Lectio divina de Benoît XVI sur la
mission du prêtre, rencontre avec le clergé de Rome |
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Le 02 mars 2010 -
(E.S.M.)
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Dans la matinée du jeudi 18 février 2010, s'est déroulée, dans la salle des
Bénédictions, la traditionnelle rencontre de début du carême avec le clergé
du diocèse de Rome, au cours de laquelle le Pape Benoît XVI a proposé une
lectio divina consacrée à la mission du prêtre.
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Le pape Benoît XVI -
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Lectio divina de Benoît XVI sur la
mission du prêtre, rencontre avec le clergé de Rome
Le prêtre, "pont" entre Dieu et le monde
Le 02 mars 2010 - Eucharistie
Sacrement de la Miséricorde
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Dans la matinée du jeudi 18 février 2010, s'est déroulée, dans la salle des
Bénédictions, la traditionnelle rencontre de début du carême avec le clergé
du diocèse de Rome, au cours de laquelle le Pape Benoît XVI a proposé une
lectio divina consacrée à la mission du prêtre, à partir de trois passages
de la Lettre aux Hébreux. Nous publions ci-dessous la méditation prononcée
par le Saint-Père:
Eminence,
chers frères dans l'épiscopat
et dans le sacerdoce,
C'est pour moi une tradition très heureuse et également importante de
pouvoir toujours commencer le carême avec mes prêtres, les prêtres de Rome.
Ainsi, en tant qu'Eglise locale de Rome, mais également en tant qu'Eglise
universelle, nous pouvons entreprendre ce chemin essentiel avec le Seigneur
vers la Passion, vers la Croix, le chemin pascal.
Cette année, nous voulons méditer sur les passages de la Lettre aux Hébreux
qui viennent d'être lus. L'auteur de cette Lettre a ouvert une nouvelle voie
pour comprendre l'Ancien Testament comme livre qui parle du Christ. La
tradition précédente avait considéré le Christ surtout, et essentiellement,
sous l'angle de la promesse davidique, du véritable David, du véritable
Salomon, du véritable Roi d'Israël, véritable Roi car homme et Dieu. Et
l'inscription sur la Croix avait réellement annoncé au monde cette réalité:
à présent, il y a le véritable Roi d'Israël, qui est le Roi du monde, le Roi
des juifs est sur la Croix. Il s'agit d'une proclamation de la royauté de
Jésus, de l'accomplissement de l'attente messianique de l'Ancien Testament
qui, au fond du cœur, est une attente de tous les hommes, qui attendent le
vrai Roi, qui apporte justice, amour et fraternité.
Mais l'Auteur de la Lettre aux Hébreux a découvert une citation que,
jusqu'alors, personne n'avait notée: Psaume 110, 4 - "Tu es prêtre à
jamais selon l'ordre de Melchisédech". Cela signifie que Jésus non
seulement accomplit la promesse davidique, l'attente du véritable roi
d'Israël et du monde, mais qu'il réalise également la promesse du véritable
Prêtre. Dans une partie de l'Ancien Testament, en particulier également dans
les manuscrits de Qumrân, il existe deux lignes distinctes d'attente: le Roi
et le Prêtre. L'Auteur de la Lettre aux Hébreux, en découvrant ce verset, a
compris que deux promesses sont unies dans le Christ: le Christ est le
véritable Roi, le Fils de Dieu - selon le Psaume 2, 7 qu'il cite - mais il
est également le véritable Prêtre.
Ainsi, tout le monde cultuel, toute la réalité des sacrifices, du sacerdoce,
qui est à la recherche du véritable sacerdoce, du véritable sacrifice,
trouve dans le Christ sa clé, son accomplissement et, avec cette clé, peut
relire l'Ancien Testament et montrer que précisément la loi cultuelle
également, qui est abolie après la destruction du Temple, en réalité allait
vers le Christ; et donc, elle n'est pas simplement abolie, mais renouvelée,
transformée, car tout trouve son sens dans le Christ. Le sacerdoce apparaît
alors dans sa pureté et dans sa vérité profonde.
