Rencontre avec Mgr Bartolucci, grand
ami de Benoît XVI |
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Le 01 septembre 2009 -
(E.S.M.)
- Monseigneur Domenico Bartolucci, Maître émérite de la chapelle
Sixtine, grand ami et collaborateur de Benoît XVI.. Son verbe
haut et ses expressions typiquement toscanes, comme les anecdotes dont il ponctue ses
réponses, expriment mieux que de longs discours les convictions d’un homme
d’Église qui a vécu dans la souffrance, avec elle, les tumultes des
dernières décennies.
Disputationes theologicae
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Le pape Benoît XVI et
Mgr Bartolucci, Maître émérite de la chapelle Sixtine
Rencontre avec Mgr Bartolucci, grand
ami de Benoît XVI
Le 01 septembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
- La réforme liturgique des années 70 occupe aujourd’hui une place
importante dans l’horizon des controverses théologiques, et puisque liturgie
et théologie sont intimement liées, on ne peut exclure du champ des
discussions l’une ou l’autre sans risquer de tomber dans une conception
fractionnée de la théologie qui a montré sa nocivité depuis les années 50.
Il est aujourd’hui nécessaire, dans le cadre du vaste débat auquel nous
voulons participer activement ici, de poser les bases d’une analyse honnête
et courageuse du passé liturgique récent, tout en proposant, dans une
attitude positive et bienveillante, des remèdes pratiques et surtout
réalisables... C’est
pourquoi nous avons voulu le mettre en œuvre en nous appuyant sur le
témoignage de quelqu’un qui, par son âge et son prestige, n’est pas
seulement une autorité en la matière, mais est aussi un véritable témoin de
l’authentique tradition. Étant donné que la liturgie est avant tout une
science pratique, nous n’avons pas voulu commencer cette discussion par la
consultation d’un liturgiste chevronné, spécialiste des manuels et des
rubriques, mais en recueillant les enseignements de quelqu’un qui a vu et
vécu la liturgie comme aucun autre, depuis les campagnes toscanes et leurs
immanquables processions populaires accompagnées par la fanfare, jusqu’aux
fastes et aux splendeurs de la « chapelle papale » dans les Palais
apostoliques : Monseigneur Domenico Bartolucci. Son verbe haut et ses
expressions typiquement toscanes – malheureusement difficiles à rendre dans
cette traduction française – comme les anecdotes dont il ponctue ses
réponses, expriment mieux que de longs discours les convictions d’un homme
d’Église qui a vécu dans la souffrance, avec elle, les tumultes des
dernières décennies.
Rencontre avec Mons. Domenico BARTOLUCCI,
Maître émérite de la chapelle Sixtine,
Grand ami et collaborateur de Benoît XVI.
(Interview Pucci Cipriani, Stefano Carusi - Traduction
française Matthieu Raffray)
Né en 1917 à Borgo San Lorenzo (Florence), toscan par sa naissance puis
romain par l’appel du Pape, il est nommé en 1952 substitut de la Chapelle
Sixtine, aux côtés de Lorenzo Perosi, puis maître de cette chapelle papale à
partir de 1956, où il a eu l’honneur de travailler avec cinq papes. Le 24
juin 2006, le Pontife régnant a tenu à organiser une cérémonie spéciale afin
de sceller « à perpétuité » sa proximité et son admiration pour le
grand musicien, auquel il adressait les mots suivants : « la polyphonie
sacrée, en particulier celle de l’école romaine, est un héritage à conserver
avec soin (…) un authentique aggiornamento de la musique sacrée ne peut
advenir que sur le socle de la grande tradition héritée du passé, celle du
chant grégorien et de la polyphonie sacrée ».
***
Maître, la publication récente du Motu proprio
Summorum Pontificum a apporté un vent d’air frais dans le panorama
liturgique désolant qui nous entoure… en avez-vous profité vous-même pour
célébrer la « messe de toujours » ?
