Obama a un grand maître à penser: le
théologien luthérien Reinhold Niebuhr |
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Rome, le 06 février 2009 -
(E.S.M.)
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Le Saint-Siège et le pape Benoît XVI ont salué avec des expressions confiantes
l'entrée en fonctions de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Dans "L'Osservatore
Romano" du 28 janvier, le prêtre et théologien new-yorkais Robert
Imbelli a fait un commentaire positif du discours inaugural du nouveau
président, dans une note publiée en Une sous le titre: "Pour un vrai pacte
de citoyenneté. Obama, Lincoln et les anges".
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Le théologien luthérien
Reinhold Niebuhr
Obama a un grand maître à penser: le théologien luthérien Reinhold Niebuhr
Le 06 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Qui a été un chef de file non pas du pacifisme, mais du "réalisme" dans les
rapports entre les états, c'est-à-dire de la primauté de l'intérêt national
et de l'équilibre entre les puissances. Publication à Rome d'une analyse
suggestive de sa pensée, inspirée de la "Cité de Dieu" de saint Augustin
Le Saint-Siège a salué avec des expressions confiantes
l'entrée en fonctions de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Dans "L'Osservatore
Romano" du 28 janvier, le prêtre et théologien new-yorkais Robert
Imbelli a fait un commentaire positif du discours inaugural du nouveau
président, dans une note publiée en Une sous le titre: "Pour un vrai pacte
de citoyenneté. Obama, Lincoln et les anges".
Mais, à la fin de la note, Imbelli exprimait une crainte. Ayant rapproché le
discours d’Obama de celui d’Abraham Lincoln en 1861, qui s’achevait par une
prière pour que prédominent "les meilleurs anges de notre nature", il
continuait:
"Cela reste l’espérance et la prière de l'Amérique. Mais nous prions
aussi pour que les anges des enfants conçus mais pas encore nés ne soient
pas négligés. Nous prions pour que les liens d'amour du pays aillent jusqu’à
eux. Pour qu’ils ne soient pas exclus du pacte de citoyenneté".
Le même Imbelli, l’été dernier, a donné dans "L'Osservatore Romano"
une critique favorable du livre "Render Unto Caesar" de Charles J.
Chaput, l'archevêque de Denver: un appel aux catholiques américains pour que
leur "rendre à César", c’est-à-dire servir leur pays, consiste à vivre
intégralement leur foi dans la vie politique.
L'archevêque Chaput a été, avant et après les élections présidentielles,
l’un de ceux qui ont critiqué le plus explicitement le fléchissement
pro-avortement de beaucoup de catholiques et de chrétiens américains.
Or les premiers pas du nouveau gouvernement ont confirmé ses craintes. Comme
on lui demandait, lors d’une interview parue dans l’hebdomadaire italien "Tempi"
du 5 février, si Obama qui "se dit chrétien mais est considéré comme le
président le plus favorable à l’avortement", était "un protestant de
cafeteria", il a répondu:
"Personne, qu’il soit orthodoxe, protestant ou catholique, ne peut à la
fois justifier l'avortement et se dire chrétien fidèle. [...] Mais je pense
que le christianisme protestant, de par sa grande insistance sur la
conscience individuelle, est plus porté à être une 'cafeteria' de croyances".
C’est un fait que, parmi les premiers actes de sa présidence, Obama a ouvert
les financements fédéraux aux organismes qui prônent l’avortement comme
moyen de contrôle des naissances dans les pays pauvres. Il a de plus annoncé
son soutien au Freedom of Choice Act, qui supprimera les limites à
l’avortement, et au financement de l'utilisation des cellules souches
embryonnaires.
* * *
Cela n’empêche pas qu’Obama soit l’un des présidents américains les plus
explicites dans l’affirmation du fondement religieux de sa pensée.
A maintes reprises il a donné les noms de ses auteurs de référence, très ou
peu connus: de Dorothy Day à Martin Luther King, de John Leland à Al
Sharpton.
Parmi ceux qu’il a cités, il en est un qui a une importance très
particulière: le luthérien Reinhold Niebuhr (1892-1971),
professeur à la Columbia University puis à l’Union Theological
Seminary de New York.
Niebuhr a été surtout un théologien – de première grandeur – mais ses
travaux ont aussi touché à la politique. Il est considéré comme un maître du
"réalisme" en politique internationale, dont les grands représentants
américains ont été, dans la seconde moitié du XXe siècle, Hans Morgenthau,
George Kennan et Henry Kissinger.
S’inspirer ou non de Niebuhr, de son interprétation et de son actualisation
de la "Cité de Dieu" de saint Augustin, est une décision qui oriente
de manière déterminante la vision du rôle des Etats-Unis dans le monde.
