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Benoît XVI : Le sens de la communion et la transformation de la substance

Le 02 décembre 2023 - E.S.M. -  Mais que se passe-t-il avec le pain et le vin lors de la célébration de la Sainte Eucharistie ? On ne leur adjoint pas quelque chose de temporaire : le pain et le vin sont plutôt arrachés des choses de ce monde pour entrer dans le monde nouveau de Jésus-Christ ressuscité. Pour utiliser une image, nous pourrions dire qu'il se produit quelque chose de similaire à une fission nucléaire par laquelle le corps de Jésus revit d'une manière nouvelle.

Benoît XVI  - Pour agrandir l'image ► Cliquer  

Benoît XVI : Le sens de la communion1

Formes historiques de la célébration eucharistique

    Au cours des derniers siècles, la célébration de la Cène n'a pas occupé une place centrale dans la vie ecclésiale des Églises protestantes. Dans de nombreuses communautés, la Sainte Cène n'était célébrée qu'une fois par an, le Vendredi Saint. Je me souviens bien d'une discussion avec des étudiants en théologie protestants à Munster, il y a une trentaine d'années, au cours de laquelle j'ai souligné ce point. Sur quoi une pasteur présente dans le groupe, avec un grand et étonnant sérieux religieux, a essayé de défendre la communion, la présentant comme absolument raisonnable, bien qu'à cette époque elle ait été un peu oubliée. Il est évident que, par rapport à une telle pratique, la question de l'intercommunion n'a aucune pertinence. C'est seulement en adoptant la pratique liturgique catholique actuelle que la question peut devenir humainement urgente.
    Dans l'Église primitive, étonnamment, la célébration quotidienne de la Sainte Messe a été considérée très tôt comme une évidence. Pour autant que je le sache, il n'y eut aucune discussion autour de cette pratique, qui s'imposa pacifiquement. C'est la seule façon de comprendre pourquoi le mystérieux adjectif epiousion a été traduit de façon presque évidente par quotidianus. Pour le chrétien, le supersubstantiel est chaque jour nécessaire. La célébration eucharistique quotidienne s'est révélée particulièrement nécessaire pour les presbytres et les évêques en tant que « prêtres » de la Nouvelle Alliance. La forme de vie célibataire a joué un rôle important à cet égard. Le contact direct, « corporel », avec les mystères de Dieu, déjà dans l'Ancien Testament, avait joué un rôle important dans l'exclusion de la pratique conjugale les jours où le prêtre de service en était chargé. Mais puisque le prêtre chrétien n'était plus député temporairement aux saints mystères, qu'il était désormais toujours responsable du corps du Seigneur, du pain « quotidien », il devenait nécessaire de s'offrir à lui totalement. Plus tard et à partir de cette pratique, la célébration de l'eucharistie étant quotidienne, on a pu penser que toutes les messes de la terre réunies n'étaient, pour ainsi dire, qu'un unique et constant sacrifice offert à Dieu, traduisant la présence continue du grand prêtre Jésus-Christ dans le temps et l'espace du cosmos.
    Si dans l'Église catholique la célébration quotidienne de l'Eucharistie est ainsi rapidement devenue la forme de vie normale pour le clergé, la pratique de la communion a néanmoins connu des évolutions notables pour les laïcs. Certes, le précepte du dimanche exigeait que tout catholique participât, le jour du Seigneur, à la célébration des mystères, mais la conception catholique de l'eucharistie n'incluait pas nécessairement la réception hebdomadaire de la communion. Je me souviens qu'après les années 1920, il y avait, selon les différents états de vie au sein de l'Église, des jours de communion qui, en tant que tels, étaient toujours aussi des jours de confession et qui ont donc pris une place importante dans la vie des familles. Il était d'usage de se confesser au moins une fois par an et de communier à Pâques ; à cela s'ajoutaient les jours de confession et de communion pour l'indulgence de la Portioncule, pour la fête de la Toussaint, pour la commémoration des fidèles défunts, à Noël et pour les fêtes importantes dans les différentes régions (par exemple, la fête de Sainte-Anne pour les femmes, celle de Notre-Dame-des-Douleurs, etc.) Ces jours se caractérisaient par un grand sérieux religieux dans les familles et étaient également des jours de prédication spéciale. Lorsque le paysan, chef de famille, s'était confessé, une atmosphère particulière régnait dans la ferme : chacun évitait de faire quoi que ce soit qui puisse le contrarier et mettre en danger son état de grâce en vue des saints mystères. Au cours de ces siècles, la sainte communion n'était pas distribuée pendant la Sainte Messe, mais séparément, avant ou après la célébration eucharistique. La rencontre personnelle avec le Seigneur nécessitait un temps spécifique, pour lequel il ne semblait pas y avoir assez d'espace pendant la célébration de la Messe.