A vrai dire, j’ai toujours célébré cette messe, de façon ininterrompue
depuis mon ordination… En fait j’aurais même des difficultés à célébrer la
messe du rite moderne, puisque je ne l’ai jamais dite…
Pour vous, elle n’a donc jamais été abolie ?
Ce sont les paroles mêmes du Saint Père, même si certains font mine de ne
pas le comprendre, et même si beaucoup ont soutenu le contraire dans le
passé.
Pensez-vous que les fidèles soient moins enthousiasmés
par la forme traditionnelle du rite, à cause de son aspect peu «
participatif » ?
Allez, il ne faut pas dire de bêtises ! Moi j’ai connu la participation des
fidèles autrefois, aussi bien à Rome, dans les basiliques, qu’à travers le
Monde, et ici-même dans le « Mugello », dans cette paroisse, dans
cette belle campagne autrefois peuplée de gens pleins de foi et de piété. Le
dimanche à vêpres, le prêtre aurait pu se contenter d’entonner le « Deus
in adjutorium meum intende », et puis se mettre à dormir sur la
banquette jusqu’au capitule : les fidèles auraient continué tout seuls et
les pères de famille auraient entonné, un par un, les antiennes !
C’est donc pour vous une vaine polémique, par rapport
à l’actuel style liturgique ?
Hélas, je ne sais pas si vous avez déjà assisté à des funérailles :
Alléluias, applaudissements, des phrases loufoques, au point de se demander
si ces gens ont déjà lu l’évangile : Notre-Seigneur lui-même pleure sur
Lazare et sur la mort… Avec ce fade sentimentalisme, on ne respecte même pas
la douleur d’une mère. J’aurais voulu vous montrer comment autrefois le
peuple assistait à une messe des morts, avec quelle componction et quelle
dévotion on entonnait le magnifique et terrible Dies Irae !
Mais la réforme n’a-t-elle pas été faite par des gens
conscients et bien formés doctrinalement ?
Je m’excuse, mais la réforme a été faite par des hommes arides, arides, je
vous le répète. Moi, je les ai connus. Et quant à la doctrine, je me
souviens que le cardinal Ferdinando Antonelli, de vénérable mémoire, disait
souvent : « Qu’est-ce que nous pouvons faire de ces liturgistes qui ne
connaissent pas la théologie ? »
Nous sommes bien d’accord avec vous, Monseigneur, mais
il est vrai aussi qu’autrefois les gens n’y comprenaient rien…
Chers amis, n’avez-vous jamais lu saint Paul : « il n’est pas nécessaire de
savoir plus que ce qui est nécessaire » : il faut aimer la connaissance ad
sobrietatem. Avec cet état d’esprit, dans quelques années on prétendra
comprendre la transsubstantiation comme on explique un théorème de
mathématiques… Mais le prêtre lui-même ne peut comprendre entièrement un tel
mystère !
Alors comment en est-on parvenu à un tel effondrement
de la liturgie ?
Ça a été une mode, tout le monde parlait, tout le monde « rénovait », tout
le monde pontifiait, sur la base d’un sentimentalisme qui prétendait tout
réformer, et on faisait taire habilement les voix qui s’élevaient en défense
de la tradition bimillénaire de l’Église. On a inventé une sorte de «
liturgie du peuple »… lorsque j’entendais ces ritournelles, je me souvenais
des paroles de l’un de mes professeurs de séminaire, qui nous enseignait que
« la liturgie est l’œuvre du clergé, mais elle est pour le peuple ».
Il voulait dire par là qu’elle doit descendre de Dieu et non pas monter à
partir de la base. Je dois pourtant reconnaître que cet air corrompu s’est
maintenant raréfié : les nouvelles générations de prêtres sont peut-être
meilleures que celles qui ont précédé ; les jeunes prêtres ne sont plus ces
idéologues furieux doublés de modernistes iconoclastes : ils sont plein de
bons sentiments, mais ils manquent de formation…
Que voulez-vous dire par « ils manquent de formation »
?
