 |
Noël en temps de guerre. Mode d’emploi d’un évêque de Norvège pour ne pas
désespérer
|
Le 02 janvier 2025 -
E.S.M.
- L’interview qui suit a été publiée la veille de Noël dans le
quotidien italien « Il
Foglio ». L’évêque norvégien y répond aux questions de Matteo
Matzuzzi. Ce dernier l’interroge sur ce que l’ « esprit du temps » veut
imposer à la pensée commune ainsi qu’aux chrétiens, et que Mgr Varden
retourne avec une finesse parfois surprenante.
S.M.
|
|
Mgr Erik Varden, évêque de
Trondheim -
Pour agrandir
l'image ►
Cliquer
Noël en temps de guerre. Mode d’emploi d’un évêque de Norvège pour ne pas
désespérer
Le 02 janvier 2025 -
E.S.M. -
(s.m.) Âgé de 50 ans, Mgr Erik Varden, est évêque de Trondheim depuis
2019 ainsi que de Tromsø. Depuis septembre dernier, il préside la
conférence épiscopale de Scandinavie. Issu d’une famille luthérienne
pratiquement agnostique, il s’est converti à l’âge de quinze ans après
avoir écouté la Symphonie n° 2 « Résurrection » de Gustav Mahler. Depuis
2002, il est moine cistercien et a été abbé de l’abbaye de Mount Saint
Bernard en Angleterre. Son dernier livre, «
Chastity », sorti il y a un an aux États-Unis chez Bloomsbury et
traduit en plusieurs langues, déjà audacieux par son titre, nous
entraîne dans un voyage passionnant à travers la Bible et la grande
musique, la littérature, la peinture, d’Homère aux Pères du désert en
passant par Mozart et une bonne dizaine d’écrivains et poètes modernes
plus ou moins éloignés de la foi chrétienne. Une foi que Mgr Varden veut
exprimer sous une forme compréhensible même pour ceux qui en sont très
éloignés, en faisant appel à l’expérience universelle et en essayant de
lire cette expérience à la lumière de la révélation biblique.
Lors de
l’avant-dernier Carême, Mgr Varden a fait partie des signataires, avec
les évêques de Scandinavie dont le cardinal «
papabile » de Stockholm Anders Arborelius, de cette « Lettre
pastorale sur la sexualité humaine » que Settimo Cielo a publiée dans
son intégralité, qui par son extraordinaire originalité de langage et de
contenu, a su rendre à l’homme moderne toute la richesse de la vision
chrétienne de la sexualité tout en restant fidèle au magistère
millénaire de l’Église, clairement opposé à l’idéologie « gender ».
L’interview qui suit a été publiée la veille de Noël dans le
quotidien italien « Il
Foglio ». L’évêque norvégien y répond aux questions de Matteo
Matzuzzi. Ce dernier l’interroge sur ce que l’ « esprit du temps » veut
imposer à la pensée commune ainsi qu’aux chrétiens, et que Mgr Varden
retourne avec une finesse parfois surprenante, comme quand il explique
par exemple que le monde d’aujourd’hui n’est pas « post-chrétien » mais
plutôt « post-séculier », que le christianisme n’est pas une utopie mais
bien une foi extraordinaire de réalisme, ou encore que « centre » ou
« périphérie » dans l’Église ne sont pas des expressions géographiques
parce que le véritable centre, l’Alpha et l’Oméga, où que l’on se
trouve, c’est l’Agneau.
Les évêques de Scandinavie, c’est-à-dire de Norvège, de Suède, du
Danemark, d’Islande et de Finlande, sont à la tête de communautés
catholiques modestes en nombre. Mais la grande qualité de leurs
interventions a déjà surpris à plusieurs reprises les autres épiscopats
d’Europe lors des rencontres continentales. Le blog personnel de Mgr
Varden en témoigne également, avec sa devise épiscopale empruntée à un
commentaire de Grégoire le Grand sur le prophète Ézéchiel : « Coram
fratribus intellexi ».
Le christianisme n’est pas une utopie
Entretien avec Erik Varden, extrait de « Il Foglio » du
24 décembre 2024
C’est Noël, on parle beaucoup d’espoir. Mais quand on pense
aux tranchées ukrainiennes, à Gaza, au Liban et à la Syrie, se dire que
tout ira bien semble presque être une insulte. L’espérance chrétienne
vient nous aider : quel est son sens véritable, notamment par rapport au
monde déchiré par la guerre ?
Le christianisme n’est pas une utopie. La religion biblique est
réaliste au plus haut degré et d’une manière déconcertante. Les grands
maîtres de la foi ont toujours insisté sur le fait que la vie
surnaturelle doit se baser sur une profonde considération de la nature.
