Benoît XVI ouvre un débat sur le Royaume de
Dieu |
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Le 03 novembre 2007 -
(E.S.M.) - Le message central de l'« Évangile
», c'est que le Royaume de Dieu est proche. Une coupure se produit alors
dans le temps, quelque chose de nouveau se réalise. Et en réponse à ce
don, on demande aux hommes conversion et foi. Benoît XVI fait remarquer
que l'expression « Règne » ou « Royaume de Dieu » apparaît en tout cent
vingt-deux fois dans le Nouveau Testament.
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Serait-ce
que Dieu dort ? -
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Benoît XVI ouvre un débat sur le Royaume de Dieu
Troisième chapitre - L'Évangile du Royaume de Dieu
(p. 67 à 84)
1) Le
débat
Après l'arrestation de Jean Baptiste, Jésus partit pour la Galilée proclamer
l'Évangile de Dieu ; il disait : "Les temps sont accomplis : le Règne de
Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l'Évangile" »
(Mc 1,
14-15). C'est en ces termes que l'évangéliste Marc retrace le début du
ministère de Jésus et qu'il énonce en même temps le contenu essentiel de son
message. Matthieu lui aussi résume ainsi l'activité de Jésus en Galilée : «
Parcourant toute la Galilée, (il) enseignait dans leurs synagogues,
proclamait l'Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute
infirmité dans le peuple » (Mt 4, 23 ; cf. 9, 35). Les deux évangélistes
désignent la prédication de Jésus comme « Évangile ». Qu'est ce que cela
signifie en réalité ?
Récemment le mot Évangile a été traduit par l'expression «
bonne Nouvelle ».
Elle sonne bien à l'oreille, mais reste très en deçà de la dimension qu'a le
mot « Évangile ». Ce terme, renvoie au langage des empereurs romains qui se
considéraient comme les maîtres du monde, ses sauveurs et ses rédempteurs.
Les messages de l'empereur portaient le nom d'« évangiles », indépendamment
du fait que leur contenu soit particulièrement joyeux et agréable. L'idée
sous-jacente était que ce qui émane de l'empereur est un
message salvifique, non pas une simple nouvelle, mais une transformation du
monde allant dans le sens du bien.
Si les évangélistes reprennent ce mot, qui est devenu depuis le nom
générique désignant leurs écrits, c'est parce qu'ils veulent dire que ce que
les empereurs, qui se font passer pour dieu, prétendent à tort, se réalise
ici réellement : un message délivré en toute autorité, qui est réalité et
non simple discours. Dans le langage actuel de la théorie linguistique, on
dirait que l'Évangile ne relève pas simplement du discours informatif, mais
du discours performatif, qu'il n'est pas seulement communication,
mais
action, force efficace qui entre dans le monde en le sauvant et en le
transformant. Marc parle de l'« Évangile de Dieu
» : c'est Dieu qui a le
pouvoir de sauver le monde, et non les empereurs. Il s'agit ici de la parole
de Dieu, qui est parole en acte ; elle fait advenir réellement ce que les
empereurs ne font qu'affirmer sans avoir la capacité de le réaliser. Car
entre ici en action le véritable Seigneur du monde :
le Dieu vivant.
Le message central de l'« Évangile », c'est que le Royaume de Dieu est
proche. Une coupure se produit alors dans le temps, quelque chose de nouveau
se réalise. Et en réponse à ce don, on demande aux hommes
conversion et foi.
Au cœur de cette annonce, il y a le message de la proximité du Royaume de
Dieu, qui constitue effectivement le noyau de la parole et de l'activité de
Jésus. Un élément statistique vient le confirmer : l'expression «
Règne » ou
« Royaume de Dieu » apparaît en tout cent vingt-deux fois dans le Nouveau
Testament, dont quatre-vingt-dix-neuf fois dans les trois Évangiles
synoptiques, quatre-vingt-dix d'entre elles correspondant à des paroles
prononcées par Jésus. Dans l'Évangile de Jean et les autres écrits
néotestamentaires, cette expression a seulement un
rôle marginal. On peut dire que si Jésus axe sa prédication pré pascale sur
le message du Royaume de Dieu, c'est la christologie qui est au centre de la
prédication apostolique postérieure à Pâques.