Par exemple, rien n’est plus éloigné des idées de Niebuhr que le pacifisme.
Mais c’est l'ensemble de la pensée de ce grand théologien qu’il est utile
d’approfondir.
C’est ce que fait, dans l’essai qui suit, le plus grand expert italien de
Niebuhr, Gianni Dessì, professeur de philosophie et d’histoire des doctrines
politiques à l'Université de Rome Tor Vergata.
Cet essai a été publié il y a quelques jours dans le dernier numéro de
l'édition italienne de "30 Giorni", le mensuel catholique peut-être
le plus lu par les évêques du monde entier, dans ses éditions en différentes
langues.
"30 Giorni", que dirige le vieux sénateur Giulio Andreotti –
plusieurs fois président du conseil et ministre des Affaires étrangères –
s’occupe souvent de politique internationale selon une ligne qu’on pourrait
qualifier de "réaliste modérée" et qui coïncide avec la ligne
traditionnelle de la diplomatie vaticane.
Si le réalisme de Niebuhr arrive à la Maison
Blanche
par Gianni Dessì
S’entretenant il y a quelque temps avec David Brooks, l’un des plus connus
des commentateurs politiques conservateurs du "New York Times", le nouveau
président Obama a cité Reinhold Niebuhr comme l’un de ses auteurs préférés
(1).
Peu connu en Italie, Niebuhr, théologien protestant et professeur d’éthique
sociale à la Columbia University de New York, a beaucoup influencé la
culture politique nord-américaine au moins à partir de 1932, année où il
publie "Homme moral et société immorale", et jusqu’à sa mort en 1971.
Intellectuels et politiques, conservateurs et libéraux se sont référés à son
réalisme politique.
Hans Morgenthau et George Kennan – les plus connus des libéraux
conservateurs qui, dans l’immédiat après-guerre, ont élaboré un ensemble de
motivations qui allaient être les références intellectuelles de beaucoup
d’Américains au temps de la guerre froide, de l’opposition au bloc
soviétique – se sont référés explicitement à Niebuhr et à son réalisme
politique (2).
D’autre part Martin Luther King lui-même – sûrement pas un conservateur – a
été particulièrement sensible aux critiques de Niebuhr envers l’optimisme de
la culture libérale et envers l’idée que la justice puisse être obtenue par
des exhortations morales. Il a reconnu qu’il devait à Niebuhr d’être
conscient de la profondeur et de la persistance du mal dans la vie humaine
(3).
Interviewé par Brooks, Obama a dit qu’il devait à Niebuhr "l’idée
irréfutable que le véritable mal, les épreuves et la douleur existent dans
le monde. Nous devons être humbles et modestes quand nous pensons que nous
pouvons les éliminer, mais nous ne devons pas en tirer argument pour être
cyniques ou inactifs".
Ces quelques mots soulignent certains aspects essentiels de la pensée de
Niebuhr. L’idée qu’on ne peut éliminer du monde "le véritable mal, les
épreuves, la douleur" renvoie à sa critique de l’optimisme qui est, selon
lui, l’un des éléments constitutifs de la pensée religieuse et sociale
américaine. Et l’idée que l’homme politique amené à lutter contre la
présence de l’injustice et du mal doit lui aussi être “humble” renvoie à la
conscience qu’on ne peut éliminer le mal de l’histoire et que c’est une
illusion dangereuse que de croire c’est possible.
D’autre part cette persistance du mal ne peut être une excuse pour "le
cynisme et l’inactivité". On découvre ainsi une pensée qui veut éviter à la
fois “l’idéalisme ingénu” et le “réalisme amer” (Niebuhr
entend par là: à la fois le sentimentalisme et le cynisme).
Comment cette perspective se définit-elle dans les ouvrages de Niebuhr,
quels sont ses références historiques et culturelles?
Dès la fin des années Soixante, en Italie, Luigi Giussani avait noté
l’importance du réalisme de Niebuhr dans la pensée théologique et, plus
généralement, dans la culture américaine.
Giussani rappelait que l’existentialisme théologique européen avait sûrement
joué un rôle dans la formation du pasteur protestant mais qu’une "nette
originalité caractérisait, depuis le début, son œuvre, dont l’inspiration et
les tendances clés se sont formées et dessinées dans son vécu de pasteur de
la luthérienne Bethel Evangelical Church de Detroit" (4).
