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L’abbé Barthe sur Humanæ vitæ et Summorum Pontificum
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Le 06 novembre 2014 -
(E.S.M.)
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Spécialiste réputé du Vatican, l’abbé Claude Barthe est aussi un grand
connaisseur de la liturgie. Mais c’est en qualité de chapelain du pèlerinage
Summorum Pontificum, dont la troisième édition s’est déroulée à Rome du 23
au 26 octobre, qu’il a accordé un entretien à l’agence italienne
Corripondenza Romana.
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L’abbé Barthe sur Humanæ vitæ et Summorum Pontificum
Pèlerinage à Rome du Summorum Pontificum
Le 06 novembre 2014 - E.
S. M. -
Le 3e pèlerinage Summorum Pontificum s’est
déroulé à Rome du 23 au 26 octobre derniers, et la messe
Pontificale célébrée par le cardinal Raymond Burke, préfet de la
Signature Apostolique, dans la Basilique Saint-Pierre, en présence
de plus de 300 prêtres et 2 000 pèlerins venus du monde entier, en a
été l’événement le plus important.
Correspondance européenne a interviewé l’abbé Claude Barthe,
aumônier du pèlerinage.
- Quel est le but du pèlerinage Summorum
Pontificum et que se propose-t-il ?
Ce pèlerinage a pour but de conduire au Tombeau de saint Pierre des prêtres
diocésains ou membres de communautés traditionnelles, des religieux, des
séminaristes de toutes provenances, des fidèles, qui pratiquent paisiblement
dans le monde la liturgie traditionnelle grâce au Motu Proprio Summorum
Pontificum. Des communautés, des groupes divers sont représentées, mais
chaque clerc ou laïc qui y participe le fait à titre personnel. Cela permet
plus de liberté et de souplesse, et cela permet aussi, je tiens à le
souligner, que des fidèles et prêtres appartenant à la Fraternité
Saint-Pie-X puissent être présents paisiblement. J’ajoute que, de même que
toute messe est célébrée pro vivis et pro defunctis, dans un
pèlerinage comme celui-là la prière pour les défunts importe : nous faisons
mémoire de ceux qui nous ont précédé en œuvrant pour la renaissance de la
liturgie traditionnelle.
Pas plus qu’en France le Pèlerinage annuel à Chartres de la liturgie
traditionnelle, ce Pèlerinage à Rome n’est une « manifestation ». C’est un
acte de piété, un moment de prière et d’imploration. Mais parmi d’autres
initiatives (je pense aux congrès Summorum Pontificum organisés par
le P. Vincenzo M. Nuara, à des messes à la Basilique Saint-Pierre,
à des pèlerinages comme ceux d’Una Voce), dans une Église visible, ce
pèlerinage manifeste visiblement, l’existence et la présence de la messe
traditionnelle, toujours jeune et vivante, à Rome même, auprès de Pierre.
- Après la renonciation de Benoît XVI et avec
l’élection du pape François peut-on parler d’une importance historique du
Summorum Pontificum et de son actualité?
Il est fort possible que Summorum Pontificum du pape Benoît XVI
apparaisse un jour comme le principal acte de son pontificat, celui qui en
qualifiera et synthétisera toute la portée. Toutes choses égales, il a la
valeur réelle et symbolique d’Humanæ vitæ, qui montrait que, malgré
les grandes secousses consécutives au Concile, l’Église gardait un cap
identique du point de vue moral. Summorum Pontificum,d’une autre
manière,a montré que l’Eglise romaine n’avait nullement abandonné son
antique liturgie. « Deux documents pontificaux ont eu un impact sur ma
vie, a écrit Mgr Gullickson, nonce en Urkraine : le premier est
Humanae
Vitae, publié par Paul VI ; l’autre est
Summorum Pontificum, de
Benoît XVI ».
Ces deux axes, celui de la morale et celui de la liturgie pourraient bien
être décisifs dans les évolutions contrastées qui s’amorcent sous nos yeux.
