 |
Ukraine. La volte-face du Pape François. En soutien à la lutte armée
d’un peuple martyr
|
Le 05 décembre 2022 -
(E.S.M.)
-
Infatigable, le Pape François continue à se positionner comme
médiateur pour la paix. Mais sa dernière proposition de négociation,
lancée il y a une semaine dans une
interview accordée à l’hebdomadaire des jésuites de New York « America
Magazine », a suscité une réaction de Moscou pour le moins
brutale.
|
|
Le pape et l'archevêque majeur de l’Église
grecque-catholique ukrainienne, Sviatoslav Shevchuk -
Pour agrandir l'image
►
Cliquer
Ukraine. La volte-face du Pape François. En soutien à la lutte armée d’un
peuple martyrL
Le 05 décembre 2022 - E.
S. M. -
« Ce n’est même plus de la russophobie, c’est une perversion de
la vérité » : c’est par ces mots que la porte-parole des
affaires étrangères russes,
Maria Zakharova, a accueilli les arguments du Pape.
L’ambassadeur russe près le Saint-Siège,
Alexander Avdeev, a également fait part de son « indignation »
face aux « insinuations » papales. Et enfin, le ministre des
affaires étrangères en personne,
Sergueï Lavrov, n’a pas hésité à qualifier les déclarations du
Pape de « non chrétiennes ». En ajoutant : « Le Vatican a
dit que cela ne se répétera plus et qu’il s’agit probablement d’un
malentendu, mais ça n’aide pas à augmenter l’autorité de l’État
pontifical ».
Ce qui a déclenché l’ire de Moscou, c’est un passage de l’interview
où le Pape déclare avoir « beaucoup d’informations sur la cruauté
des troupes » envoyées pour agresser l’Ukraine, avec la précision
malheureuse que « généralement, les plus cruels sont peut-être ceux
qui viennent de Russie, mais pas de la tradition russe, comme les
Tchétchènes, les Bouriates, et ainsi de suite ». Donc non plus
seulement les « mercenaires », comme le Pape l’avait déjà
dénoncé à plusieurs reprises, mais également les troupes régulières
d’ethnies particulières, dont les chefs, avec en tête le Tchétchène
Ramzan Kadyrov, ont également vigoureusement
protesté.
Il n’en demeure pas moins – erreurs de communication mises à part,
même si elles sont bien trop fréquentes – que dernièrement, ce que
le Pape François dit et pense sur la guerre en Ukraine a beaucoup
changé.
Il faut faire remonter cette volte-face à la rencontre que le Pape a
eue au Vatican le 7 novembre avec l’archevêque majeur de l’Église
grecque-catholique ukrainienne, Sviatoslav Shevchuk (photo). Et elle
s’est principalement matérialisée dans cette «
Lettre du Saint-Père au peuple ukrainien » diffusée le 24
novembre, que Mgr Shevchuk lui-même
avait demandé au Pape François d’écrire, et qui est très proche
quant au style et au contenu aux messages que le chef des
grecs-catholiques ukrainiens adresse à ses fidèles.
Les 24 novembre était l’avant-veille du jour de la commémoration de
l’Holodomor, c’est-à-dire du « terrible génocide, l’extermination
par la faim en 1932-33, causée artificiellement par Staline en
Ukraine », comme l’a défini textuellement le Pape François non
seulement dans sa lettre au peuple ukrainien mais aussi lors de l’audience
générale de mercredi 23 novembre, à l’angélus
du dimanche 27 et dans l’interview accordée à « America » le
28.
Et en soi, il s’agit déjà d’une nouveauté de poids, dans ce que
pense le Pape sur l’agression de la Russie contre l’Ukraine, surtout
pour l’emploi du mot « génocide » que seule une poignée d’États dans
le monde ont jusqu’ici appliqué à l’Holodomor, dont François a
rappelé qu’il constituait « un précédent historique du conflit »
actuel.
En outre, on trouve désormais dans les déclarations du Pape une
description de cette guerre qui n’en a plus que pour le peuple
ukrainien « martyrisé » et contre cet autre État qui « le
martyrise ». Et, dans l’interview à « America », ces
déclarations sont assorties d’accusations sans équivoque et
explicites : « Certes, c’est l’État russe qui envahit. C’est très
clair. Parfois, j’essaie de ne pas préciser pour ne pas offenser et
je condamne plutôt en général, même si l’on sait très bien qui je
condamne. Mais il n’est pas nécessaire que j’indique un nom et un
prénom. Pourquoi je ne cite pas Poutine ? Ce n’est pas nécessaire,
on le sait déjà ».
