Le Père Louis Bouyer, un
théologien de métier |
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Le 04 janvier 2009 -
(E.S.M.)
- Le Père Louis Bouyer (1913-2004), venu du protestantisme, a été une
des plus grandes et des plus authentiques intelligences chrétiennes de
ce dernier siècle et a incarné, à temps et à contretemps, la voix et la
conscience de l'Église. Présentation.
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Le Père
Louis Bouyer
Le Père Louis Bouyer, un théologien de métier
par Falk van Gaver
Le 04 janvier 2009 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
- Auteur d'une cinquantaine de livres, la plupart de
théologie, mais aussi de quatre romans écrits sous pseudonymes, le Père
Louis Bouyer, de l'Oratoire, s'est éteint le 22 octobre 2004 à l'âge de
91 ans. En guise d'épitaphe, le Cardinal Jean-Marie Lustiger prononça
ces mots lors de son oraison funèbre : « II était le moins
conformiste des théologiens et parmi les plus traditionnels. » Tout
est dit : non-conformiste parce que traditionnel. Mais attention, que
l'on ne s'y trompe pas : Louis Bouyer fait partie de la tradition
vivante de l'Église, avec les meilleurs noms du renouveau théologique
français du XXe siècle : Henri de Lubac, Marie-Joseph Le Guillou, Jean
Daniélou et consorts. Né dans le protestantisme français le 17 février
1913 à Paris, Louis Bouyer est ordonné pasteur luthérien en 1936 à l'âge
de 23 ans. Son œcuménisme exigeant lui fait fréquenter orthodoxes et
catholiques et bientôt rejoindre Rome : il est reçu dans l'Église
catholique en décembre 1939 à l'abbaye de Saint-Wandrille, à l'âge de 26
ans, et ordonné prêtre de l'Oratoire en mars 1944 à l'âge de 31 ans. Son
parcours est marqué par sa participation, depuis 1943, au mouvement du
renouveau liturgique et, des 1945, il est docteur en théologie avec une
thèse sur la Vie de saint Antoine par saint Athanase. La vision
chrétienne du père Bouyer de l’existence puise son modèle dans la vie monastique et
est en
harmonie avec les efforts de Joseph
Ratzinger devenu Benoît XVI. Nous pouvons peut-être insérer ici
une observation tout à fait personnelle. Le cardinal Ratzinger avait eu
l'idée de créer une revue avec des amis, en
particulier avec Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Louis Bouyer, Jorge
Medina, une revue dans laquelle ils voulaient approfondir et développer l'héritage du Concile.
En 1965, lors de la
dernière année du Concile, une revue avait déjà été fondée, qui
devait pour ainsi dire être la voix permanente du Concile et de son
esprit et qui s'intitulait donc Concilium 2002.
Dans Du protestantisme à l'Église
(1955), livre capital, il
raconte sa redécouverte de la grande tradition catholique et comment,
loin de renier son protestantisme initial, son passage au catholicisme a
été l'accomplissement des exigences et des promesses non tenues du
premier mouvement protestant. Sa réintégration dans l'Église authentique
s'est faite sous diverses influences, notamment celles du théologien
anglican Arthur Michael Ramsey, archevêque de Cantorbéry et auteur d'un
livre remarqué, The Gospel and thé Catholic Church; mais aussi
celles du Père Serge Boulgakov et de Vladimir Lossky, théologiens
orthodoxes, du Pasteur Auguste Lecerf et du Professeur Oscar Cullmann,
théologiens protestants. Le cardinal John Henry Newman, découvert par le
fameux livre d'Henri Bremond, l'a aussi durablement frappé, notamment
par son idéal universitaire pénétré de culture chrétienne, et il
reconnaîtra à de nombreuses reprises en lui un maître et un inspirateur
(Newman, 1952; Le Mystère de la foi, 1988).
Il suit également les cours d'Etienne Gilson.