     Mais il y a toujours eu aussi des courants favorables à une communion plus fréquente, plus liée à la liturgie, courants qui se sont renforcés avec le début du mouvement liturgique. Dans ma ville natale de Traunstein, dès la fin des années 1930, on a commencé à remarquer à la messe dominicale une foule de jeunes filles et de jeunes femmes qui voulaient prier avec les mots mêmes de la liturgie, accessibles dans un missel latin-allemand. Ces mouvements réclamaient aussi que la communion soit donnée pendant la messe, ce qui leur fut accordé après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a certainement eu des tendances opposées dans les principaux pays européens, de la réception hebdomadaire ou même quotidienne de la communion, à la distinction entre adoration eucharistique et messe. Plus tard, le Concile Vatican II a confirmé les vues de la première tendance et a cherché du coup à mettre en relief l'unité interne entre célébration communautaire de l'Eucharistie et réception personnelle de la Communion. En même temps, et déjà depuis les années de guerre, une scission s'était produite chez les protestants entre d'un côté le Troisième Reich et les deutsche Christen, les « chrétiens allemands », et de l'autre la bekennende Kirche, « l'Église confessante ». Cette scission eut comme conséquence un accord entre les bekennende Christen, les chrétiens protestants confessants, et l'Eglise catholique. Il en a résulté une poussée favorable à une communion eucharistique commune entre les confessions. C'est à partir de là que s'est développé le désir d'un corps unique du Seigneur, qui aujourd'hui, cependant, risque de perdre son solide fondement religieux et, dans une Église sécularisée, est davantage déterminé par des forces politiques et sociales que par la recherche intérieure du Seigneur. À cet égard, je me souviens d'un chancelier catholique de la République fédérale qui, face aux caméras de télévision et donc aussi aux yeux de personnes indifférentes à la religion, a communié au calice eucharistique. Ce geste, peu après la réunification, apparut comme un acte essentiellement politique destiné à souligner l'unité de tous les Allemands. En y repensant, je ressens encore aujourd'hui très fortement le recul de la foi qui en a résulté. Et lorsque des présidents de la République fédérale d'Allemagne, qui étaient en même temps présidents des synodes de leur Église, réclament régulièrement l'intercommunion, je vois comment la demande d'un pain et d'un calice communs sert d'autres objectifs.
    Limitons-nous à quelques remarques sur la situation actuelle de la vie eucharistique dans l'Église catholique. L'une des principales évolutions est la disparition presque complète du sacrement de pénitence qui, à la suite du débat sur la validité sacramentelle de l'absolution collective, a pratiquement disparu dans de grandes parties de l'Église, ne parvenant à trouver refuge que dans les sanctuaires. Entre-temps divers mouvements et initiatives ont cependant vu le jour pour revitaliser le sacrement, redécouvert en particulier par les jeunes. Avec la disparition du sacrement de pénitence, une conception fonctionnelle de l'Eucharistie s'est répandue. La participation n'apparaît avoir de sens que pour ceux qui remplissent une fonction dans la célébration, par exemple le lecteur ou le ministre extraordinaire de la communion. Ceux qui sont présents à une Eucharistie conçue uniquement comme repas reçoivent évidemment aussi le don de l'Eucharistie. Dans une situation aussi avancée de protestantisation dans la compréhension de ce qu'est l'Eucharistie, l'intercommunion semble naturelle. Cependant, la conception catholique de l'Eucharistie n'a pas complètement disparu, et les Journées mondiales de la jeunesse ont notamment permis de redécouvrir l'adoration eucharistique et donc la présence du Seigneur dans le sacrement.