Très jeune, Niebuhr devient pasteur d’une petite communauté de Detroit, à
l’époque du développement du constructeur automobile Ford et de la Première
guerre mondiale, de 1915 à 1928. Libéral de formation, il découvre par
expérience que l’optimisme anthropologique de ce courant de pensée et de sa
déclinaison sociale – le mouvement du Social Gospel – ne permet pas de
comprendre la persistance du malheur individuel et de l’injustice. Il fait à
cette époque la critique de ses propres convictions libérales et optimistes.
Face à l’espoir de moraliser la société par la prédication religieuse, il
constate, dans une note de 1927, qu’"une ville construite autour d’un
système de production, qui ne pense à ses problèmes que fortuitement et ne
s’y intéresse qu’accidentellement, est vraiment une sorte d’enfer" (5).
Cette autocritique s’exprime pleinement dans le livre "Homme moral et
société immorale" où, comme l’a écrit Giussani, l’" inévitable réalité du
mal [...] est affirmée et prouvée contre tout optimisme qui ne verrait pas
l’impossibilité existentielle de passer de la conscience du bien, qu’a
l’individu, à sa réalisation, impossibilité qui se manifeste de manière
inexorable spécialement dans la sphère du collectif" (6).
Publié en 1932, le livre, écrit à l’époque où Niebuhr a subi l’influence du
marxisme, a peut-être été, dans l’Amérique des années Trente, la critique la
plus incisive de l’optimisme et du moralisme, mais aussi de l’indifférence
et du cynisme qui avaient caractérisé la société américaine après la
Première guerre mondiale. La brève période qui va de 1917, année de l’entrée
en guerre de l’Amérique, à 1919, année des traités de paix qui pénalisèrent
fortement les pays vaincus, a vu s’épuiser l’idéalisme du mouvement
progressiste et du président Wilson. Les raisons morales de faire participer
les Américains à la guerre données par Wilson et beaucoup d’intellectuels
progressistes avaient été contredites par le réalisme exacerbé des traités
de paix qui entérinaient ouvertement les nouveaux rapports de force entre
vainqueurs et vaincus.
Justement en réaction contre les croisades idéalistes de Wilson, une
exigence de retour à la normale s’est manifestée dans l’Amérique des années
Vingt. Elle s’est concrétisée par l’élection du président Warren Harding,
qui avait basé sa campagne électorale sur cet idéal.
En réalité la société américaine a connu à cette époque une croissance
économique sans précédent, la diffusion de la publicité et de la
consommation de masse, et une forte polarisation entre les riches et les
pauvres.
Aux yeux d’un observateur attentif comme Niebuhr, cette société semblait
démentir ou réduire à une pure rhétorique toute forme de moralisme; elle
était caractérisée par l’émergence d’attitudes de plus en plus cyniques et
désabusées.
Le 18e amendement à la constitution – il interdisait de produire,
transporter et vendre des boissons alcoolisées sur le territoire américain –
peut être considéré comme représentatif de cette situation. Approuvé en 1919
comme symbole de la lutte pour moraliser les mœurs, il favorisait en réalité
le développement de diverses formes de criminalité organisée qui tiraient
précisément leurs plus gros profits du commerce illégal de boissons
alcoolisées.
A cette époque, Niebuhr pensait qu’une société plus juste résulterait non
pas d’exhortations morales ou religieuses, mais d’initiatives concrètes,
historiques et politiques qui, justement en tant que telles, devraient
affronter des réalités peu élevées.
Ayant quitté Detroit en 1928 et commencé à enseigner à la Columbia
University de New York, il rappellera que ce sont justement les exigences de
l’enseignement qui l’ont amené à approfondir sa connaissance d’Augustin. En
1956, il déclarait dans une interview: "Rétrospectivement, je suis étonné de
voir comme j’ai commencé tard à étudier Augustin: c’est encore plus
surprenant si l’on sait que la pensée de ce théologien devait répondre à
beaucoup de mes questions non encore résolues et me libérer enfin de l’idée
que la foi chrétienne puisse être en quelque sorte identique à l’idéalisme
moral du siècle dernier" (7).
La référence à saint Augustin a été centrale à la fois en ce qui concerne la
conscience des raisons qui différencient la foi de l’idéalisme et pour
surmonter certaines apories que Niebuhr avait développées dans les premières
années de sa réflexion.
Pour le jeune Niebuhr, le christianisme est marqué par un aspect – l’absolue
gratuité – qui est au-delà de toute tentative humaine de réaliser les idéaux
éthiques. L’homme peut s’engager très sincèrement dans la réalisation de
sphères de coexistence caractérisées par ce que Niebuhr appelle "mutual
love", un amour fondé sur la réciprocité, le Christ incarnant, lui, un autre
type d’amour, appelé "sacrificial love". En 1935, dans "An Interpretation of
Christian Ethics", il avait rappelé explicitement cette différence radicale,
écrivant: "Les exigences éthiques de Jésus sont irréalisables dans
l’existence présente de l’homme [...]. Tout ce qui est en-dessous de l’amour
parfait dans la vie humaine détruit la vie. Toute vie humaine est sous la
menace d’un désastre parce qu’elle ne vit pas la loi de l’amour" (8).
