Hu Jintao et le pape Benoît XVI.
Cette audience manquée de peu |
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Rome, le 04 février 2010 -
(E.S.M.)
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Deux points de vue s’opposent en ce qui concerne l'avenir de l'Eglise
catholique chinoise, celui du cardinal de Hong-Kong et celui de la
diplomatie vaticane. Un dossier du mensuel "30 Giorni" donne la parole à la
seconde. Avec une interview d'un intellectuel proche du gouvernement de
Pékin
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Hu Jintao et le pape Benoît XVI. Cette audience manquée de peu
Chine. La trompette de Zen et la cloche de Bertone
Le 04 février 2010 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
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Le cardinal Joseph Zen Zekiun, évêque émérite de
Hong-Kong et stratège passionné de l’Église catholique en Chine, n’a jamais
ménagé ses critiques contre la diplomatie vaticane, qu’il trouve trop
accommodante vis-à-vis du régime communiste de Pékin, ni aux prêtres et
évêques qui lui paraissent trop soumis.
La dernière polémique – relatée par www.chiesa dans un précédent article – a
porté sur l’affaire de l’évêque coadjuteur du diocèse Baoding, Joseph An
Shuxin, rendu à la liberté après dix années passées en prison et qui s’est
inscrit à l’Association Patriotique gouvernementale, geste que beaucoup ont
interprété comme une reddition à l’ennemi.
D’après le cardinal Zen, la faiblesse de l’évêque de Baoding et d’autres
comme lui serait encouragée de façon coupable par les autorités vaticanes
qui considèrent que la période héroïque de l’Église clandestine est terminée
et que ses évêques et ses prêtres devraient tous entrer dans l’Église
officielle reconnue par le régime.
Mais en est-il vraiment ainsi ? Selon les autorités vaticanes, non : la
situation n’est pas du tout celle que décrivent le cardinal Zen et l'agence
"Asia News" dirigée par le père Bernardo Cervellera, de l’Institut
Pontifical des Missions Étrangères.
*
La diplomatie vaticane ne s’exprime pas directement mais, pour connaître ses
prises de position, il suffit de lire la revue qui reflète le mieux sa
pensée : le mensuel international en six langues "30 Giorni", édité à Rome
et dirigé par le vieux sénateur Giulio Andreotti, plusieurs fois président
du conseil et ministre des Affaires étrangères de la république italienne,
de tout temps très introduit à la curie.
Dans son dernier numéro, "30 Giorni" consacre un dossier à l’Église
chinoise. Mais ce n’est pas tout. Il annonce aussi la diffusion en Chine, à
un grand nombre d’exemplaires, d’un livret de prières intitulé "Qui prie est
sauvé", traduit pour la première fois en mandarin et préfacé par l’évêque de
Shanghai, Aloysius Jin Luxian, celui des évêques reconnus à la fois par le
régime et par l’Église de Rome qui fait le plus autorité.
Pour le moment, le nouveau numéro de "30 Giorni" n’a été publié qu’en
italien. Mais bientôt il sortira aussi en anglais, français, espagnol,
portugais et allemand, avec la possibilité pour tous de lire intégralement
le dossier.
Celui-ci comprend une grande enquête de Gianni Valente qui reconstitue
l’affaire de l’évêque de Baoding, avec des détails qui démentent la
"trahison" de ce dernier et prouvent sa rectitude. Mais il fournit aussi
deux documents d’un grand intérêt, qui appuient cette reconstitution des
faits.
Le premier document est une lettre du 29 juin 2008, écrite par le cardinal
Ivan Dias, préfet de la congrégation vaticane Propaganda Fide, aux prêtres,
aux religieux et aux fidèles du diocèse de Baoding.
Dans cette lettre, le cardinal Dias – dont dépendent formellement les
diocèses de Chine – défend pleinement les choix faits par l’évêque An Shuxin
après sa sortie de prison et il enjoint au clergé et aux fidèles de faire
preuve envers lui de respect et d’obéissance :
"Tout le monde doit savoir que l’estimé évêque jouit de la faveur et de la
confiance totale du Saint-Siège. Personne ne peut donc se permettre de
suspecter sa sincérité ou de s’opposer à son autorité, en diffusant des
jugements inconsidérés qui troublent les fidèles. Non seulement cela réjouit
beaucoup les ennemis de l’Église, mais c’est un grave manque de charité
devant Dieu et devant l’Église ".