Aspects théologiques

A la suite de l'exégèse protestante s'est imposée de plus en plus l'idée selon laquelle la Cène de Jésus a été préparée par ces « repas avec les pécheurs » que prenait le Maître et qu'elle ne pouvait être comprise qu'à partir de ceux-ci. Mais ce n'est pas le cas. L'offrande du corps et du sang de Jésus-Christ n'est pas directement liée aux repas avec les pécheurs. Elle s'inscrit dans la tradition théologique et juridique de la fête de Pessah, indépendamment de la question de savoir si la dernière Cène de Jésus était ou non un repas pascal. Elle est donc étroitement liée à la famille, au foyer et à l'appartenance au peuple d'Israël. Conformément à cette prescription, Jésus a célébré Pessah avec sa famille, c'est-à-dire avec les apôtres devenus sa nouvelle famille. Il a ainsi respecté un précepte selon lequel les pèlerins se rendant à Jérusalem pouvaient se réunir en groupes, appelés chaburot. Les chrétiens ont perpétué cette tradition. Ils sont sa chaburah, sa famille, qu'il a formée à partir de l'ensemble des pèlerins qui ont voyagé avec lui sur la route de l'Évangile à travers l'Histoire2. Ainsi, dans l'Église primitive, la célébration de l'Eucharistie était-elle liée dès le début à la communauté des croyants et, par conséquent, à des conditions d'accès strictes, comme le montrent les sources les plus anciennes : la Didachè, saint Justin, etc3. Cela n'a rien à voir avec des slogans tels que « Église ouverte » ou « Église fermée » ; au contraire, la transformation profonde de l'Eglise en un seul corps avec le Seigneur est une condition préalable pour qu'elle puisse transmettre puissamment au monde la vie et la lumière du Christ dans le monde.
    Dans les communautés ecclésiales issues de la Réforme, les célébrations du sacrement sont appelées « cène ». Dans l'Église catholique, la célébration du sacrement du corps et du sang du Christ est appelée « eucharistie ». Il ne s'agit pas d'une distinction fortuite, purement linguistique ; au contraire, la distinction des dénominations manifeste une profonde différence dans la compréhension du sacrement lui-même. Dans un discours très écouté pendant le concile, le célèbre théologien protestant Edmund Schlink a déclaré qu'il ne pouvait pas reconnaître l'institution du Seigneur dans la célébration catholique de l'Eucharistie. Il voulait clairement dire par là que la messe catholique, telle qu'elle était célébrée, ne ressemblait en rien à la dernière Cène de Jésus. Il était évident que la messe catholique, telle qu'elle était célébrée, n'avait aucune similitude avec la Cène de Jésus. Ainsi devenait manifeste l'écart entre le catholicisme et l'institution de Jésus. Il était évidemment convaincu que Luther, en revenant à la pure structure de la Cène, avait eu raison de la falsification catholique et rétabli visiblement la fidélité au commandement du Seigneur : « Faites ceci ».
    Il n'est pas nécessaire de s'attarder ici sur le fait - établi - que, d'un point de vue purement historique, la Cène de Jésus était également complètement différente d'une célébration luthérienne de la Cène. Mais il est juste de souligner que déjà l'Église primitive ne mimait pas la Cène, mais qu'au lieu de célébrer le « repas du soir » (cène), elle célébrait consciemment le matin la rencontre avec le Seigneur, qui dès les premiers temps ne s'appelait déjà plus la cène, mais bien l'eucharistie. Ce n'est que dans la rencontre avec le Ressuscité au matin du premier jour que l'institution de l'eucharistie est complète, car ce n'est qu'avec le Christ vivant que l'on peut célébrer les mystères sacrés.
    Que s'est-il passé ici ? Pourquoi l'Église naissante a-t-elle agi de la sorte ?
    Revenons un instant à la Cène et à l'institution de l'eucharistie par Jésus lors de ce repas. Lorsque le Seigneur a dit : « Faites ceci », il n'avait pas l'intention d'inviter ses disciples à répéter la Cène en tant que telle. S'il s'agissait d'une célébration de Pessah, il est clair que, selon les préceptes de l'Exode, elle n'était célébrée qu'une fois par an et ne pouvait être répétée dans l'année. Mais, même indépendamment de cette question, il est clair que la consigne n'était pas de répéter l'ensemble du repas de l'époque, mais seulement l'offrande nouvelle de Jésus qui, conformément aux paroles de l'institution, relie la tradition du Sinaï à la proclamation de la Nouvelle Alliance dont témoigne notamment Jérémie. L'Église, consciente d'être liée par les mots « Faites ceci », savait donc que la Cène dans son ensemble n'avait pas à pas être répétée et qu'en même temps ce qui était essentiellement nouveau devait être extrapolé, ce qui impliquait de trouver une nouvelle forme d'ensemble.