De cette façon, la Lettre aux Hébreux présente le thème du sacerdoce du
Christ, le Christ prêtre, sur trois niveaux: le sacerdoce d'Aaron, celui du
Temple, Melchisédech; et le Christ lui-même, comme le véritable prêtre. Le
sacerdoce d'Aaron aussi, bien qu'étant différent de celui du Christ, bien
qu'étant, pour ainsi dire, uniquement une recherche, un chemin en direction
du Christ, est toutefois un "chemin" vers le Christ, et déjà dans ce
sacerdoce se définissent les éléments essentiels. Puis, Melchisédech - nous
reviendrons sur ce point - qui est un païen. Le monde païen entre dans
l'Ancien Testament, entre dans une figure mystérieuse, sans père, sans mère
- dit la Lettre aux Hébreux, apparaît simplement et en lui apparaît la
véritable vénération du Dieu très-haut, du Créateur du ciel et de la terre.
Ainsi, c'est également du monde païen que proviennent l'attente et la
préfiguration profonde du mystère du Christ. Dans le Christ lui-même, tout
est synthétisé, purifié et guidé à son terme, à sa véritable essence.
Voyons à présent les éléments particuliers, dans la mesure du possible, en
ce qui concerne le sacerdoce. De la Loi, du sacerdoce d'Aaron, nous
apprenons deux choses, nous dit l'Auteur de la Lettre aux Hébreux: un
prêtre, pour être réellement médiateur entre Dieu et l'homme, doit être
homme. Cela est fondamental et le fils de Dieu s'est fait homme précisément
pour être prêtre, pour pouvoir réaliser la mission du prêtre. Il doit être
homme - nous reviendrons sur ce point - mais il ne peut pas seul devenir
médiateur de Dieu. Le prêtre a besoin d'une autorisation, d'une institution
divine, et ce n'est qu'en appartenant aux deux sphères - celle de Dieu et
celle de l'homme - qu'il peut être médiateur, qu'il peut être un "pont".
Telle est la mission du prêtre: allier, relier ces deux réalités apparemment
aussi séparées, c'est-à-dire le monde de Dieu - éloigné de nous, souvent
méconnu de l'homme - et notre monde humain. La mission du sacerdoce est
d'être médiateur, un pont qui relie, et ainsi conduire l'homme à Dieu, à sa
rédemption, à sa véritable lumière, à sa véritable vie.
Comme premier point donc, le prêtre doit être du côté de Dieu; et ce n'est
que dans le Christ que ce besoin, cette situation de la médiation se réalise
pleinement. C'est pourquoi ce Mystère était nécessaire: le Fils de Dieu se
fait homme afin qu'il existe un véritable pont, qu'il existe une véritable
médiation. Les autres doivent avoir au moins une autorisation de Dieu, ou,
dans le cas de l'Eglise, le Sacrement, c'est-à-dire introduire notre être
dans l'être du Christ, dans l'être divin. Ce n'est qu'à travers le
Sacrement, cet acte divin qui nous crée prêtres dans la communion avec le
Christ, que nous pouvons réaliser notre mission. Et cela me semble un
premier point de méditation pour nous: l'importance du Sacrement. Personne
ne se fait prêtre lui-même; seul Dieu peut m'attirer, peut m'autoriser, peut
m'introduire dans la participation au mystère du Christ; seul Dieu peut
entrer dans ma vie et me prendre par la main. Cet aspect du don, de la
précédence divine, de l'action divine, que nous ne pouvons pas réaliser,
notre passivité - être élus et pris par la main par Dieu - est un point
fondamental dans lequel entrer. Nous devons revenir toujours au Sacrement,
revenir à ce don dans lequel Dieu me donne ce que je ne pourrais jamais
donner: la participation, la communion avec l'être divin, avec le sacerdoce
du Christ.
