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19 Avril 2005
 

Obama a un grand maître à penser: le théologien luthérien Reinhold Niebuhr

 

Rome, le 06 février 2009  - (E.S.M.) - Le Saint-Siège et le pape Benoît XVI ont salué avec des expressions confiantes l'entrée en fonctions de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Dans "L'Osservatore Romano" du 28 janvier, le prêtre et théologien new-yorkais Robert Imbelli a fait un commentaire positif du discours inaugural du nouveau président, dans une note publiée en Une sous le titre: "Pour un vrai pacte de citoyenneté. Obama, Lincoln et les anges".

Le théologien luthérien Reinhold Niebuhr

Obama a un grand maître à penser: le théologien luthérien Reinhold Niebuhr

Le 06 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Qui a été un chef de file non pas du pacifisme, mais du "réalisme" dans les rapports entre les états, c'est-à-dire de la primauté de l'intérêt national et de l'équilibre entre les puissances. Publication à Rome d'une analyse suggestive de sa pensée, inspirée de la "Cité de Dieu" de saint Augustin 

Le Saint-Siège a salué avec des expressions confiantes l'entrée en fonctions de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Dans "L'Osservatore Romano" du 28 janvier, le prêtre et théologien new-yorkais Robert Imbelli a fait un commentaire positif du discours inaugural du nouveau président, dans une note publiée en Une sous le titre: "Pour un vrai pacte de citoyenneté. Obama, Lincoln et les anges".

Mais, à la fin de la note, Imbelli exprimait une crainte. Ayant rapproché le discours d’Obama de celui d’Abraham Lincoln en 1861, qui s’achevait par une prière pour que prédominent "les meilleurs anges de notre nature", il continuait:

"Cela reste l’espérance et la prière de l'Amérique. Mais nous prions aussi pour que les anges des enfants conçus mais pas encore nés ne soient pas négligés. Nous prions pour que les liens d'amour du pays aillent jusqu’à eux. Pour qu’ils ne soient pas exclus du pacte de citoyenneté".

Le même Imbelli, l’été dernier, a donné dans "L'Osservatore Romano" une critique favorable du livre "Render Unto Caesar" de Charles J. Chaput, l'archevêque de Denver: un appel aux catholiques américains pour que leur "rendre à César", c’est-à-dire servir leur pays, consiste à vivre intégralement leur foi dans la vie politique.

L'archevêque Chaput a été, avant et après les élections présidentielles, l’un de ceux qui ont critiqué le plus explicitement le fléchissement pro-avortement de beaucoup de catholiques et de chrétiens américains.

Or les premiers pas du nouveau gouvernement ont confirmé ses craintes. Comme on lui demandait, lors d’une interview parue dans l’hebdomadaire italien "Tempi" du 5 février, si Obama qui "se dit chrétien mais est considéré comme le président le plus favorable à l’avortement", était "un protestant de cafeteria", il a répondu:

"Personne, qu’il soit orthodoxe, protestant ou catholique, ne peut à la fois justifier l'avortement et se dire chrétien fidèle. [...] Mais je pense que le christianisme protestant, de par sa grande insistance sur la conscience individuelle, est plus porté à être une 'cafeteria' de croyances".

C’est un fait que, parmi les premiers actes de sa présidence, Obama a ouvert les financements fédéraux aux organismes qui prônent l’avortement comme moyen de contrôle des naissances dans les pays pauvres. Il a de plus annoncé son soutien au Freedom of Choice Act, qui supprimera les limites à l’avortement, et au financement de l'utilisation des cellules souches embryonnaires.

* * *

Cela n’empêche pas qu’Obama soit l’un des présidents américains les plus explicites dans l’affirmation du fondement religieux de sa pensée.

A maintes reprises il a donné les noms de ses auteurs de référence, très ou peu connus: de Dorothy Day à Martin Luther King, de John Leland à Al Sharpton.

Parmi ceux qu’il a cités, il en est un qui a une importance très particulière: le luthérien Reinhold Niebuhr (1892-1971), professeur à la Columbia University puis à l’Union Theological Seminary de New York.

Niebuhr a été surtout un théologien – de première grandeur – mais ses travaux ont aussi touché à la politique. Il est considéré comme un maître du "réalisme" en politique internationale, dont les grands représentants américains ont été, dans la seconde moitié du XXe siècle, Hans Morgenthau, George Kennan et Henry Kissinger.

S’inspirer ou non de Niebuhr, de son interprétation et de son actualisation de la "Cité de Dieu" de saint Augustin, est une décision qui oriente de manière déterminante la vision du rôle des Etats-Unis dans le monde.

