La générosité demandée par Jean-Paul
II ne s’est pas toujours manifestée |
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Rome, le 13 juillet 2007 -
(E.S.M.) -
Le Motu Proprio est l’occasion d’un nouvel élan, toutes vieilles
querelles héritées des années 1960 et 1970 enterrées, pour reprendre
d’un pas commun la marche vers la nouvelle Évangélisation à laquelle
Jean-Paul II avait appelé l’Église.
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L’ancien
rite réhabilité -
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La générosité demandée par Jean-Paul II ne s’est pas toujours manifestée
Benoît XVI signe la paix liturgique
Par Laurent Dandrieu
Catholicisme. L’ancien rite réhabilité.
Autorisant un très large usage du rite traditionnel, le pape appelle toute
l’Église à un renouveau liturgique. Et tourne la page de querelles
historiques.
Au regard des chiffres, on pourrait considérer cela comme un geste
anecdotique : le pape concède à quelques centaines de milliers de fidèles
dans le monde, quelques dizaines de milliers en France, une plus large
liberté de célébrer dans le rite ancien qui a leur préférence. Mais au-delà
du geste envers les traditionalistes, la libéralisation du rite traditionnel
accordée par le motu proprio (ce terme désignant une décision prise par le
pape “de son propre mouvement”) Summorum pontificum, publié le 7 juillet,
engage toute la vie de l’Église. Parce que, si pour le fidèle attaché au
rite actuel mis en place dans la foulée de Vatican II, rien ne changera,
Benoît XVI espère bien – il le dit dans sa lettre aux évêques qui accompagne
le motu proprio – que ce rite exercera une contagion
de « sacralité » sur toute la vie liturgique de l’Église. Et
aussi, parce qu’il s’agit, au-delà de la question liturgique, d’opérer une «
réconciliation interne » au sein de l’Église, de mettre fin non seulement à
la guerre liturgique ouverte par la réforme de 1970, mais plus largement aux
querelles intestines entre catholiques, de tourner une page de quarante ans
où les différences de sensibilité se transformaient en batailles rangées
idéologiques. De « réconcilier l’Église avec son passé, et en particulier
son passé liturgique », comme l’a dit Mgr Ricard, président de la Conférence
des évêques de France, mais plus largement avec elle-même (voir aussi notre
courrier des lecteurs, page 89).
Dans l’introduction du motu proprio, Benoît XVI rappelle que, depuis la
codification liturgique de saint Pie V au XVIe siècle dans la foulée du
concile de Trente, le missel dit de “saint Pie V” ou “tridentin” n’a subi
que des mises à jour légères au fil des siècles, la dernière opérée en 1962
par Jean XXIII, d’où la référence fréquente au “missel de 1962” pour
désigner le missel employé aujourd’hui par les traditionalistes.
Après Vatican II, Rome opéra une profonde réforme de la liturgie visant à
l’adapter « aux nécessités de notre temps », dit Benoît XVI. Le latin
n’était pas banni, mais l’emploi des langues vernaculaires encouragé, et le
rite considérablement allégé pour le rendre plus accessible. Cela n’alla
évidemment pas sans remous, jusqu’au sein de la curie romaine, dont deux
éminents prélats, les cardinaux Ottaviani et Bacci, publiaient un Bref
Examen critique du nouvel ordo missae (aujourd’hui réédité par Renaissance
catholique) qui jugeait que celui-ci « s’éloigne de
façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie
catholique de la Sainte Messe » !
Partageant ces réserves, estimant que le nouveau rite aboutissait à
camoufler le sacrifice du Christ renouvelé dans la messe, et que cette
simplification la dépouillait de sa dimension
sacrée, de nombreux prêtres et fidèles, notamment en France,
désiraient conserver l’ancien missel – ce qui n’aurait pas dû poser de
problèmes puisque, comme le rappelle Benoît XVI, « ce missel n’a jamais été
juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours
resté autorisé ».
Pourtant, s’il a fallu pas moins de trois textes pontificaux pour rétablir
la légitimité de ce qui, en principe, n’avait jamais été interdit, c’est
bien qu’il y eut, de facto, une interdiction imposée, parfois avec une
brutalité certaine, aux prêtres et aux fidèles. Avec des réponses souvent
très vives des traditionalistes, l’Église s’engageait dans ce que Mgr Ricard
qualifie de « guerre des rites », avec ses coups de main (l’occupation de
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris, par les traditionalistes, en 1977, ou
la récente affaire de Niafles), ses blessures (l’excommunication de Mgr
Lefebvre et des quatre évêques qu’il venait de sacrer sans autorisation
vaticane, en 1988), ses renversements d’alliance (une partie des
traditionalistes se désolidarisant alors de Mgr Lefebvre, dans un climat de
vives polémiques), ses trêves (les deux indults édictés par Jean-Paul II, en
1984 et 1988, pour autoriser, sous conditions, le rite de saint Pie V)…
Sans évidemment justifier la rébellion traditionaliste vis-à-vis de Rome, le
cardinal Ratzinger s’était toujours montré leur meilleur avocat au Vatican,
défendant à de nombreuses reprises la liturgie traditionnelle et déplorant
que la réforme liturgique n’ait pas porté les fruits attendus. Dans sa
lettre du 7 juillet, il reconnaît que la réforme a été d’autant moins
facilement admise qu’« en de nombreux endroits, on ne célébrait pas
fidèlement selon les prescriptions du nouveau missel ; au contraire,
celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire une
obligation de créativité ; cette créativité a souvent porté à des
déformations de la Liturgie à la limite du supportable ». Pour renforcer
encore ces propos qui iront droit au cœur de tous les traditionalistes
accusés depuis trente ans de ringardise et d’obscurantisme pour s’opposer à
des liturgies qui tenaient parfois plus de la kermesse que du sacré, Benoît
XVI ajoute : « Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette
période, avec toutes ses attentes et ses confusions. »
Deuxième innovation opérée par le pape par rapport à l’habituel discours
romain : la reconnaissance que la préférence pour l’ancien rite n’est pas
affaire de nostalgie de vieillards irréductibles, mais qu’il attire
spontanément de nombreux jeunes qui apprécient sa profondeur et son sens du
Mystère. Enfin, dans la foulée de la relecture de Vatican II opérée par le
pape dans son discours du 22 décembre 2005, où Mgr Ricard a vu à juste titre
la clef de son pontificat, Benoît XVI refuse de considérer l’histoire de l’Église
en termes de rupture, en liturgie comme ailleurs : « L’histoire de la
liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui
était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous.