    Les liturgistes catholiques du XXe siècle se sont trompés lorsqu'ils ont voulu déduire de l'institution de l'eucharistie dans le cadre d'un repas de Pessah une eucharistie qui aurait dans son ensemble la forme de la cène. Déjà le plus ancien récit de la célébration de l'eucharistie dont nous disposons, transmis par saint Justin vers 155, montre qu'une nouvelle unité s'était formée, composée de deux éléments fondamentaux : la rencontre avec la Parole de Dieu dans une liturgie de la Parole, puis l'« eucharistie » comme logiké latreia [culte selon le logos]. « Eucharistie » est la traduction du mot hébreu berakah (action de grâce) et indique le cœur de la foi et de la prière juives à l'époque de Jésus. Dans les textes sur la dernière Cène, on insiste sur le fait que Jésus « rendait grâce avec la prière de bénédiction », et donc l'eucharistie, avec les offrandes de pain et de vin, doit être considérée comme ce qui est au centre de la forme de la dernière Cène. Ce sont surtout Josef Andréas Jungmann et Louis Bouyer qui ont souligné l'importance de l'eucharistie comme élément constitutif.
    Lorsque la célébration de l'institution de Jésus dans le contexte de la dernière Cène est appelée Eucharistie, ce terme exprime à la fois l'obéissance à l'institution de Jésus et la nouvelle forme du sacrement développée dans la rencontre avec le Ressuscité. Il ne s'agit pas d'une reproduction de la dernière Cène de Jésus, mais de l'événement nouveau de la rencontre avec le Ressuscité : nouveauté et fidélité vont de pair. La différence entre les termes « cène » et « eucharistie » n'est pas superficielle et fortuite, mais indique bien une différence fondamentale dans la compréhension du message de Jésus.

    Dans un ouvrage scientifique faisant autorité dans la littérature liturgique allemande sur la Sainte Eucharistie1, la croix du Christ n'apparaît pas dans la description soigneusement élaborée de l'évolution de la forme de l'Eucharistie. Lorsque j'ai un jour exprimé ma surprise à ce sujet à un liturgiste allemand réputé, il m'a expliqué que la crucifixion de Jésus n'était certainement pas un acte liturgique et ne faisait donc pas partie de l'histoire de la liturgie. Cette vision formaliste du développement de la célébration liturgique, si elle est tout à fait compréhensible, conduit néanmoins à négliger son fondement essentiel. Lorsque le Seigneur dit à la dernière Cène : « Ceci est mon corps », « ceci est mon sang », ces deux expressions décisives ne peuvent être comprises qu'en référence au don de lui-même qui aura lieu sur la croix. Sans aucun doute, Jésus, d'une part, se tient au milieu des disciples et, d'autre part, explique ces offrandes comme le corps et le sang qui leur sont donnés. Ces paroles d'institution n'ont de sens qu'en tant qu'anticipation d'un événement et créent ainsi une unité inséparable entre l'événement dans la salle de la dernière Cène et la transformation de sa mise à mort en offrande. Ces deux expressions n'ont de sens que si, à cet instant, Jésus anticipe sa croix et sa résurrection de manière absolument réelle. Les paroles prononcées dans la salle de la Cène ne peuvent donc être séparées de l'événement, qui est la véritable raison pour laquelle elles sont prononcées, et sans laquelle elles n'auraient aucun sens. Elles nous montrent que Jésus a assumé son supplice non pas simplement comme un malheur inévitable, mais qu'il a accepté par avance sa mise à mort ; et il a transformé ce qui était un acte criminel de la part de ceux qui l'ont exécuté en un acte d'amour, qui, en tant que tel, a également vaincu la mort et est devenu la Résurrection. Ainsi, dans chaque célébration de l'Eucharistie, est présent ce processus de transformation de la mort en amour, et avec lui cette nouvelle modalité du sacrifice en lequel tous les courants de l'Ancienne Alliance sont présents et, d'une certaine manière, la secrète attente de toutes les religions2. Lorsque le Seigneur dit à ses disciples : « Faites ceci », il annonce cet ensemble, que la Lettre aux Hébreux présente comme le contenu de l'événement eucharistique à partir du culte du temple. En d'autres termes : l'Eucharistie n'est pas seulement la distribution d'offrandes, ni seulement un « repas », mais elle embrasse toute la réalité de la rédemption, elle est le véritable « culte ». En effet, c'est là que réside la différence authentique et profonde entre la conception réformée de l'ordre de Jésus et la foi catholique en l'eucharistie. Dans les interprétations protestantes, l'eucharistie n'est qu'un repas, au sens radical : on ne fait que distribuer en nourriture l'offrande sainte; alors que pour la foi catholique, c'est tout le processus du don de Jésus, de sa mort et de sa résurrection, qui est toujours présent dans l'Eucharistie, processus sans lequel d'ailleurs ces offrandes ne pourraient exister. Le corps et le sang ne sont pas des choses que l'on peut distribuer, mais bien la personne de Jésus-Christ qui s'offre. C'est pourquoi, pour tous les catholiques, la participation à la Sainte Messe a toujours un sens, même si, pour une raison ou une autre, ils ne peuvent ou ne veulent pas « manger » la sainte offrande. La participation à la Sainte Messe sans recevoir la Communion a un sens absolument raisonnable du point de vue catholique, alors pour les protestants, elle n'a aucun sens. On comprend dès lors l'insistance des protestants sur l'intercommunion. S'ils participent à la « Cène » sans manger, leur présence n'a aucune signification. Pour un catholique, la participation à la communion ne revêt pas le même caractère obligatoire. Même sans manger, il participe à l'événement - présent dans le sacrement - du don de Jésus.
