La «souffrance de Dieu» pendue à la
croix du Vendredi saint |
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Maubourguet, le 06 Avril 2007 -
(E.S.M.) - Il est facile de parler du mal. De parler du mal de
l'autre. Du mal qui ne touche pas celui qui en cause à tout venant. Le
mal pose question le jour où celui qui en parle est touché, directement
dans sa chair, par le même mal dont il parlait si facilement lorsque le
mal ne l'atteignait pas.
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Nestor Turcotte, philosophe
et théologien
Dieu n'étant qu'amour, il est forcément vulnérable et souffre de voir la
souffrance des hommes.
Un ami fidèle, nous envoie un texte qu'il a écrit à l'occasion du
Vendredi saint. Nous le publions avec respect et le vouons à toutes les personnes qui
nous ont écrit, depuis maintenant deux ans que le site existe, des personnes
infiniment aimables dont beaucoup souffrent et que nous portons dans notre
coeur et dans la prière. Qu'ils y trouvent force et paix.
"C'est dans le mystère de la Croix que se révèle pleinement la
puissance irrésistible de la miséricorde du Père céleste. Pour conquérir de
nouveau l'amour de sa créature, Il a accepté de payer un très grand prix :
le sang de son Fils Unique" Benoît XVI,
Message de carême 2007.
Nestor Turcotte
Matane- Québec- CANADA
L'auteur est philosophe et théologien
La «souffrance de Dieu»
pendue à la croix du Vendredi saint
Il est facile de parler du mal. De parler du mal de l'autre. Du mal qui ne
touche pas celui qui en cause à tout venant. Le mal pose question le jour où
celui qui en parle est touché, directement dans sa chair, par le même mal
dont il parlait si facilement lorsque le mal ne l'atteignait pas. Il n'est
pas difficile, en ne souffrant pas, de parler du mal et de la souffrance à
ceux qui ne souffrent pas. Il est plus facile d'aborder le mal et la
souffrance, lorsque celui qui en parle souffre avec ceux qui la vivent au
petit quotidien.
Le mal est ce qui manque à quelque chose que l'être humain juge parfait.
Chacun apaise sa douleur en pensant que cela pourrait être pire. De plus le
mal est ce qui gangrène, ce qui pourrit l'univers. Il engendre la révolte.
Il accuse, pointe du doigt le Grand horloger, assimilé au monstre qui domine
et écrase sa création. On tenait de tels propos au temps de Platon.
Le mal n'est pas une chose parmi les autres choses. Il est une certaine
absence. Il est quelque chose qui manque à l'être pour qu'il soit totalement
ou pleinement lui-même. La cécité n'est pas un mal pour la taupe. Elle l'est
pour l'homme qui veut mener une vie normale. L'agilité du chevreuil manque à
l'homme. Cette privation n'est pas un mal pour lui : dans la vie courante,
il n'en a pas besoin pour vaquer à ses occupations habituelles. Le mal est
donc le manque de ce qui devrait être dans un être. Dans la mesure où un
être n'a pas atteint sa plénitude, ou risque de perdre celle qu'il possède,
le mal peut surgir, empêchant cet être d'atteindre ce qu'il pense qu'il
devrait être. Aucun être, sur cette terre, ne peut atteindre sa parfaite
plénitude, éviter de perdre celle qu'il a acquise. L'inachèvement est le lot
de tous les terriens.
L'inachèvement le plus scandaleux est le péché et la mort. L'homme est
attiré vers quelque chose qui n'est pas en lui mais qu'il sent comme étant
son total achèvement. Il s'en détourne souvent et ainsi le mal et le péché
entrent en lui, un peu malgré lui. Libre, il tend cependant de tout son être
vers cet achèvement final. Il a le pouvoir de l'accepter ou de le refuser.
Le péché, c'est croire que l'achèvement ne dépend que de lui-même. Le péché,
c'est refuser de dépendre d'un autre pour atteindre son propre achèvement
personnel.
Tout être humain est placé dans cette mouvance, dans ce désir de plénitude.
Tour être humain désire se conformer à cette attirance qui le conduirait à
la maturité. Mais toute créature est libre de refuser cette attirance. De
dire non à cette attirance qui achèverait de réaliser ce qu'il veut et tend
à devenir. La source du mal est dans ce refus, dans ce pouvoir de rupture
dans l'attirance. Habituellement, le mal est conçu par l'homme comme une
sortie des règles. Tout au contraire, il est dans le refus d'y entrer et de
s'y conformer. Il est dans cette rupture d'attirance auquel il est convié
par le Créateur. La dignité de l'homme lui donne ce pouvoir extraordinaire
de refuser ce qui, au fond, pourrait l'achever totalement.
Les philosophes grecs proposent un itinéraire pour expliquer cette attirance
vers la plénitude. Les âmes ont été créées bonnes. Transportées dans un
corps, elles ne peuvent retrouver leur bonheur antérieur qu'en utilisant la
voie de la métempsychose. La question non résolue : pourquoi dieu
envoie-t-il, une première fois, l'âme dans le tombeau du corps ? La
référence au Grand Tout fournit la réponse. Le monde n'est pas fait pour
l'homme, mais l'homme est fait pour le monde. Pour sa migration vers le
Grand Tout. Sans savoir le nombre de voyages qu'il doit faire pour y
parvenir. L'homme est attiré vers son achèvement. Seul, il doit et peut
l'accomplir, sans l'aide d'une force extérieure.