Mais alors, cela signifie-t-il qu'il y a abandon de la véritable annonce
faite par Jésus ? Est-il juste de dire, comme le fait Bultmann, que le Jésus
de l'histoire n'a pas sa place dans la théologie du Nouveau Testament, mais
qu'il faudrait encore le considérer comme un maître juif qui, tout en devant
être compté parmi les présupposés essentiels du Nouveau Testament, n'en
ferait pas partie personnellement ?
Une autre variante de ces conceptions qui creusent un fossé entre Jésus et
la prédication apostolique est inscrite dans la phrase désormais célèbre du
moderniste catholique Alfred Loisy : « Jésus annonçait le Royaume et c'est
l'Église qui est venue. » On peut y voir de l'ironie, mais également de la
tristesse : au lieu du Royaume de Dieu tant attendu, du monde nouveau
transformé par Dieu lui-même, est venu quelque chose de tout à fait autre et
ô combien misérable : l'Église.
Cette vision des choses est-elle juste ? La formation du christianisme dans
la prédication apostolique, dans l'Église qu'elle a bâtie, signifie-t-elle
en réalité une chute d'une attente non réalisée vers quelque chose d'autre ?
Le passage du sujet « Royaume de Dieu » au sujet « Christ » (avec pour
corollaire l'avènement de l'Église) constitue-t-il vraiment l'écroulement
d'une promesse et l'apparition de quelque chose d'autre ?
Tout dépend de la façon dont nous comprenons la parole de Jésus concernant
le « Royaume de Dieu », de la relation entre ce qu'il proclame et lui-même,
celui qui le proclame : est-il seulement un messager qui doit défendre
une cause en définitive indépendante de lui, ou bien le messager est-il
lui-même le message ? La question primordiale n'est pas celle de l'Église,
mais celle du rapport entre le Royaume de Dieu et le Christ
: c'est de la
réponse à cette question que dépend la façon dont nous pouvons comprendre
l'Église.
Avant de nous plonger plus avant dans les paroles de Jésus pour comprendre
son message - son action et sa souffrance -, il peut être utile d'examiner
brièvement les différentes acceptions du mot « Royaume » dans l'histoire de
l'Église. Chez les Pères, on peut distinguer trois dimensions dans
l'interprétation de ce terme clé.
La première est la dimension christologique. Origène a appelé Jésus - à
partir de la lecture des paroles de ce dernier — autobasileia, à savoir le
Royaume en personne. Jésus lui-même est le «
Royaume » ; le royaume n'est
pas une chose, il n'est pas un espace de souveraineté au même titre que les
royaumes terrestres. Il est une personne, il est Lui. L'expression « Royaume
de Dieu » serait donc en elle-même une christologie voilée. Par la manière
dont il parle du « Royaume de Dieu », Jésus guide les hommes jusqu'au fait
énorme qu'en Lui, Dieu lui-même est présent parmi les hommes, qu'il est la
présence même de Dieu.
Une deuxième interprétation de la signification du « Royaume de Dieu » est
celle que nous pourrions appeler « idéaliste » ou encore mystique ; elle
considère que le Royaume de Dieu est fondamentalement établi dans
l'intériorité de l'homme. C'est encore Origène qui a inauguré ce courant
d'interprétation. Dans son traité Sur la prière, il dit : « II est donc
évident que celui qui prie pour que vienne le Royaume de Dieu prie avec
raison qu'en lui s'élève, fructifie, s'achève le Règne de Dieu. Dans tous
les saints qui
ont Dieu pour roi (à savoir qu'existé la seigneurie, le Royaume de Dieu)
[...], le Seigneur habite comme dans une cité bien administrée. [...] Si
donc nous voulons que Dieu règne sur nous (que son royaume soit en nous),
que jamais le péché ne règne dans notre corps mortel
(cf. Rm 6, 12) [...],
le Seigneur se promènera en nous comme en un paradis spirituel
(cf. Gn 3, 8)
; il régnera seul en nous avec son Christ
(PG XI, n. 25, col. 495-499 ; La Prière, Paris, DDE, coll. « Les Pères dans
la foi », 1977, n. 25, p. 80-82). » L'idée fondamentale est claire
: le « Royaume de Dieu » n'est pas un point sur une carte géographique. Ce
n'est pas un royaume à la manière des royaumes terrestres ;
son lieu, c'est
l'intériorité de l'homme. C'est là qu'il grandit et c'est à partir de là
qu'il agit.
