L'urgence de la mission : Entretien
avec Mgr Marc Aillet |
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Le 04 février 2011
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(E.S.M.)
- Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, vient d’écrire une lettre pastorale pour son diocèse publiée en livre (1) : un ouvrage fort et roboratif, à lire.
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Mgr Marc Aillet, évêque
de Bayonne, Lescar et Oloron
L'urgence de la mission : Entretien
avec Mgr Marc Aillet
Le 04 février 2011 - E.
S. M. - Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, vient
d’écrire une lettre pastorale pour son diocèse publiée en livre (1) : un
ouvrage fort et roboratif, à lire. Entretien :
La Nef – « L’urgence de la mission » est le sous-titre
de votre livre : pourquoi est-ce pour vous la priorité et par quoi cela se
traduit-il concrètement ?
Mgr Marc Aillet – Il me semble que devant les désaffections vécues par nos
Églises de vieille chrétienté, on a d’abord envisagé des réformes de
structures par le remodelage des paroisses, et on a pourvu à une meilleure
distribution des rôles par l’appel des fidèles laïcs à une plus grande
collaboration au ministère pastoral des prêtres. Aujourd’hui, alors que les
difficultés demeurent, malgré l’enregistrement de vrais renouveaux, on ne
saurait se contenter de démarches de type fonctionnel ou organisationnel :
seul un nouvel élan missionnaire, en direction de ceux qui sont loin ou se
sont éloignés, permettra à nos communautés de retrouver l’Espérance. Au
fond, il s’agit pour moi de relayer l’appel à la nouvelle évangélisation,
lancé par Jean-Paul II depuis le tout début de son pontificat en s’appuyant
sur l’exhortation apostolique de Paul VI, Evangelii nuntiandi, qui n’a rien
perdu de sa fraîcheur ni de son actualité. C’est urgent parce que nos forces
s’amenuisent et que la sécularisation progresse : j’ai la naïveté de croire
que seule une nouvelle annonce de l’Évangile ad extra, moyennant une
formation en profondeur ad intra, pourra revitaliser et renouveler nos
communautés. C’est d’ailleurs inhérent à la nature de l’Église « qui existe
pour évangéliser » et non pour fonctionner ou s’organiser. Je propose donc
concrètement une dizaine d’outils d’évangélisation, dont le plus innovant
devrait être la mise en place d’un « Observatoire de la mission » pour
impulser une pastorale spécifique d’évangélisation dans les paroisses. Il
s’agira d’honorer la définition que Jean-Paul II donnait de la nouvelle
évangélisation : « une nouvelle ardeur », par l’annonce du kérygme à tous
les membres de nos communautés ; « un nouveau langage », c’est-à-dire
le langage de l’amour et le langage de la cohérence qui savent trouver les
mots et les gestes prophétiques pour dire la première annonce de l’Évangile
; « de nouveaux moyens » d’évangélisation directe en direction des
jeunes, des pauvres, de la société dans son ensemble, par le biais de la
piété populaire ou de la culture locale, et en n’ayant pas peur de s’appuyer
sur les nouvelles réalités ecclésiales.
Benoît XVI évoque souvent l’absence ou le rejet de
Dieu dans nos sociétés occidentales : nous venons juste d’évoquer la
priorité de la mission, mais c’est un thème que l’on entend peu chez les
évêques français qui apparaissent très satisfaits de notre régime de
laïcité. Qu’en pensez-vous ?
Malgré quelques durcissements d’un autre âge enregistrés çà et là, il faut
parier sur une laïcité à la française que l’on aime qualifier, en haut lieu,
de « laïcité positive ». Autrement dit : les religions ne sont plus
considérées comme des ennemis, mais comme des interlocuteurs pour la
construction d’une société plus juste et fraternelle. Les rencontres
fréquentes que j’ai sur le terrain avec des élus de proximité ou des
associations, me convainquent que le message de sens porté par l’Église est
attendu. Nous devons profiter d’un climat de relative liberté pour donner
une visibilité au cœur du message chrétien qui ne saurait se réduire à des
valeurs, certes héritées de l’Évangile, mais qui ne suffisent pas à rendre
compte de la radicale nouveauté du Royaume instauré par le Christ à travers
sa mort et sa résurrection. Dans l’Église, on donne parfois un sens exagéré
à la laïcité, comme si l’affirmation décomplexée de ce qui fait notre
identité devait nécessairement porter atteinte au respect de la liberté
d’autrui. C’est ainsi que l’on insiste, à juste titre sans doute, sur le
dialogue avec le monde, mais avec le risque de paralyser l’ardeur
prophétique inhérente à notre condition de baptisés. Oui au dialogue, à
condition de rester libre pour un témoignage courageux rendu à la vérité.
Vous évoquez la diversité qui caractérise l’Église en
France. Vous appelez à une « spiritualité de communion » afin
d’éviter que cette diversité ne devienne source de divisions : que
proposez-vous concrètement pour favoriser cet esprit de communion ?