Le second document, datant de novembre dernier, est un long interrogatoire
de l’évêque An Shuxin par un prêtre chinois en désaccord avec lui, diffusé
par un site web lié à des groupes de l’Église catholique clandestine :
www.ccccn.org.
La traduction intégrale du texte chinois de l'interrogatoire sera bientôt
disponible sur le site web de "30 Giorni".
Le dossier de la revue comporte de graves critiques contre le cardinal Zen,
accusé de se présenter abusivement comme le seul interprète véridique de la
Lettre adressée par Benoît XVI aux catholiques chinois en 2007, c’est-à-dire
du document essentiel pour l’Église catholique de Chine.
Il défend également avec vigueur le cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire
d’état et donc chef de la diplomatie du Vatican.
Curieusement, Bertone et Zen sont salésiens l’un et l’autre mais se
disputent même lors des réunions confidentielles de la commission créée par
le Vatican pour suivre la mise en œuvre de la lettre-programme de Benoît XVI
en Chine, commission dont ils font partie tous les deux.
On trouvera ci-dessous le texte intégral d’une autre pièce majeure du
dossier di "30 Giorni" : l'interview accordée à Gianni Valente par le
professeur Ren Yanli. Celui-ci, membre de l’académie chinoise des sciences
sociales et de l’institut de recherches sur les religions mondiales, suit
depuis des décennies la vie de l’Église catholique chinoise et les rapports
entre la Chine et le Vatican.
Ren Yanli exprime le côté "soft" des positions des autorités chinoises en ce
qui concerne l’Église catholique.
Mais, bien sûr, d’autres expriment le côté "hard". La Chine aussi a ses Bertone et ses Zen.
Hu Jintao et le pape. Cette audience manquée de peu
Interview de Ren Yanli
Q. – Professeur Ren Yanli, des opinions contradictoires circulent à propos
de la situation de l’Église catholique chinoise...
R. – Les catholiques chinois sont des catholiques comme tous les autres. Ils
ont la même foi, lisent la même Bible, vont librement à l’église pour la
messe, pour prier et recevoir les sacrements. Ils aiment leur patrie, comme
les autres catholiques, et ils veulent participer à la vie et à la
modernisation de la Chine.
Q. – D’où viennent donc les problèmes ?
R. – Il y a eu un temps où, pour différentes raisons, il ne semblait pas
possible d’aimer en même temps la patrie et l’Église. Quand la République
Populaire de Chine est née, le Vatican était considéré comme un ennemi
politique de la nouvelle Chine communiste. Ainsi, à la fin des années
Cinquante, au plus fort du mouvement anti-impérialiste qui dominait alors la
politique chinoise, les relations avec le Saint-Siège ont été rompues et
l’Église chinoise a été poussée vers la ligne politique de l’indépendance et
de la nomination autonome des évêques. Mais déjà alors, ceux qui, par
patriotisme ou seulement en paroles, avaient adhéré à cette ligne ont fini
par perdre leur tranquillité spirituelle. Ils semblaient profondément
partagés. Comment une Église qui n’a pas de lien avec le siège apostolique
peut-elle être catholique ? Et en effet, après la malheureuse période de la
Révolution Culturelle, le souci principal des catholiques chinois, lors de
la réouverture de la Chine réalisée par Deng Xiaoping, a été de rétablir,
dans les temps et selon les modalités qui leur étaient possibles, les
relations avec le Saint-Siège, le pape et l’Église catholique universelle.
Q. – Un désir qui a trouvé pour se réaliser des voies diverses.
R. – Certains ont serré les rangs autour des évêques ordonnés
clandestinement qui étaient en communion avec le pape et qui refusaient tout
rapport avec le pouvoir politique et tout contrôle de sa part. Mais les
évêques qui avaient été ordonnés sans le consentement du siège apostolique
ont commencé eux aussi à prendre cette voie et ont demandé à être reconnus
et légitimés par le pape. Eux aussi, de fait, se sont détachés de la
perspective de l’indépendance. Cela a été un phénomène général et on doit le
considérer dans sa globalité.
Q. – Comment expliquez-vous ce phénomène ? Quelles en sont les causes
profondes ?