D’autant qu’on peut constater que ces documents ont de fait correspondu à
deux milieux de réception qui se recoupent assez largement : un milieu de
familles, généralement nombreuses et pratiquantes, observant fidèlement la
morale conjugale, et un milieu cultivant une liturgie traditionnelle ou très
classique. Milieux qui forment un catholicisme jeune, vivant, qui semble,
certes, numériquement minoritaire, mais qui pèse considérablement dans un
corps ecclésial qui s’exténue de plus en plus. C’est patent dans le domaine
des vocations.
On peut d’ailleurs observer qu’après Benoît XVI la liturgie traditionnelle
continue sa remontée : de nombreux fidèles tout simples, des prêtres, des
séminaristes, des religieux découvrent aujourd’hui encore sa richesse
spirituelle et liturgique, l’exceptionnelle pédagogie de la foi qu’elle
représente et le ferment missionnaire qu’elle porte. L’acte de Benoît XVI a
consolidé juridiquement – c’est son immense mérite – un mouvement
préexistant, qui continue et va continuer.
- L’utilisation de la langue latine dans la
liturgie est-elle encore indispensable ? Et pourquoi ?
Votre question me permet de dire d’abord que je suis tout à fait de l’avis
du Professeur De Mattei, qui avait développé lors d’un congrès d’étude sur
Summorum Pontificum, tenu à l’Université Angélique en 2011, ce
thème : la langue latine est vraiment constitutive de la liturgie romaine
elle-même, en vertu d’une nécessité déterminée par l’histoire, de même – ce
n’est qu’une analogie – que la Ville de Rome est devenue le Siège de Pierre
et de ses successeurs.
Bien sûr, la cassure culturelle qu’a provoquée la réforme liturgique en
suite du dernier concile, conjuguée avec la quasi-disparition de
l’enseignement des humanités, en tout cas en France, a torpillé le vaisseau
déjà fragile dans les années 60 du XXe siècle latin liturgique.
L’œuvre nécessaire de restauration liturgique est donc confrontée à ce
redoutable problème cultuel et culturel : la perte d’habitude de la langue
liturgique latine par les fidèles et même par les prêtres de 50 ans et
moins. Mais la difficulté n’est pas insurmontable. La preuve par la
multiplication des messes tridentines. La preuve par le public nouveau qui
les fréquente, sans avoir jamais connu, par le passé, la messe en latin.
En fait, la disparition presque totale du latin dans le rit romain a
participé de ce mouvement de profanation de la liturgie,
au sens étymologique du terme, à ce mouvement d’entrée massive du profane
moderne dans la liturgie, par lequel on a voulu mettre de plain-pied la vie
de tous les jours, pétrie de modernité, avec l’ordre du divin, la
célébration eucharistique prenant la figure familière d’un repas en commun,
avec des paroles de simple urbanité, des gestes de convivialité, le langage
de tous les jours. La remise en honneur de la langue de l’Eglise romaine,
qui fait corps avec ce qu’elle véhicule, est un élément essentiel de la
resacralisation de la liturgie et de la récupération de la mémoire
religieuse brisée.
- Les prêtres doivent-ils être autorisés à
célébrer la Messe selon le rite tridentin? Et peut-on lui interdire cette
célébration? Le problème s’est posé avec les Franciscains de l’Immaculée.
Non, certainement pas ! Le Motu Proprio de 2007 est formel, et c’est même sa
disposition la plus importante : aux messes célébrées sans peuple, tout
prêtre de rite latin, séculier ou religieux, peut utiliser le missel
tridentin en sa dernière édition typique, celle de 1962. La Lettre
apostolique reconnaît la liberté per se d’une liturgie « jamais
abrogée » : tout prêtre latin a donc un droit natif à la célébrer, sans
avoir à demander de permission (et les fidèles ont donc un droit natif à y
assister). Per accidens, pour la vie paisible des communautés
chrétiennes, elle a règlementé la célébration publique de cette liturgie :
pour les messes communautaires dans les Instituts religieux, la célébration
doit être déterminée par les supérieurs majeurs.