Faisons de cette réalité également un facteur concret dans notre vie: s'il
en est ainsi, un prêtre doit être véritablement un homme de Dieu, il doit
connaître Dieu de près, et il le connaît en communion avec le Christ. Nous
devons alors vivre cette communion et ainsi la célébration de la Messe, la
prière du bréviaire, toute la prière personnelle sont des éléments qui
contribuent à être avec Dieu. Notre être, notre vie, notre cœur, doivent
être fixés sur Dieu, sur ce point dont nous ne devons pas nous détacher, et
cela se réalise, se renforce jour après jour, même à travers de brèves
prières dans lesquelles nous nous relions à Dieu et nous devenons toujours
plus hommes de Dieu, qui vivent dans sa communion et peuvent ainsi parler de
Dieu et conduire à Dieu.
L'autre élément est que le prêtre doit être homme. Homme dans tous les sens,
c'est-à-dire qu'il doit vivre une véritable humanité, un véritable
humanisme; il doit avoir une éducation, une formation humaine, des vertus
humaines; il doit développer son intelligence, sa volonté, ses sentiments,
ses affections; il doit être réellement homme, homme selon la volonté du
Créateur, du Rédempteur, car nous savons que l'être humain est blessé et la
question de "ce qu'est l'homme" est obscurcie par le fait du péché, qui a
blessé la nature humaine jusque dans ses profondeurs. Ainsi, on dit: "il
a menti", "il est humain"; "il a volé", "il est humain";
mais cela n'est pas la véritable nature de l'être humain. Humain signifie
être généreux, être bon, être homme de la justice, de la véritable prudence,
de la sagesse. Donc sortir, avec l'aide du Christ, de cet assombrissement de
notre nature pour arriver à être véritablement humain à l'image de Dieu, est
un processus de vie qui doit commencer dans la formation au sacerdoce, mais
qui doit se réaliser ensuite et continuer tout au long de notre existence.
Je pense que les deux choses vont fondamentalement de pair: être de Dieu et
avec Dieu et être réellement homme dans le véritable sens qu'a voulu le
Créateur en façonnant cette créature que nous sommes.
Etre homme: la Lettre aux Hébreux souligne une particularité de notre
humanité qui nous surprend, car elle dit: ce doit être une personne "en
mesure de comprendre ceux qui pèchent par ignorance ou par égarement, car il
est, lui aussi, rempli de faiblesse" (5, 2)
et ensuite - de manière encore plus forte - "pendant les jours de sa vie
mortelle, il a présenté, avec un grand cri et dans les larmes, sa prière et
sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort; et, parce qu'il
s'est soumis en tout, il a été exaucé" (5, 7).
Pour la Lettre aux Hébreux, l'élément essentiel de notre humanité est la
compassion, le fait de souffrir avec les autres: il s'agit de la véritable
humanité. Ce n'est pas le péché, car le péché n'est jamais solidarité, mais
il est toujours une désolidarisation, il est une manière de prendre la vie
pour soi-même, au lieu de la donner. La véritable humanité est de participer
réellement à la souffrance de l'être humain, cela veut dire être un homme de
compassion - metriopathèin, dit le texte grec - c'est-à-dire se trouver au
centre de la passion humaine, porter réellement avec les autres leurs
souffrances, les tentations de notre temps: "Dieu, où es-tu en ce monde?".