Je veux dire qu’il faut de vrais séminaires ! Je parle de ces structures que
la sagesse de l’Église avait finement ciselées à travers les siècles. Vous
ne vous rendez pas compte de l’importance d’un séminaire : une liturgie
vécue… les différents moments de l’année y sont vécus socialement avec les
confrères du séminaire, l’Avent, le Carême, les grandes fêtes de Pâques :
tout cela éduque à un point que vous n’imaginez pas. Une rhétorique insensée
a fait passer l’image que le séminaire déforme les prêtres, que les
séminaristes, éloignés du monde, resteraient fermés sur eux-mêmes et
distants du monde. Ce ne sont que des fantaisies pour gaspiller une
formation riche de plusieurs siècles d’expérience, et pour ne la remplacer
que par du vide.
Pour revenir sur la crise liturgique, vous,
Monseigneur, êtes-vous favorable à un retour en arrière ?
Regardez : défendre le rite antique ne consiste pas à être passéiste, mais à
être « de toujours ». Par exemple, c’est une erreur d’appeler la
messe traditionnelle « messe de saint Pie V » ou « messe
Tridentine », comme s’il s’agissait de la messe d’une époque
particulière. Notre messe romaine est au contraire universelle, dans le
temps et dans le lieu : une unique langue de l’Océanie à l’Arctique. En ce
qui concerne la continuité dans le temps, je peux vous raconter un épisode
significatif : une fois nous étions en compagnie d’un évêque, dont je ne
vous donnerai pas le nom, dans une petite église de la région ; nous
apprenons alors subitement le décès d’un ami commun qui nous était cher, et
nous décidons alors de célébrer sur le champ la messe pour lui. En cherchant
dans la sacristie, on se rend compte qu’il n’y avait là que des missels
antiques. Et bien l’évêque a refusé catégoriquement de célébrer. Je ne
l’oublierai jamais… et je répète que la continuité de la liturgie implique
que, sauf cas particuliers, je puisse célébrer aujourd’hui avec le vieux
missel poussiéreux pris sur une étagère, et qui il y a quatre siècles a
servi à l’un de mes prédécesseurs dans le sacerdoce.
On parle actuellement d’une « réforme de la réforme »,
qui devrait limer les irrégularités introduites dans les années 70…
La question est assez complexe… Que le nouveau rite ait des déficiences est
désormais une évidence pour tout le monde, et le Pape a dit et il a écrit
plusieurs fois que celui-ci devrait « regarder vers l’ancien ». Mais
que Dieu nous garde de la tentation des pastiches hybrides. La Liturgie avec
un L majuscule est celle qui nous vient des siècles passés : c’est elle qui
est la référence. Qu’on ne l’abâtardisse pas avec des compromis « déplaisant
à Dieu et à ses ennemis »…
Que voulez-vous dire par là ?
Prenons par exemple les innovations des années 70 : des chansonnettes laides
et pourtant tellement en vogue dans les églises en 1968 sont aujourd’hui
déjà des pièces de musée. Lorsqu’on renonce à la pérennité de la Tradition
pour s’immerger dans le temps, on est aussi condamné à suivre les
changements de modes. A propos de la réforme de la semaine sainte dans les
années cinquante, je vous raconte une histoire : cette réforme avait été
entreprise avec une certaine hâte, sous un Pie XII déjà affaibli et fatigué.