Nous devons nous entraîner à voir les choses telles qu’elles sont, et à
nous voir nous-mêmes tels que nous sommes. Avoir de l’espérance en tant
que chrétien ne signifie pas s’attendre à ce que tout se passe pour le
mieux dans le meilleur des mondes. Tout ne va pas pour le mieux.
Espérer, c’est croire que tout, même l’injustice, peut avoir un sens et
un but malgré tout. La lumière « brille dans les ténèbres », mais elle
ne fait pas disparaître les ténèbres ; cela se produira dans les cieux
nouveaux et sur la nouvelle terre où « il n’y aura plus de nuit ». Ici
et maintenant, l’espoir se manifeste comme une lueur. Cela ne veut pas
dire qu’il n’ait pas d’importance. L’espérance a une propension bénie à
la contagion qui lui permet de répandre de cœur en cœur. Les puissances
totalitaires s’emploient toujours à détruire l’espérance et à pousser
les gens au désespoir. Se mettre à l’école de l’espérance signifie
s’exercer à la liberté. C’est un art à pratiquer assidûment dans
l’atmosphère fataliste et déterministe dans laquelle nous vivons.
Noël a quelque chose de mystérieux qui fascine même les
non-croyants. Pensons par exemple à Paul Claudel, qui s’est converti en
entendant un office des Vêpres de Noël à Notre-Dame en 1886. Ou encore à
Jean-Paul Sartre, athée s’il en est, qui écrivait dans l’un de ses
récits : « La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il
faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui
n’apparut qu’une seule fois sur une figure humaine ». Quel est donc ce
mystère de Noël qui attire tout le monde ?
L’émerveillement dont Sartre parle n’apparaît-il pas sur certaines
représentations de la Vierge dans l’iconographie byzantine ? L’attrait
de Noël repose dans les représentations évangéliques les plus
emblématiques : l’enfant qui vient de naître ; l’annonce de la paix ;
l’affirmation que tous les hommes sont au fond capables de « bonne
volonté » ; le silence paisible d’une nuit pendant laquelle toute la
création – hommes, animaux, et étoiles – se dispose harmonieusement dans
l’attente autour d’un centre qui s’impose comme une évidence. Claudel
écrit ceci dans « L’annonce faite à Marie », que je relis chaque Noël :
« Beaucoup de choses se consument au feu d’un cœur ardent ». Noël nous
donne l’intuition de ce que notre cœur désire. Il nous donne le sens de
ce qui passe et de ce qui reste. La difficulté, c’est de laisser cette
intuition se concrétiser dans les décisions qui définissent notre vie et
de ne pas la confiner paresseusement dans un sentiment éphémère.
Vous êtes évêque dans l’une de ces périphéries dont le Pape
François parle si souvent. Et qui plus est, d’une périphérie européenne.
Aux yeux du Sud, il est évident dans le Sud que la foi est en voie de
perdition, sous la pression d’un laïcisme qui se fait sans cesse plus
oppressant. Quel est votre propre point de vue, justement, depuis la
périphérie ?
Une périphérie se définit par rapport à un centre. Dans l’optique
chrétienne, le centre n’est pas un point sur la carte. Le centre est
l’endroit où le mystère du Christ est présent en plénitude. La
périphérie est appelée à devenir centre. Nous pouvons voir cette
dynamique à l’œuvre dans l’histoire de la mission de l’Église. La flamme
de la foi resplendit toujours de plus belle là où on ne l’attend pas.
Quelle n’a pas été l’étonnement de ces Européens à leur arrivée aux
Indes au XVIe siècle, eux qui pensaient avoir atteint les frontières de
la civilisation, en découvrant que ce centre avait déjà été rejoint à
l’époque des apôtres pendant que leurs ancêtres adoraient encore des
bouts de bois et de pierre ? Ce terme de « périphérie » est souvent
utilisé par des institutions ou des personnes qui sont certaines d’être
au centre en vertu de privilèges héréditaires. La foi remet ce postulat
en question. Elle nous incite à nous demander : « Où est le centre, en
réalité ? ». En termes bibliques, il s’agit de suivre l’Agneau où qu’il
aille, en abandonnant la conviction confortable de penser qu’il est
nécessairement chez nous.
Dans votre Livre « Quand craque la solitude : la mémoire et
la vie » vous écrivez que « pour vivre, il faut apprendre à regarder la
mort en face ». N’est-ce pas dû au fait que, dans ce climat d’anesthésie
collectif, depuis plusieurs générations, l’Europe ne sait plus ce qu’est
la guerre et la mort sur son territoire ?