Cette humanité du prêtre ne répond pas à l'idéal platonicien et
aristotélicien, selon lequel l'homme véritable serait celui qui ne vit que
dans la contemplation de la vérité, et est ainsi bienheureux, heureux, car
il n'entretient de l'amitié qu'avec les belles choses, avec la beauté
divine, mais ce sont les autres qui font "les travaux". Cela est une
supposition, alors que l'on suppose ici que le prêtre entre comme le Christ
dans la misère humaine, la porte avec lui, va vers les personnes
souffrantes, s'en occupe, et pas seulement extérieurement, mais qu'il prend
intérieurement sur lui, recueille en lui-même la "passion" de son
temps, de sa paroisse, des personnes qui lui sont confiées. C'est ainsi que
le Christ a montré le véritable humanisme. Son cœur est bien sûr toujours
ferme en Dieu, il voit toujours Dieu, il est toujours intimement en
conversation avec Lui, mais Il porte, dans le même temps, tout l'être, toute
la souffrance humaine entre dans la Passion. En parlant, en voyant les
hommes qui sont petits, sans pasteur, Il souffre avec eux et nous, les
prêtres, nous ne pouvons pas nous retirer dans un Elysium, mais nous sommes
plongés dans la passion de ce monde et nous devons, avec l'aide du Christ et
en communion avec Lui, chercher à le transformer, à le conduire vers Dieu.
Il faut précisément dire cela, à travers le texte suivant qui est réellement
stimulant: "ayant présenté avec une violente clameur et des larmes, des
implorations et des supplications" (He 5, 7).
Il ne s'agit pas seulement d'une mention de l'heure de l'angoisse sur le
Mont des Oliviers, mais c'est un résumé de toute l'histoire de la passion,
qui embrasse toute la vie de Jésus. Des larmes: Jésus pleurait devant la
tombe de Lazare, il était réellement touché intérieurement par le mystère de
la mort, par la terreur de la mort. Des personnes perdent leur frère, comme
dans ce cas, leur mère et leur fils, leur ami: tout l'aspect terrible de la
mort, qui détruit l'amour, qui détruit les relations, qui est un signe de
notre finitude, de notre pauvreté. Jésus est mis à l'épreuve et il se
confronte jusqu'au plus profond de son âme avec ce mystère, avec cette
tristesse qui est la mort, et il pleure. Il pleure devant Jérusalem, en
voyant la destruction de cette belle cité à cause de la désobéissance; il
pleure en voyant toutes les destructions de l'histoire dans le monde; il
pleure en voyant que les hommes se détruisent eux-mêmes, ainsi que leurs
villes dans la violence, dans la désobéissance.
Jésus pleure, en poussant de grands cris. Les Evangiles nous disent que
Jésus a crié de la Croix, il a crié: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'as-tu abandonné?" (Mc 15, 34; cf. Mt 27, 46)
et, à la fin, il a crié encore une fois. Et ce cri répond à une dimension
fondamentale des Psaumes: dans les moments terribles de la vie humaine, de
nombreux Psaumes constituent un cri puissant vers Dieu: "Aide-nous,
écoute-nous!" Précisément aujourd'hui, dans le bréviaire, nous avons prié
dans ce sens: Où es-tu Dieu? "Tu nous traites en bétail de boucherie"
(Ps 44, 12). Un cri de l'humanité qui souffre!
Et Jésus, qui est le véritable sujet des Psaumes, apporte réellement ce cri
de l'humanité à Dieu, aux oreilles de Dieu: "Aide-nous et écoute-nous!". Il
transforme toute la souffrance humaine, en l'assumant en lui-même, en un cri
aux oreilles de Dieu.
Et ainsi, nous voyons que précisément de cette manière se réalise le
sacerdoce, la fonction du médiateur, en transportant en soi, en assumant en
soi la souffrance et la passion du monde, en la transformant en cri vers
Dieu, en l'apportant devant les yeux et entre les mains de Dieu, et en
l'apportant réellement ainsi au moment de la Rédemption.