Par exemple, rien n’est plus éloigné des idées de Niebuhr que le pacifisme. Mais c’est l'ensemble de la pensée de ce grand théologien qu’il est utile d’approfondir.

C’est ce que fait, dans l’essai qui suit, le plus grand expert italien de Niebuhr, Gianni Dessì, professeur de philosophie et d’histoire des doctrines politiques à l'Université de Rome Tor Vergata.

Cet essai a été publié il y a quelques jours dans le dernier numéro de l'édition italienne de "30 Giorni", le mensuel catholique peut-être le plus lu par les évêques du monde entier, dans ses éditions en différentes langues.

"30 Giorni", que dirige le vieux sénateur Giulio Andreotti – plusieurs fois président du conseil et ministre des Affaires étrangères – s’occupe souvent de politique internationale selon une ligne qu’on pourrait qualifier de "réaliste modérée" et qui coïncide avec la ligne traditionnelle de la diplomatie vaticane.


Si le réalisme de Niebuhr arrive à la Maison Blanche
par Gianni Dessì

S’entretenant il y a quelque temps avec David Brooks, l’un des plus connus des commentateurs politiques conservateurs du "New York Times", le nouveau président Obama a cité Reinhold Niebuhr comme l’un de ses auteurs préférés (1).

Peu connu en Italie, Niebuhr, théologien protestant et professeur d’éthique sociale à la Columbia University de New York, a beaucoup influencé la culture politique nord-américaine au moins à partir de 1932, année où il publie "Homme moral et société immorale", et jusqu’à sa mort en 1971. Intellectuels et politiques, conservateurs et libéraux se sont référés à son réalisme politique.

Hans Morgenthau et George Kennan – les plus connus des libéraux conservateurs qui, dans l’immédiat après-guerre, ont élaboré un ensemble de motivations qui allaient être les références intellectuelles de beaucoup d’Américains au temps de la guerre froide, de l’opposition au bloc soviétique – se sont référés explicitement à Niebuhr et à son réalisme politique (2).

D’autre part Martin Luther King lui-même – sûrement pas un conservateur – a été particulièrement sensible aux critiques de Niebuhr envers l’optimisme de la culture libérale et envers l’idée que la justice puisse être obtenue par des exhortations morales. Il a reconnu qu’il devait à Niebuhr d’être conscient de la profondeur et de la persistance du mal dans la vie humaine (3).

Interviewé par Brooks, Obama a dit qu’il devait à Niebuhr "l’idée irréfutable que le véritable mal, les épreuves et la douleur existent dans le monde. Nous devons être humbles et modestes quand nous pensons que nous pouvons les éliminer, mais nous ne devons pas en tirer argument pour être cyniques ou inactifs".

Ces quelques mots soulignent certains aspects essentiels de la pensée de Niebuhr. L’idée qu’on ne peut éliminer du monde "le véritable mal, les épreuves, la douleur" renvoie à sa critique de l’optimisme qui est, selon lui, l’un des éléments constitutifs de la pensée religieuse et sociale américaine. Et l’idée que l’homme politique amené à lutter contre la présence de l’injustice et du mal doit lui aussi être “humble” renvoie à la conscience qu’on ne peut éliminer le mal de l’histoire et que c’est une illusion dangereuse que de croire c’est possible.

D’autre part cette persistance du mal ne peut être une excuse pour "le cynisme et l’inactivité". On découvre ainsi une pensée qui veut éviter à la fois “l’idéalisme ingénu” et le “réalisme amer(Niebuhr entend par là: à la fois le sentimentalisme et le cynisme).

Comment cette perspective se définit-elle dans les ouvrages de Niebuhr, quels sont ses références historiques et culturelles?

Dès la fin des années Soixante, en Italie, Luigi Giussani avait noté l’importance du réalisme de Niebuhr dans la pensée théologique et, plus généralement, dans la culture américaine.

Giussani rappelait que l’existentialisme théologique européen avait sûrement joué un rôle dans la formation du pasteur protestant mais qu’une "nette originalité caractérisait, depuis le début, son œuvre, dont l’inspiration et les tendances clés se sont formées et dessinées dans son vécu de pasteur de la luthérienne Bethel Evangelical Church de Detroit" (4).