Le risque, c’est de croire que la paix est acquise une fois pour
toute, de penser qu’elle serait en quelque sorte la norme. Ce n’est pas
le cas. L’histoire nous le rappelle avec insistance. Au fil des ans,
j’ai toujours été interpellé par le fait que la première mort dont parle
l’Écriture est un fratricide. C’est un modèle qui se répète avec une
terrible constance jusqu’à nos jours. Le Prologue de la Règle de saint
Benoît cite un psaume qui nous ouvre une perspective intéressante. Saint
Benoît nous exhorte à « chercher la paix et à la poursuivre ». Il nous
rappelle que la paix est une dynamique, une réalité vivante à
promouvoir. Ce demi-siècle européen sans guerre majeure a été une sorte
de miracle. Aujourd’hui, l’horizon s’assombrit. En Ukraine, une guerre
injuste fait rage ; les gouvernements tombent les uns après les autres ;
les coalitions fragiles éclatent, tout cela génère de l’anxiété ; la
rhétorique de l’agression se répand comme une fumée toxique. J’ai
pourtant l’impression que notre continent, et les jeunes en particulier,
sont en train de se réveiller. Le Covid a été une sonnette d’alarme. Il
a rapproché le spectre de la mort. Il a fait voler en éclat l’illusion
selon laquelle la richesse ou la science nous mettaient à l’abri, que la
mort était quelque chose qui n’arrivait qu’aux autres. Avons-nous
suffisamment réfléchi à ces leçons que l’histoire récente nous a données
? Je pense que non. J’y vois une occasion manquée, du point de vue
politique et catéchétique.
Nous avons assisté à la retransmission dans le monde entier
de l’inauguration de la cathédrale de Notre-Dame restaurée après
l’incendie. Nous avons vu une foule immense, les puissants qui faisaient
la file pour entrer, les gens ordinaires qui ont contribué au
financement des travaux comme cela se passait au Moyen Âge. Alors, ne
sommes-nous pas malgré tout encore attaché à ces symboles qui évoquent
notre identité ?
Le fait que nous restions attachés à certains symboles semble
évident. Les manifestations de douleur qui ont suivi l’incendie de
Notre-Dame ont été émouvantes. Honneur à tous ceux qui ont contribué à
sa reconstruction ! Mais à quoi sommes-nous attachés ? À un grand
sanctuaire chrétien ? Ou à un simulacre culturel ? Pendant l’Avent,
l’Église nous fait lire le prophète Isaïe. C’est une lecture
bouleversante. Isaïe nous propose des images de consolation
merveilleuses, des prophéties mystérieuses de l’incarnation. Mais dans
le même temps, il déclare que la rédemption naîtra de la ruine. Il
précise que c’est le Seigneur qui a voulu la destruction de Jérusalem et
l’exil de son peuple, précisément pour leur enseigner à ne pas mettre
leur confiance dans des bâtiments mais à vivre, au contraire, selon la
grâce, portés jour après jour dans la fragilité de notre existence
humaine. C’est le rôle de l’Église de faire en sorte que notre
patrimoine architectural et artistique reste un signe puissant de la
bonté de Dieu qui rend possible la rencontre entre notre être terrestre
et la splendeur incréée, divine. Avons-nous encore suffisamment
confiance en notre tradition pour aider nos contemporains à voir ce que
les lieux et les objets qui forment en apparence notre identité
culturelle signifient et promettent implicitement ? Il y a là un grand
espace pour un examen de conscience. Il me semble que nous baissions
souvent les bras face à la sécularisation moderne. Nous nous efforçons
de rendre notre patrimoine acceptable selon ses propres critères alors
que notre époque exige de nous quelque chose de différent.
Pensez-vous que nous, les Européens du troisième millénaire,
nous ayons un problème d’identité ? Savons-nous encore qui nous sommes
et d’où nous venons ?
Cela fait longtemps que le consensus n’a jamais été aussi faible sur
des questions fondamentales : ce que signifie être un homme ou être une
femme, ce qu’est un être humain, ce qu’une société devrait être. Pendant
longtemps, il semblait que les débats publics bourdonnaient comme de
véritables guêpiers. Tout ceux qui y prenaient part couraient le risque
de se faire piquer. À présent, j’ai l’impression que la tendance est
lentement en train de s’inverser : de plus en plus de personnes se
posent des questions et attendent des raisonnements solides et des
critères fiables. La tradition intellectuelle catholique a beaucoup à
apporter en la matière. Sans vouloir en rien diminuer l’importance du
travail caritatif ou des combats pour la paix et la justice, je crois
que l’apostolat intellectuel est fondamental pour les prochaines
décennies. Le Verbe s’est fait chair pour imprégner de « logos » notre
propre nature, créée à l’image du Verbe. Quand nous embrassons cet
aspect de notre être et que nous l’assumons, nous commençons à nous
souvenir de notre dignité.
