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Il y a un aussi un vaccin pour le virus qui contamine l’Église
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Le 01 décembre 2021 -
(E.S.M.)
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Le texte qui suit est la retranscription de l’intervention de
Sandro Magister au colloque d’études qui s’est tenu samedi 27 et
dimanche 28 novembre 2021 à Anagni, dans la Sala della Ragione, à
l’initiative de la Fondation Magna
Carta, sur le thème : « L’Église et le siècle après la
pandémie ».
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Il y a un aussi un vaccin pour le virus qui contamine l’Église
L’Église dans le monde ou dans l’ermitage
de
Sandro Magister
- Anagni, le 27 novembre 2021
Le 01 décembre 2021 - E.
S. M. - Entre l’Église et le siècle, après la pandémie, c’est
le second qui gagne, comme le dit bien le mot « sécularisation »,
qui progresse inexorablement alors que les églises se vident de plus
en plus. Mais cette vague remonte loin, au moins aux années du
Concile Vatican II, en même temps que le déclin du paradigme
conservateur dans tout l’Occident.
La culture conservatrice prône le primat des devoirs sur celui des
droits, ce sont les logiques supra-individuelles qui prévalent : la
nation, la famille, la tradition, la religion, auxquelles l’individu
doit s’adapter et parfois même se sacrifier. Il était inévitable que
le déclin de cette culture ne bouleverse également l’Église, en tant
que structure hiérarchique, faite de préceptes et de rites
identitaires, coulée en bloc dans le « catholicisme romain » par les
conciles de Trente et de Vatican I. En 1840 déjà, Alexis de
Tocqueville voyait dans la croissance de la démocratie en Europe en
impact sur les religions préceptives et rituelles, vouées à se
réduire à « une bande de zélateurs fervents au milieu d’une
multitude d’incrédules ».
On dirait que cette prophétie de Tocqueville traverse cette « Benedict
Option » qui a récemment été proposée aux chrétiens pour se
différencier de l’esprit du monde, en ressuscitant le paradigme
conservateur sous des formes nouvelles et alternatives. Mais la
pandémie a désagrégé la compacité de ce catholicisme résistant et
militant, entre no-vax et pro-vax, c’est une guerre sans merci, et
la division ne porte pas sur un médicament mais touche à des
questions capitales.
Pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter
aux années de Vatican II, dans le sillage de la relecture qu’en a
fait l’historien
Roberto Pertici.
*
Ce Concile s’est déroulé alors même que le nouvel
individualisme, surtout celui des femmes et des jeunes, faisait irruption
dans l’Église et la désarticulait de l’intérieur. Paul VI n’a plus voulu
écrire la moindre encyclique après qu’« Humanae vitae » ait été contestée et
qualifiée de rétrograde par des épiscopats entiers. Ce n’est pas un hasard
si, à partir de ce moment, l’agenda de l’Église ait été forcée d’inclure les
thèmes imposés par la nouvelle culture et la nouvelle anthropologie : la
contraception, le divorce, l’avortement, l’euthanasie, la condition
homosexuelle, la femme et la question féministe, la nature du sacerdoce et
le célibat ecclésiastique.
Les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI se sont attelés à sauver
les meilleurs fruits non seulement de Vatican II mais également ceux des
Lumières, contre la dérive toujours plus individualiste, relativiste et
enfin nihiliste de la nouvelle culture. Il y avait quelque chose de
« kantien », en plus d’authentiquement chrétien, dans le caractère absolu
des principes moraux et dans la centralité de la raison prêchée par Joseph
Ratzinger.