Très jeune, Niebuhr devient pasteur d’une petite communauté de Detroit, à l’époque du développement du constructeur automobile Ford et de la Première guerre mondiale, de 1915 à 1928. Libéral de formation, il découvre par expérience que l’optimisme anthropologique de ce courant de pensée et de sa déclinaison sociale – le mouvement du Social Gospel – ne permet pas de comprendre la persistance du malheur individuel et de l’injustice. Il fait à cette époque la critique de ses propres convictions libérales et optimistes. Face à l’espoir de moraliser la société par la prédication religieuse, il constate, dans une note de 1927, qu’"une ville construite autour d’un système de production, qui ne pense à ses problèmes que fortuitement et ne s’y intéresse qu’accidentellement, est vraiment une sorte d’enfer" (5). Cette autocritique s’exprime pleinement dans le livre "Homme moral et société immorale" où, comme l’a écrit Giussani, l’" inévitable réalité du mal [...] est affirmée et prouvée contre tout optimisme qui ne verrait pas l’impossibilité existentielle de passer de la conscience du bien, qu’a l’individu, à sa réalisation, impossibilité qui se manifeste de manière inexorable spécialement dans la sphère du collectif" (6).

Publié en 1932, le livre, écrit à l’époque où Niebuhr a subi l’influence du marxisme, a peut-être été, dans l’Amérique des années Trente, la critique la plus incisive de l’optimisme et du moralisme, mais aussi de l’indifférence et du cynisme qui avaient caractérisé la société américaine après la Première guerre mondiale. La brève période qui va de 1917, année de l’entrée en guerre de l’Amérique, à 1919, année des traités de paix qui pénalisèrent fortement les pays vaincus, a vu s’épuiser l’idéalisme du mouvement progressiste et du président Wilson. Les raisons morales de faire participer les Américains à la guerre données par Wilson et beaucoup d’intellectuels progressistes avaient été contredites par le réalisme exacerbé des traités de paix qui entérinaient ouvertement les nouveaux rapports de force entre vainqueurs et vaincus.

Justement en réaction contre les croisades idéalistes de Wilson, une exigence de retour à la normale s’est manifestée dans l’Amérique des années Vingt. Elle s’est concrétisée par l’élection du président Warren Harding, qui avait basé sa campagne électorale sur cet idéal.

En réalité la société américaine a connu à cette époque une croissance économique sans précédent, la diffusion de la publicité et de la consommation de masse, et une forte polarisation entre les riches et les pauvres.

Aux yeux d’un observateur attentif comme Niebuhr, cette société semblait démentir ou réduire à une pure rhétorique toute forme de moralisme; elle était caractérisée par l’émergence d’attitudes de plus en plus cyniques et désabusées.

Le 18e amendement à la constitution – il interdisait de produire, transporter et vendre des boissons alcoolisées sur le territoire américain – peut être considéré comme représentatif de cette situation. Approuvé en 1919 comme symbole de la lutte pour moraliser les mœurs, il favorisait en réalité le développement de diverses formes de criminalité organisée qui tiraient précisément leurs plus gros profits du commerce illégal de boissons alcoolisées.

A cette époque, Niebuhr pensait qu’une société plus juste résulterait non pas d’exhortations morales ou religieuses, mais d’initiatives concrètes, historiques et politiques qui, justement en tant que telles, devraient affronter des réalités peu élevées.

Ayant quitté Detroit en 1928 et commencé à enseigner à la Columbia University de New York, il rappellera que ce sont justement les exigences de l’enseignement qui l’ont amené à approfondir sa connaissance d’Augustin. En 1956, il déclarait dans une interview: "Rétrospectivement, je suis étonné de voir comme j’ai commencé tard à étudier Augustin: c’est encore plus surprenant si l’on sait que la pensée de ce théologien devait répondre à beaucoup de mes questions non encore résolues et me libérer enfin de l’idée que la foi chrétienne puisse être en quelque sorte identique à l’idéalisme moral du siècle dernier" (7).

La référence à saint Augustin a été centrale à la fois en ce qui concerne la conscience des raisons qui différencient la foi de l’idéalisme et pour surmonter certaines apories que Niebuhr avait développées dans les premières années de sa réflexion.

Pour le jeune Niebuhr, le christianisme est marqué par un aspect – l’absolue gratuité – qui est au-delà de toute tentative humaine de réaliser les idéaux éthiques. L’homme peut s’engager très sincèrement dans la réalisation de sphères de coexistence caractérisées par ce que Niebuhr appelle "mutual love", un amour fondé sur la réciprocité, le Christ incarnant, lui, un autre type d’amour, appelé "sacrificial love". En 1935, dans "An Interpretation of Christian Ethics", il avait rappelé explicitement cette différence radicale, écrivant: "Les exigences éthiques de Jésus sont irréalisables dans l’existence présente de l’homme [...]. Tout ce qui est en-dessous de l’amour parfait dans la vie humaine détruit la vie. Toute vie humaine est sous la menace d’un désastre parce qu’elle ne vit pas la loi de l’amour" (8).