En ce qui concerne les Franciscains de l’Immaculée, au minimum il n’était
pas possible de leur interdire la célébration traditionnelle privée. Le
décret qui les a frappés n’était au reste pas clairement rédigé sur ce
point. En tout cas, les Franciscains du P. Manelli ont toujours au moins le
droit inaliénable de célébrer individuellement la messe traditionnelle.
- Lex orandi lex credendi :
pouvez-vous nous expliquer brièvement ce que signifie cette formule ?
Le fameux adage : Lex orandi, lex credendi, résume la phrase :
legem credendi statuat lex supplicandi, « que la loi de la prière
règle la loi de la foi », contenue dans une lettre aux évêques de Gaule
attribuée au pape Célestin Ier. La lettre en question, à l’époque
des querelles pélagiennes, visait certaines oraisons de la messe qui portent
un enseignement d’une très grande élévation théologique sur la grâce.
Mais cela vaut pour tous les textes liturgiques, comme plus largement tous
les éléments de la discipline universelle de l’Eglise, qui sont, pour ce
qu’ils contiennent de foi et de morale, une des expressions du magistère
ordinaire et universel : l’Eglise romaine ne peut pas induire en erreur ses
fidèles dans la manière dont elle leur ordonne de prier ou de vivre.
Naturellement, il faut qu’il s’agisse d’une lex universelle :
il n’y a d’expression magistérielle que s’il y a obligation,
laquelle est ultimement obligation de croire. Le Motu Proprio dit que la
forme extraordinaire du rite romain comme la forme ordinaire sont deux
expressions de la lex orandi. Pour la forme extraordinaire, il n’y
a pas de problème. Pour la forme ordinaire, on comprend que c’est vrai dans
la mesure où elle se présente comme une lex universelle, pour la
part où elle l’est.
Comme on sait, la nouvelle liturgie est généralement au moins aussi
« pastorale » que le Concile, et donc elle se veut intrinsèquement aussi peu
lex orandi que le Concile ne se veut lex dogmatique : il y
a une infinité de libres options de célébrations, de choix de textes, de
traductions, d’interprétations. Mais de même que Vatican II rapporte de
nombreux points infailliblement définis par le magistère antérieur, la
nouvelle liturgie porte de nombreux éléments parfaitement traditionnels.
Pourrait-on dire que la forme ordinaire est lex orandi pour ce
qu’elle contient de la forme extraordinaire ? N’est-ce pas ce que voulait
dire Benoît XVI en présentant la seconde comme un trésor qu’il fallait
toujours garder sous les yeux ?
- On discute beaucoup sur le problème de
l’administration de l’Eucharistie aux divorcés remariés. Ne pensez-vous pas
que cette requête puisse être liée aussi à la perte du sens du sacrifice
eucharistique?
Oui, assurément. Il me semble que c’est le cardinal Ruini qui a souligné que
le problème que le Synode a cru devoir discuter venait à l’origine de ce
qu’aujourd’hui pratiquement tous les participants à la messe communient
toujours, et beaucoup d’entre eux sans jamais se confesser. Il y a une perte
vertigineuse du sens du péché. On n’apprend plus que la communion au Christ
vivant dans l’eucharistie est un « sacrement des vivants »,
qui exige de ceux qui le reçoivent qu’ils soient en état de grâce ou qu’ils
recouvrent l’état de grâce, c’est-à-dire qu’ils lavent leur âme par le sacrement de la
pénitence de ces péchés qui la mettent en état d’aversio a Deo.
C’est aujourd’hui, pour les prêtres de paroisses conscients de leurs
devoirs, un très grave problème pastoral. La célébration de la messe
traditionnelle peut aider à délivrer cette catéchèse sur le péché et sur la
grâce par l’admirable révérence, ô combien pédagogique, de la foi, dont elle
entoure le sacrement.
Sources : correspondance
europeenne -
E.S.M.
Ce document est destiné à l'information; il ne
constitue pas un document officiel
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 06.11.2014
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