En 1940, reprenant certaines de ces réflexions et les appliquant au domaine
politique, il déclarait qu’une pensée "qui avait simplement et
sentimentalement changé l’idéal de perfection de l’Evangile en une simple
possibilité historique" avait produit une "mauvaise religion" et une
"mauvaise politique": une religion en opposition avec l’élément essentiel de
la foi chrétienne et une politique irréaliste qui rendait les nations
démocratiques de plus en plus faibles (9).
Mais, tout en critiquant le sentimentalisme et l’optimisme de la culture
libérale, il constatait aussi l’ineffaçable présence de la certitude du sens
de l’existence, de sa positivité, comme caractéristique d’une existence
saine. Cette certitude, écrivait-il, "ne résulte pas d’une analyse
sophistiquée des forces et des faits qui entourent l’expérience humaine. On
la reconnaît dans toute vie saine […]. Les hommes peuvent être incapables de
définir le sens de la vie et vivre quand même, par la simple foi, en étant
sûrs qu’elle a un sens" (10).
L’ouvrage qui donne une synthèse de ces diverses suggestions est "The Nature
and Destiny of Man", publié en deux volumes entre 1941 et 1943. On y lit:
"Selon la conception biblique, l’homme est une existence créée et finie à la
fois dans le corps et dans l’esprit" (11).
La clé pour comprendre la nature humaine, c’est d’une part d’admettre la
création: l’optimisme essentiel qui caractérise une existence saine est lié
à l’idée que l’on est créé, voulu par Dieu. C’est d’autre part la liberté
humaine qui, comme signe mis par Dieu dans le cœur de l’homme, comme
possibilité d’accepter cette intuition ou de la refuser, devient absolument
centrale. L’homme peut (et Niebuhr semble dire “inévitablement”) chercher sa
satisfaction dans les biens créés et pas en Dieu. Le mal naît quand l’homme
confère à un bien particulier une valeur absolue: c’est l’usage erroné de la
liberté – le péché – qui génère le mal, pas la sensibilité ou la
matérialité.
La présence d’Augustin dans ce qui est l’ouvrage le plus important et le
plus systématique de Niebuhr est évidente et constante: la conception
réaliste de la nature humaine que propose Niebuhr renvoie explicitement à la
conception biblique et aux textes augustiniens.
Dans un essai de 1953, "Augustine’s Political Realism", inclus dans le livre
"Christian Realism and Political Problems" paru la même année, Niebuhr
reconnaît explicitement sa dette envers saint Augustin. Il précise en quel
sens le saint doit être considéré comme le premier grand réaliste de la
pensée occidentale et pourquoi sa vision lui paraît actuelle.
Niebuhr commence cet essai en proposant une définition schématique du mot
réalisme: celui-ci "indique la disposition à prendre en considération tous
les facteurs qui, dans une situation politique et sociale, offrent une
résistance aux règles établies, notamment les facteurs d’intérêt personnel
et de pouvoir". Au contraire, l’idéalisme est, pour ses partisans,
"caractérisé par la fidélité aux idéaux et aux règles morales, plutôt qu’à
l’intérêt personnel"; pour ses adversaires, par "une disposition à ignorer
ou à être indifférent aux forces qui, dans la vie humaine, offrent une
résistance aux idéaux et aux règles universelles" (12). En politique,
précise Niebuhr, l’idéalisme et le réalisme sont des dispositions plus que
des théories. Autrement dit, même le plus idéaliste des individus devra
forcément affronter les faits, avec la force de ce qu’il est; même l’homme
le plus réaliste devra affronter la tendance humaine à agir sous
l’inspiration de valeurs idéales, de ce qu’il doit être (13).
Niebuhr pense que saint Augustin a été "de l’avis général le premier grand
réaliste de l’histoire occidentale. Il a mérité ce jugement parce que
l’image de la réalité sociale dans sa 'Cité de Dieu' offre une juste vision
des forces sociales, tensions et compétitions que nous savons être presque
universelles à tous les niveaux de communauté" (14). Pour le théologien
protestant, le réalisme de saint Augustin est lié à sa conception de la
nature humaine, et particulièrement à son opinion sur la présence du mal
dans l’histoire. En effet, pour saint Augustin "la source du mal est l’amour
propre, plutôt qu’un reste quelconque d’impulsion naturelle pas encore
dominée par la raison". Le mal ne vient donc ni de la sensibilité ni de la
matérialité, qui ne sont pas opposées au spirituel. Faire de ses intérêts
matériels ou de ses idéaux un but ultime est une caractéristique humaine qui
est liée à la liberté et s’exprime à chaque niveau de l’existence humaine et
collective, depuis la famille jusqu’à la nation et à l’hypothétique
communauté mondiale.