En 1940, reprenant certaines de ces réflexions et les appliquant au domaine politique, il déclarait qu’une pensée "qui avait simplement et sentimentalement changé l’idéal de perfection de l’Evangile en une simple possibilité historique" avait produit une "mauvaise religion" et une "mauvaise politique": une religion en opposition avec l’élément essentiel de la foi chrétienne et une politique irréaliste qui rendait les nations démocratiques de plus en plus faibles (9).

Mais, tout en critiquant le sentimentalisme et l’optimisme de la culture libérale, il constatait aussi l’ineffaçable présence de la certitude du sens de l’existence, de sa positivité, comme caractéristique d’une existence saine. Cette certitude, écrivait-il, "ne résulte pas d’une analyse sophistiquée des forces et des faits qui entourent l’expérience humaine. On la reconnaît dans toute vie saine […]. Les hommes peuvent être incapables de définir le sens de la vie et vivre quand même, par la simple foi, en étant sûrs qu’elle a un sens" (10).

L’ouvrage qui donne une synthèse de ces diverses suggestions est "The Nature and Destiny of Man", publié en deux volumes entre 1941 et 1943. On y lit: "Selon la conception biblique, l’homme est une existence créée et finie à la fois dans le corps et dans l’esprit" (11).

La clé pour comprendre la nature humaine, c’est d’une part d’admettre la création: l’optimisme essentiel qui caractérise une existence saine est lié à l’idée que l’on est créé, voulu par Dieu. C’est d’autre part la liberté humaine qui, comme signe mis par Dieu dans le cœur de l’homme, comme possibilité d’accepter cette intuition ou de la refuser, devient absolument centrale. L’homme peut (et Niebuhr semble dire “inévitablement”) chercher sa satisfaction dans les biens créés et pas en Dieu. Le mal naît quand l’homme confère à un bien particulier une valeur absolue: c’est l’usage erroné de la liberté – le péché – qui génère le mal, pas la sensibilité ou la matérialité.

La présence d’Augustin dans ce qui est l’ouvrage le plus important et le plus systématique de Niebuhr est évidente et constante: la conception réaliste de la nature humaine que propose Niebuhr renvoie explicitement à la conception biblique et aux textes augustiniens.

Dans un essai de 1953, "Augustine’s Political Realism", inclus dans le livre "Christian Realism and Political Problems" paru la même année, Niebuhr reconnaît explicitement sa dette envers saint Augustin. Il précise en quel sens le saint doit être considéré comme le premier grand réaliste de la pensée occidentale et pourquoi sa vision lui paraît actuelle.

Niebuhr commence cet essai en proposant une définition schématique du mot réalisme: celui-ci "indique la disposition à prendre en considération tous les facteurs qui, dans une situation politique et sociale, offrent une résistance aux règles établies, notamment les facteurs d’intérêt personnel et de pouvoir". Au contraire, l’idéalisme est, pour ses partisans, "caractérisé par la fidélité aux idéaux et aux règles morales, plutôt qu’à l’intérêt personnel"; pour ses adversaires, par "une disposition à ignorer ou à être indifférent aux forces qui, dans la vie humaine, offrent une résistance aux idéaux et aux règles universelles" (12). En politique, précise Niebuhr, l’idéalisme et le réalisme sont des dispositions plus que des théories. Autrement dit, même le plus idéaliste des individus devra forcément affronter les faits, avec la force de ce qu’il est; même l’homme le plus réaliste devra affronter la tendance humaine à agir sous l’inspiration de valeurs idéales, de ce qu’il doit être (13).

Niebuhr pense que saint Augustin a été "de l’avis général le premier grand réaliste de l’histoire occidentale. Il a mérité ce jugement parce que l’image de la réalité sociale dans sa 'Cité de Dieu' offre une juste vision des forces sociales, tensions et compétitions que nous savons être presque universelles à tous les niveaux de communauté" (14). Pour le théologien protestant, le réalisme de saint Augustin est lié à sa conception de la nature humaine, et particulièrement à son opinion sur la présence du mal dans l’histoire. En effet, pour saint Augustin "la source du mal est l’amour propre, plutôt qu’un reste quelconque d’impulsion naturelle pas encore dominée par la raison". Le mal ne vient donc ni de la sensibilité ni de la matérialité, qui ne sont pas opposées au spirituel. Faire de ses intérêts matériels ou de ses idéaux un but ultime est une caractéristique humaine qui est liée à la liberté et s’exprime à chaque niveau de l’existence humaine et collective, depuis la famille jusqu’à la nation et à l’hypothétique communauté mondiale.