Il suffit de citer quelques lignes du
discours
qu’il a prononcé le 1er avril 2005 à Subiaco, dans le monastère
de saint benoît, quelques jours avant d’être élu pape :
« […] En ce sens, les Lumières sont d’origine chrétienne et ce n’est pas un
hasard si elles sont nées justement et uniquement dans le contexte de la foi
chrétienne, là où le christianisme, contre sa nature, s’était
malheureusement mué en tradition et en religion d’État. […] Il faut
reconnaître aux Lumières le mérite d’avoir réaffirmé les valeurs originales
du christianisme et d’avoir rendu sa voix propre à la raison. Le Concile
Vatican II, dans sa constitution sur l’Église dans le monde d’aujourd’hui, a
de nouveau mis en évidence la correspondance entre christianisme et les
Lumières, en cherchant à parvenir à une véritable réconciliation entre
Église et modernité ».
Tout comme le paragraphe final de son mémorable
discours du 12 septembre 2008 au Collège des Bernardins de Paris :
« Sous de nombreux aspects, la situation actuelle est différente de celle
que Paul a rencontrée à Athènes, mais, tout en étant différente, elle est
aussi, en de nombreux points, très analogue. Nos villes ne sont plus
remplies d’autels et d’images représentant de multiples divinités. Pour
beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme
jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et
présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle
absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne.
‘Quaerere Deum’ – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui : cela n’est
pas moins nécessaire aujourd’hui que par le passé. Une culture purement
positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non
scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la
raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec
de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves. Ce qui
a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à
L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture
véritable ».
Avec le Pape François, en revanche, tout cela a été mis de côté. Le
démantèlement du « catholicisme romain » – effectivement perçu comme un
corps étranger à la culture dominante – a été soutenu par lui au nom d’une
nouvelle forme d’Église vaguement « synodale ». « Fratelli tutti » est le
leitmotiv de ce pontificat, sa priorité, mais sans Dieu, comme l’a commenté,
à la publication de l’encyclique
qui porte ce nom, le très sérieux philosophe
Salvatore Natoli, non-croyant mais très attentif au phénomène religieux.
Une fraternité dans laquelle l’homme Jésus a simplement « montré aux hommes
que ce n’est que dans le don réciproque d’eux-mêmes qu’ils ont la
possibilité de devenir des ‘dieux’, à la manière de Spinoza : ‘homo homini
deus’ ». Il n’est donc pas étonnant que dans l’appel
solennel signé le 4 octobre dernier par le Pape François avec le patriarche
œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier, le patriarche de
Moscou Cyril, le grand imam d’Al-Azhar Ahmed Al-Tayyeb et d’autres chefs
religieux à la veille de la conférence de Glasgow sur le changement
climatique, à travers les cinq pages et les 2350 mots, on ne retrouve nulle
trace du mot « Dieu ». Pas plus que des mots « créateur », « création »,
« créature ». La nature y est même définie comme étant « une force vitale ».
Avec le Pape François, l’Église a recommencé à soutenir le « dérapage » de
la post-modernité, en insistant sur des thèmes politiques tels que
l’écologie, les migrations, la nouvelle pauvreté, que la post-modernité
délègue volontiers à l’Église, considérée comme une association éthique
parmi tant d’autres.
Mais une autre dérive surprenante, c’est celle qui caractérise aujourd’hui
certains secteurs du catholicisme intransigeant. Ceux qui contestent au nom
de la liberté les obligations vaccinales imposées, à les entendre, par une
dictature planétaire biotechnocratique. Mais ils ne voient pas qu’en
réalité, ils s’en remettent corps et âme – comme le dénonce de manière
pertinente le professeur
Pietro De Marco – à un « aimable dictateur libertaire » qui « concède,
et même légitime, toutes les libertés privées » et dissout ainsi non
seulement la conception chrétienne de la politique et de l’État mais l’idée
même de la naissance, de la génération, de la mort, du libre-arbitre, en un
mot l’idée même de l’homme, très éloignée de celle de la Bible, comme l’a
magistralement mis en lumière le plus beau
document que le Saint-Siège a produit ces dernières années, signé par la
Commission pontificale biblique et qui s’intitule « Qu’est-ce que
l’homme ? ».
*
Il ressort de tout cela que ce que les chrétiens sont
aujourd’hui appelés à affronter est un défi non pas temporaire mais bien
historique. Un défi analogue à celui des chrétiens des premiers siècles, qui
étaient alors une petite minorité dans un contexte culturellement et
socialement étranger, sinon hostile.