Le vrai œcuménisme
Le premier œcuménisme de la Fédération des étudiants chrétiens, qui
réunit protestants, anglicans et orthodoxes l'amène à la redécouverte du
sens de l'Église, des sacrements, de la vie liturgique et de la vie de
prière. Il en conclut bientôt que l'Église du Nouveau Testament et des
Pères subsiste aujourd'hui dans l'Église catholique, qui est l'Église
authentique voulue et fondée par le Christ : « Seule une
réintégration à la tradition vivante de l'Église peut assurer un plein
épanouissement de ce que les réformateurs avaient entrevu de plus
positif. » La grande tradition catholique prend dans sa vie le
visage de l'Oratoire de saint Philippe Néri auquel il consacre un livre
des 1946
(Un Socrate romain) : la vie
oratorienne, c'est « la liturgie vraiment vécue en communauté, la
messe éclairée par la méditation commune de la Parole de Dieu. »
Membre de la Commission internationale de théologie avec Yves Congar,
Henri de Lubac, Marie-Joseph Le Guillou... de 1969 à 1974, il a
auparavant participé au concile Vatican II comme consulteur.
Personnalité marquante du Mouvement liturgique
(Le Mystère pascal, 1945) et
promoteur de la réforme, il en dénonce violemment les déviations et les
malfaçons dans les dérives postconciliaires
(La Décomposition du catholicisme, 1968 ; Religieux et
clercs contre Dieu, 1975) : « Ils ont alors
en pratique substitué à la liturgie de l'Église et à la tradition
vivante avec laquelle ils voulaient renouer une pseudo-liturgie
quasiment fabriquée de toutes pièces... » II fustige la perte du
sens des origines, du sens du sacré, et le mépris des clercs pour les
fidèles: « Même ce qu'il y avait de bon dans la réforme liturgique a
été appliqué d'une manière qui ne l'était nullement. » « Jamais on n'a
imposé aux laïcs d'une manière aussi impertinente la religion des
prêtres ou leur absence de religion... »
Pionnier de l'œcuménisme authentique, il critique de même le faux
œcuménisme, « une sorte de pan-christianisme dont le pragmatisme
fondamental conduirait à l'indifférence à l'égard des vérités révélées
» et qui sombre dans le confusionnisme et l'indifférentisme. Pour lui,
un christianisme authentique ne peut mener qu'à un œcuménisme catholique
à l'exemple du Mouvement d'Oxford, une redécouverte en profondeur de la
tradition de l'Église. Hostile aux « bureaucrates mitres » que
sont selon lui certains évêques, il n'en est pas moins un défenseur
intransigeant du mystère de l'Église : « Supprimez l'Église, le
christianisme n'est plus qu'un rêve que chacun revit à sa manière, le
Christ n'est plus qu'un mythe. »
Le métier de théologien
Louis Bouyer a surtout mené une vie de professeur entre la France et
l'étranger, les États-Unis notamment. En 1982, il se retire à l'abbaye
de Saint-Wandrille, puis en 1998 chez les Petites Sœurs des Pauvres.
C'est le professeur - et surtout le théologien - qui laissera un
héritage immense - et fécond. Car pour lui, le théologien ne bâtit pas
une œuvre solitaire, mais s'inscrit dans le courant dynamique de la vie
de l'Église — qui est vie de l'Esprit et dans l'Esprit. Le théologien
exerce le métier d'interprète de la Parole de Dieu à la lumière de la
tradition de l'Église : « La théologie ne peut être authentique que si
elle est un acte de la pensée dans la foi, dans la foi de l'Église, de
la communauté qui a reçu la Parole divine et qui est animée par cette
Parole. » Être théologien, c'est s'ouvrir à la Parole de Dieu
authentique dans la Tradition authentique : la théologie est la prière
de l'intelligence. La théologie est inséparable d'une décision de foi et
d'un effort ascétique qui s'appellent la conversion : « La Révélation
ne nous est pas donnée pour satisfaire notre curiosité mais pour nous
conduire au salut. » La théologie est une illumination de tout
l'effort humain par la vision chrétienne du monde : « La théologie
c'est essentiellement un effort pour aider à l'intelligence de la
Révélation. »
Comme une méditation concentrique sur le mystère trinitaire, c'est une
triple trilogie qui constitue le cœur de son œuvre aussi abondante que
cohérente. D'abord, une trilogie de l'Homme avec trois livres qui
explorent les trois figures que revêt l'humanité chrétienne : le moine,
le prêtre et le laïc (le Sens de la vie
monastique, 1950; Le Sens de la vie sacerdotale, I960; Introduction à la
vie spirituelle, 1960). Ensuite une trilogie
de la Trinité, théologique au sens strict : Le Fils éternel
(1974), Le Père invisible
(1976), et Le Consolateur
(1980). Ensuite une trilogie de la
Création : une anthropologie surnaturelle avec Le Trône de la Sagesse
(1957) consacré à la Vierge
Marie, une sociologie surnaturelle avec L'Église de Dieu
(1970) et une cosmologie
surnaturelle avec Cosmos (1983).
