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Agressés par Moscou et abandonnés par le Vatican
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Le 23 février 2015 -
(E.S.M.)
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Dans l'Ukraine occupée par les Russes, les catholiques sont de
nouveau persécutés. Mais le pape François a eu pour eux des paroles
non pas de réconfort mais de reproche. Le facteur Poutine au
Vatican.
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Agressés par Moscou et abandonnés par le Vatican
par Sandro Magister
Le 23 février 2015 - E.
S. M. -
Le pape François a eu beaucoup à se faire pardonner par les évêques
d'Ukraine, arrivés ces jours-ci à Rome pour dialoguer avec lui dans le cadre
de leur visite périodique "ad limina".
Ces évêques, leurs prêtres et leurs fidèles, ont été très choqués par les
mots employés par Jorge Mario Bergoglio lorsque, il y a deux semaines, il
s’est élevé devant le monde entier contre la guerre qui dévaste leur patrie.
"Violence fratricide", l’expression employée par le pape, mettait tout le
monde à égalité, les agresseurs et les agressés.
Les choses se sont encore aggravées lorsque François, quittant du regard le
texte placé devant lui, a ajouté ceci : "Quand j’entends les mots 'victoire'
ou 'défaite', je ressens dans mon cœur une grande douleur, une grande
tristesse. Ce ne sont pas ces mots-là qu’il faut employer ; le seul mot qui
convienne, c’est le mot 'paix'. Rendez-vous compte : cette guerre est une
guerre entre chrétiens ! Vous avez tous reçu le même baptême. Vous êtres en
train de vous battre entre chrétiens. Pensez au scandale que cela
représente".
Que Bergoglio donne de l’importance à la Russie, on avait déjà pu s’en
rendre compte au commencement de la guerre en Syrie, lorsqu’il avait appelé
à une journée de jeûne et de prière contre l'intervention armée lancée par
les États-Unis et par la France contre le régime de Damas, ce qui lui avait
valu d’être félicité publiquement par Vladimir Poutine.
D’autre part il y a le poids du facteur œcuménique : dans le monde, sur 200
millions de chrétiens orthodoxes, 150 appartiennent au patriarcat de Moscou
"et de toutes les Russies" ; c’est donc principalement avec Moscou que le
pape veut entretenir de bonnes relations.
Mais ce qui a été ressenti comme insupportable par les catholiques
ukrainiens, c’est que l'agression de la Russie contre l'Ukraine,
l'occupation armée de la partie orientale de cette dernière, l'annexion de
la Crimée, aient laissé le pape indifférent à la question de la "victoire"
et de la "défaite". Cela d’autant plus que les propos du pape François ont
aussitôt provoqué des applaudissements à Moscou ; cette fois, ils venaient
non pas de Poutine mais du patriarche orthodoxe Cyrille, dont la juridiction
s’étend également aux orthodoxes d’Ukraine.
Le souvenir de la persécution dont les catholiques ukrainiens furent
victimes de la part du régime soviétique est encore trop frais dans les
esprits. Après la seconde guerre mondiale, leur Église a été littéralement
anéantie, d’innombrables martyrs ayant été tués au moyen des supplices les
plus atroces : ils furent crucifiés, emmurés vivants, noyés dans de l’eau
bouillante.
C’est grâce à la chute du mur de Berlin, en 1989, que cette Église est
sortie des catacombes. Mais sa reconquête d’un espace vital a été très dure
et elle n’est toujours pas terminée, notamment en ce qui concerne les
églises et les maisons qui sont tombées aux mains d’évêques et de prêtres
orthodoxes.
Actuellement les catholiques ukrainiens – ils sont près de cinq millions –
savent bien qu’ils sont le véritable obstacle à une rencontre entre le pape
de Rome et le patriarche de Moscou. Mais ils n’acceptent pas pour autant
d’être sacrifiés sur l'autel de ce rêve œcuménique.
Les catholiques ukrainiens résistent dans l’ouest du pays, en Galicie, à
Lviv. Mais en Crimée et dans le Donbass occupé, la répression est de nouveau
impitoyable.