Les tentations étaient à l’époque semblables à celles d’aujourd’hui. La
première était celle de s’assimiler aux modèles culturels dominants. La
seconde était de se fermer au monde extérieur, dans une sorte de
retranchement. La troisième était de sortir au-dehors, soit collectivement
vers une nouvelle patrie, une « terre promise » ou individuellement par une
« fuite au désert ».
Mais les chrétiens des premiers siècles n’ont cédé à aucune de ces trois
tentations, à part quelques concessions et retranchements à chaque fois
contestés et rejetés au sein même de l’Église. Il y avait en effet une
quatrième modalité de rapport que pouvait entretenir un groupe minoritaire
avec le monde qui l’entourait et l’assiégeait, c’était d’entrer avec lui
dans une relation fortement critique et d’exercer une influence culturelle
sur la société, une influence qui à la longue pouvait arriver à mettre en
crise l’état de fait général.
Et c’est bien cela que le christianisme a été effectivement capable de
réaliser en l’espace de quelques siècles, comme l’a mis en lumière le
professeur
Leonardo Lugaresi, spécialiste de la patristique. Ces chrétiens ont
donné naissance à un véritable changement de paradigme culturel – vision du
monde, modèles de comportement, formes expressives – en occupant une
position de moins en moins marginale dans l’espace public et en exerçant sur
lui une influence croissante.
Le christianisme dans le monde antique est ainsi passé du statut d’« exitabilis
superstitio », de superstition mortifère exécrable à tous, à la
reconnaissance de sa pleine plausibilité en tant que fondement religieux et
culturel de l’empire refondé par Constantin, sans qu’il ait été nécessaire
que les chrétiens ne soient entretemps devenus la majorité ni même une
minorité importante de la population. On estime qu’à l’époque de Constantin,
les chrétiens ne représentaient pas plus de 15% des citoyens de l’empire
romain.
Et aujourd’hui ? Dans son roman de 1998 « Les particules élémentaires »,
Michel Houellebecq identifie dans l’histoire de l’humanité ce qu’il appelle
des « mutations métaphysiques », c’est-à-dire les transformations radicales
des visions collectives du monde. Il identifie une première transformation
dans le fait que le christianisme s’impose dans un empire romain qui était
pourtant au sommet de sa puissance. Une seconde dans la dissolution du
régime médiéval de chrétienté à son apogée, et la domination progressive,
jusqu’à nos jours, de la culture matérialiste avec la révolution sexuelle.
Les partisans de l’hypermodernité sont convaincus qu’ils tiennent le monde
entre leurs mains. Mais qui sait s’ils ne sont pas comme les païens du
Bas-Empire ou comme les philosophes scolastiques du début des Temps
Modernes, incapables de voir qu’aujourd’hui comme hier, il pourrait bien se
produire un changement de paradigme, une nouvelle « mutation métaphysique »,
un vaccin décisif.
Il n’est pas dit, écrivait le professeur Pertici en
commentant Houellebecq – que le processus unidirectionnel de l’histoire
soit inexorable, comme le pensent les progressistes, mêmes catholiques, qui
que l’âge ouvert par la « mutation métaphysique » qui a mené à la
déchristianisation actuelle soit pour toujours. Le déploiement complet de la
culture dominante actuelle pourrait aboutir à une nouvelle rupture. D’où
l’importance de conserver intacte l’héritage chrétien, pour pouvoir le
proposer au moment voilà dans l’empire moderne, et le regénérer. À l’école
des premiers chrétiens et des Pères de l’Église.
*
Dans le précédent colloque de la Fondation Magno Carta,
en 2019, Sandro Magister avait fait un large compte-rendu de la vision
politique du Pape François, reproduite sur Settimo Cielo :
►
Un
Pape avec le “mythe” du peuple
Sources : Sandro
Magister
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E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.12.2021
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