    De tout cela, enfin, découle une autre question fondamentale : qu'est-ce que l'offrande de la Cène ou, encore, de la célébration de la messe ? Du côté catholique, on devrait, plus clairement et avec gratitude, reconnaître à Luther, avec la passion qui était la sienne, d'avoir maintenu la présence réelle du corps et du sang du Christ, contrairement à Zwingli et à Calvin. A la suite de discussions avec les autres réformateurs sur la cène, il aurait dit qu'il préférait accepter toutes les horreurs de la papauté plutôt que de se joindre aux contestataires de la présence réelle. C'est pourquoi la « Concorde de Leuenberg », de 1973, par laquelle toutes les communautés issues de la Réforme se sont unies en communauté de cène, a représenté une étape décisive pour les luthériens. On est cependant surpris de voir à quel point ce passage est apparu pratiquement comme une évidence, abandonnant de ce fait la tradition luthérienne sur un point essentiel.
    On a l'impression que dans de larges secteurs des Églises reformées, on croit que ce qui était possible pour les luthériens n'est pas moins impossible pour les catholiques.
    S'il faut certes reconnaître la fidélité de Luther à la présence réelle, il importe néanmoins d'analyser attentivement la conception qu'il en avait, qui, en tant que telle, diffère fondamentalement de celle des catholiques. Alors que l'Église catholique, avec les Églises orthodoxes, enseigne la transsubstantiation (metousiosis) du pain et du vin, Luther rejette cette formule métaphysique et la remplace par consubstantiation. Autrement dit, alors que pour les catholiques il y a transformation des oblats, après quoi elles ne sont plus du pain et du vin mais le corps et le sang de Jésus Christ, cette transformation ne se produit pas pour Luther. Il insiste sur l'impression indiscutablement réelle que ce que nous recevons a bien le goût du pain et du vin. Mais avec le pain et le vin (« dans, avec et sous » les oblats), le Seigneur, sa chair et son sang se rendent présents. Les oblats comme tels ne sont pas transformés, mais s'y ajoute la présence du Seigneur. Cela signifie également que sa présence n'est que temporaire, c'est-à-dire limitée à la célébration et même à une partie de celle-ci. Mais après la célébration disparaît ce qui n'avait été ajouté que pour être consommé pendant celle-ci, et ce qui reste des oblats redevient profane, de sorte que le pain et le vin, par exemple, ne doivent pas être conservés comme espèces saintes, mais sont réutilisables dans la vie normale, comme avant.
    À l'idée que la célébration de la cène n'entraîne aucune transformation, que le corps et le sang du Christ soient ajoutés au pain et au vin en tant que choses ordinaires, correspond une conception de l'anthropologie chrétienne qui constitue certainement la différence la plus profonde entre l'interprétation protestante et la tradition de foi catholique. Elle est exprimée dans la formule simul iustus etpeccator : devenir chrétien ne change pas l'homme, mais ne fait que lui ajouter quelque chose.
    Dans le terme transsubstantiation, tout l'accent repose sur le « trans » : dans l'Eucharistie se produit une transformation, une transformation qui atteint les profondeurs de l'être, tout comme devenir chrétien exige de l'homme un changement fondamental de son être, une conversio. Il est donc inévitable que l'on comprenne aussi la communion sacramentelle d'une manière fondamentalement différente : pour la tradition luthérienne, avec le pain, on mange aussi le « corps du Christ », tandis que pour la vision catholique, on accueille le Christ dans le don sacrificiel qu'il fait de lui-même en s'y associant de l'intérieur.