R. – Il est de plus en plus clair pour moi que le facteur décisif a été la
foi des catholiques chinois elle-même, qu’il s’agisse des laïcs ou du
clergé. Aujourd’hui les prêtres ne sont pas disposés à devenir évêques si
leur nomination ne vient pas du pape et si le mandat apostolique manque.
Beaucoup de nouveaux évêques ont voulu, au début et à la fin de leur
consécration, montrer en public la lettre de nomination reçue du pape, ne
serait-ce que parce qu’ils savent très bien que les fidèles n’écouteront
jamais des pasteurs élus et consacrés de façon autonome, sans le
consentement du pape. Les derniers évêques nommés sans mandat pontifical
restent isolés et personne ne veut recevoir l’eucharistie de leurs mains
pendant la messe. Bref, s’il est vrai que certains ont eu par le passé
quelque tentation de faire carrière dans une Église indépendante, la foi du
peuple a aidé tout le monde à rendre irréalisable ce projet d’indépendance.
Et cela a aidé le gouvernement à réorienter sa ligne d’action.
Q. – Où voyez-vous cette réorientation ? Il y a des gens qui disent que la
position du pouvoir chinois reste rigoureusement la même.
R. – Le gouvernement a compris que, s’il veut que les évêques soient des
pasteurs estimés et suivis par les fidèles et qu’ils ne soient pas perçus
comme des fonctionnaires isolés et imposés de l’extérieur, il doit admettre
- ce qu’il fait maintenant - que la nomination venant du pape et la pleine
communion avec lui sont des éléments absolument indispensables. Cela veut
dire que, dans les faits, l’idée d’imposer à l’Église une indépendance qui
serait une séparation du pape et de l’Église universelle a été abandonnée.
Le processus qui mène à une affirmation de plus en plus explicite de la
communion des évêques chinois avec le pape – et de tout ce que cela comporte
– est irréversible. Sur cette voie il ne pourra y avoir de retour en
arrière.
Q. – Comment voyez-vous la phase récente des rapports entre la Chine et le
Vatican ?
R. – Selon moi, continuer à parler de dégel n’a pas de sens parce que la
glace est brisée depuis longtemps : il y a des années que les deux parties
ont commencé à avoir des contacts directs. Mais il reste entre elles un
climat d’agression-riposte : chaque fois qu’une partie considère les
initiatives de l’autre comme des tentatives unilatérales pour se débarrasser
d’elle, elle répond par des actions qui peuvent être interprétées comme des
contre-attaques.
Q. – Un exemple ?
R. – Partons de 2005. Tous les évêques ordonnés cette année-là avaient déjà
en poche, avant leur consécration, la nomination du pape. Cette année-là
s’est entièrement déroulée dans la paix. En 2006, l’évêque de Hong-Kong,
Joseph Zen, a été créé cardinal : aussitôt, en avril et en novembre,
l’élection d’évêques sans mandat pontifical a recommencé en Chine. Un nouvel
échange de déclarations sévères s’est alors ouvert entre le gouvernement
chinois et la curie romaine. Mais en janvier 2007, quand la nouvelle que
Benoît XVI allait envoyer une lettre pastorale à l’Église de Chine s’est
répandue, les consécrations d’évêques non autorisés par Rome ont cessé.
Cette année-là, le nouvel évêque de Pékin a été élu avec le consentement du
pape. Mais ensuite le cinquantième anniversaire de l’Association Patriotique
et des premières nominations épiscopales sans mandat pontifical qui avaient
eu lieu en 1958, a été célébré en grande pompe en Chine. Au cours des
cérémonies, les dirigeants politiques ont rappelé la ligne indépendantiste à
laquelle doit se tenir l’Église chinoise.
Q. – Bref, un signal de raidissement, un énième retour en arrière.
R. – Dans ce contexte, le Saint-Siège a publié le "Compendium" de la Lettre
écrite par Benoît XVI en 2007. Dans un appendice de ce nouveau document, il
est indiqué que le Saint-Siège pourra, si c’est nécessaire, concéder de
nouveau aux évêques chinois la faculté de consacrer d’autres évêques en
demandant l’approbation pontificale dans un second temps. Concrètement, on
avertit que les facultés spéciales qui avaient été révoquées par la lettre
du Pape pourront être à nouveau attribuées aux communautés clandestines.