Le réalisme d’Augustin permet en outre de répondre au reproche que les libéraux font aux partisans d’une conception non optimiste de la nature humaine: ils envisageraient de la même manière et donc approuveraient n’importe quelle forme de pouvoir. "En fait" écrit Niebuhr "le réalisme pessimiste a poussé à la fois Hobbes et Luther à une inqualifiable approbation de l’état de pouvoir; mais c’est seulement parce qu’ils n’ont pas été assez réalistes. Ils ont vu le danger de l’anarchie dans l’égoïsme des citoyens mais ils n’ont pas su percevoir le danger de la tyrannie dans l’égoïsme des gouvernants" (15).

Autrement dit, le réalisme de saint Augustin ne cède ni au cynisme ni à l’indifférence face au pouvoir parce que "alors que l’égoïsme est “naturel” en ce sens qu’il est universel, il n’est pas naturel en ce sens qu’il n’est pas conforme à la nature humaine". En effet "un réalisme devient moralement cynique ou nihiliste quand il admet qu’une caractéristique universelle du comportement humain doit être considérée comme normative. La description biblique du comportement humain, sur laquelle Augustin fonde sa pensée, peut refuser à la fois l’illusion et le cynisme parce qu’elle admet que la corruption de la liberté humaine peut rendre universel un modèle de comportement sans le rendre normatif" (16).

Cette relecture de saint Augustin proposée par Niebuhr dégage avec force l’idée d’un réalisme capable d’éviter l’indifférence, le cynisme et l’approbation inconditionnelle de toute forme de pouvoir mais aussi le sentimentalisme, l’idéalisme et les illusions relatives à la politique et à la vie humaine: c’est à cette façon de voir qui, comme le rappelait Niebuhr, exprime plus un état d’esprit qu’une théorie, qu’Obama semble se référer.

NOTES
(1) C. Blake, "Obama and Niebuhr", in "The New Republic", 3 mai 2007.
(2) Cf. R.C. Good, "The National Interest and Political Realism: Niebuhr’s 'Debate' with Morgenthau and Kennan", in "The Journal of Politics", n° 4, 1960, pp. 597-619.
(3) C. Carson, "Martin Luther King, Jr., and the African-American Social Gospel", in Paul E. Johnson (ed.), "African American Christianity", University of California Press, Berkeley 1994, pp. 168-170.
(4) L. Giussani, "Grandi linee della teologia protestante americana. Profilo storico dalle origini agli anni Cinquanta", Jaca Book, Milan 1988 (1ère édition 1969), p. 131.
(5) R. Niebuhr, "Leaves from the Notebook of a Tamed Cynic", The World Publishing Company, Cleveland 1957 (1ère édition 1929), p. 169.
(6) L. Giussani, "Teologia protestante americana", cit., p. 132.
(7) R. Niebuhr, traduction italienne, "Una teologia per la prassi", Queriniana, Brescia 1977, p. 55.
(8) R. Niebuhr, "An Interpretation of Christian Ethics", Scribner’s, New York 1935, p. 67.
(9) R. Niebuhr, "Christianity and Power Politics", Scribner’s, New-York 1952 (1ère édition 1940), pp. IX-X
(10) Ibid., p. 178.
(11) R. Niebuhr, "The Nature and Destiny of Man. A Christian Interpretation, Vol. I, Human Nature", Scribner’s, New-York 1964 (1ère édition 1941), p. 12.
(12) R. Niebuhr, traduction italienne, "Il realismo politico di Agostino", in G. Dessì, "Niebuhr. Antropologia cristiana e democrazia", Studium, Rome 1993, pp. 77-78.
(13) J’emprunte cette terminologie à Alessandro Ferrara, "La forza dell’esempio. Il paradigma del giudizio", Feltrinelli, Milan 2008, pp. 17-33. Une troisième grande force, sujet du livre, est celle de "ce qui est comme il faut".
(14) R. Niebuhr, traduction italienne, "Il realismo politico di Agostino", cit., p. 79.
(15) Ibid., p. 85.
(16) Ibid., p. 88.


 Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.


 

Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 06.02.2009 - T/B

 

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