Si bien que quelques années plus tard, sous le pontificat de Jean XXIII –
car quoiqu’on en dise, en matière de liturgie il était d’un traditionalisme
convaincu et émouvant – m’arrive un coup de fil de Mgr. Dante, le
cérémoniaire du Pape, qui me demande de préparer le Vexilla Regis pour
l’imminente célébration du Vendredi Saint. Interloqué, je lui réponds : «
mais vous l’avez aboli ! ». Alors il m’a dit : « Le Pape le veut
» ; et en quelques heures j’ai organisé les répétitions de chant, et nous
avons chanté à nouveau, avec une grande joie, ce que l’Église chantait ce
jour-là depuis des siècles. Tout cela pour dire que lorsqu’on a fait des
déchirures dans le tissu de la liturgie, ces trous restent difficiles à
recoudre, et ils se voient. Face à notre liturgie multiséculaire, nous
devons contempler avec vénération, et nous souvenir qu’avec cette manie de
toujours vouloir « améliorer », nous risquons de ne faire que des
dégâts.
Maître, quel a donc été le rôle de la musique dans ce
processus ?
La musique a joué un rôle incroyable pour plusieurs raisons : le «
cécilianisme » maniéré – auquel Perosi ne fut pas étranger – avait
introduit avec ses mélodies chantantes un sentimentalisme romantique
nouveau, qui n’avait rien à voir, par exemple, avec la corpulence éloquente
et solide de Palestrina. Certaines extravagances mal placées de Solesmes
avaient cultivé un grégorien susurré, fruit lui aussi de cette pseudo
restauration médiévalisante qui a eu tant de succès au XIXème siècle.
C’était l’idée de l’opportunité d’une récupération archéologique, aussi bien
en musique qu’en liturgie, d’un passé lointain dont nous auraient éloigné
les « siècles obscurs » du Concile de Trente… De l’archéologisme, en somme,
qui n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la Tradition, car il veut
récupérer ce qui finalement n’a peut-être jamais existé. Un peu comme
certaines églises restaurées dans le style « pseudo roman » de
Viollet-le-Duc. Ainsi donc, entre un archéologisme qui prétend se rattacher
à l’époque apostolique, mais en se séparant des siècles qui nous relient à
ce passé, et un romantisme sentimental qui méprise la théologie et la
doctrine pour exalter les « états d’âme », s’est préparé le terrain
qui a abouti à cette attitude de suffisance vis-à-vis de ce que l’Église et
nos Pères nous avaient transmis.
Que voulez-vous dire, Monseigneur, lorsque dans le
domaine musical vous attaquez Solesmes ?
Je veux dire que le chant grégorien est modal et non pas tonal. Il est
libre, et non pas rythmé. Ce n’est pas « un, deux, un, deux, trois ».
Il ne fallait pas dénigrer la façon de chanter dans nos cathédrales pour lui
substituer un chuchotement pseudo monastique et affecté. On n’interprète pas
le chant du Moyen-âge avec des théories d’aujourd'hui, mais il faut le
prendre comme il nous est parvenu. De plus, le grégorien d’autrefois savait
être aussi un chant populaire, chanté avec force et vigueur, comme le peuple
exprimait sa foi avec force et vigueur. Et c’est cela que Solesmes n’a pas
compris. Cela étant dit, il faut bien sûr reconnaître l’immense et savant
travail philologique qui y a été fait en ce qui concerne l’étude des
manuscrits antiques.
Maître, alors où en sommes-nous dans la restauration
de la musique sacrée et de la liturgie ?
Je ne nie pas qu’il y ait quelque signes de reprise… mais je vois tout de
même persister une sorte d’aveuglement, comme une certaine complaisance pour
tout ce qui est vulgaire, grossier, de mauvais goût, et aussi pour ce qui
est doctrinalement téméraire… Ne me demandez pas, je vous en prie, mon avis
sur les « guitarades » et les chansonnettes qu’ils nous chantent
encore pendant l’offertoire. Le problème liturgique est sérieux : il faut
cesser d’écouter la voix de ceux qui n’aiment pas l’Église et qui s’opposent
au Pape. Si on veut guérir un malade, il faut d’abord se souvenir que « le
médecin timoré laisse la plaie s’infecter (il medico pietoso fa la piaga
purulenta) »…
Sources :
Disputationes theologicae
Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas
un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 01.09.09 -
T/Musique Sacrée |