De plus, il y a dans la lettre du Pape François aux ukrainiens une
affirmation qui, venant de lui, est sans précédent. Il écrit à un
endroit : « Je pense à vous, jeunes, qui, pour défendre
courageusement votre patrie, avez dû prendre les armes au lieu de
réaliser des rêves que vous aviez cultivés pour l’avenir ». Et
plus loin « Je suis impressionné par votre bonne ardeur. Malgré
l’immense tragédie qu’il subit, le peuple ukrainien ne s’est jamais
découragé et n’a jamais cédé à l’apitoiement. Le monde a reconnu un
peuple audacieux et fort, un peuple qui souffre et prie, pleure et
lutte, résiste et espère : un peuple noble et martyr. Je continue à
vous être proche ».
C’est première fois, en des mois de guerre, que le Pape François
prononce des mots clairs en soutien de la lutte armée des Ukrainiens
contre les Russes. À l’opposé de la ligne pacifiste jusqu’ici prônée
par la quasi-totalité des organisations catholiques italiennes qui,
à leurs dires, suivraient le Pape.
Mais quel Pape, au juste ? Celui qui, jusqu’au mois dernier,
accusait l’Occident et l’OTAN d’avoir provoqué la Russie en « aboyant »
à ses frontières ? Celui qui faisait remonter ce conflit, comme tous
les autres, à la « folie »
de la fabrication et du commerce mondial d’armes ? Celui qui
excluait qu’il ne puisse jamais y avoir une guerre « juste » ?
Ou bien le Pape qui se sent aujourd’hui solidaire des soldats
ukrainiens qui défendent leur patrie par les armes ?
En tant qu’évêque de Rome et primat d’Italie, François a derrière
lui un peuple catholique dont les leaders le plus en vue, les
structures associatives et les organes de presse appellent tous à la
paix mais désapprouvent les livraisons d’armes à l’Ukraine.
Dès le premier jour de l’agression russe, Andrea Riccardi, le
fondateur de la Communauté de Sant’Egidio, a milité pour la
reddition de l’Ukraine, en lançant un appel pour que Kiev soit
déclarée « ville
ouverte », c’est-à-dire occupée par l’armée des envahisseurs
sans opposer de résistance.
Le 5 novembre dernier, le même Riccardi a prononcé le discours de
clôture du grand cortège pacifiste – auquel ont
adhéré la quasi-totalité des associations catholiques – qui a
parcouru les rues de Rome jusqu’à Saint-Jean-de-Latran, avec des
dizaines de drapeaux de Sant’Egidio sur la place, mais tout
naturellement pas un seul drapeau ukrainien déployé par des
Ukrainiens.
C’est « Avvenire », le quotidien officiel de la Conférence
épiscopale italienne dirigé par Marco Tarquinio, qui milite tous les
jours pour la paix en Ukraine, mais toujours en s’opposant dans le
même temps aux livraisons d’armes à ce pays.
En octobre, deux intellectuels catholiques de renom, Stefano Zamagni
et Mauro Magatti – le premier est économiste et président de
l’Académie pontificale pour les sciences sociales et le second est
professeur de sociologie à l’Université catholique de Milan et
secrétaire des Semaines sociales des catholiques italiens – ont
lancé un
plan de paix en sept points, incluant entre autre des
référendums pour l’autonomie des régions russophones de Lougansk et
de Donetsk, la création d’une entité paritaire russo-ukrainienne
pour l’exploitations des ressources minières du Donbass et la
cession de fait de la Crimée à la Russie.
Jusqu’à il y a un mois, tout ce petit monde catholique avait beau
jeu de prétendre que le Pape les soutenait.
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Il n’est pas étonnant que la lettre
du 24 novembre du Pape François au peuple ukrainien ait fait l’effet
d’une douche froide sur ce même monde catholique.
Un monde qui naturellement ne manque pas de voix dissonantes
pertinentes, même si elles sont rares. Parmi elles, il y a celle de
Vittorio Emanuele Parsi, professeur de relations internationales à
l’Université catholique de Milan et directeur, dans cette même
université, de la Haute École d’économie et de relations
internationale.
Ce qui suit est un bref extrait de son dernier livre « Il
posto della guerre et il costo della libertà », édité chez
Bompiani.