    L'idée que dans l'Eucharistie il n'y a pas de sacrifice et que l'on se borne, à travers le pain et le vin, à recevoir le corps et le sang du Christ a une raison profonde pour Luther : le sacrifice est une réalité qui relève de la loi et qui, en tant que telle, a une valeur négative. Pour Luther, dans la loi, Dieu agit sub contrario, comme adversaire de lui-même. Luther adopte ainsi la position de Marcion : la loi est anti-divine. Et pourtant, Luther, contrairement à Marcion, dont il partage le jugement sur la loi, la reconnaît comme Écriture, ce qui signifie qu'il situe dans la Bible même l'opposition entre foi et promesse, faisant ainsi agir dans la Bible Dieu contre lui-même. Le marcionisme subtil de Luther, qui explique aussi en la fondant théologiquement son aversion radicale pour les Juifs, constitue le véritable problème de son interprétation de l'Écriture Sainte. La tradition catholique a considéré, au contraire et dès le début, la loi et l'évangile non pas en contradiction, mais en profonde corrélation. La difficulté à comprendre correctement la foi catholique et à l'interpréter en union profonde avec les Saintes Écritures peut être attribuée à deux éléments de la pensée moderne :
    La crise du concept de « substance » sape le fondement philosophique de l'interprétation catholique;
L'exégèse qui se veut strictement historique enferme l'Ancien Testament dans le passé et manque d'outils pour expliquer la dynamique de ces tournants où le passé s'ouvre sur le présent et le futur.
    La théologie catholique d'aujourd'hui et de demain devra continuer à travailler sur ces deux points. La vision essentielle de ce qui est catholique est pourtant clairement reconnaissable dans ses raisons, même sans outils intellectuels satisfaisants, comme cela devrait ressortir des réflexions ci-dessus.
    Mais que se passe-t-il avec le pain et le vin lors de la célébration de la Sainte Eucharistie ? On ne leur adjoint pas quelque chose de temporaire : le pain et le vin sont plutôt arrachés des choses de ce monde pour entrer dans le monde nouveau de Jésus-Christ ressuscité. De même que le Ressuscité n'est pas simplement, comme Lazare ou l'un des autres morts ramenés à la vie, rendu pour un temps à cette vie mais qu'il appartient au monde nouveau de la Résurrection, de même en va-t-il des oblats que sont le pain et le vin. Pour utiliser une image, nous pourrions dire qu'il se produit quelque chose de similaire à une fission nucléaire par laquelle le corps de Jésus revit d'une manière nouvelle. Quelque chose de semblable se produit dans la transformation eucharistique : le pain et le vin ne sont plus des réalités créées de ce monde qui existeraient en elles-mêmes, mais plutôt des supports de la forme mystérieusement réelle du Ressuscité.
    Pour expliquer cela, on a utilisé la catégorie philosophique de « substance », en disant que la substance du pain et du vin disparaît, remplacée par une autre, tandis que les accidents demeurent. Le développement de la pensée philosophique et des sciences naturelles a abouti à une mutation du concept de substance ; il en a été de même pour ce que la pensée aristotélicienne désignait par « accident ». Le concept de substance, qui s'appliquait auparavant à toute réalité consistante, a été de plus en plus réservé à ce qui est physiquement insaisissable — molécules, atomes, particules élémentaires - et nous savons aujourd'hui que cela même n'est plus une « substance » ultime, mais plutôt une structure de relations. Une nouvelle tâche s'ouvrait ainsi à la philosophie chrétienne : la catégorie fondamentale de toute réalité, en termes généraux, n'est plus la substance mais la relation. Terme qui n'est pas étranger à nous chrétiens puisque pour notre foi Dieu lui-même est relation, relatio subsistens. La catégorie fondamentale de la philosophie ayant intégré les acquis des sciences naturelles contemporaines est donc identique à la catégorie fondamentale de la foi : Dieu est relatio subsistens.