Une troisième dimension dans l'interprétation
du Royaume de Dieu est celle
que l'on pourrait appeler ecclésiastique : elle met en relation, sous
différents aspects, le Royaume de Dieu et l'Église, et elle établit entre
les deux un rapport de plus ou moins grande proximité.
Pour autant que je puisse en juger ce dernier courant a fini par prendre le
pas sur les autres, surtout dans la théologie catholique de l'époque
moderne, même si l'interprétation qui va dans le sens de l'intériorité de
l'homme et de sa relation au Christ n'a jamais totalement disparu. Mais dans
la théologie du XIXe siècle et aussi du début du XXe siècle, on parlait
volontiers de l'Église en tant que Royaume de Dieu sur terre ; l'Église
était considérée comme la réalisation du Royaume à l'intérieur de
l'histoire. Mais, dans le même temps, la philosophie des Lumières avait
suscité dans la théologie protestante un bouleversement dans l'exégèse,
induisant en particulier une interprétation nouvelle du message de Jésus
relatif au Royaume de Dieu.
Toutefois, cette nouvelle interprétation s'est très vite divisée en de
multiples courants.
Représentant de la théologie libérale au début du XXe siècle, Adolf von
Harnack voyait dans l'annonce du Royaume de Dieu par Jésus une double
révolution par rapport au judaïsme de l'époque. Alors que dans le judaïsme
tout aurait été axé sur la collectivité, sur le peuple élu, l'annonce de
Jésus aurait été strictement individualiste : Jésus se serait adressé à
l'individu et aurait précisément reconnu la valeur infinie de l'individu,
faisant de celle-ci le fondement de son enseignement. Une seconde opposition
est fondamentale chez Harnack. À son avis, ce qui aurait dominé dans le
judaïsme, c'est l'aspect cultuel (et donc, avec lui, la classe sacerdotale),
alors que Jésus, lui, aurait écarté l'aspect cultuel, son message aurait été
orienté dans un sens strictement moral. Il n'aurait pas visé la purification
et la sanctification cultuelles, mais l'âme humaine : l'agir moral de
l'individu, ses œuvres d'amour, décideraient de son entrée dans le Royaume
ou de son exclusion.
Cette opposition entre culte et morale, entre collectif et individu, a fait
ressentir ses effets pendant très longtemps et, à partir des années 30
environ, elle a été largement reprise par l'exégèse catholique elle-même.
Chez Harnack, toutefois, elle était aussi liée à l'opposition entre les
trois grandes formes du christianisme, le christianisme catholique romain,
gréco-slave et protestant germanique. Selon Harnack, ce dernier avait
rétabli le message du Christ dans toute sa pureté. Cependant, dans le
protestantisme précisément, sont apparues des positions résolument
antithétiques : l'objet de la promesse ne serait pas l'individu en tant que
tel, mais la communauté, et, comme membre de cette dernière, l'individu
accéderait au salut. L'important ne serait donc pas ce que l'homme accomplit
sur le plan
éthique ; le Royaume de Dieu se situerait bien plutôt « au-delà de l'éthique
» et relèverait strictement de la grâce, comme le montrent bien les repas
que Jésus prend avec les pécheurs (Cf. par
exemple K.L. Schmidt, in ThWNT I, 587f).
à suivre... la
théologie libérale prit fin avec la Première Guerre mondiale...
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Sources: www.vatican.va
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
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Eucharistie, sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 03.11.2007 - BENOÎT XVI
- T/J.N. |