Caritas in Veritate de Benoît XVI :
Et si on écoutait enfin l’Église ? |
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Le 04 septembre 2009 -
(E.S.M.)
- Conçue au départ pour célébrer le quarantième anniversaire de
l’encyclique Populorum Progressio (1967) de Paul VI, Caritas in
Veritate propose une vision renouvelée de la doctrine sociale de
l’Église, « rethéologisée » en quelque sorte.
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Le pape Benoît XVI
Caritas in Veritate de Benoît XVI : Et si on écoutait enfin l’Église ?
Le 04 septembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- Commentée à sa sortie, à peine discutée, plus facilement caricaturée,
Caritas in Veritate, encyclique d’une haute portée, mérite assurément
davantage que l’enserrement hâtif dans les griffes d’un traitement
journalistique qui banalise tout, en traitant chaque évènement sur le même
plan. Adoptant un autre rythme, celui de la méditation et de la réflexion –
un pari à front ouvert à notre époque – nous commençons ici une découverte
des richesses de cette encyclique à travers sa présentation globale mise en
confrontation avec des réactions en France et à l’étranger. Révélateur et
éloquent !
Le document est dense, riche – original aussi :par exemple, on n’y trouvera
pas les mots de libéralisme, capitalisme, socialisme ou communisme. Mais on
pourra y lire des envolées spirituelles sur l’amour et le mystère de la
Trinité. Refusant « le morcellement excessif du savoir », Benoît XVI
entend tout récapituler en une « synthèse directrice »
(n. 31) dont le cœur est une théologie de la charité.
Ce souci d’unité est fortement exprimé dès la très belle introduction. À
rebours des modèles théologiques dualistes séparant la nature et la grâce,
le Saint-Père rappelle qu’il n’y a pas de charité sans vérité, ni de vérité
sans charité – ni de charité sans le Christ, sans le Fils du Dieu qui est
amour. « La charité est la voie maîtresse de la doctrine sociale de
l’Église. » (n. 2.) La doctrine sociale de
l’Église est annonce de la charité du Christ dans la société. « Vivre la
charité dans la vérité, affirme-t-il d’emblée, conduit à comprendre
que l’adhésion aux valeurs du christianisme est un élément non seulement
utile, mais indispensable pour l’édification d’une société bonne et d’un
véritable développement humain intégral. » (n. 4.)
« Indispensable » : le mot est fort ! L’annonce du Christ est le
premier et le principal facteur de développement, comme disait déjà Paul VI
(n. 8).
Ce souci d’intégration de la nature et du surnaturel est en arrière-plan de
tout le document et en constitue la principale clé de lecture. La charité,
explique Benoît XVI, « n’est pas une adjonction supplémentaire, comme un
appendice au travail une fois achevé des diverses disciplines, mais au
contraire elle dialogue avec elles du début à la fin »
(n. 30). Pareillement, « il n’y a pas l’intelligence puis
l’amour : il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine
d’amour » (ib.) Quant à la justice, elle
est intrinsèque, inséparable de la charité. La charité exige la justice mais
la dépasse, la complète aussi, par le don et le pardon (n.
6). « La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par
des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des
relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité manifeste
toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle donne
une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans
le monde. » (n. 6.)
Une encyclique antilibérale
C’est pourquoi le Saint-Père insiste sur la nature intrinsèquement morale de
l’économie : « La conviction de l’exigence d’autonomie de l’économie, qui
ne doit pas tolérer “d’influences” de caractère moral, a conduit l’homme à
abuser de l’instrument économique de façon destructrice »
(n. 34). Or la sphère économique n’est pas éthiquement neutre.
Les relations économiques, précisément en tant que relations humaines, ont
bien une consistance morale, si bien que « la justice se rapporte à
toutes les phases de l’activité économique » (n. 37).
Il n’y a pas d’abord des relations et ensuite un jugement moral. Benoît XVI
sape ici les fondements du libéralisme. Il ne se contente pas de rappeler
que le marché doit être soumis aux principes de la justice commutative,
distributive et sociale. La justice se rapporte à toutes les phases de
l’activité économique, précise-t-il. Le Pape va plus loin encore, et ce
point a été justement relevé par de nombreux commentateurs : le principe de
gratuité et la logique du don « peuvent et doivent trouver leur place à
l’intérieur de l’activité économique normale » (n. 36).