    C'est de ce point de vue qu'il faut essayer de comprendre, de manière nouvelle, ce que signifie « transformation de la substance ». Mais, même en laissant de côté d'hypothétiques explications conceptuelles de ce type, il est fondamentalement clair que dans la Sainte Eucharistie, nous n'ajoutons pas un peu de chair et un peu de sang au pain et au vin, mais que les oblats servent bien de support à la dynamique du Christ crucifié et ressuscité. En effet, dans la Sainte Eucharistie, on ne reçoit pas un peu de corps et un peu de sang de Jésus, mais on entre bien dans la dynamique de l'amour de Jésus-Christ qui se réalise dans la croix et la résurrection et devient réellement présent. Ceci est également très important pour une juste dévotion eucharistique. A la question, « Qu'est-ce que je reçois ? » ; il faut répondre, je me laisse prendre par le Seigneur Jésus-Christ dans la dynamique de sa personne devenue chair et entrée dans le monde nouveau de la Résurrection. Le personnalisme de la foi chrétienne et l'immensité de sa dynamique indiquent la voie d'une juste dévotion eucharistique. Le sacrifice en fait donc partie, non pas comme quelque chose de contraire à Dieu ou d'une œuvre de la part de l'homme mais comme le mode par lequel le Christ nous ouvre la porte à Dieu et ainsi nous rachète. Enfin, un autre aspect essentiel doit être analysé : qui est autorisé à présider cette sainte célébration ? Pour la tradition luthérienne, en principe tout chrétien, mais pour des raisons d'ordre pratique, seul le pasteur, qui par sa profession est prédestiné à cette tâche. Pour la tradition catholique, en revanche, la fonction de présidence, à laquelle est liée, dans le canon, la récitation des paroles de la transformation, relève du sacrement de l'ordre. Seul celui qui a été mis au service du Seigneur par l'Église, et qui a été consacré pour présider l'Eucharistie, peut accomplir la fonction de transformation qui, en tant que tel, est toujours ordonné à la grande transformation de la création tout entière. Paul a décrit sa mission en ces termes : « Mais je vous ai écrit avec un peu d'audace, comme pour raviver votre mémoire sur certains points, et c'est en raison de la grâce que Dieu m'a donnée. Cette grâce, c'est d'être ministre du Christ Jésus pour les nations, avec la fonction sacrée d'annoncer l'Évangile de Dieu, afin que l'offrande des nations soit acceptée par Dieu, sanctifiée dans l'Esprit Saint... » (Rm 15,15s)

Les enjeux

     Essayons pour finir de résumer très brièvement ce qui est en jeu.
    La transsubstantiation, et non pas la consubstantiation, signifie une transformation, une conversion et non un simple ajout. Cette affirmation va bien au-delà des oblats et nous dit fondamentalement ce qu'est le christianisme : c'est la transformation de notre vie, la transformation du monde dans son ensemble en une nouvelle existence. Si le Christ a dit à Marie-Madeleine : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père » (Jn 20,17), cela signifie qu'être chrétien implique une dynamique ascendante, ; c'est participer au nouveau mode d'existence de Jésus-Christ. Le Christ n'est pas revenu à la vie humaine, antérieure à la mort, à la vie nous connaissons : il est devenu une réalité nouvelle qui nous attire dans sa nouveauté à lui.
    Transsubstantiation et consubstantiation sont des concepts philosophiques qui, à notre avis, peuvent ne pas appartenir au cœur de la foi. Ayant rejeté la philosophie, Luther ne pouvait plus accepter la transsubstantiation, la remplaçant alors par la consubstantiation, changement apparemment anodin qui cependant n'est pas adapté à la hauteur de la réalité accordée par le Seigneur.
    Ici, selon moi, il est important de considérer l'autre grand terme philosophique que les pères de Nicée ont utilisé pour exprimer la nouveauté et la différence de la foi en Jésus Christ par rapport à tout ce qui avait été pensé jusqu'alors : homousios. En réalité, il ne s'agit pas d'un ornement philosophique étranger à la foi et qui en éloigne, mais le moyen de la recevoir complètement, à la fois dans sa spécificité et sa nouveauté ; c'est ce qui s'est passé de manière analogue avec le terme transsubstantiation. Ce terme exprime la radicalité de ce qui ne cesse de se produire dans le Christ et à partir du Christ. Cela a conduit à une crise lorsque la physique classique a appliqué le concept de substance aux particules élémentaires de la réalité. On sait aujourd'hui que la réalité n'est pas constituée particules élémentaires mais qu'elle doit être imaginée comme rayonnante. L'être est relation. Un physicien a récemment résumé la situation de la manière suivante : « La doctrine classique de l'Eucharistie posait que "réalité" et "quantité" ne coïncident pas..., mais que la réalité est essentiellement différente et qu'elle est néanmoins la "réalité3". ». La non-identification de la réalité et de la quantité est au cœur de l'affirmation théologique, et cela a du sens par rapport à la physique. La transsubstantiation n'est pas une bizarrerie philosophique de la foi devenue insoutenable face aux avancées de notre connaissance de la matière, mais elle est l'expression de l'inédit et du nouveau qui est devenu possible avec l'anticipation de la Résurrection au Cénacle : l'inclusion d'un morceau de cette matière dans la nouvelle manière d'être de Jésus-Christ.