Le christianisme privilégie une autre voie. Selon lui, la clé de l'existence
humaine, c'est Gethsémani, c'est le regard tuméfié du Crucifié. Le monde,
selon la Bible, est loin d'être mauvais comme le pense Platon. Le monde est
bon, mais il est fragilisé, en état de rupture. L'homme vit une première
création. Elle est imparfaite, soit ! Elle porte en elle un germe de vie
éternelle que le Créateur a planté. Dieu aime tellement ce monde qu'il y
envoie son propre Fils, non pas pour expliquer l'imperfection du monde, mais
pour le restaurer, le transformer, le métamorphoser. Alors, comme le dit le
poète de l'Île, la mort c'est grand, parce que c'est plein de vie là-dedans.
Le mal dans le monde demeurera toujours un scandale. Il s'agit d'essayer,
avec nos humbles moyens, de faire reculer le mal et de transformer le
scandale qui l'accompagne en mystère. Il est vrai que l'homme est souvent
l'artisan de son propre malheur. Mais cela n'explique pas tout. Le Christ en
croix n'explique pas le mal. Il ne donne pas une réponse au mal. Il ne
répond pas à nos questions sur la portée et le sens du mal. En regardant le
Christ crucifié, on comprend que le mal n'est pas là pour être expliqué. Il
demande tout de même à être combattu.
C'est dans la foi, dit le théologien Varillon, qu'il nous est possible de
donner un sens à ce non-sens qu'est la souffrance. Je ne dis pas le mal : la
mal, chacun peut le repousser. Je viens de le dire. La souffrance, toute
intérieure parfois, imperceptible pas l'observateur, accompagne le mystère
de chacune de nos vies. Dieu donne tout son être en son Fils pendu à la
croix. Il n'a plus rien : il est l'Être totalement donné pour la
transformation du monde. Tout comme le grain de blé mis en terre. Il est
sacrifié pour que pousse l'épi de blé.
Chaque souffrance humaine est une mort partielle. Une ébauche de la mort. La
mort est le passage du détachement de l'avoir au passage du don de l'être.
L'avoir, c'est la possession, c'est l'égoïsme. L'être, c'est le don; c'est
l'amour. La souffrance, c'est se dépouiller de l'avoir. Et la mort, c'est le
suprême dépouillement qui fera entrer définitivement toute créature dans
l'Amour. Et ce passage, cette pâque, ne peut être l'oeuvre de la créature
esseulée. Dieu seul, qui est la totalité de l'Amour, qui n'est qu'Amour,
peut faire passer sa créature dans la contemplation de l'Amour. Le Christ en
croix est Celui qui trace la route. Il n'a plus rien. Il est nu comme un
vers. Il crie : «Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?» Et Dieu garde le
silence! (N.D.L.R.
Dieu, en personne était sur la croix)
Le philosophe Nédoncelle écrivait un jour ceci : «Le passage de l'avoir à
l'être est la seule vérité terrible du christianisme, je n'en connais pas
d'autre». Blondel va dans le même sens : «L'homme ne peut gagner son être
qu'en le reniant en quelque façon pour le rapporter à son principe et à sa
fin. Renoncer à ce qu'il a de propre et anéantir ce néant qu'il est
(anéantir tout ce qui, en nous, est néant, c'est-à-dire tout ce qui n'est
pas amour), c'est recevoir cette vie pleine à laquelle il aspire, mais dont
il n'a pas la source en soi. Il faut donner le tout pour le tout.!»
«Tous les actes de la vie du Christ ont été des actes d'amour. Il ne s'est
jamais donné en partie, dans tels actes à l'exclusion des autres», comme il
nous arrive de le faire tous les jours.» En rigueur de termes, il a donné sa
vie, tout au long de sa vie, et sans jamais la reprendre pour soi. La
souffrance de Dieu, pendue à la croix du Vendredi saint est une «mort
constituée par chacun de ses actes tout au long de sa vie, et sa mort finale
sur le croix est l'acte parfait de la liberté humaine».
Dieu n'étant qu'amour, il est forcément vulnérable et souffre de voir la
souffrance des hommes. Le philosophe Jacques Maritain affirme que «si les
gens savaient que Dieu souffre avec nous et beaucoup plus que nous de tout
le mal qui ravage la terre, bien des choses changeraient sans doute et bien
des âmes seraient libérées.» Dieu ne nous a pas fait tout-faits. Il décide
(et c'est là un très grand mystère.) d'entrer dans notre finitude et d'y
participer totalement. Sa résurrection transforme ce qu'il vient habiter. Il
devient le Premier-né de cette création nouvelle, à laquelle toute
l'humanité est conviée. Ainsi, la souffrance, la mort, assumée en Lui, avec
tout ce qu'elle contient d'angoisse et de solitude, devient le seuil de la
vie éternelle.
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Sources:
E.S.M.
Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 06.04.2007 - BENOÎT XVI - MEDITATION |