» D’où cette innovation conceptuelle avancée par le pape pour mettre fin à
la “guerre des rites” : ne pas considérer les deux missels comme deux rites
opposés, mais comme deux manifestations, l’une « ordinaire », l’autre «
extraordinaire », de la même « lex orandi ».
Pour toutes ces raisons, le pape a décidé que tout prêtre désirant célébrer
sa messe privée selon l’ancien missel n’avait à en demander l’autorisation à
quiconque. Comme il n’est pas question d’imposer quoi que ce soit aux
fidèles attachés au nouveau missel, une messe traditionnelle pourra être
dite dans les paroisses, uniquement pour répondre à la demande d’« un groupe
stable de fidèles ». L’autorisation, auparavant donnée par l’évêque, dépend
désormais simplement du curé. Si celui-ci, pour des raisons propres à sa
paroisse, ne peut ou ne souhaite pas la donner, les fidèles en réfèrent à
l’évêque, qui « est instamment prié d’exaucer leur désir ». Dans le cas
contraire, un recours à Rome est prévu. Jusqu’alors limitée à la messe,
l’autorisation du rite traditionnel est élargie aux obsèques, aux mariages,
aux baptêmes et autres sacrements. Comme précédemment, l’évêque peut
accorder une paroisse personnelle aux traditionalistes (comme c’est le cas
de Saint-Éloi à Bordeaux, pour l’Institut du Bon-Pasteur), où seul le rite
traditionnel est utilisé.
Quelles seront les conséquences de ces dispositions, applicables à compter
du 14 septembre ? Une multiplication des messes dominicales célébrées
suivant le rite traditionnel, venant s’ajouter à celles déjà célébrées dans
le rite nouveau, semble prévisible dans les paroisses. Le motu proprio ayant
achevé d’ôter à ce rite ce qui pouvait lui rester d’indûment “subversif”,
nombre de prêtres, notamment parmi les plus jeunes, devraient accepter de
lui laisser sa place là où les fidèles sont suffisamment nombreux pour le
demander. D’autres, à cette occasion, devraient apprendre à goûter ce rite
qui leur était jusqu’alors inaccessible – et, quoi qu’en dise le pape, cette
découverte ne devrait pas se limiter, si l’on en croit la sociologie très
diverse des chapelles traditionalistes, à ceux qui ont « un minimum de
formation liturgique et un accès à la langue latine ».
Pour ce qui est des rapports avec les traditionalistes, notons la tonalité
inhabituellement positive du communiqué de Mgr Fellay, supérieur de la
Fraternité Saint-Pie X, qui a exprimé au pape « sa vive gratitude » pour «
ce grand bienfait spirituel ». Si, de part et d’autre, on reconnaît que les
difficultés théologiques demeurent, ce motu proprio devrait instaurer un
climat plus serein dans lequel des discussions, nécessairement longues et
difficiles, devraient pouvoir s’établir.
La Fraternité devrait être d’autant plus disposée à se montrer de bonne
volonté que le motu proprio, permettant aux instituts traditionalistes
reconnus par le Vatican une meilleure insertion dans la vie de l’Église,
devrait les rendre plus “tentants” pour ses prêtres attristés d’une trop
longue séparation d’avec Rome. Encore faut-il que l’accueil que leur feront
les prêtres diocésains et les évêques soit large et généreux. Dans sa lettre
aux évêques, Benoît XVI reconnaît implicitement que ça n’a pas toujours été
le cas dans le passé – ce que confirme Mgr Ricard : «
La générosité demandée par Jean-Paul II ne s’est pas toujours manifestée.
» Certains évêques – c’est le sens de la lettre publiée par Mgr Vingt-Trois
à la suite du motu proprio – ne seront-ils pas ainsi tentés d’arguer de la
multiplication des messes traditionnelles célébrées çà et là pour refuser
d’accorder des paroisses personnelles aux prêtres traditionalistes ?
Si, au contraire, la réconciliation souhaitée par le pape prévaut, cette fin
des querelles fratricides sera un formidable message envoyé aux
non-chrétiens : « C’est à ce signe qu’on vous
reconnaîtra », disait Jésus. Et l’occasion d’un nouvel élan,
toutes vieilles querelles héritées des années 1960 et 1970 enterrées, pour
reprendre d’un pas commun la marche vers la nouvelle Évangélisation à
laquelle Jean-Paul II avait appelé l’Église.
À lire : Liturgie et mission, de Joseph Ratzinger,
Tempora, 112 pages
Laurent Dandrieu
Table :
►
Motu Proprio
Texte intégral du Motu
Proprio: ►
Publication du "Motu Proprio Summorum Pontificum"
Motu
Proprio Summorum Pontificum
(doc. word)
Lettre explicative: ►
Lettre du pape Benoît XVI aux évêques
Lettre du pape Benoît XVI accompagnant le motu proprio
(doc. word)
Sources: Valeurs Actuelles -
E.S.M.
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un document officiel
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