   Cela signifie que l'Eucharistie ne signifie pas seulement un repas pris en commun par des chrétiens après la Résurrection, où on mangerait un peu du corps du Christ et on boirait un peu de son sang. Dire ce que cela pourrait raisonnablement signifier est vraiment difficile. L'événement eucharistique va plus loin : c'est la présence du Christ vivant, la participation à sa mort et à sa résurrection. La Sainte Messe rend présent le sacrifice de la croix. Luther l'a condamné très sévèrement en raison de son rejet de la notion de sacrifice. Et pourtant, c'est la seule interprétation raisonnable de l'Eucharistie instituée la veille de la passion ; et c'est, enfin, le don du culte juste, auquel l'histoire des religions, et en particulier l'histoire d'Israël, a aspiré. Odon Casel a présenté cette conception de l'Eucharistie d'une manière juste et pourtant unilatérale, parce qu'il ne comprenait pas le développement vétérotestamentaire et qu'il cherchait à expliquer l'Eucharistie uniquement à partir du mystère grec du culte. Arriver à une compréhension conforme aux Écritures sur ce point et développer la théologie eucharistique avec justesse, voilà un grand défi pour la théologie de demain.
    Cependant, une telle compréhension de la Sainte Eucharistie présuppose l'ecclésiologie qu'avait l'Église primitive, c'est-à-dire la conception catholique de l'Église. Alors que pour Luther, l'Eglise en tant que telle ne devient réelle que de temps à autre, dans le rassemblement de la communauté, pour les catholiques, l'Église, à partir des paroles de Jésus et de la prédication des apôtres, apparaît comme une communauté dotée des pleins pouvoirs par le Seigneur lui-même, autrement dit du sacrement, et elle peut faire ce qu'aucune autre communauté ne pourrait faire par ses propres forces. La célébration de l'eucharistie n'est possible qu'avec le plein pouvoir conféré par le sacrement, qui seul peut permettre à la personne consacrée de prononcer les paroles transformatrices de l'eucharistie.
Au vu de ces réflexions on peut se féliciter qu'au cours du XXe siècle nous ayons pu renouveler les bases d'une théologie approfondie de l'eucharistie, également dans une perspective œcuménique, théologie qui a certainement encore besoin d'être méditée et vécue. Le Magistère de l'Église a heureusement déjà fait quelques progrès importants dans sa compréhension de l'Eucharistie, au-delà du décret sur l'eucharistie du Concile de Trente. Tout d'abord, la réforme liturgique de Vatican II, dont Pie XII avait déjà amorcé les prémices avec la rénovation de la liturgie de la vigile pascale, est un pas vers une compréhension théologique plus profonde de l'Eucharistie. Catéchisme de l'Église catholique  (nos 1322-1419), publié en 1992, expose également l'enseignement global de l'Église sur la Sainte Eucharistie. Enfin, Jean-Paul II a consacré sa dernière encyclique, Ecclesia De Eucharistia  (2003), au thème de l'Eucharistie et de l'Eglise. La tâche à laquelle l'Eglise est confrontée aujourd'hui est grande, l'œcumenè authentique ne peut se réaliser qu'en abordant, par le biais d'un travail personnel éprouvant, les grandes questions auxquelles le Seigneur nous confronte par son mystère pascal. Et c'est aussi là que s'ouvrent les voies justes pour un véritable œcuménisme.


Références dans la première partie du texte :
1 Ce texte a été achevé le 28 juin 2018.
2. Cf. Joseph RATZINGER, Schauen aufden Durchbohrten, Ensiedeln, Johannes Verlag, 1984, p. 88 ; trad. it. Guardare al Crocifisso, Milan, Jaca Book, 2006, 3e éd., pp. 92-93. Ils regarderont Celui qu'ils ont transpercé, Paris, Salvator, 2006.
3. Cf. Catéchisme de l'Église catholique, nos 1136s et 1345s.
Références dans la deuxième partie du texte :
1. Hans Bernhard MEYER s.j., Eucharistie, Regensburg, Verlag Friedrich Pustet, 1989.
2. Cf. mon volume Introduction à l'esprit de la liturgie, op. cit., pp. 32-47, et les passages correspondants dans mon volume Jésus de Nazareth, in Opéra Omnia, vol. VI/1, op. cit., pp. 540-595.
3 Rudolf HILFER, Transsubstantiation. Zur Naturphilosophie der eucharistischen Wandlung, in « Forum Katholische Théologie », XXXIII, 4, 2017, pp. 303-318, op.cit., p. 306.

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Sources : Extraits du Testament spirituel de Benoit XVI -  E.S.M.
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Eucharistie sacrement de la miséricorde - (E.S.M.) 02.12.2023

 

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