En réalité, la Lettre aux Hébreux dit qu'"il offrit des implorations et
des supplications", "une clameur et des larmes"
(5, 7). C'est une juste traduction du verbe
prosphèrein, qui est une parole cultuelle et qui exprime l'acte de
l'offrande des dons humains à Dieu, qui exprime précisément l'acte de
l'offertoire, du sacrifice. Ainsi, avec ce terme cultuel appliqué aux
prières et aux larmes du Christ, elle démontre que les larmes du Christ,
l'angoisse du Mont des Oliviers, le cri de la Croix, toute sa souffrance
font partie de sa grande mission. Précisément de cette manière, Il offre le
sacrifice, il fait le prêtre. La Lettre aux Hébreux, avec cet "il offrit",
prosphèrein, nous dit: il s'agit de l'accomplissement de son sacerdoce, il
conduit ainsi l'humanité vers Dieu, il devient ainsi le médiateur, il fait
ainsi le prêtre.
Disons, précisément, que Jésus n'a pas offert quelque chose à Dieu, mais
qu'il s'est offert lui-même et que cet acte de s'offrir lui-même se réalise
précisément dans cette compassion, qui transforme en prière et en cri au
Père la souffrance du monde. Dans ce sens, notre sacerdoce ne se limite pas
lui non plus à l'acte cultuel de la Messe, dans lequel tout est remis entre
les mains du Christ, mais toute notre compassion envers la souffrance de ce
monde si éloigné de Dieu, est un acte sacerdotal, est prosphèrein, est
offrir. C'est pourquoi, il me semble que nous devons comprendre et apprendre
à accepter plus profondément les souffrances de la vie pastorale; car
précisément là se trouvent l'action sacerdotale, la médiation, le fait
d'entrer dans le mystère du Christ, de communiquer avec le mystère du
Christ, très réel et essentiel, existentiel et ensuite sacramentel.
Dans ce contexte, un deuxième terme est important. Il est dit que le Christ
- à travers cette obéissance - est rendu parfait, en grec teleiothèis
(cf. He 5, 8-9). Nous savons que dans toute la
Torah, c'est-à-dire dans toute la législation cultuelle, le mot tèleion, ici
utilisé, indique l'ordination sacerdotale. La Lettre aux Hébreux nous dit
que c'est précisément en accomplissant cela que Jésus a été fait prêtre, que
son sacerdoce s'est réalisé. Notre ordination sacerdotale sacramentelle doit
être réalisée et concrétisée de manière existentielle, mais également de
manière christologique, précisément dans cette manière de porter le monde
avec le Christ et au Christ et, avec le Christ, à Dieu: ainsi nous devenons
réellement des prêtres, teleiothèis. Le sacerdoce n'est donc pas quelque
chose qui dure quelques heures, mais il se réalise précisément dans la vie
pastorale, dans ses souffrances et dans ses faiblesses, dans ses tristesses
et naturellement également dans ses joies. Nous devenons ainsi toujours plus
des prêtres en communion avec le Christ.
La Lettre aux Hébreux résume, enfin, toute cette compassion dans le mot
hypakoèn, obéissance: tout cela est obéissance. C'est un mot qui ne nous
plaît pas, à notre époque. L'obéissance apparaît comme une aliénation, comme
une attitude servile. La personne n'utilise pas sa liberté, sa liberté se
soumet à une autre volonté, la personne n'est donc plus libre, mais elle est
déterminée par un autre, alors que l'autodétermination, l'émancipation
serait la véritable existence humaine. Au lieu du terme "obéissance", nous
voulons comme parole-clef anthropologique celle de "liberté". Mais en
considérant de près ce problème, nous voyons que les deux choses vont de
pair: l'obéissance du Christ est la conformation de sa volonté à la volonté
du Père; c'est une manière de porter la volonté humaine à la volonté divine,
à la conformation de notre volonté avec la volonté de Dieu.
