire de ces deux formes liturgiques ne peuvent-elles pas être en
réalité une chance pour l'Église et l'évangélisation ? C'est l'idée
développée en 1998 par le Père Serge-Thomas Bonino, op: « la coexistence,
dans nos Églises occidentales, de deux rites (ou si l'on veut de deux états
d'un même rite, car le rite de Paul VI n 'est pas un autre rite que le rite
latin) se justifie ultimement par la coexistence en leur sein de deux
cultures différentes, une culture plus marquée par la modernité et une
culture plus traditionaliste, l'une et l'autre légitimes aux yeux de la foi,
même si on peut légitiment s'interroger sur leur valeur respective. [...] On
peut donc penser que la réforme liturgique voulue par Vatican II a été bonne
dans son contexte et garde sa valeur pour une majorité de chrétiens,
façonnés par le modèle culturel de la modernité. Il reste que pour une
minorité, qui se réclame d'un autre modèle culturel, l'attachement à une
liturgie tridentine qui, par son sens de la tradition et sa mise en œuvre
d'une certaine "verticalité" est en forte consonance avec la culture
traditionaliste, peut largement se justifier » (4).
Quoi qu'il en soit, Summorum Pontificum crée une situation nouvelle et
reconnaît les catholiques attachés aux anciennes formes liturgiques comme
des membres de l'Église à part entière. Son esprit est néanmoins de pousser
les uns et les autres à faire chacun un pas vers l'autre, les efforts de
communion ne pouvant être à sens unique. Si le Missel de Jean XXIII a toute
sa place, s'il préserve un trésor liturgique, il ne s'oppose pas à celui de
Paul VI et Benoît XVI en tire une conclusion logique: « Évidemment, pour
vivre la pleine communion, les prêtres des communautés qui adhèrent à
l'usage ancien ne peuvent pas non plus, par principe, exclure la célébration
selon les nouveaux livres. L'exclusion totale du nouveau rite ne serait pas
cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté. » Le refus
par principe de célébrer le nouvel Ordo n'a plus aucune raison d'être et
serait ouvertement contraire à l'esprit du texte promulgué par le pape : il
existe aujourd'hui une garantie romaine en faveur du Missel traditionnel qui
devrait faire disparaître le principal obstacle psychologique des derniers
réfractaires.
Benoît XVI invite à créer des ponts entre catholiques adeptes de l'une ou
l'autre forme liturgique, afin que les passages de l'une à l'autre se
fassent plus naturellement, sans heurts, dans le respect des uns et des
autres. Il va même plus loin: « les deux formes d'usage du rite romain
peuvent s'enrichir réciproquement: dans l'ancien Missel pourront être et
devront être insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles
préfaces. [...] Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI,
pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l'a été souvent fait
jusqu'à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers la
forme ancienne du rite romain. » II y a longtemps, déjà, que le cardinal
Médina, ancien préfet de la Congrégation pour le Culte divin, suggérait la
possibilité d'intégrer le nouveau calendrier et le cycle triennal de lecture
dans l'ancien Missel (5). Cela pourrait assurément faciliter pour les
prêtres et les fidèles le passage d'un Missel à l'autre.
Inversement, pour suivre la volonté du pape, outre un strict respect des
rubriques qui exclut toute innovation personnelle, pourquoi ne pas suivre
ses propositions exprimées dans L'esprit de la liturgie (6), en commençant
par réorienter progressivement la liturgie en incitant la célébration du
nouvel Ordo « dos au peuple », ou plus précisément « face à Dieu » ? Cette
seule mesure est de nature à changer assez profondément l'esprit de la
liturgie actuelle. Il serait bon aussi d'encourager l'utilisation du kyriale
en latin et grégorien. Enfin, on pourrait proposer la communion sur la
langue (qui reste toujours la norme) et réglementer la concélébration qui
est bien trop systématique (voire obligatoire) actuellement. Dans le Missel
de Paul VI, rien n'impose la célébration « face au peuple », l'utilisation
exclusive de la langue vernaculaire ou la communion dans la main. De telles
mesures seraient donc totalement compatibles avec le Missel actuel tel qu'il
est promulgué.
Un tel mouvement dans l'un et l'autre sens contribuerait encore davantage à
la paix liturgique et préparerait le terrain à moyen ou long terme pour
cette fameuse « réforme de la réforme » souhaitée par Benoît XVI quand il
n'était que cardinal. Sans doute ce Motu proprio générera-t-il ici ou là
d'inévitables tensions. Il n'en demeure pas moins un appel pressant à la
paix, à la réconciliation au sein de l'Église, à la reconnaissance de
l'autre avec ses différences légitimes. Cela ne se fera pas du jour au
lendemain. Cette paix interne est nécessaire pour la crédibilité de l'Église
et pour ce qui, aujourd'hui comme hier, est sa priorité absolue:
l'évangélisation. Il nous faut toucher les cœurs de ces foules immenses qui
ignorent l'Amour de Dieu — et l'expérience montre que la liturgie
traditionnelle a une dimension missionnaire certaine auprès des âmes. Dans
cette tâche immense, les deux formes liturgiques du rite romain ont chacune
un rôle conformément à la parole du Christ qui est aussi la devise de La
Nef: « II y a des demeures nombreuses dans la maison de mon Père »
(Jn 14, 2).
par Christophe Geffroy
(2) Préface à La réforme liturgique
en question, de Mgr Klaus Gamber, Éditions Sainte-Madeleine, 1992, p. 8.
(3) Ma vie. Souvenirs 1927-1977, Fayard, 1998, p. 135. (4)
Enquête sur la messe traditionnelle, La Nef, hors série n°6,
1998, p. 255 et 257. (5) Cf. entretien à La Nef n°16l de juin
2005, p. 15. (6) Ad Solem, 2001.
Table :
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Motu Proprio
Sources:
La Nef
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 07.09.2007 - BENOÎT XVI -
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