À quoi il faut ajouter une trilogie des Écritures, avec Mysterion
(1986), Gnosis
(1988) et Sophia
(1994), qui développe la vraie
gnose, connaissance de Dieu tirée de toutes les Écritures à la lumière
de l'Évangile et de la Tradition, contre la fausse gnose humaine et
démoniaque. À cela, il faudrait ajouter tous ses autres titres: évoquons
seulement ici son Dictionnaire théologique
(1963) et l'Histoire delà
spiritualité chrétienne (1961-1965)
qu'il dirige et dont il rédige trois volumes.
Humanisme eschatologique
L'intelligence chrétienne, suivant l'injonction paulinienne de garder ce
qui est bon, ne rejette donc rien du meilleur de la culture humaine:
Louis Bouyer en montre l'exemple, lui qui allie si bien humanités,
sciences humaines et théologie. Ainsi, il voit dans l'humanisme chrétien
ce que la Renaissance a produit de meilleur, étudiant plus
particulièrement Érasme et son ami saint Thomas More
(Autour d'Erasme, 1955; Sir Thomas More
humaniste et martyr, 1984). Le seul
humanisme véritable, intégral, est l'humanisme eschatologique,
l'humanisme de la Résurrection : « Le christianisme est finalement le
seul humanisme véritable, parce que c'est un humanisme intégral,
c'est-à-dire un humanisme qui culmine dans l'ouverture à l'autre et le
don de soi, ce qui est le plus parfait reflet de la vie divine, et non
seulement d'ailleurs un reflet mais une participation véritable à
celle-ci. » Tout autre humanisme, replié sur lui-même, n'est qu'un
maléfique et vain prométhéisme
(Humain ou chrétien, 1958).
La vérité et la vie
La lecture de Mircea Eliade l'ouvre à l'anthropologie religieuse : ses
études sur le sacré, le mythe et le symbole lui font écrire Le Rite
et l'Homme
(1962) : « Le Christ est
vraiment celui qui réalise, et bien au-delà de toutes nos espérances, ce
que l'humanité attendait confusément, sans pouvoir se le formuler à
elle-même. » II pense avec son ami Tolkien que « toute pensée
humaine est nécessairement symbolique » et médite sur le cycle du
Graal comme mythe chrétien
(Les Lieux magiques du Graal, 1986).
Contre la perte du sacré et l'oubli de Dieu, il défend et illustre le
merveilleux chrétien : « Devant les sagesses toutes écroulées d'un
monde mourant d'avoir fui son Créateur, pouvons-nous tarder encore à
retisser dans la fidélité la tunique sans couture de l'unique Sauveur!
Le grand Pan est mort: tous les oracles se sont tus. Ce qu'il y avait
pourtant de nostalgie divine dans la sagesse de l'Acropole ne peut plus
attendre davantage que nos voix réconciliées attestent enfin la Sagesse
du seul Icare remonté aux deux : le crucifié du Golgotha. L'Alpha du
matin éternel peut seul nous faire rejoindre par-dessus le chaos l'Oméga
du jour sans plus de soir. »
Toute sa vie, Louis Bouyer aura été un immense penseur de l'infini
mystère chrétien, mais, comme a dit de lui son collègue en immensité, le
cardinal Hans Urs von Balthasar, penseur d'une pensée fermement
convaincue qui n'est pas la passion d'un système intellectuel mais une
exigence de la vie transformée dans la foi - toute sa vie, il aura
proclamé, sa vie elle-même aura proclamé, l'inséparabilité de la vérité
et de la vie.
F.G.
En attendant de lire ses Mémoires posthumes encore
inédits, le lecteur pourra consulter un certain nombre de ses livres
récemment réédités chez Ad Solem et au Cerf. Pour une première approche,
on conseillera : Louis Bouyer, Le métier de théologien, entretiens avec
Georges Daix, Ad Solem, 2005, 200 pages, 20 €. Et pour une présentation
théologique: Davide Zordan, Connaissance et mystère, l'itinéraire
théologique de Louis Bouyer, Cerf, 2008, 802 pages, 48 €.
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Sources : LA NEF • N°199-
(E.S.M.)
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M. sur Google actualité)
04.01.2009 -
T/Église
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