Saint Maxime le Confesseur, dans son interprétation du Mont des Oliviers, de
l'angoisse exprimée dans la prière de Jésus, "non pas ma volonté mais la
tienne", a décrit ce processus, que le Christ porte en lui comme vrai
homme, avec la nature, la volonté humaine; dans cet acte - "non pas ma
volonté, mais la tienne" - Jésus a résumé tout le processus de sa vie,
c'est-à-dire celui de porter la vie naturelle humaine à la vie divine et, de
cette manière, celui de transformer l'homme: divinisation de l'homme et
ainsi rédemption de l'homme, parce que la volonté de Dieu n'est pas une
volonté tyrannique, ce n'est pas une volonté qui est hors de notre être,
mais c'est précisément la volonté créatrice, c'est précisément le lieu où
nous trouvons notre véritable identité.
Dieu nous a créés et nous sommes nous-mêmes si nous sommes conformes à sa
volonté; ainsi seulement nous entrons dans la vérité de notre être et nous
ne sommes pas aliénés. Au contraire, l'aliénation naît, précisément, lorsque
l'on sort de la volonté de Dieu, parce que ce cette manière, nous sortons du
dessein de notre être, nous ne sommes plus nous-mêmes et nous tombons dans
le vide. En vérité, l'obéissance à Dieu, c'est-à-dire la conformité, la
vérité de notre être, est la vraie liberté, parce que c'est la divinisation.
Jésus, en portant l'homme, l'être homme, en lui-même et avec lui-même,
conformément à Dieu, dans la parfaite obéissance, c'est-à-dire dans la
parfaite conformation entre les deux volontés, nous a rachetés et la
rédemption est toujours ce processus de porter la volonté humaine dans la
communion avec la volonté divine. C'est un processus sur lequel nous prions
chaque jour: "Que ta volonté soit faite". Et nous voulons prier
réellement le Seigneur, pour qu'il nous aide à voir intimement que cela est
la liberté, et à entrer, ainsi, avec joie dans cette obéissance et à "recueillir"
l'être humain pour le porter - à travers notre exemple, notre humilité,
notre prière, notre action pastorale - dans la communion avec Dieu.
En poursuivant la lecture, suit une phrase difficile à interpréter. L'auteur
de la Lettre aux Hébreux dit que Jésus a prié, avec une violente clameur et
des larmes, Dieu qui pouvait le sauver de la mort et qu'en raison de sa
piété, il est exaucé (cf. 5, 7). Ici, nous
voudrions dire: "Non, ce n'est pas vrai, il n'a pas été exaucé, il est
mort". Jésus a prié d'être libéré de la mort, mais il n'a pas été
libéré, il est mort de manière très cruelle. C'est pourquoi le grand
théologien libéral Harnack a dit: "Il manque ici une négation", il
faut écrire: "Il n'a pas été exaucé" et Bultmann a accepté cette
interprétation. Il s'agit toutefois d'une solution qui n'est pas une
exégèse, mais une violence faite au texte. Dans aucun des manuscrits
n'apparaît la négation, mais bien "il a été exaucé"; nous devons donc
apprendre à comprendre ce que signifie cet "être exaucé", malgré la
Croix.
Je vois trois niveaux de compréhension de cette expression. A un premier
niveau, on peut traduire le texte grec ainsi: "il a été racheté de son
angoisse" et en ce sens Jésus est exaucé. Ce serait donc une allusion à
ce que raconte saint Luc, qu'"un ange a réconforté Jésus"
(cf. Lc 22, 43), de façon qu'après le moment de
l'angoisse, il puisse aller droit et sans crainte vers son heure, comme nous
le décrivent les Evangiles, en particulier celui de saint Jean. Il aurait
été exaucé, au sens où Dieu lui donne la force de pouvoir porter tout ce
poids et il est ainsi exaucé. Mais, pour ma part, il me semble que ce n'est
pas une réponse tout à fait suffisante. Exaucé de manière plus profonde - le
père Vanhoye l'a souligné - cela veut dire: "il a été racheté de la mort",
mais pas en ce moment, pas à ce moment-là, mais pour toujours, dans la
Résurrection: la vraie réponse de Dieu à la prière d'être racheté de la mort
est la Résurrection et l'humanité est rachetée de la mort précisément dans
la Résurrection, qui est la vraie guérison de nos souffrances, du mystère
terrible de la mort.