La communion dans l’Église n’est pas le fruit de la seule bonne
volonté des uns et des autres et ne saurait se réduire à déclarer, de
manière incantatoire, qu’il faut s’accepter dans nos différences ! En
France, on a tôt fait d’ériger sa sensibilité ou son expérience pastorale en
absolu, jusqu’à en faire un système, une idéologie totalisante ou
totalitaire. La Communion est d’abord une démarche spirituelle : reconnaître
qu’à la racine de nos différences d’approches pastorales, liées souvent à
l’histoire, la génération, l’éducation, il y a d’abord une grâce reçue,
appelée à se ressourcer sans cesse au contact du Christ, présent dans la
Parole et les sacrements. La priorité donnée à la grâce peut seule nous
aider à exercer un vrai discernement spirituel sur notre propre expérience
et, du même coup, nous aider à poser un regard de bienveillance sur les
autres, que nous sommes invités à considérer comme des frères dans l’unité
profonde du Corps mystique ; alors les différences seront accueillies et
valorisées comme des dons de Dieu, des dons pour nous et pas d’abord pour
ceux qui les ont reçus. La crédibilité de notre témoignage est à ce prix,
car « c’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres, dit Jésus,
que tous vous reconnaîtront pour mes disciples » (Jn
13, 32).
Vous consacrez une large place à la liturgie : que
proposez-vous concrètement pour répondre à l’appel du pape à une
resacralisation de la liturgie ?
J’invite d’abord à une relecture attentive des grands textes qui orientent
la « restauration » de la liturgie romaine : la Constitution Sacrosanctum
Concilium et la Présentation générale du Missel Romain. J’appelle ensuite à
une plus grande fidélité aux prescriptions liturgiques, liée à une
formation, tant des clercs que des laïcs, comme moyen d’une participation
plus consciente du Mystère célébré, plus active et plus fructueuse aussi,
c’est-à-dire qui ne se réduit pas à la célébration mais donne une forme
eucharistique à toute la vie, en devenant la source d’un engagement
caritatif, social, missionnaire, renouvelé.
Comment percevez-vous le motu proprio Summorum
Pontificum, la situation qui en résulte en France, et notamment la demande
du pape d’enrichissement mutuel entre les deux formes du même rite romain ?
J’évoque le motu proprio Summorum Pontificum à propos de la formation
liturgique des futurs prêtres, en m’appuyant en particulier sur la lettre de
Benoît XVI aux séminaristes. Je ne doute pas que cette disposition canonique
sur l’usage de la liturgie antérieure à 1970 permettra une fécondation
mutuelle des deux formes de l’unique rite romain, en réduisant l’écart qui
caractérise parfois dans la pratique, du point de vue de la sacralité, la
célébration de ces deux formes. L’expérience de la forme extraordinaire
pourrait même aider les séminaristes à mieux saisir la croissance organique,
sans rupture, de la liturgie romaine. Le Saint-Père a souvent insisté sur la
nécessaire réconciliation des catholiques avec leur passé : c’est là encore
faire œuvre de Communion, non seulement synchronique mais diachronique.
Assurément ces mesures font de la liturgie le lieu par excellence de «
l’herméneutique de la réforme et du renouveau dans la continuité de l’unique
sujet-Eglise » appelée par Benoît XVI de tous ses vœux.
Vous êtes soucieux de redonner une véritable dimension
catholique aux établissements qui dépendent de vous ? Comment y parvenir et
quelle place peut prendre l’enseignement libre hors contrat dans un diocèse
?
Il me semble que les évêques sont aujourd’hui bien conscients de l’état de
jachère dans lequel l’enseignement catholique a pu être laissé ces dernières
années, quant à son caractère propre. Il faut dire que les réglementations
de l’Éducation nationale ont considérablement réduit la marge de manœuvre
accordée à nos établissements sous contrat pour honorer un vrai projet
éducatif catholique et que, dans le souci d’être compétitif du point de vue
de l’enseignement, on a été moins regardant sur le recrutement et la
formation intégrale des enseignants. Le défi sera difficile à relever et
nécessitera une vraie détermination de la part de chefs d’établissement
pleinement convaincus de leur foi et de leur responsabilité pastorale pour
que l’Évangile soit annoncé de manière explicite à des élèves pour qui
l’école catholique est le seul lien avec le Christ et l’Église. Je connais
des chefs d’établissement qui ont les moyens d’un tel projet éducatif et mon
devoir est de les soutenir. Devant l’ampleur de la tâche et l’étranglement
de l’enseignement catholique par l’État, je comprends les familles qui, au
nom de la liberté de choix qui fonde l’existence de l’enseignement
catholique en France, se tournent vers le hors contrat. Les accompagner et
les intégrer dans l’enseignement catholique, après avoir vérifié leur
ecclésialité, c’est aussi faire œuvre de communion.
Vous évoquez la place des laïcs remise à l’honneur par
Vatican II : comment interviennent-ils dans la mission ?
L’ecclésiologie de Communion définie par le concile Vatican II repose
principalement sur l’articulation, non pas fonctionnelle, mais sacramentelle
et théologale, entre le sacerdoce ministériel des prêtres et le sacerdoce
commun des fidèles. Si les laïcs sont appelés à participer à la vie et à la
mission de l’Église, ce n’est pas d’abord parce que l’on manque de prêtres,
mais parce que c’est inhérent à la grâce de leur baptême. Cette
collaboration doit se vivre en terme de complémentarité et non de
substitution, au risque de cléricaliser le laïcat. Je plaide pour que les
laïcs ne soient pas enfermés dans des tâches intra-ecclésiales, pour autant
nécessaires. En vertu de la « sécularité » qui est la condition propre du
laïcat, ils sont placés aux avant-postes de la mission dans le monde. Ils
sont d’abord appelés à témoigner de l’Évangile dans leur milieu de vie et à
s’engager dans toutes formes d’apostolat communautaire.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
(1) Mgr Marc Aillet, La charité du Christ nous presse.
L’urgence de la mission, Artège, 2010, 216 pages, 16 euros.
Sources : La
Nef N°223 de février 2011
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.02.2011 - T/Eglise
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