Le réalisme d’Augustin permet en outre de répondre au reproche que les
libéraux font aux partisans d’une conception non optimiste de la nature
humaine: ils envisageraient de la même manière et donc approuveraient
n’importe quelle forme de pouvoir. "En fait" écrit Niebuhr "le réalisme
pessimiste a poussé à la fois Hobbes et Luther à une inqualifiable
approbation de l’état de pouvoir; mais c’est seulement parce qu’ils n’ont
pas été assez réalistes. Ils ont vu le danger de l’anarchie dans l’égoïsme
des citoyens mais ils n’ont pas su percevoir le danger de la tyrannie dans
l’égoïsme des gouvernants" (15).
Autrement dit, le réalisme de saint Augustin ne cède ni au cynisme ni à
l’indifférence face au pouvoir parce que "alors que l’égoïsme est “naturel”
en ce sens qu’il est universel, il n’est pas naturel en ce sens qu’il n’est
pas conforme à la nature humaine". En effet "un réalisme devient moralement
cynique ou nihiliste quand il admet qu’une caractéristique universelle du
comportement humain doit être considérée comme normative. La description
biblique du comportement humain, sur laquelle Augustin fonde sa pensée, peut
refuser à la fois l’illusion et le cynisme parce qu’elle admet que la
corruption de la liberté humaine peut rendre universel un modèle de
comportement sans le rendre normatif" (16).
Cette relecture de saint Augustin proposée par Niebuhr dégage avec force
l’idée d’un réalisme capable d’éviter l’indifférence, le cynisme et
l’approbation inconditionnelle de toute forme de pouvoir mais aussi le
sentimentalisme, l’idéalisme et les illusions relatives à la politique et à
la vie humaine: c’est à cette façon de voir qui, comme le rappelait Niebuhr,
exprime plus un état d’esprit qu’une théorie, qu’Obama semble se référer.
NOTES
(1) C. Blake, "Obama and Niebuhr", in "The New Republic", 3 mai 2007.
(2) Cf. R.C. Good, "The National Interest and Political Realism: Niebuhr’s 'Debate'
with Morgenthau and Kennan", in "The Journal of Politics", n° 4, 1960, pp.
597-619.
(3) C. Carson, "Martin Luther King, Jr., and the African-American Social
Gospel", in Paul E. Johnson (ed.), "African American Christianity",
University of California Press, Berkeley 1994, pp. 168-170.
(4) L. Giussani, "Grandi linee della teologia protestante americana. Profilo
storico dalle origini agli anni Cinquanta", Jaca Book, Milan 1988 (1ère
édition 1969), p. 131.
(5) R. Niebuhr, "Leaves from the Notebook of a Tamed Cynic", The World
Publishing Company, Cleveland 1957 (1ère édition 1929), p. 169.
(6) L. Giussani, "Teologia protestante americana", cit., p. 132.
(7) R. Niebuhr, traduction italienne, "Una teologia per la prassi",
Queriniana, Brescia 1977, p. 55.
(8) R. Niebuhr, "An Interpretation of Christian Ethics", Scribner’s, New
York 1935, p. 67.
(9) R. Niebuhr, "Christianity and Power Politics", Scribner’s, New-York 1952
(1ère édition 1940), pp. IX-X
(10) Ibid., p. 178.
(11) R. Niebuhr, "The Nature and Destiny of Man. A Christian Interpretation,
Vol. I, Human Nature", Scribner’s, New-York 1964 (1ère édition 1941), p. 12.
(12) R. Niebuhr, traduction italienne, "Il realismo politico di Agostino",
in G. Dessì, "Niebuhr. Antropologia cristiana e democrazia", Studium, Rome
1993, pp. 77-78.
(13) J’emprunte cette terminologie à Alessandro Ferrara, "La forza
dell’esempio. Il paradigma del giudizio", Feltrinelli, Milan 2008, pp.
17-33. Une troisième grande force, sujet du livre, est celle de "ce qui est
comme il faut".
(14) R. Niebuhr, traduction italienne, "Il realismo politico di Agostino",
cit., p. 79.
(15) Ibid., p. 85.
(16) Ibid., p. 88.
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 06.02.2009 -
T/B |