L’éloge de « l’étonnante expérience du don » (n.
34) est plus proche des travaux d’Alain Caillé et du Mauss
que des considérations d’un Hayek hostile à l’idée même de justice
sociale. On trouvera une autre illustration de cette approche dans
l’évaluation de la « finance éthique », en particulier à travers
l’investissement socialement responsable ou le microcrédit. Ces expériences
louables et qu’il faut encourager sont aussi parfois détournées et demeurent
insuffisantes car il faut que « toute l’économie et toute la finance
soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à
cause d’exigences intrinsèques à leur nature même »
(n. 45).
Le développement et ses drames
Développé par Paul VI, le concept de développement intégral est enrichi des
dimensions économiques, sociales, culturelles, spirituelles et politiques de
l’activité humaine que ne comporte pas la simple notion de croissance.
Benoît XVI le reprend et l’actualise. Il refuse la décroissance
(n. 14) et reconnaît ce que l’essor économique a pu avoir de
positif. Mais face aux idéologues de la « mondialisation heureuse »,
il en scrute aussi les déséquilibres et problèmes dramatiques : « les
forces techniques employées, les échanges planétaires, les effets délétères
sur l’économie réelle d’une activité financière mal utilisée et, qui plus
est, spéculative, les énormes flux migratoires, souvent provoqués et ensuite
gérés de façon inappropriée, l’exploitation anarchique des ressources de la
terre… » (n. 21). La richesse globale
s’accroît, mais les inégalités augmentent. La corruption gangrène pays
riches et pays pauvres (notez qu’en passant le Pape épingle les « graves
irresponsabilités internes aux pays devenus indépendants », n. 33).
Animées par une « classe cosmopolite de managers » obéissant aux
seuls actionnaires (n. 40), les multinationales
ne respectent pas les droits des travailleurs. Elles délocalisent,
affaiblissant les réseaux de protection sociale (n. 25).
La faim fauche encore de très nombreuses victimes. (n.
27.)
Contre l’étatisme, pour la subsidiarité
S’inscrivant pleinement dans le sillage du catholicisme social, le Pape ne
voit pas dans l’entreprise capitaliste le seul modèle d’organisation
possible, ni l’État comme le seul garant de la solidarité. « Le binôme
exclusif marché-État corrode la socialité » (n. 39).
« La prééminence persistante du binôme marché-État nous a habitués à
penser exclusivement à l’entrepreneur privé de type capitaliste, d’une part,
et au haut fonctionnaire de l’autre. En réalité, l’entreprenariat doit être
compris de façon diversifiée. »
Le Pape propose de diversifier les formes d’entreprise : « À côté de
l’entreprise privée tournée vers le profit, et des divers types
d’entreprises publiques, il est opportun que les organisations productrices
qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux puissent s’implanter et se
développer. » (n. 38.) Il faut développer
des formes économiques solidaires, caractérisées par une part de gratuité et
de communion, brouillant la distinction entre les entreprises à but lucratif
et les organisations à but non lucratif. Dans tous les cas le profit devrait
être considéré comme «un moyen pour parvenir à des objectifs d’humanisation
du marché et de la société » (n. 46).
Concrètement, Benoît XVI encourage au passage les initiatives prises par les
catholiques en matière d’économie sociale
(et non civile, selon la mauvaise traduction du n. 46)
et il cite « l’économie de communion », le prêt sans intérêt, le
crédit coopératif et l’épargne socialement responsable (n.
65), les coopératives de consommation et le commerce équitable
(n. 66).
Il défend aussi l’action des syndicats, tout en proposant des pistes pour
leur renouvellement (n. 25 et 64). Il prône le
« localisme » en matière agricole pour assurer la sécurité
alimentaire (n. 27). De même qu’il faut
diversifier l’entreprenariat, il convient de « promouvoir une autorité
politique répartie et active sur plusieurs plans » (n.
41). La mondialisation et la crise bouleversent le rôle des
pouvoirs publics et leur prétention à la souveraineté. Benoît XVI demande
une « évaluation nouvelle » de leur pouvoir, un réajustement de leur
rôle, ainsi qu’un renforcement de nouvelles formes de participation
politique à travers les organisations opérant dans la société
(n. 24). À côté de l’État, il faut développer « d’autres sujets
politiques, de nature culturelle, sociale, territoriale ou religieuse »
(n. 41). Un thème classique de la doctrine sociale de l’Église,
lié au principe de subsidiarité dont Benoît XVI rappelle l’importance.