Une répression comparée par le nonce apostolique à Kiev, l'archevêque
américain Thomas E. Gullickson, nommé à ce poste par Benoît XVI en 2011, à
celle des Soviétiques en 1946, et exercée "avec la complicité des orthodoxes
et la bénédiction de Moscou". Il a été jusqu’à évoquer "la leçon du Califat
en Irak et en Syrie" pour dire que "de telles tragédies" peuvent se produire
également ailleurs.
Les rapports que le nonce fait parvenir à Rome sont détaillés et montrent
son inquiétude. Et les catholiques ukrainiens ont eu une réaction de fureur
lorsqu’ils ont constaté que rien de tout cela ne transparaissait dans les
propos tenus par le pape François. Ils sont convaincus qu’à la curie, à
Rome, comme en Ukraine, le parti russophile a le champ libre et qu’il
influence le pape.
Le 10 février, la secrétairerie d’état a répondu aux protestations des
catholiques ukrainiens par une note destinée à "préciser que le pape a
toujours eu l’intention de s’adresser à toutes les parties intéressées, en
faisant confiance aux efforts sincères de chacune d’elles pour appliquer les
conventions auxquelles elles sont parvenues d’un commun accord et en
rappelant le principe de la légalité internationale".
Mais ce faible rappel à la légalité n’a certainement pas été suffisant pour
préoccuper Moscou, qui a désormais la certitude que son annexion de la
Crimée a été, de fait, acceptée par tout le monde, y compris par le Vatican,
et que pour le Donbass, qui est russifié et où il n’y a plus de catholiques,
il pourrait en être de même.
***
L’appel lancé par le pape en faveur de la paix en Ukraine, à la fin de
l'audience générale du 4 février :
►Appello
Les réactions négatives des catholiques ukrainiens aux propos du pape,
d’après ce qui a été rapporté par les vaticanistes John Allen et Marco
Tosatti :
►Is the pope’s view of Ukraine blurred by 'ecumenical correctness'?
►Ucraina, criticato il Vaticano
Et, en sens inverse, l’approbation manifestée par le patriarche de Moscou,
Cyrille :
►Patriarch Kirill thanks Vatican for balanced view on Ukraine crisis
La note publiée par le Vatican le 10 février en réponse aux réactions
provoquées par l'appel lancé par le pape le 4 février
►Dichiarazione
L'impressionnant rapport relatif à la situation des catholiques dans les
régions d'Ukraine annexées par la Russie ou occupées, qui a été rendu
public, à l’automne dernier, par le nonce apostolique à Kiev, Thomas E.
Gullickson
►Nuncio to Ukraine Gives Overview of Church's Most Pressing Needs
Et l'interview accordée par ce même nonce à Vatican Insider qui l’a publiée
le 16 février
►Kiev, il Nunzio: "Il popolo ucraino si sente abbandonato"
Dans le rapport que l’on a cité ci-dessus, le nonce apostolique Gullickson
fait remarquer que l'intolérance à l’égard des catholiques ukrainiens de
rite oriental s’exprime aussi par le fait qu’ils sont qualifiés, de manière
péjorative, d’"uniates", c’est-à-dire qu’il leur est reproché de n’être
semblables aux orthodoxes qu’en faisant semblant, afin de voler à ces
derniers des fidèles qui sont mis sous la domination de Rome.
Le 30 novembre dernier, le pape François a déclaré, alors qu’il se trouvait
à bord de l’avion qui le ramenait de Constantinople à Rome, qu’il avait
l’intention de dépasser le problème de l'"uniatisme" dans la mesure où
celui-ci constitue un obstacle au dialogue œcuménique.
Pour comprendre le sens des propos du pape, une note rédigée par un expert
en la matière, le professeur Enrico Morini
►Meglio
uniti che “uniati”. Con gli ortodossi Francesco vuole cambiare strada
À propos de la question ukrainienne dans le cadre des relations entre
l’Église de Rome et les Églises orthodoxes :
►L'Ukraine sert d'arbitre entre le pape et le patriarche de Moscou
(28.6.2010)
►Œcuménisme. La véritable histoire d’une guerre qui n'a pas eu lieu
(19.7.2010)
Traduction française par
Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
Source: Sandro Magister
Eucharistie sacrement de la miséricorde -
(E.S.M.) 23.02.2015 -
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