Ici est déjà présent un troisième niveau de compréhension: la Résurrection
de Jésus n'est pas seulement un événement personnel. Il semble qu'il peut
être utile d'avoir à l'esprit le bref texte dans lequel saint Jean, dans le
chapitre 12 de son Evangile, présente et raconte, de manière très
synthétique, l'épisode du Mont des Oliviers. Jésus dit: "Mon âme est
troublée" (Jn 12, 27), et, dans toute
l'angoisse du Mont des Oliviers, que puis-je dire? "Père, sauve-moi de
cette heure ou glorifie ton nom" (cf. Jn 12, 27-28).
C'est la même prière que celle que nous trouvons dans les Synoptiques: "Si
cela est possible, sauve-moi, mais que ta volonté sois faite"
(cf. Mt 26, 42; Mc 14, 36; Lc 22, 42) qui, dans le
langage johannique, apparaît justement sous la forme: "Père, sauve-moi,
Père, glorifie". Et Dieu répond: "Je t'ai glorifié et de nouveau je te
glorifierai" (cf. Jn 12, 28). Telle est la
réponse, le vœu exaucé par Dieu: je glorifierai la Croix; c'est la présence
de la gloire divine, parce que c'est l'acte suprême de l'amour. Dans la
Croix, Jésus est élevé sur toute la terre et attire la terre à lui; dans la
croix apparaît à présent le "Kabod", la vraie gloire divine du Dieu
qui aime jusqu'à la Croix et transforme ainsi la mort et crée la
Résurrection.
La prière de Jésus a été exaucée, au sens où, réellement, sa mort devient
vie, devient le lieu d'où racheter l'homme, d'où il attire l'homme à lui. Si
la réponse divine, chez Jean, dit: "je te glorifierai", cela signifie que
cette gloire transcende et traverse toute l'histoire toujours et à nouveau:
depuis ta Croix, présente dans l'Eucharistie, transforme la mort en gloire.
Telle est la grande promesse qui se réalise dans la Sainte Eucharistie, qui
ouvre toujours à nouveau le ciel. Etre serviteur de l'Eucharistie, c'est
donc la profondeur du mystère sacerdotal.
Encore un mot, tout au moins sur Melchisédech. C'est une figure mystérieuse
qui apparaît dans Genèse 14 dans l'histoire sacrée: après la victoire
d'Abraham sur plusieurs Rois, apparaît le roi de Salem, de Jérusalem,
Melchisédech, et il apporte le pain et le vin. Une histoire qui n'est pas
commentée et qui est un peu incompréhensible, qui ne réapparaît qu'au psaume
110, comme nous l'avons déjà dit, mais l'on comprend que, par la suite, le
judaïsme, le gnosticisme et le christianisme aient voulu réfléchir
profondément sur cette parole et qu'ils aient créé leurs interprétations. La
Lettre aux Hébreux ne fait pas de spéculation, mais elle rapporte uniquement
ce que dit l'Ecriture et ce sont plusieurs éléments: il est Roi de justice,
il habite dans la paix, il est Roi là où il y a la paix, il vénère et adore
Dieu Très-Haut, le Créateur du ciel et de la terre et il porte le pain et le
vin (cf. He 7, 1-3; Gn 14, 18-20). Il n'y a pas
de commentaires sur le fait qu'apparaît ici le Souverain Prêtre du Dieu
Très-Haut, Roi de la paix, qui adore avec le pain et le vin le Dieu créateur
du ciel et de la terre. Les Pères ont souligné que c'est l'un des saints
païens de l'Ancien Testament et cela montre qu'à partir du paganisme, il
existe aussi une route vers le Christ et que les critères sont: adorer le
Dieu Très-Haut, cultiver la justice et la paix, et vénérer Dieu de manière
pure. Ainsi, avec ces éléments fondamentaux, le paganisme est lui aussi un
chemin vers le Christ, il rend, d'une certaine manière, présente la lumière
du Christ.