On entend souvent dans ce que l’on appelle « l’opinion
publique » que l’Église est rétrograde, surtout en matière de morale et
même de bioéthique : après tout, dit-on, pourquoi dire non à
l’euthanasie si une personne est en train de souffrir ? La solution la
plus simple est celle qui séduit le plus. Le problème, c’est qu’il y a
souvent aussi beaucoup d’hommes d’Église qui appellent au « changement »
et à la « réforme » dans les médias. Quelle est votre opinion ? À quel
moment est-il utile d’écouter le « Zeitgeist » et quand est-ce risqué ?
L’air du temps est très bavard ! Bien sûr, il faut l’écouter : il
envoie des messages dont il faut tenir compte. Mais chercher à le suivre
est un acte de défiance contre soi-même : quand nous parvenons à
l’endroit où il se trouvait il y a un instant, il est déjà plus loin.
L’Église, par nature, avance lentement. Nous courons le risque de nous
engager dans ce que nous pensons être les tendances du moment alors
qu’elles ne sont déjà plus que des braises mourantes. C’est ainsi que
nous passons, sans succès, et de façon légèrement absurde, d’une
étincelle éteinte à une autre. Il serait certainement plus prometteur,
intéressant et joyeux de s’attacher à ce qui résiste. Voilà ce qui
parlera aux cœurs et aux esprits humains de notre époque comme de toutes
les époques. Le Concile Vatican II a été caractérisé par une invitation
à boire en abondance à toutes les sources. La principale vitalité de la
vie catholique du XXe siècle est issue de cet enthousiasme à découvrir
des puits oubliés et à y trouver de l’eau limpide et fraîche. Où est
passé cet enthousiasme ? Pourquoi avons-nous le sentiment de devoir
abandonner les puits pour aller installer des stands pliants à côté des
distributeurs automatiques ?
Une dernière question : on dit souvent que notre monde, le
monde occidental, est désormais postchrétien. Êtes-vous d’accord avec
cette définition ? Et ensuite, comment l’homme d’aujourd’hui qui se
considère encore chrétien peut-il faire vivre sa présence dans cette
réalité ?
Je ne suis pas d’accord sur ce point. Théologiquement, le mot «
postchrétien » n’a aucun sens. Le Christ est l’Alpha et l’Oméga, et
toutes les lettres intermédiaires. Il porte constitutionnellement la
fraîcheur de la rosée du matin : ce n’est pas pour rien que pendant
l’Avent, nous implorons le ciel en chantant « Rorate ! ». Le
christianisme est à l’aurore. Si parfois, à certaines périodes, nous
nous sentons envahis plongés dans le crépuscule, c’est parce qu’un
nouveau jour est en train de naître. SI l’on veut parler de « pré » et
de « post », il me semble plus approprié de suggérer que nous nous
trouvons au seuil d’une époque que je définirais comme « post-séculière
». La sécularisation a fait son temps. Elle est épuisée, dépourvue de
finalité positive. Entretemps, l’être humain continue à vivre avec des
aspirations profondes. Si vous considérez le fait que Marilynne Robinson
et Jon Fosse sont lus dans le monde entier ; que les gens se pressent
dans les salles de cinéma pour voir les films de Terence Malick ; que
des milliers de personnes cherchent à s’instruire dans la foi. Ce sont
des signes des temps. Ils devraient nous encourager et nous inciter
résolument à pas mettre la lampe sous le boisseau. L’Église a les
paroles et les signes pour transmettre l’éternité comme une réalité.
L’écrivaine anglaise Helen Waddel a dit ceci : « Avoir même la plus
petite conception de l’infini, c’est comme retirer la pierre qui obstrue
un puits. » N’est-ce pas cela le devoir chrétien fondamental en ce
moment ? « Sursum corda ! ».
Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire
L’Espresso.
Articles les plus
récents :
-
L'héritage du pontificat de Benoît XVI : La centralité de Dieu
-
Benoît XVI dénonce les éternelles rengaines visant à affaiblir l'Église
-
Dieu existe-t-il ? Pour le cardinal Sarah, la réponse est à genoux
-
François a démoli le collège des cardinaux, mais un nouveau site web propose d’y remédier
Les lecteurs qui
désirent consulter les derniers articles publiés par le site
Eucharistie Sacrement de la Miséricorde, peuvent
cliquer sur le lien suivant
► E.S.M.
sur Google actualité |
Sources
: diakonos.be-
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.)
02.01.2025
|