Q. – Quelles ont été les réactions du côté chinois ?
R. – On pouvait craindre le début d’une nouvelle phase de conflits. Mais
ensuite, quand [en 2009] Hu Jintao est venu en Italie pour participer au G8,
le pape lui a fait savoir qu’il serait heureux de le recevoir au Vatican. La
rencontre n’a pas pu avoir lieu mais l’invitation du Pape a été appréciée.
Q. – Et maintenant ? Que se passe-t-il ?
R. – Le huitième congrès des catholiques chinois aurait dû se tenir ces
derniers mois. Il s’agit de l’assemblée des délégués des diocèses
enregistrés auprès de l’administration d’État des affaires religieuses, qui
a aussi pour tâche de distribuer les charges à la tête des organismes
officiels de l’Église de Chine, comme l’Association Patriotique et le
collège des évêques, charges restées vacantes depuis que les évêques qui les
occupaient sont morts. Mais les autorités politiques ont décidé de renvoyer
le congrès à 2010.
Q. – Comment interprétez-vous ce renvoi ?
R. – Il est possible que l’on ne souhaite pas forcer la main. On a compris à
Pékin que les chefs des organismes officiels doivent, pour être vraiment
reconnus et respectés, être des évêques en communion avec le pape. Et les
évêques légitimes, qui sont déjà un peu réticents, auraient du mal à assumer
leur charge s’il y avait une opposition explicite du Saint-Siège. Il faut du
temps pour organiser les choses de manière à ce que le choix tombe sur
l’homme qui convient et que tout se passe bien. Les hommes politiques
chinois d’aujourd’hui sont pragmatiques et tendent à résoudre les problèmes
un par un. Sans changements de cap ostentatoires. Cela dit, ma crainte est
que, si l’on ne commence pas par résoudre certains problèmes de fond,
d’exténuantes phases d’un conflit désormais dépassé ne s’ouvrent à nouveau,
ce qui nuirait à tout le monde.
Q. – Que faudrait-il faire en ce moment pour interrompre cette spirale d’actions-réactions
que vous avez décrite ?
R. – Le Saint-Siège ferait bien, en ce qui le concerne, de tenir compte de
l’Église chinoise et de l’impliquer dans les problèmes actuels : comme je
l’ai dit, pendant tout ce temps, la fidélité des catholiques chinois à la
foi des apôtres a été le facteur décisif, entre autres dans l’évolution des
rapports avec les dirigeants politiques du pays.
Q. – Et qu’attendez-vous des leaders politiques chinois ?
R. – En mai dernier, une personnalité chinoise anonyme mais influente a
signalé dans un journal de Hong-Kong que les autorités de Pékin pourraient
proposer une révision des catégories d’autonomie, d’indépendance et
d’autogouvernement telles qu’elles sont appliquées à l’Église locale. Ce
sujet est déjà traité depuis quelque temps dans des séminaires d’étude
réservés aux responsables politiques. La question est de savoir comment
trouver une nouvelle définition de l’indépendance qui distingue l’aspect
ecclésial et celui de la foi de l’aspect politique. Le concept
d’indépendance ne peut plus être appliqué aux aspects de la vie de l’Église
qui concernent la foi et ne doit être considéré que dans sa perspective
politique.
Q. – Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Pouvez-vous donner un
exemple concret ?
R. – Le gouvernement veut avoir la garantie que l’Église ne se comporte pas
comme un corps politique ; que les évêques chinois sont indépendants
d’éventuelles orientations politiques et géopolitiques de la curie romaine.
Pratiquement, on veut éviter qu’un évêque ou un nonce puisse attaquer la
politique du gouvernement. C’est pourquoi il y a à Pékin des gens qui
s’obstinent à vouloir maintenir un certain contrôle sur la nomination des
évêques.
***
L'édition italienne de la revue qui a publié le dossier, avec les liens vers
les éditions en d’autres langues ►
30 Giorni
La lettre adressée le 27 mai 2007 par Benoît XVI aux catholiques chinois
►
Lettre du
pape
Son "Compendium" par questions et réponses, diffusé le 23 mai 2009 ►
Compendium of
the Letter of the Holy Father...
Et le guide de lecture de la lettre papale diffusé par le cardinal Zen le 18
novembre 2009 ►
An Aid for Reading the Holy Father's Letter to the Church in China
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 04.02.2010 -
T/International |