Dans le canon romain, après la Consécration, nous avons la prière supra quae,
qui mentionne certaines préfigurations du Christ, de son sacerdoce et de son
sacrifice: Abel, le premier martyr, avec son agneau; Abraham, qui sacrifie
dans l'intention son fils Isaac, remplacé par l'agneau donné par Dieu; et
Melchisédech, Souverain Prêtre du Dieu Très-Haut, qui apporte le pain et le
vin. Cela veut dire que le Christ est la nouveauté absolue de Dieu et, dans
le même temps, qu'il est présent dans toute l'histoire, et que l'histoire va
à la rencontre du Christ. Et non seulement l'histoire du peuple élu, qui est
la véritable préparation voulue par Dieu, dans laquelle se révèle le mystère
du Christ, mais à partir du paganisme également se prépare le mystère du
Christ, il y a des chemins vers le Christ, qui porte tout en lui-même.
Cela me semble important dans la célébration de l'Eucharistie: ici est
recueillie toute la prière humaine, tout le désir humain, toute la vraie
dévotion humaine, la vraie recherche de Dieu, qui se trouve finalement
réalisée dans le Christ. Enfin, il faut dire qu'à présent, le ciel est
ouvert, le culte n'est plus énigmatique, dans des signes relatifs, mais il
est vrai, parce que le ciel est ouvert et l'on n'offre pas quelque chose,
mais l'homme devient un avec Dieu et cela est le culte véritable. C'est ce
que dit la Lettre aux Hébreux: "nous avons un pareil grand prêtre qui
s'est assis à la droite du trône de la Majesté des cieux, ministre du
sanctuaire et de la Tente, la vraie, celle que le Seigneur, non un homme, a
dressée" (cf. 8, 1-2).
Revenons sur le fait que Melchisédech est le roi de Salem. Toute la
tradition davidique s'en est appelée à cela, en disant: "Le lieu est ici,
Jérusalem est le lieu du culte véritable, la concentration du culte à
Jérusalem remonte déjà aux temps d'Abraham, Jérusalem est le lieu véritable
de la vénération juste de Dieu".
Franchissons à nouveau une étape: la Jérusalem véritable, le Salem de Dieu,
est le Corps du Christ, l'Eucharistie est la paix de Dieu avec l'homme. Nous
savons que saint Jean dans le Prologue, appelle l'humanité de Jésus "la
tente de Dieu" eskènosen en hemìn (Jn 1, 14).
Ici, Dieu lui-même a créé sa tente dans le monde et cette tente, cette
Jérusalem nouvelle, véritable, est, dans le même temps sur la terre et au
ciel, parce que ce Sacrement, ce sacrifice se réalise toujours entre nous et
arrive toujours jusqu'au trône de la Grâce, à la présence de Dieu. C'est ici
que se trouve la Jérusalem véritable, dans le même temps, céleste et
terrestre, la tente, qui est le Corps de Dieu, qui comme Corps ressuscité
demeure toujours Corps et embrasse l'humanité et, dans le même temps, étant
Corps ressuscité, nous unit avec Dieu. Tout cela se réalise toujours à
nouveau dans l'Eucharistie. Et nous, en tant que prêtres, nous sommes
appelés à être des ministres de ce grand Mystère, dans le Sacrement et dans
la vie. Prions le Seigneur qu'il nous fasse comprendre toujours mieux ce
Mystère, de vivre toujours mieux ce Mystère et ainsi d'offrir notre aide
afin que le monde s'ouvre à Dieu, afin que le monde soit racheté par Jésus.
Merci.
Texte original du
discours du Saint Père
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Français
Sources : www.vatican.va
-
E.S.M.
(©L'Osservatore Romano - 2 mars 2010)
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 02.03.2010 -
T/Benoît XVI
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