L’Église a droit de cité
Benoît XVI demande le respect du droit à la liberté religieuse et rejette le
laïcisme : « Dieu a aussi sa place dans la sphère publique, et cela
concerne les dimensions culturelle, sociale, économique et particulièrement
politique. La doctrine sociale de l’Église est née pour revendiquer ce
“droit de cité” de la religion chrétienne. » (n. 56.)
Le rôle public de l’Église « ne se borne pas à ses activités d’assistance
et d’éducation » (n. 11), à ses activités
caritatives au sens courant et limité.
Le Pape critique « la promotion programmée de l’indifférence religieuse
ou de l’athéisme pratique de la part de nombreux pays », ajoutant : «
Quand l’État promeut, enseigne, ou même impose des formes d’athéisme
pratique, il soustrait à ses citoyens la force morale et spirituelle
indispensable pour s’engager en faveur du développement humain intégral
»(n. 29).
Mondialisation et bien commun
Le monde s’est engagé sur la voie d’une mondialisation généralisée. Or «
la société toujours plus globalisée nous rapproche, mais elle ne nous rend
pas frères ». En effet, il n’y a pas de fraternité sans paternité, sans
Dieu Père « nous enseignant par l’intermédiaire du Fils ce qu’est la
charité fraternelle » (n. 19). En effet, «
le risque de notre époque réside dans le fait qu’à l’interdépendance déjà
réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde pas l’interaction
éthique des consciences et des intelligences dont le fruit devrait être
l’émergence d’un développement vraiment humain » (n.
9).
Au plan culturel, mondialisation est souvent synonyme d’homogénéisation. La
« marchandisation accrue des échanges culturels » favorise le relativisme :
« Les cultures sont simplement mises côte à côte et considérées comme
substantiellement équivalentes et interchangeables entre elles. » On
assiste à un nivellement culturel et à « l’uniformisation des
comportements et des styles de vie » (n. 26).
Benoît XVI n’hésite pas à critiquer les institutions internationales, qui «
devraient s’interroger sur l’efficacité réelle de leurs structures
bureaucratiques et administratives, souvent trop coûteuses »
(n. 47). Il vise (sans évidemment le citer)
le Fonds monétaire international (FMI) et ses
plans d’ajustement structurel imposés aux pays pauvres : « Là, les
politiques d’équilibre budgétaire, avec des coupes dans les dépenses
sociales, souvent recommandées par les Institutions financières
internationales, peuvent laisser les citoyens désarmés face aux risques
nouveaux et anciens. » (n. 25.)
Le Saint-Père affirme l’urgence de la réforme de l’Onu (n. 67). Plus encore,
il demande la mise en place d’une Autorité politique mondiale mais « la
gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, «
articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre
eux. La mondialisation réclame certainement une autorité, puisqu’est en jeu
le problème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble ; cependant cette
autorité devra être exercée de manière subsidiaire et polyarchique »
(n. 57). (Voir ci-dessus).
Respect de la vie et de la création
L’exigence d’unité qui inspire Benoît XVI se retrouve dans le rapprochement
qu’il opère entre éthique de la vie et éthique sociale, rappelant que Paul
VI, le pape de
Populorum Progressio, fut aussi celui d’Humanae
Vitae (n. 15). « L’ouverture à la vie
est au centre du développement » (n. 28).
Rappel utile, complété par une dénonciation des campagnes pour la
contraception et l’ avorte ment. Le Pape met en garde contre le
malthusianisme et la diminution des naissances. Il appelle les États à
mettre en œuvre des politiques qui promeuvent la famille.
(n. 44.)
(...)
Un humanisme inhumain
En conclusion, Benoît XVI rappelle que l’homme ne peut fonder
lui-même un véritable humanisme. « L’humanisme qui exclut Dieu est un
humanisme inhumain. » D’où cet appel final aux chrétiens : « Le
développement a besoin de chrétiens qui ont les mains tendues vers Dieu dans
un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de vérité, caritas
in veritate, d’où procède l’authentique développement, n’est pas produit par
nous, mais nous est donné. »
Denis Sureau
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Homme nouveau
Sources : Homme nouveau
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un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.09.09 -
T/Caritas un Veritate |