Le coût de la liberté
de Vittorio Emanuele Parsi
Si l’agression russe en Ukraine nous a bien enseigné une chose,
c’est que les règles qui ont permis de bannir la guerre d’Europe
fonctionnent entre les démocraties et rien d’autre. Prenons par
exemple la séculaire inimitié franco-allemande. […] Ce qui rend
aujourd’hui toute inquiétude réciproque de conflit entre la France
et l’Allemagne non plausible c’est simplement le fait que toutes
deux partagent des institutions politiques analogues, des valeurs
similaires et qu’elles soient des « sociétés ouvertes », dans
lesquelles l’État est garant des libertés civiles, politiques et
sociales de ses propres citoyens.
C’est cela qui a permis que, là où dans le passé la crainte de la
guerre était constante, règne aujourd’hui la confiance absolue en la
paix. Et c’est ce qui a rendu possible le développement des
institutions internationales et transnationales – l’Alliance
atlantique et l’Union européenne – qui ont permis de renforcer,
d’approfondir et de garantir la sécurité de l’Europe dans laquelle
nous avons vécu jusqu’au 24 février 2022 et dans laquelle nous
devrions continuer à vivre après également.
On dirait que nous autres Européens avons du mal à comprendre
comment il se fait que non seulement notre continent ait été le
principal bénéficiaire de l’ordre international libéral qui s’est
mis en place après la seconde guerre mondiale, mais également
comment nos institutions constituent le second pilier principal, à
côté de celui représenté par les États-Unis qui reste le premier,
surtout militairement. Si seulement nous en avions davantage
conscience, peut-être aurions nous moins de difficulté à reconnaître
qu’en Ukraine, ce n’est pas seulement le droit légitime des
Ukrainiens à être maître chez eux qui est en jeu, ou le futur
politique de ce pays valeureux et malchanceux, mais également la
survie de cet ordre qui a constitué l’horizon et l’espace dans
lequel nous avons développé « notre » Europe pacifique et
démocratique, et dont le déclin rendrait impensable la poursuite de
ce parcours.
Et donc ? Et donc, il faut se convaincre que la paix en Europe n’est
possible que si personne ne menace ses limites géographiques et
n’essaye d’interrompre le développement autonome de la démocratie à
ses frontières. Parce que la chose fondamentale qu’il faut répéter
aujourd’hui, c’est que l’Ukraine avait entamé de manière autonome
son évolution vers la démocratie dont le positionnement occidental
représentait une suite logique, si l’on considère que les
démocraties solides sont toutes situées à l’Ouest de l’Ukraine et
qu’aucune menace contre son intégrité territoriale ne provenait et
ne provient encore de l’Ouest. […]
Quoiqu’en dise la propagande russe, relayée par ses chevaux de
Troie, […] il n’y avait aucune perspective d’adhésion de l’Ukraine à
l’OTAN. Elle avait été proposée en 2008 parce George W. Bush, le
président de l’époque, et avait été rejetée par les chefs des États
et des gouvernements des principaux pays européens, dont le France,
l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Tandis que c’est précisément la
perspective d’un rapprochement structurel de l’Ukraine à l’Union
européenne qui a provoqué en 2014 les lourdes interférences russes
dans le processus politique ukrainien, l’invasion de la Crimée et le
soutien militaire aux séparatistes du Donbass. […]
Nous sommes les seuls – l’Occident, l’Europe – à pouvoir décréter la
victoire du plan criminel du Kremlin, en ne croyant plus dans la
bonté de notre cause qui en ce moment ne fait qu’un avec la cause du
peuple ukrainien, et en cédant en revanche aux menaces dissimulées
derrières les argumentations subtiles et mensongères de Vladimir
Poutine.
Nous sommes les seuls à pouvoir lui remettre le butin ainsi que les
palmes de la victoire, accompagnées d’un certificat de
respectabilité pour lui et d’innocence pour nous, en camouflant sous
les vocables rassurants de réalisme, de prudence et de pacifisme ce
qui n’est en fait rien d’autre que du cynisme, de la lâcheté et de
l’irresponsabilité.
C’est à nous à décider ni nous voulons mettre les Ukrainiens en
condition de pouvoir combattre et, certes, d’allonger la guerre,
mais de pouvoir choisir ce qu’ils préfèrent entre vivre en esclaves
ou mourir pour continuer à être libres.
Un article de
Sandro Magister, vaticaniste à
L’Espresso.
Sources : Diakonos
-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 05.12.2022
|